Eglises d'Asie

ENTRETIEN AVEC LE FONDATEUR DU MOUVEMENT CHARISMATIQUE EL SHADDAI

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Est-ce que l’éviction d’Estrada et votre procès pour détournement de fonds ont été préjudiciables à El Shaddaï ?

Mariano Velarde : La plupart de nos membres, et c’est surprenant, sont restés fidèle à El Shaddaï. Ma supposée implication politique et mon procès pour détournement de fonds ne les ont pas affectés. Ils ont la capacité de me regarder, moi et ma vie, comme un livre ouvert. Rien ne leur est caché.

Qu’en est-il de la diminution du nombre des membres de votre mouvement ?

Vers la fin de l’année 2001, j’ai opéré certains changements importants dans la stratégie Shaddaï. J’ai eu à évincer plusieurs prédicateurs pentecôtistes qui étaient avec nous depuis des années. Certains ont spontanément confessé qu’ils n’étaient plus catholiques. La plupart étaient d’anciens catholiques qui avaient rejoint le mouvement pentecôtiste avant même celui Shaddaï. Certains sont restés avec nous pendant 5 ou 6 ans et leur penchant pour la foi catholique s’est ranimé durant ce temps de participation. Puis ils ont commencé à être désenchantés de nouveau quand ils ont senti que la hiérarchie locale ne soutenait pas El Shaddaï même si nous étions demeurés fidèles à l’Eglise. “Pourquoi vouloir à tout prix rester dans l’Eglise si on n’a pas besoin de nous ?”, disaient-ils. J’ai insisté en disant qu’il n’y avait pas de choix. Nous devions rester dans l’Eglise parce que nous étions catholiques.

Qu’avez-vous appris de votre implication auprès d’Estrada et en politique ?

Grâce au procès que nous avons eu à affronter, nous pouvons maintenant nous vanter d’avoir approfondi notre foi. Les controverses avec la hiérarchie m’ont appris à rester tranquille et, en restant silencieux, personne ne peut mettre dans ma bouche d’autres déclarations. On m’a souvent demandé d’assigner en justice le journaliste qui prétendait que je suis derrière les tentatives de coup de force contre Arroyo (la présidente Gloria Macapagal-Arroyo). Mais pourquoi devrais-je faire un nom à cet individu du seul fait qu’il se permet de propager des rumeurs ?

En tant que conseiller spirituel d’Estrada, avez-vous eu à choisir entre votre loyauté à l’égard de l’ex-président et votre fidélité à l’Eglise ?

C’est une méprise générale de croire que je me suis élevé contre la hiérarchie de la CBCP (Conférence épiscopale des Philippines). J’ai dit au cardinal Jaime Sin de Manille lorsqu’il m’a appelé que, étant donné que j’étais le conseiller spirituel du président, je ne pouvais pas publiquement lui demander de donner sa démission même si en même temps la CBPC le voulait. Ce n’était pas une décision politique, c’était une décision spirituelle. J’ai dit au cardinal Sin et aux autres que si je demandais publiquement au président de démissionner, il ne m’écouterait plus jamais.

Dans les derniers jours des manifestations appelant à la démission d’Estrada, j’ai été contacté personnellement pour intercéder et le convaincre de se retirer et de quitter le palais présidentiel pour éviter un bain de sang. En ce jour fatidique du 20 janvier, j’ai appelé le président à 7h00 du matin et lui ai parlé jusqu’à midi en le convainquant de quitter le palais. A midi trente, j’ai appris qu’il se décidait à partir. Si j’avais rejoint le mouvement de ses opposants publiquement et dit au président de démissionner plus tôt, il ne m’aurait pas écouté.

En tant que guide spirituel, vous est-il arrivé de vous opposer à Estrada ?

Bien sûr. Lors d’une réunion de cabinet, des ministres prônaient l’instauration du contrôle des naissances. Le président déclara que les statistiques démontraient le besoin d’un tel contrôle. Le P. Erasmo Ramirez, dominicain, qui était aussi présent, lui dit que l’Eglise pouvait tolérer cette idée. Je répliquais : “Président, si vous décidez de mettre en avant ce programme, alors je vous dis que nous nous séparerons”. Je me suis donc publiquement opposé sur cette question du contrôle des naissances. Estrada dit alors à son cabinet : “Voyez, Velarde ne sera jamais d’accord”. Puis il mit en sommeil cette proposition.

Quelle est votre relation avec Arroyo ?

Même quand elle était vice-présidente, elle a toujours gardé contact avec moi. Au moment le plus fort du mouvement demandant la démission [d’Estrada], avant la messe et le jeûne du jour de pénitence du 11 novembre 2000, je lui ai proposé un meilleur plan pour le transfert du pouvoir. C’était plus conforme à la Constitution. Je lui ai demandé d’en parler avec le cardinal et ses autres collaborateurs. Estrada a confié qu’il était prêt à considérer mon plan. Je proposais de conseiller à Estrada de partir en congés en tant que président pour la fin de janvier 2001, et elle aurait pris sa place en tant que sa vice-présidente à titre intérimaire jusqu’au 30 juin 2001, date à laquelle il pouvait accepter de se retirer. Cela aurait été la façon la plus paisible pour en terminer. Je lui ai dit d’agir au plus vite sans laisser au président le temps de changer d’avis. Avant le rassemblement de prières du 11 novembre, le président était ouvert à ce plan, mais en voyant un million de Philippins réunis, y compris les membres Shaddaï, Estrada changea de nouveau sa position et décida de rester jusqu’à la fin du procédé de destitution. Quand Arroyo me rappela pour me dire qu’elle était prête à discuter mon plan, j’ai dû lui dire que c’était trop tard.

Pourquoi certains évêques et prêtres vous critiquent et rejettent El Shaddaï ?

Certains évêques entendent juste les commentaires d’autres personnes, mais n’ont pas le temps de les vérifier. Ils n’entendent qu’un son de cloche. Les médias jouent aussi un rôle. Ils adorent publier des demi-vérités. Des malentendus sont nés parce que je n’ai pas répondu à tous les articles qui me critiquaient. Je ne veux pas répondre quand on ne me le demande pas. Ma soi-disant implication politique avec le président Estrada après qu’on m’a demandé d’être son guide spirituel est une autre raison de la méfiance du public et de la hiérarchie. Ce n’est pas moi qui ai demandé à être son conseiller spirituel. J’ai été personnellement désigné mais il n’y a jamais eu de nomination officielle. Je n’ai jamais refusé à quiconque me le demandait d’être son guide. C’est mon droit d’accepter ou de refuser ce genre de demande.

Qu’en est-il de vos divergences avec la CBCP sur la question des forces américaines ?

Je n’ai pas suivi les vues de la hiérarchie en 1998 quand le Sénat débattait le projet de loi sur le Visiting Forces Agre-ement (VFA). Quand on me l’a demandé, j’ai offert mon point de vue comme quoi ce VFA aiderait le pays. Plutôt que de re-garder les années passées et de souligner tous les incidents où les forces américaines ont été impliquées et ont déplu au peu-ple philippin, je croyais fermement que le VFA ferait beau-coup mieux que par le passé. On peut voir par les nouvelles de ces derniers jours que les forces américaines sont venues à no-tre aide à Basilan (dans le sud des Philippines), ce qui donne crédit à ma prévision. Je sentais que j’avais raison, mais je n’ai pas pris cette position juste pour m’opposer à la CBCP. Je l’ai formulée en tant qu’opinion personnelle et n’ai jamais impli-qué El Shaddaï dans mon témoignage devant le Sénat, ni de-mandé aux membres de me suivre dans mes vues. Même pour les élections, je n’ai jamais forcé les membres Shaddaï à voter pour un parti. Ils sont libres de voter selon leur désir.

Quelles sont les possibilités pour vous d’avoir des relations plus calmes avec l’Eglise ?

J’ai rencontré plusieurs évêques et ceci a permis d’effacer certains de nos malentendus. Ils m’ont demandé plus de con-sultation pour que, si nos vues ne sont pas les mêmes, nous puissions trouver une opinion commune. J’ai accepté cette pro-position. Je pense que si je suis informé suffisamment à l’avan-ce, je peux soit choisir d’ignorer la question soit de la défendre avec la CBCP. En avril, le président de la CBCP, Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato, m’a convoqué avec l’évêque auxiliaire Teodoro Bacani, de Manille, pour parler des élections de mai 2001. Je leur ai expliqué ce que j’avais fait pour les élections générales et ils étaient d’accord pour dire que j’avais une position correcte. Pour effacer l’impression que nous sommes brouillés, nous suivrons notre propre route et aurons juste des consultations. Depuis lors, je n’ai pas parlé à la presse. J’ai refusé nombre d’interviews. Mgr Bacani est maintenant le porte-parole pour El Shaddaï.

On parle d’un refus Shaddaï d’établir des liens avec les paroisses ?

Depuis des années, j’ai demandé aux groupes de prière de tenir leurs réunions pendant la semaine afin d’être libres pour participer aux activités paroissiales du week-end. Les travailleurs sont encouragés à prendre part aux différents ministères de la paroisse. Ils peuvent être lecteurs, au service d’ordre, choristes, et toujours membres Shaddaï.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’abus de pouvoir et d’argent ?

Ma philosophie est que je suis dans le mouvement El Shaddaï non pas à cause de moi mais à cause du mouvement. Si El Shaddaï avait été ma propre création, j’aurais utilisé le groupe pour ma défense depuis longtemps. Je m’en tiens à la parole de Dieu, qui dit, “Mienne est la revanche”. A la lumière des Ecritures, je réalise qu’il y a un temps pour se taire et un temps pour parler. Je considère ces attaques comme des consolidations de la foi. Aux Philippines, si quelqu’un vous attaque en tant que voleur, peu importe votre explication prouvant que vous n’êtes pas voleur, on continuera de croire que vous en êtes un. Par contre, quand les gens vous croient, même si je les vole, ils diront : “Frère Mike a juste oublié de me dire qu’il l’avait pris”. Mes opposants peuvent croire ce qu’ils veulent, mais laissez les prouver ce qu’ils prétendent. Après toutes ces années, toutes ces attaques, personne n’a jamais pu prouver ses déclarations me visant.

Que diriez-vous à ceux qui vous appellent un “prophète du profit” ?

Les Ecritures disent que quand bien même Jésus était riche, il devint pauvre pour que les autres deviennent riches. Certains vous diront qu’il ne s’agit que de richesse spirituelle, mais les Ecritures ne se limitaient pas au spirituel. Quand elles disent riche, c’est riche dans tous les domaines. Jésus est venu proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Ainsi grâce à l’Evangile, ils seront élevés et vivront la promesse de Dieu faite à Abraham “certainement je vous bénirai et vous élèverai” et “bénis soient ceux qui vous bénissent et maudits soient ceux qui vous maudissent”. Quand un prêtre de Manille me demande lors d’une réunion du clergé si je savais qu’on m’appelait ainsi (prophète du profit), je lui ai répliqué que je devrais être blessé par cette appellation mais que je ne l’étais pas. Au lieu de me décourager, cela m’aidait. Ce genre de calomnies me fait devenir un vrai prophète. Je proclame l’Evangile pour que d’autres puissent en bénéficier spirituellement, émotionnellement, matériellement et financièrement. C’est ce que les Ecritures montrent comme objectifs dans la proclamation de la Bonne Nouvelle.

Que pensez-vous de l’idée maîtresse de l’Eglise de construire “une Eglise des pauvres” ?

Pourquoi l’appeler l’Eglise des pauvres ? Ceux qui ont de petits moyens n’aiment pas cette terminologie. Nous n’avons pas à classer les gens en fonction de leurs possessions matérielles quantitatives ou qualitatives. Nous sommes tous égaux sous le regard de Dieu. “L’Eglise des pauvres” est un nom bien mal approprié.

Comment El Shaddaï aborde la pauvreté ?

Nous essayons de mettre encore en marche l’Eglise telle qu’elle est décrite dans les Actes des Apôtres. Les gens ne considéraient pas leurs propriétés comme leur bien propre mais comme affaires communes. Aujourd’hui, nous appelons le mouvement coopératif vivant, travaillant et partageant ensemble pour le bien de tous.

Comment ont été l’année dernière les finances Shaddaï ?

La crise économique en fait nous a touchés sur le montant total que nous rassemblons. Bien sûr nous ne pouvons pas dépenser pour ce que nous avions l’habitude de faire. Avant 2001, nous dépensions pour le monde entier 15 à 16 millions de pesos par mois (soit environ 125 000 USD). Nous avions autant en dons et quêtes. Pour l’année passée, nous avons eu des quêtes mensuelles qui atteignaient environ la moitié de ce que nous recevions avant. Nous avons maintenant 7 millions de pesos par mois, aussi nous avons dû faire des réductions presque sur tout. J’ai dû réduire nos programmes de radio nationale. Depuis des années, nous financions 17 stations de radios catholiques, dépensant pour cela de 45 000 à 65 000 pesos chaque mois pour la diffusion de nos programmes. J’ai dû dire aux évêques que je ne pouvais plus le faire. Notre temps d’antenne TV a été réduit de 11 à 5 heures par semaine.

Avant, je pouvais assurer aux bénévoles un traitement pour 6 jours chaque semaine. Ce qui faisait entre 500 et 1 000 pesos par jour. Maintenant, ils ne travaillent plus que 3 à 4 jours par semaine. Nous avons réduit le tirage de notre lettre d’information trimestrielle à 250 000 exemplaires. Nos groupes de prière dans certaines paroisses ont été réduits de moitié par rapport à la fréquentation antérieure. Le nombre des participants n’a pas diminué mais le nombre des groupes lui a diminué. C’est peut être pour cela que certains porte-parole de la CBCP disent que nous avons perdu des membres alors qu’en réalité nous avons plus de gens aux groupes de prières.

Quel est votre plus important charisme en tant que guide Shaddaï ?

Je pense que ce que j’offre est une prédication de l’Evangile dans un langage simple. Je pense aussi que j’ai l’aptitude à vivre une vie de foi comme un exemple pour mes gens, étant avec eux, les écoutant, écoutant leurs histoires et leurs problèmes. Ces gens aiment que je m’identifie à eux. Ils me sentent proche et accessible, leur apportant la Bonne Nouvelle avec joie. Tellement de gens sont aujourd’hui sans espoir. Quand ils viennent aux réunions Shaddaï, ils sont touchés par le Saint Esprit et retournent chez eux avec de l’espoir.

Que ressentez-vous quand on vous qualifie de comédien ?

En fait, c’est une grâce du Saint Esprit et je dois l’en remercier. Je suis introverti. Même si je prépare l’entretien et ses grandes lignes avant d’aller sur l’estrade, parfois quand les gens sont trop sérieux, je dis alors quelque chose pour briser cette attitude et tout le monde rit. Les gens se demandent comment je fais cela juste au bon moment. Je ne le sais pas moi-même. C’est si spontané et je ne sais pas. C’est un vrai don, une grâce de Dieu. C’est un don que de recevoir l’inspiration comme un enfant et de pouvoir la renvoyer aussi vite à la foule.