Eglises d'Asie

Le cas de quatre jeunes musulmanes désireuses de porter jusque dans les salles de classe le “foulard islamique” vient tester le modèle singapourien de cohabitation entre communautés

Publié le 18/03/2010




A l’occasion de la rentrée des classes au début du mois de janvier dernier, quatre jeunes filles musulmanes, élèves en première année du cycle primaire, ont décidé qu’elles désiraient désormais porter jusque dans les salles de classe le “foulard islamique”. Selon les règles fixées par les autorités de Singapour, dans un soucis de promouvoir l’harmonie entre les différentes communautés ethniques et religieuses qui forment la population de la cité-Etat, les enfants musulmans de sexe féminin ont certes le droit de porter le foulard, connu sous le nom de tudong, mais doivent le retirer une fois dans l’enceinte des établissement scolaires publics. Le ministère de l’Education a vivement réagi à ces initiatives et a donné jusqu’au 1er février aux jeunes filles, âgées de sept ans, et à leurs parents pour réfléchir et revenir sur leur décision. Au cas où les enfants décideraient de persévérer dans leur attitude, le ministère a laissé très clairement entendre que leur expulsion était à craindre.

Pour le ministère de l’Education, faire une exception pour ces quatre jeunes filles paraît impensable. “Si un groupe reçoit l’autorisation de modifier l’uniforme des élèves, d’autres à leur tour demanderont des modifications au nom de leurs pratiques religieuses ou coutumières, a déclaré le ministère. En agissant ainsi, au fil du temps, nous introduirions alors dans nos écoles publiques des pratiques qui contribueraient à accentuer les différences entre les élèves des différentes communautés. Cela aurait un impact négatif sur la cohésion sociale.” Pour les autorités de Singapour, dont la population est composée à 77 % de Chinois, à 7,7 % d’Indiens et à 14 % de Malais (le reliquat étant constitué d’Eurasiens et de quelques autres minorités), la question est très sensible. Le 27 janvier, le Premier ministre adjoint, Lee Hsien Loong, a déclaré : “Il ne s’agit pas seulement d’une question religieuse, mais d’un problème qui touche l’intégration et l’harmonie raciale et religieuse et la façon dont nous essayons d’élever ensemble nos enfants”. A la différence des autres communautés dont les appartenances religieuses sont plurielles, les Malais sont en quasi totalité de confession musulmane.

Selon les observateurs, le cas des quatre jeunes musulmanes s’inscrit dans un contexte plus large. En décembre dernier, la police singapourienne a arrêté 13 ressortissants singapouriens d’origine malaise, les accusant d’agir pour le compte du réseau terroriste d’Oussama Ben Laden et de participer à la préparation d’attentats contre des intérêts américains à Singapour. Commentant ces arrestations, le Premier ministre, Goh Chok Tong, a déclaré : “Au cas où une bombe explose, tuant et blessant des dizaines de Chinois et d’Indiens, je n’ose imaginer la colère des Chinois et des Indiens contre nos Malais et nos musulmans”. Afin que les Singapouriens se défassent de leurs “peurs irrationnelles” et en viennent à “mieux se connaître les uns les autres”, le Premier ministre a annoncé le 30 janvier la création d’instances de dialogue, des Inter-Racial Confidence Circles (IRCC). Ces structures, organisées au niveau des quartiers, devraient, aux yeux des autorités, permettre à l’éventuel ressentiment des uns ou des autres de s’exprimer pacifiquement.

Après les émeutes inter-raciales des années 1950 et du début des années 1960, Singapour n’a plus connu d’affrontements graves liées à l’appartenance communautaire de ses habitants. Les autorités s’enorgueillissent du système méritocratique mis en place pour promouvoir, dans le cadre d’une stricte neutralité ethnique, les chances de chacun. Une partie de la communauté d’origine malaise ne ressent pourtant pas les choses de la même façon. Que ce soit l’interdiction du port du foulard dans les écoles, l’exclusion de musulmans de certains domaines sensibles dans l’armée ou la moindre réussite économique des Malais, les motifs de ressentiment sont assez nombreux et particulièrement vifs lors des périodes de crise économique – comme c’est le cas actuellement à Singapour.