Eglises d'Asie

LES REACTIONS DES CATHOLIQUES DE TAIWAN A UNE EVENTUELLE NORMALISATION DES RELATIONS ENTRE LA CHINE ET LE SAINT-SIEGE

Publié le 18/03/2010




Quand les catholiques de Taiwan ont appris que le pape Jean-Paul II demandait pardon à la République populaire de Chine pour les erreurs passées, de nombreuses questions leur sont venues à l’esprit : Qu’est-ce qui a motivé le pape à formuler cette demande ? Pourquoi certains responsables du Vatican parlent de normalisation des relations avec la Chine, comme si cette normalisation pouvait intervenir du jour au lendemain, sans réellement tenir des compte des aspirations des catholiques de Taiwan ? Veulent-ils simplement multiplier les relations diplomatiques que le Saint-Siège entretient de par le monde ? Si ces questions ne trouvent pas de réponses, le cœur des catholiques taiwanais s’en trouvera attristé.

Après l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong, en 1949, pratiquement tous les ambassadeurs étrangers, sauf ceux issus des pays communistes, ont quitté Pékin et, la plupart ont suivi le président Chiang Kai-Shek à Taiwan.

Le nonce représentant le Saint-Siège demeura cependant à Pékin. L’archevêque émérite Stanislas Lokuang, de Taipei, se trouvait alors à Rome et conseillait l’ambassadeur de Chine près le Saint-Siège. Il m’a dit un jour que ce dernier avait reçu un message urgent de la part du gouvernement du président Chiang demandant que le Saint-Siège transfère le nonce accrédité à Pékin sur l’île de Taiwan. La réponse du Saint-Siège fut : “Vous comprendrez que dans ces moments difficiles, notre nonce doit rester avec les catholiques en Chine.” Le sens implicite de cette réponse était qu’un nonce doit demeurer prioritairement avec la communauté des catholiques. Les communistes chinois ont mis sur pied une vaste campagne de propagande anti-vaticane, présentant le Saint-Siège comme une force politique, impérialiste à l’instar des Etats-Unis et du Japon. Le nonce d’alors, Mgr Antonio Riberi, n’a quitté la Chine en 1951 que parce qu’il en a été expulsé. Dès que la situation a commencé à se stabiliser en Chine, le Saint-Siège a fait passer le message comme quoi il souhaitait établir des relations diplomatiques normales (avec le nouveau régime en place à Pékin).

Au début des années 1970, alors que la Révolution culturelle (1966-1976) touchait à sa fin, de nombreux pays européens ont quitté Taiwan pour ré-établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Dès cette époque, le Vatican a émis le souhait de faire de même. Depuis lors (soit il y a 30 ans), la représentation du Saint-Siège à Taipei n’a plus été dirigée par un plein et entier nonce apostolique mais par un simple chargé d’affaires.

En 1972, le pape Paul VI a fait une brève visite à Hongkong, prenant juste le temps d’y célébrer la messe dans un stade. Par avance, il était connu qu’il donnerait à cette occasion une homélie, rédigée par le cardinal Agostino Casaroli (alors secrétaire d’Etat du Vatican), incluant un message explicite de sympathie à l’égard des catholiques de Chine, après tant d’incompréhensions. Ce qui préoccupait le pape était la normalisation de la vie de foi des catholiques.

Mais il est apparu clairement que le Vatican ne pouvait procéder à une telle déclaration de bonne volonté envers un régime qui avait produit la Révolution culturelle et qui persécutait les catholiques. A cette époque, peu de pays faisait montre de sympathie à l’égard de la Chine. Des pressions de diverses origines ont donc été exercées afin que le pape supprime certains passages de son homélie. Ce qui resta finalement du message à la Chine était que le pape exprimait de la “sympathie à tous les catholiques chinois présents à Hongkong, Taiwan, Macao et… où qu’ils se trouvent.”. Je me souviens très précisément que le pape Paul VI a prononcé ces mots très lentement et distinctement, utilisant une intonation qui ne laissait pas de doute quant à ses intentions mais indiquait clairement ce qu’il ne pouvait exprimer par des mots.

Depuis 1978, le pape Jean-Paul II a produit des efforts exceptionnels afin de normaliser les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. A plusieurs reprises, il s’est adressé aux catholiques de Chine continentale, et à chaque fois, il a évité d’utiliser des mots qui pouvaient blesser le gouvernement chinois. En route pour le Japon, l’avion du pape a évité de voler dans l’espace aérien taiwanais afin de ne pas avoir à saluer le président et le gouvernement de la République de Chine (Taiwan).

Depuis la mort du cardinal Paul Yu-Pin, en 1978, Taiwan ne dispose plus d’un cardinal. La raison ? Rome a souhaité éviter d’offenser la République populaire de Chine. Après tous ces signes de bonne volonté, le pape Jean-Paul II n’a pas reçu un seul signe positif de la part de la République populaire de Chine. Récemment, le 24 octobre 2001, le pape est allé aussi loin qu’il le pouvait en demandant pardon pour les erreurs passées, et a officiellement demandé un dialogue normal avec la Chine. Le Souverain Pontife est allé plus loin que tous les autres papes, et l’Eglise de Taiwan a apporté son soutien entier au pape en acceptant tout cela silencieusement.

Je dois admettre que, même si je suis favorable à une normalisation des relations sino-vaticanes et en tant qu’étranger, il me semble dommageable que des hommes politiques et des diplomates européens considèrent cette normalisation sans tenir compte de Taiwan. Ces attitudes ne semblent pas refléter celle du Saint-Père lui-même.

L’Eglise de Taiwan est de façon évidente membre de l’Eglise de Chine. En 1985, le pape a explicitement appelé l’Eglise de Taiwan a être une “Eglise-pont”, l’aidant dans ses efforts à renouer des relations avec les catholiques de la République populaire de Chine. Le pape Jean-Paul II a prononcé ces mots immédiatement après la visite ad limina des évêques de Taiwan qui lui dirent : “Saint-Père, aussi longtemps que l’Eglise de Chine continentale est concernée, décidez ce qui est bon pour le Royaume de Dieu en Chine. Nous acceptons votre décision» Ceci fut publié dans le journal du Vatican, Romano.

Les mots prononcés par ces évêques représentent la ligne à suivre pour les catholiques de Taiwan. Les évêques sont aussi patriotes que n’importe quel autre Chinois et, je suppose, qu’ils ne peuvent également souhaiter le transfert de la nonciature de Taipei à Pékin. Mais ils réalisent que la première préoccupation du pape est le retour à une vie normale pour les catholiques en République populaire de Chine, et en cela ils le soutiennent. C’est l’exemple que tous les catholiques de Taiwan peuvent suivre.

Avant d’être le chef de la Cité du Vatican, le pape Jean-Paul II est le guide spirituel de l’Eglise universelle. Il voyage à travers le monde avant tout en pèlerin missionnaire témoignant du Royaume du Seigneur Jésus. Plus il avance en âge, plus ses initiatives sont audacieuses et ses messages insistants. Il voyage partout dans le monde pour conforter les chrétiens catholiques, protestants, orthodoxes etc., mais aussi pour rencontrer les musulmans, les juifs, les hindous, les bouddhistes et les dirigeants athées communistes.

Dans la même logique du pèlerinage missionnaire et en raison de l’attention spéciale qu’il accorde à la Chine, le pape Jean-Paul II pose la question : pourquoi ne pas se rendre en Chine ? S’il ne peut pas y aller, pourquoi ne pas tenter de briser la glace qui isole les catholiques en Chine du reste de l’Eglise universelle ? Si cela requiert une demande de pardon pour ce que certains appellent “les erreurs du passé”, le pape n’hésite pas à appliquer l’Evangile dans son extrême et à demander pardon. Normaliser la vie de foi des catholiques chinois et faire grandir le Royaume de Dieu en République populaire de Chine demeure son premier et unique soucis. Atteindre cet objectif représenterait une importante réalisation missionnaire. Etablir des relations diplomatiques n’est qu’un moyen pour parvenir à ce but. Le Saint-Père ne veut pas rompre avec Taiwan. Pour nous, à Taiwan, le drame est qu’il ne peut réaliser son projet sans passer par cette étape.

Le pape Jean-Paul II croit que les catholiques de Taiwan comprendront cela, même avec de la souffrance au fond leur cœur. Il nous demande de l’aider en étant une “Eglise-pont” et en soutenant son objectif pour le Royaume. Il ne demande pas aux catholiques de Taiwan de rejeter leur patriotisme et leur honneur. Je suis sûr que le pape est préoccupé par cette ambiguïté douloureuse qui habite le cœur des catholiques de Taiwan et qu’il comprend les réticences que certains expriment. Il croit cependant que l’on peut être un bon patriote chinois à Taiwan et soutenir, simultanément, la cause du Royaume de Dieu en République populaire de Chine.

Alors que les catholiques de Taiwan se préparent à accepter dans leurs cœurs, comme chrétiens et non comme ressortissants de la République de Chine, le pas que peut éventuellement effectuer le Saint-Père afin de renouer des relations diplomatiques, les Taiwanais demandent aux diplomates du Vatican, avant toute normalisation des relations, de faire le nécessaire afin de sécuriser au mieux cette relation, que la vie de foi puisse réellement exister et que l’Association patriotique des catholiques chinois – dans la forme qui est la sienne aujourd’hui – n’empêche pas cela de se faire. Notre question demeure celle-ci : cette préparation a-telle été faite sérieusement ? Nous sommes inquiets !