Eglises d'Asie

Après plusieurs jours de troubles, les musulmans du Gujarat recueillent leurs morts et les enterrent dans l’indifférence des pouvoirs publics

Publié le 18/03/2010




Le 6 mars, à Ahmedabad, après les journées sanglantes qui ont suivi le massacre des 57 passagers du train venant de Ayodhya, le 27 février, le calme semblait revenu en ville. Les forces armées continuaient de patrouiller dans les rues où elles avaient été déployées depuis le vendredi 1er mars, pour suppléer à l’impuissance de la police locale. Mais à part quelques incidents isolés dans les campagnes du Gujarat, aucun nouveau trouble n’avait été signalé depuis la veille par la presse locale. L’heure était venue de dresser un premier bilan des victimes, de recueillir et d’enterrer les morts.

En effet, la principale préoccupation, ce jour-là, était l’inhumation des plus de 600 victimes tombées au cours des journées de troubles. Selon les fonctionnaires de police, il est possible que ce chiffre soit rapidement dépassé et que le nombre de morts atteigne le millier lorsque toutes les dépouilles auront été récupérées dans les divers villages musulmans reculés où les manifestants hindouistes sont allés porter le feu et la mort. La plupart des victimes sont musulmanes et, parmi elles, il y a une majorité de femmes et d’enfants. Etant donné le grand nombre de corps à ensevelir, les autorités municipales ont rapidement fait savoir qu’il n’y avait pas d’autre choix que des inhumations dans des fosses communes. Celles-ci avaient déjà commencé.

Déjà, la veille, le 5 mars, 98 cadavres avaient été enterrés dans une même fosse commune près du commissariat de police de Ahmedabad. Selon des témoins, quelques-uns des corps étaient tellement brûlés que personne n’a pu les reconnaître. Par contre, il est arrivé de pouvoir identifier l’ensemble des membres d’une même famille, tous brûlés ou assassinés au cours des troubles. Vingt dépouilles ont d’abord été empilées les unes sur les autres, puis recouvertes d’une couche de terre. L’opération s’est répétée jusqu’à ce que tous les corps soient enterrés. Les religieux musulmans qui célébraient les obsèques s’étaient recouverts la face d’un morceau de tissu pour combattre la puanteur. Selon un reportage de l’agence Ucanews (1), le lendemain 6 mars, les restes calcinés de 22 enfants ont été ensevelis dans une fosse de 10 mètres carrés de surface. Dans la nuit, on avait recueilli leurs corps dans deux enclaves musulmanes de la ville. Personne, dans le camp d’hébergement proche, ne connaissait l’identité et la résidence des parents de ces enfants. Sans doute faisaient-ils partie des 600 habitants massacrés pendant les troubles. On les avait vus pour la dernière fois s’enfermer dans leurs habitations alors qu’une dizaine de milliers d’hindous parcouraient la ville, incendiant maisons et boutiques. Selon l’agence Ucanews, aucun représentant du gouvernement, aucun fonctionnaire de police n’était présent lors de ces cérémonies d’inhumation.

Plus de 300 victimes des troubles devaient encore être ensevelies dans les jours qui ont suivi. Une bonne partie venait des hôpitaux de la ville qui ont refusé de garder les corps dans les morgues ou même de les soumettre à une autopsie. Un témoin musulman a raconté qu’au sortir de l’hôpital, les dépouilles étaient jetées sans vêtements ni linceul dans des véhicules. “Ils ne respectent même pas les morts ! a-t-il déploré.

A la suite des troubles du Gujarat, ce sont des dizaines de milliers de musulmans qui sont aujourd’hui sans domicile. Selon la Fédération internationale de la Croix-Rouge (IFRC), pour la seule ville de Ahmedabad, 30 000 personnes sont actuellement accueillies dans 24 lieux d’hébergement différents. Une aide d’urgence en alimentation, médicaments et vêtements leur a déjà été distribuée. La neutralité traditionnelle des volontaires de la Croix-Rouge internationale a facilité leur accès auprès des musulmans comme des hindous.