Eglises d'Asie

Les évêques catholiques ont dénoncé la diffusion d’une vidéo montrant la décapitation de deux hommes par des individus présentés comme appartenant au groupe Abu Sayyaf

Publié le 18/03/2010




La diffusion sur les principales chaînes de télévision du pays le 18 février et les jours suivants d’une vidéo montrant la décapitation de deux hommes par des individus présentés comme appartenant au groupe Abu Sayyaf a été dénoncée par les évêques catholiques du pays. Selon Mgr Antonio Ledesma, évêque d’Ipil et président de la Commission épiscopale pour le dialogue interreligieux, les citoyens philippins ont certes le droit à l’information mais “il aurait dû y avoir des explications préalables [pour replacer cette vidéo] dans son contexte et elle n’aurait pas dû être montrée aux enfants, lesquels peuvent ne pas comprendre la situation dans son ensemble”. L’évêque d’Ipil a ajouté qu’une telle vidéo pouvait provoquer, chez la majorité catholique du pays, un rejet et une condamnation sans nuance de la communauté musulmane des Philippines.

La vidéo en question a été présentée à la presse par l’armée philippine le 18 février dernier lors d’une session spécialement organisée au camp Aguinaldo, base militaire située au nord-est de Manille. Longue de 70 minutes, la vidéo, dont les images sont de piètre qualité technique, montre des hommes, présentés par l’armée comme appartenant au groupe Abu Sayyaf, interrogeant deux miliciens faits prisonniers par eux. Après l’interrogatoire, les deux miliciens sont décapités devant la caméra. Selon le général de brigade Edilberto Adan, la cassette a été enregistrée par Abu Sayyaf et a été récupérée par l’armée lors d’une escarmouche sur l’île de Basilan entre les forces armées gouvernementales et le groupe d’inspiration islamiste versé dans le grand banditisme. Un porte-parole de l’armée n’a pas fait mystère des raisons pour lesquelles cette cassette a été distribuée le 18 février aux médias philippins. “Nous montrons à l’opinion publique ces (décapitations) pour convaincre ceux qui sont opposés à la présence de forces militaires américaines à Mindanao de la véritable nature de l’ennemi”, a-t-il déclaré (1).

Pour les évêques philippins, cette cassette n’est pas tout à fait une nouveauté. En effet, au cours de l’année 2000, Joseph Estrada, alors à la tête du pays, ayant décidé de lancer une vaste offensive militaire contre les rebelles musulmans actifs à Mindanao, huit évêques avaient été invité au palais présidentiel de Malacanang pour y visionner cette vidéo. Selon Mgr Ledesma, Joseph Estrada avait alors souhaité donner aux responsables de l’Eglise catholique une idée de la situation “au sujet de la lutte à mener contre le groupe Abu Sayyaf”.

Dans le sud des Philippines, Mgr Lampon, évêque de Jolo, dont la circonscription ecclésiale se trouve concernée au premier chef par les opérations militaires en cours, a exprimé les mêmes réserves que ses confrères du nord du pays, à savoir que diffuser cette vidéo allait à l’encontre des efforts de l’Eglise pour “se débarrasser de la violence dans les médias”. Il a ajouté que le gouvernement “poussait les choses à leur extrême” car il est confronté à une opposition réelle d’une partie de l’opinion, hostile à l’intervention américaine à Mindanao. Cependant, pour le P. Alfonso Carino, du diocèse de Cotabato, la vidéo est certes seulement visible par un public “adulte” mais, les enlèvements et les décapitations représentant dans la région “une menace constante”, la vidéo ne fait que manifester le sentiment dominant, à savoir qu’Abu Sayyaf est un groupe malfaisant.

Dès le 22 février, des membres du Congrès ainsi que des journalistes ont émis des doutes quant à l’authenticité des scènes visibles sur la vidéo et quant à l’identité réelle des personnes montrées. Dans le doute, une chaîne de télévision a annoncé qu’elle cessait de la diffuser.