Eglises d'Asie – Divers Horizons
LES DROITS DE L’HOMME POUR LES MIGRANTS EN ASIE : PROBLEMES ET DEFIS
Publié le 18/03/2010
Les caractéristiques des migrations de la main-d’ouvre en Asie ont été déterminées par les politiques mises en place, principalement du fait des pays receveurs. Ces politiques varient considérablement dans les conditions d’admissions, pour le travail et le séjour. Néanmoins, elles envisagent généralement la migration comme une mesure temporaire ; elles n’envisagent pas la possibilité pour les migrants de rester en permanence sur le territoire ; elles utilisent cette main-d’ouvre pour sa commodité et la flexibilité qu’elle apporte au marché du travail. Dans certains cas, les gouvernements en bénéficient directement par les taxes qu’ils prélèvent. Aussi les politiques de migration déterminent une procédure sélective en termes de pays d’origine, de genre et de condition sociale. Parfois les pays d’origine sont déterminés à l’avance (comme c’est le cas pour Taiwan), ou bien sont la conséquence d’accords plus larges, incluant commerce et coopération industrielle. La sélection du genre se fait en fonction des postes disponibles pour les migrants en avantageant le travail des femmes en fonction des diverses raisons créées par des stéréotypes sociaux. Le coût de la migration augmente pour être sûr que les très pauvres ne puissent en bénéficier. Aussi la migra-tion en Asie est un mouvement de travailleurs temporaires, de plus en plus féminin, employés pour les occupations rejetées par la main-d’ouvre locale, avec un minimum vital ou de petits salaires, venant de pays voisins ou de pays possédant une tradition établie pour la migration et obligés de faire leur travail à cause du coût de la migration.
Avec son important impact sur les migrants, un élément additionnel relié aux politiques de migration des pays d’origine et de pays de destination concerne le processus de recrutement. L’industrie de recrutement et des commissions qui s’est développée rapidement avec la migration, a été l’instrument pour faciliter l’accroissement du nombre de travailleurs devenant migrants et par dessus tout pour augmenter le coût des migrations.
Bien que régulée dans la plupart des pays, cette industrie est entachée par des pratiques illégales, contrebande et trafic, depuis l’information erronée jusqu’aux paiements excessifs des passages. Les codes de conduite au sein des associations de recruteurs ont bien été difficiles à adopter ou à être respectés vu que l’application des règlements est souvent entachée par la corruption.
Les divers facteurs (emploi dans un pays étranger avec une protection insuffisante, emploi dans des occupations occasionnelles ou avec relation au travail non conventionnel tels que les services domestiques et le spectacle, commissions excessives qui gardent les migrants dans une situation d’esclaves, difficulté ou impossibilité d’adhérer à un syndicat) font des migrants une catégorie de travailleurs très vulnérables. Les divers exemples de vulnérabilité pourraient être détaillés à l’envi. Les quelques points ci-dessous donnent un bref aperçu des occasions de vulnérabilité durant le processus de migration.
– Le recrutement : Pendant le recrutement, le besoin pour les migrants d’être assurés d’avoir un travail à l’étranger les rend vulnérables. Souvent, ils sont conduits à accepter de recourir à de faux documents, concernant en particulier l’âge quand il y a un âge limite ; à signer des contrats non conformes et non valides ; à payer des commissions excédant ce qui est réglementé ; et d’entrer dans le pays de destination par des routes clandestines.
– L’emploi : Pour l’emploi, les migrants sont tenus à un travail spécifique et à un employeur spécifique sans la possibilité d’alternatives, étant donné la dette qu’ils ont encourue pour obtenir ce travail à l’étranger. Dans cette situation, ils n’ont aucune possibilité de discuter des conditions de travail (nombre d’heures, repos du week-end, relation dans le travail), les conditions de vie (logement et relations sociales). Il y a des cas de paiements en retard, de retenues sur la paie, ou de non-paiement. Les assurances pour les accidents du travail ne sont pas toujours utilisables et l’assurance médicale n’est pas fournie.
– Le séjour : La nature strictement temporaire de l’emploi ne donne pas souvent aux migrants des occasions pour une certaine forme d’intégration. La prohibition d’une intégra-tion va aussi loin que l’interdiction de se marier avec une personne du pays. Dans certains pays, les femmes doivent pratiquer périodiquement un test de grossesse. Le fait de ne pas être à l’aise avec la langue et la culture diminue la possibilité d’avoir accès à la justice et d’obtenir réparation pour les torts et abus subis. Les associations de migrants ne sont pas en position de force pour assurer leur protection et les ONG locales ne peuvent agir que dans le cadre de l’organisation de la société civile des pays receveurs.
– Les femmes migrantes : La vulnérabilité est encore plus grande pour les femmes et cela pour trois raisons : 1. elles sont des femmes ; 2. elles sont migrantes ; 3. elles ont des tâches bien particulières. Le travail domestique n’est souvent pas réglementé dans les sociétés qui reçoivent, et les conditions et les relations de travail sont laissées au bon vouloir des employeurs. Les femmes employées dans l’industrie du spectacle sont souvent prises dans une situation de victimes où il est difficile de s’échapper vu la lourde influence qu’a le milieu dans ce secteur d’activité.
– La détention : Les migrants qui ont violé les lois sur l’immigration sont retenus dans les camps de détention ou en prison, souvent en compagnie de personnes accusées de délits, et où ils se morfondent longtemps.
– Le rapatriement : La main-d’ouvre migrante est aussi appréciée et utilisée à cause de sa disponibilité. Dans les périodes de récession, les migrants deviennent facilement les boucs émissaires et doivent partir. L’expulsion peut se faire sans arbitrage, en particulier en cas de conflit entre l’employeur et les autorités.
Les moyens de protection des migrants
Les migrants peuvent revendiquer une protection à différents titres. Malheureusement, la protection véritablement disponible est soit pas très solide (comme dans le cas des lois internationales) soit non reconnue universellement (comme dans le cas des conventions internationales peu ratifiées ou parce que les instruments de protection ne sont utilisables que dans certaines régions).
En tant qu’étrangers, les migrants peuvent demander l’intervention de leur propre pays et de leurs représentants diplomatiques selon les principes des lois internationales. Malheureusement, la tentative visant à codifier les responsabilités des Etats pour préjudice envers les étrangers n’a pas réussi et a seulement débouché en 1985 sur une déclaration de l’ONU. La faiblesse des lois internationales laisse les migrants au bon vouloir des instances diplomatiques plutôt qu’elle ne leur assure une véritable protection juridique.
En tant que travailleurs, les migrants peuvent avoir recours aux lois du travail en vigueur dans le pays où ils travaillent. Les principes généraux établis par l’Organisation internationale du Travail, comme l’échelle des salaires, le nombre d’heures de travail, le minimum d’âge requis, protection et santé, sont considérés comme universellement applicables. De plus, certains droits et libertés sont considérés comme des droits fondamentaux de l’homme. Une place spéciale est réservée au principe de liberté d’association et au droit de négociations collectives, des droits qui doivent être respectés même si la convention appropriée (Convention 87) n’a pas été ratifiée. En plus, l’interdiction du travail obligatoire ou forcé (Conventions 29 et 105) et du travail des enfants (Convention 138), le droit d’égal accès et celui d’égal traitement dans l’emploi (Convention 100 et 111) sont des éléments très importants pour les migrants. Malheureusement, la Convention 111 permet un traitement différencié des migrants et de la main-d’ouvre nationale étant donné qu’une discrimination fondée sur la nationalité n’est pas interdite. Néanmoins, bon nombre de normes sont applicables aux migrants et ont été ratifiées par un bon nombre de pays en Asie (Cholewinski, 1999). Malheureusement, les travailleurs migrants sont souvent employés dans des occupations ou dans des conditions où faire appel aux conventions OIT fondamentales n’est ni possible, ni envisagé (voyez le cas par exemple des travailleurs domestiques ou des travailleurs employés dans les zones franches, ou celui des migrants travaillants pour des entreprises de moins de cinq ouvriers). L’acquisition d’une sécurité sociale est aussi importante pour les migrants pour que le transfert de tels avantages vers le pays d’origine, après le retour, puisse être possible. Même si de tels arrangements existent entre certains pays d’origine et de destination (entre les Philippines et certains pays d’Europe), ils ne sont pas largement répandus en Asie.
En tant que travailleurs étrangers, les migrants peuvent utiliser les mesures de protection existantes dans les pays de destination ou établis par des accords bilatéraux et multi-latéraux. Les lois d’immigration dans les pays de destina-tion ne s’en tiennent souvent qu’aux démarches pour entrer et pour travailler. L’accent est mit sur le contrôle de la cir-culation et l’assurance que les migrants retournent bien dans leur pays une fois le contrat de travail expiré. La natu-re strictement temporaire de la migration ne demande pas une législation complexe pour assurer aux migrants l’accès aux droits et régimes concernant l’aide sociale, la forma-tion, l’éducation et la santé. Quant aux accords bilatéraux et multilatéraux, ils ne sont pas nombreux en Asie.
Le groupe régional (l’Association des Nations du Sud-Est asiatique, ASEAN) a largement ignoré les questions du travail et la question des migrants en particulier. L’APEC, de même, a seulement porté quelque attention à la question du développement des ressources humaines. Il n’existe rien en Asie du type de Council Convention on Establishment et Convention on the Legal Status of Migrant Workers.
Deux conventions de l’OIT sont spécifiquement dévolues à la question des migrants : la Convention 97 (1949) qui a été ratifiée par 41 pays, et la Convention 143 (1999). Malheureusement, de telles conventions ont été totalement ignorées en Asie (la seule exception est la Convention 97, qui a été ratifiée par la Malaisie, mais limitée seulement à l’Etat de Sabah). Les autres conventions de l’OIT traitant spécifiquement des migrants, telle que la Convention 118 sur of Treatment for Social Security (ratifiée par le Bangladesh, l’Inde, le Pakistan et les Philippines), la Convention 157 sur la Maintenance of Social Security Rights (ratifiée par les Philippines) et la Convention 181 sur les Private Employment Agencies ont été largement ignorés, plus particulièrement par les pays de destination.
Aussi la protection des migrants est laissée la plupart du temps aux canaux diplomatiques (qui n’interviennent que dans les situations les plus graves) et aux législations nationales, qui ne sont que partiellement fondées sur les standards internationaux. Si les migrants doivent chercher un recours pour des cas dépendant des lois du travail (paiement du salaire, conformité avec les stipulations du contrat, mise à pied irrégulière, etc.), ils ont généralement beaucoup de mal vu qu’ils sont mal équipés pour aller devant la justice tout en gardant la possibilité de rester dans le pays pendant toute la durée du procès.
Pour surmonter l’obstacle d’une protection inadéquate accordée aux migrants et pour garantir l’octroi d’une protection de base aux migrants irréguliers ou sans papiers, on utilise l’approche humanitaire. Les droits de l’homme sont reconnus par les Etats du seul fait que chaque personne est un être humain. Il ne peut pas y avoir de discrimination pour les migrants en fonction de leur nationalité, sauf si cela a été prévu explicitement. Aussi, tout l’ensemble des droits de l’homme est applicable aux migrants. Parmi les divers moyens les plus appropriés, on trouve : la Déclara-tion universelle des droits de l’homme (UNHR), The Inter-national Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) et The International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights (ICESCR). En plus, considérant l’accrois-sement du nombre de femmes migrantes et le problème de la violence et du trafic des femmes et des enfants, The Covenant on the Elimination of all forms of Discrimination Against Women (CEDAW) et The Convention on the Rights of the Child (CRC) sont aussi très importantes.
Les articles de l’ICCPR qui concernent directement la condition des migrants sont les articles 12 et 13. L’article 12 concerne le droit de quitter tout Etat et sert de base au droit de migrer, restreignant les mesures qu’un pays d’origine peut imposer au contrôle de la migration, même si ce n’est pas un droit absolu. Un droit correspondant pour entrer dans un autre pays n’a pas été reconnu et l’immigration reste un privilège jalousement maintenu par les pays souverains. Cependant, un migrant a le droit de revenir dans son pays sans être harcelé ou violenté comme cela a pu se produire en Birmanie. L’épisode, par lequel 200 migrants birmans ont été rapatriés par les autorités thaïlandaises, prélude au rapatriement massif de migrants irréguliers, renvoie à l’article 13 qui concerne la protection des personnes dans le cas d’expulsion.
Les droits économique, sociaux et culturels détaillés dans l’ICESCR, tels que le droit au travail, le droit d’égale rémunération, le droit d’égales opportunités, le droit à des conditions de travail saines et sans danger, le droit de former ou d’adhérer à un syndicat, ont aussi un impact direct sur la protection des migrants même s’ils trouvent une application seulement partielle. Si l’article 2 (3) permet une discrimination des non-nationaux, il ne le fait que pour les pays en voie de développement et seulement pour les droits économiques (Cholewski, 1999).
Même si plusieurs mesures en faveur des droits de l’homme applicables aussi, généralement, aux migrants, ont été développées, la communauté internationale a décidé d’élaborer une convention spécifique pour les travailleurs migrants. La convention internationale sur la Protection of the Rights of All Migrants Workers and Members of their Families a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1990. Cette convention trouve son origine dans les inquiétudes liées dans les années 1970 à l’accroissement de migrations irrégulières, à la discrimination raciale et au manque de respect pour les droits de l’homme (Battistella, 1999). L’intention était d’aller plus loin que les mesures de l’OIT, qui n’avaient obtenu qu’une ratification limitée ; l’objectif visé était de parvenir à un plus large consensus, s’appuyant sur le fait que les instruments fondés sur le respect des droits de l’homme sont généralement mieux respectés.
La Convention pour les travailleurs migrants (MWC) stipule que tous les migrants, y compris les clandestins, ont droit à une protection. Son chapitre III rassemble les droits applicables aux migrants, droits politiques et civils aussi bien qu’économiques, culturels et sociaux. Ses provisions sont largement empruntées aux Conventions et réitèrent les libertés fondamentales. Pour des questions pratiques, nous pouvons subdiviser les droits listés dans la Convention en quatre catégories : droits personnels, garanties légales, libertés civiles, droits économiques, culturels et sociaux. Les droits politiques ne sont pas inclus dans ce chapitre parce qu’ils appartiennent aux citoyens et non aux travailleurs migrants et encore moins aux travailleurs immigrés clandestins. Dans quelques cas, la convention adapte les droits aux conditions spécifiques des migrants, tels que la façon de procéder à la vérification de l’identité en tenant compte des procédures établies ou d’informer le migrant de son droit de communiquer avec le consulat ou avec les autorités diplomatiques et d’être assisté, si c’est nécessaire sans frais, par un interprète dans les débats devant une cour (article 16). De plus, un migrant détenu pour violation des clauses attachées à la migration doit être détenu séparément des personnes détenues ou en attente de procès. Ne pas avoir rempli une obligation émanant du contrat de travail ne peut pas servir d’argument pour l’annulation de l’autorisation de résidence ou de permis de travail ou pour expulsion (article 17). La convention ne donne pas de nouvelles ouvertures pour le droit à migrer, qui reste seulement comme le droit de quitter son pays et d’y revenir. La convention offre plutôt une véritable amélioration en ce qui concerne la protection contre l’expulsion. La loi avait déjà conclu que l’ex-pulsion collective était interdite. La convention est encore plus claire en ce qui concerne les cas d’expulsion qui doivent être traités individuellement et dans la façon dont le texte est rédigé on peut conclure que même l’expulsion si-multanée de plusieurs individus est interdite. L’égalité du traitement avec les nationaux en ce qui concerne la rémuné-ration, les conditions de travail et l’emploi, a déjà été accor-dé par les conventions de l’OIT. La convention des Nations Unies, cependant, étend cette égalité aux migrants sans papiers (article 25). Aussi, même en situation irrégulière, un travailleur migrant ne peut pas être discriminé dans ses conditions de travail et son contrat de travail reste valide même s’il est sans permis de travail et de résidence.
Des droits additionnels sont donnés aux migrants qui sont en situation irrégulière. Ils ont droit à l’information sur les conditions d’admission, de séjour et d’activité rémunérée pas plus tard qu’à l’admission elle-même (article 34). Ils ont droit à un traitement égal à celui des nationaux en ce qui concerne la protection envers le licenciement, dans les allocations chômage, l’accès aux programmes d’aide publique (article 54) et dans l’exercice d’une activité rémunérée (article 55). La même égalité est assurée en ce qui concerne l’accès aux institutions d’éducation, à l’orientation professionnelle, à l’habitat, aux services de santé et au service social, aux coopératives et à la vie culturelle (article 43). Les membres de leur famille profitent des mêmes droits, à l’exclusion de l’accès aux services de placement, au logement et aux coopératives. L’égalité de traitement en ce qui concerne la sécurité sociale est un droit de l’homme ; cependant, plus de flexibilité est donnée à la législation nationale pour déterminer l’application d’un tel droit. On peut concevoir facilement que les conditions requises pour accorder la sécurité sociale aux sans papiers ne sont pas remplies et que le migrant irrégulier ne peut pas bénéficier de cette sécurité. Les Conventions de l’OIT étaient plus avancées en cela de même que dans d’autres secteurs, tels que la liberté de choisir son activité rémunérée (la limite de deux ou cinq année n’est pas précisée) et la liberté d’établir des organisations et des syndicats (accordé seulement aux migrants en situation régulière).
La convention n’a pas été en mesure d’accomplir un progrès décisif sur le droit de la réunification familiale (article 44). La réunification n’est pas établie comme un droit pour les migrants mais comme une recommandation aux Etats. Aussi, seuls les épouses et les enfants mineurs font l’objet d’une telle réunification. Les autres membres recevront une considération favorable pour une réunifica-tion sur des bases humanitaires. Sur la question complexe de l’éducation des enfants des migrants, la convention ne prend pas position et laisse toutes les possibilités ouvertes. Le droit d’accès à l’éducation sur la base de l’équivalence avec les nationaux est un droit de l’homme (article 25), applicable aussi aux enfants des travailleurs migrants irréguliers, qui ne peuvent pas être privés d’éducation à cause de l’irrégularité de leur statut. Des mesures pour une intégration dans le système d’éducation du pays employeur avec un contrôle de la langue et de la culture du pays d’origine et avec un curriculum d’éducation dans la langue du pays d’origine, sont aussi prévus.
Les droits politiques découlent de la citoyenneté. Les travailleurs migrants peuvent exercer leurs droits politiques dans leur pays d’origine, et les pays employeurs doivent faciliter un tel exercice. Cependant, les difficultés pratiques pour participer pleinement à la vie du pays d’origine sont souvent insurmontables. Pour cette raison, et d’autant plus que les migrants contribuent à la vie du pays employeur, la notion accordant un certain niveau de participation politique dans le pays employeur est en train d’acquérir une certaine force pratique et théorique (Miller, 1989). Trois niveaux de participation sont envisagés par la convention (article 42) : participation dans les institutions appropriées aux travailleurs migrants ; participation dans les décisions concernant la vie et l’administration des communautés locales ; et les droits politiques s’ils sont accordés par l’Etat employeur. Dans un monde d’Etats-nations où la pleine participation dérive de la citoyenneté, le processus d’acquisition de la citoyenneté doit s’ouvrir aux travailleurs migrants, parce qu’ils vivent sur le territoire, travaillent dans la communauté locale et sont sujets à la loi locale (Walzer, 1983). Ceci cependant reste un objectif éloigné, et aussi entravé par les pays d’origine qui considèrent la migration comme une redistribution de la main-d’ouvre sur un territoire national annexe, et non pas comme une hémorragie de citoyens.
Discussion
A l’examen des mesures proposées par rapport à la situation actuelle des migrants en Asie, on peut arriver à des conclusions mitigées. D’un côté, l’ensemble des mesures internationales disponibles est impressionnant. Au plan humanitaire, les migrants sont protégés par des Conventions, plus spécialement par le MCW lorsqu’il sera appliqué.
D’un autre côté, la loi humanitaire est plutôt limitée pour donner une protection actuellement. Il est peu probable qu’une représentation du pays d’origine s’oppose au pays de destination en regard des violations spécifiques des droits de l’homme. Généralement, les conventions des droits de l’homme ne contiennent pas de provisions pour les procédures de plainte individuelle, ou alors font des provisions sujettes à la participation volontaire, à laquelle peu de pays adhèrent. Les comités désignés pour contrôler l’application des conventions ont normalement des fonctions limitées seulement à l’examen des rapports. Par dessus tout, la loi humanitaire est limitée parce que le nombre de pays à avoir ratifié ces mesures est limité. Même si la plupart des pays d’Asie ont ratifié le CRC et le CADAW, peu ont ratifié les Conventions, et seuls les Philippines et le Sri Lanka ont ratifié le MWC. Le statut de cette Convention, avec seulement douze ratifications neuf ans après son adoption, en dit long sur l’intérêt réel porté à la protection des migrants par la communauté internationale.
Au plan plus technique du travail et de la loi, bien que les standards fondamentaux de l’OIT soient les droits de l’homme et aient acquis le statut d’une loi internationale ordinaire, la situation n’est guère différente. Les migrants peuvent invoquer le devoir des Etats pour donner protection dans les domaines essentiels des conditions de travail. Cependant, d’autres aspects spécialement apparentés aux migrants ne sont pas reconnus. Selon les conclusions du Working Party on Policy regarding the Revision of Standards, les principaux obstacles à la ratification des conventions pour les migrants par les gouvernements viennent du besoin qu’ont les gouvernements de donner une préférence aux travailleurs nationaux à cause d’un fort taux de chômeurs ou de difficultés dans l’application des provisions dans ces conventions telles que celles des droits à maintenir sa résidence en cas d’incapacité pour le travail, d’égalité pour les opportunités et le traitement avec les nationaux, et les droits à la mobilité géographique et professionnelle. De plus, l’application des droits de l’homme à tous les migrants (incluant les migrants irréguliers) telle qu’elle est donnée par la Convention 143, sans être plus précisément définie, est considérée comme trop aléatoire. Au sein de l’OIT, il y a une tendance à réviser les Conventions 97 et 143 en référence aux changements de la migration et du marché international du travail, et de les associer dans une nouvelle convention. Cependant, la décision sera prise en 2002 à la Conférence internationale sur le travail (OIT, 1999).
Pour assurer une meilleure protection pour les migrants, une action doit être prise dans trois directions. En premier lieu, il est nécessaire d’étendre les protections existantes à l’ensemble des migrants, pour s’assurer que la protection s’adresse à tous les migrants. L’économie évolue rapidement et la migration suit aussi ce changement. On a noté certains décalages dans les mesures internationales. Le MWC (article 26) a des dispositions contre la violence, un domaine où de sérieux abus sont commis, particulièrement contre les femmes migrantes. Cependant, il ne souligne pas cette vulnérabilité envers les femmes ni l’actuelle différenciation existant entre le travail des femmes et le travail des hommes. La politique de recourir aux stagiaires pour éviter l’importation d’une main-d’ouvre étrangère de façon permanente amène à laisser les migrants en dehors de toute protection adéquate. De plus, le trafic de migrants est devenu une plaie internationale et, dans ce domaine, les conventions des Nations Unies et de l’OIT ne se montrent pas adaptées. Un protocole est actuellement rédigé pour compléter la convention de l’ONU contre le crime international organisé.
Une deuxième direction concerne le besoin de garantir la ratification de ces mesures internationales. Les statistiques indiquent que le pourcentage de ratification en Asie décroît, des mesures générales pour les droits de l’homme aux mesures spécifiques concernant les migrants. Certaines raisons ont déjà été mentionnées. Il est évident que la valeur de la main-d’ouvre migrante repose sur sa disponibilité. Donner plus de protection aux travailleurs migrants représente des coûts plus élevés pour les sociétés qui reçoivent et qui sont peu disposées à les payer.
Un troisième souci consiste à assurer l’application des standards internationaux dans la législation nationale. Ceci implique que les standards pour les droits de l’homme soient spécifiquement inclus dans la législation nationale et étendus explicitement aux droits des migrants (UN, 1999). Généralement, les mesures prises pour l’application de ces droits manquent de mécanisme effectif, particulièrement pour les procédures d’une plainte individuelle. Cependant, les juridictions possibles (en particulier les rapports aux comités) doivent être utilisées pour forcer leur conformité.
C’est au niveau de l’extension de la protection pour les migrants que l’implication des ONG et de la société civile est le plus nécessaire. Un large éventail d’activités sont possibles, allant des réunions d’information aux plaidoiries, possibilité d’aide légale, pression pour une action législative appropriée et éducation (Battistella, 1993). Un souci particulier doit être accordé aux groupes de migrants rendus plus vulnérables, tels que les femmes, et à la question du trafic d’êtres humains. Les standards internationaux, même si non encore ratifiés ou en vigueur, peuvent être utilisés comme mesures éducatives ou comme bases pour une action spécifique. Une campagne pour l’adoption du MWC a été lancée par le comité International Migrants Rights Watch. Utilisant le cadre de cette campagne, des actions locales ont été organisées dans certains pays et ont besoins d’être développées. Des campagnes similaires devraient aussi être lancées pour la ratification des conventions de l’OIT, particulièrement la Convention 97 et la Convention 143, mais aussi la Convention 181, qui règlent le recrutement des travailleurs par les agences privées, établissant, entre autres, que ces agences ne perçoivent pas de frais auprès des travailleurs.
L’Eglise et les droits de l’homme
L’Eglise catholique, particulièrement par ses représentants officiels, a récemment parlé ouvertement de la protection des droits de l’homme. Une telle intervention montre un changement dans l’approche de l’Eglise dans cette question. Nés des mouvements anti-cléricaux et comportant de profondes ambiguïtés, les droits de l’homme ont été regardés par l’Eglise comme des “réclamations individualistes et égoïstes détruisant la structure sociale et représentant une rébellion contre Dieu de la part de l’homme” (Rutayisire, 1990). Les protestants partageaient une position identique “en maintenant une attitude distante vis-à-vis de ces droits de l’homme” (Wolf, 1990).
Du côté catholique le plus décisif changement a été opéré par le pape Jean XXIII avec l’encyclique Pacem in Terris (1963) qui donne une charte des droits et des responsabilités de l’homme, ainsi que par la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae (1965). L’approche de l’Eglise, tout en reconnaissant que “les droits de l’homme découlent des normes de dignité absolue qui sont universelles et permanentes, ainsi les droits de l’homme sont inhérents à tout individu, ils sont antérieurs à la société et à l’Etat, et ils transcendent la société et l’Etat” (Rutayisire, 1990 : 33), fondent les bases de la transcendance de l’individu et de la dignité humaine sur la reconnaissance de la transcendance de Dieu.
Dans l’approche de l’Eglise, on trouve une particularité supplémentaire, à savoir l’accent sur les responsabilités sociales. “En profitant de la liberté, les hommes doivent respecter le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale” (Dignitatis Humanae, 7). Les exigences de responsabilité découlent directement du commandement d’amour, qui constitue la référence théologique pour les droits de l’homme.
Les déclarations de l’Eglise sur les droits de l’homme ne se comptent plus. Sur les droits des migrants, la liste est beaucoup plus réduite. Cependant, les aspects fondamentaux ont été soulignés. Dans la section suivante, je voudrais donner une rapide liste des domaines d’intervention dans l’action pour la protection des travailleurs migrants.
Les droits des migrants
Le droit de migrer
Sanctionné par les mesures internationales comme le droit de quitter son pays, le droit de migrer a été affirmé par le pape à plusieurs occasions. Il est la conséquence du droit de la famille à un espace vital ; il ne peut être rejeté sous prétexte d’un bien commun mal conçu. Il implique le droit d’être accepté dans le contexte d’un bien commun universel qui va au-delà des limites des intérêts nationaux. Ce droit acquiert une reconnaissance plus claire comme droit d’asile aux personnes fuyant la persécution.
A cause de sa nature universelle, l’Eglise peut décrire les conséquences ultimes du droit à migrer qui n’a pas encore été reconnu par la communauté des nations. Le droit de migrer est menacé dans les pays d’origine par les régimes totalitaires et de même par les systèmes démocratiques qui imposent des contraintes administratives ou des conditions motivées par la nécessité d’arrêter la fuite des cerveaux ; il est également menacé dans les pays employeurs par des mesures restrictives pour protéger la société nationale et l’économie. Rarement ces mesures sont étayées par le racisme. La protection du droit de migrer demande une action en faveur des politiques qui facilitent le mouvement des personnes entre les frontières.
Le droit de ne pas migrer
Tout en affirmant la liberté de quitter son pays, l’Eglise a aussi dénoncé la migration encouragée. Le droit de rester dans son pays n’a pas reçu suffisamment d’attention. Et pourtant “les gens ne quittent pas leur pays par amour pour un autre pays. Ils sont forcés de faire ainsi à cause de situations étouffantes dans leur pays, quand leur séjour devient intolérable ou impossible” (Hingosami, 1980). Pour éliminer les causes de la migration forcée, l’action humanitaire demande recherche, dénonciation et publicité.
Les droits de la famille
Comme conséquence du droit d’être une famille, l’Eglise à souvent parlé en faveur d’une réunification de la famille “le plus vite possible”. La réunification automatique est en dehors des possibilités pratiques pour tous les pays d’immigration et n’est pas admise dans le contrat de travail. Cependant, l’engagement général pour défendre la dignité humaine demande qu’on plaide pour que la famille puisse vivre ensemble avec les droits suivants : le logement, la sécurité sociale, l’éducation des enfants. En référence à ces aspects où l’action pastorale trouve souvent des possibilités variées de jouer son rôle, l’accent mis sur le contexte des droits de l’homme rendra les interventions plus efficaces.
Les droits culturels
Généralement confinés en fin de liste, ces droits ont une signification particulière pour les travailleurs migrants dont l’expérience est directement marquée par une rencontre avec une autre culture, par le danger d’entrer en conflit avec les autres cultures, ou en abandonnant son propre héritage culturel. L’Eglise a proclamé le droit des migrants de garder leur langue et leur culture, qui est aussi le moyen pour eux d’absorber et d’exprimer leur foi. Les missionnaires pour les migrants ont été et peuvent continuer d’être fermes dans cette préservation des expressions culturelles. Cependant, c’est aussi leur devoir d’être les instruments pour rapprocher les différences culturelles et permettre la communication qui favorise le respect pour l’autre culture sans abandonner l’héritage de sa patrie.
Les droits religieux
Ils constituent la cible la plus directe des préoccupations de l’Eglise. Les migrants sont gênés dans leurs droits religieux de plusieurs façons, de l’interdiction de célébrer leur culte aux difficultés dans les facilités structurelles, depuis le manque de ministres religieux aux obstacles posés à leur entrée dans le pays. C’est regrettable, parfois les difficultés viennent de l’Eglise et l’histoire des migrations est pleine de confrontations ethniques sur les pratiques et traditions religieuses. Le Saint-Siège, d’autre part, a toujours insisté sur les initiatives pastorales spéciales pour les migrants, spéciales dans le sens qu’elles répondent à leur mentalité, à leur langue et à leur situation particulière. Le droit d’assistance spécifique religieuse doit être soutenu dans et en dehors de l’Eglise, un droit qui a une dimension ocuménique à cause des dénominations variées des migrants d’aujourd’hui.
Cette liste hâtive pourrait être facilement étendue aux droits des minorités de même qu’aux droits civils et politiques, économiques et sociaux. De plus ils pourraient être étendus pour inclure les droits de la troisième génération, tels que les droits écologiques. En fait, “les droits de l’homme doivent être harmonisés avec les droits de protection de la terre et des autres êtres vivants” (Moltmann, 1990 : 121). Un échec dans ce domaine pourrait se solder par la rupture du contrat entre les générations avec des conséquences dramatiques pour l’espèce humaine. Ainsi, “la justice écologique entre les civilisations humaines et la nature doit égaler la justice économique entre les peuples dans une société, entre les sociétés humaines et entre les générations de l’espèce humaine” (Moltmann, 1990 : 129). Les travailleurs migrants, qui occupent les emplois dédaignés par la population locale, sont victimes de choquantes violations du respect dû à l’environnement et deviennent le mécanisme forcé du non-respect de l’écologie.
Conclusion
La question des droits, et particulièrement des droits de l’homme pour les migrants, a été discutée dans la perspective de leur vulnérabilité. “Les migrants sont vulnérables car ils n’ont ni reconnaissance ni pouvoir. Ils sont vulnérables à cause de l’échec des pays qui reçoivent à appliquer les standards internationaux des droits de l’homme envers les migrants réguliers ou irréguliers” (UN, 1999). C’est parce qu’ils sont rendus vulnérables, et ainsi plus facilement exploités ou trompés, que les migrants méritent une attention spéciale. De ce point de vue, ce rapport a brièvement examiné les mesures possibles pour protéger les migrants et les limites de ces mesures.
Cependant, la réflexion ne serait pas complète sans explorer la condition de vulnérabilité des migrants. Une telle vulnérabilité est-elle un phénomène épisodique, limité à une situation temporaire et contingente, ou bien est-ce lié aux structures ? Une façon de réfléchir sur cette question est d’examiner le rôle des migrations en Asie.
Consistant largement en main-d’ouvre temporaire, la migration, avec les caractéristiques décrites plus haut, est fonction de la croissance économique de la région. Sa valeur cependant est largement dépendante de la capacité à offrir une flexibilité dans le marché du travail régional. De ce point de vue, on demande des travailleurs migrants parce que leurs salaires sont bas, parce qu’ils ne reçoivent pas de bénéfices sociaux et parce qu’ils ne peuvent pas rester et résider dans le pays recevant. Ce qui est pratiqué envers les migrants est une dichotomie entre l’économie et les autres dimensions. Les migrants ne sont pas totalement reconnus comme personnes, mais en gros comme des fournisseurs de main-d’ouvre. Ce n’est pas tellement une question d’abus épisodiques, mais la négation structurelle de la dignité humaine qui doit être discutée.
La fonction du travail des migrants pour l’économie de la région est relativement récente mais elle est destinée à durer quelque temps. Certains pays y sont opposés mais ils l’utilisent encore sous des formes clandestines. D’autres ont permis le développement de la migration par des moyens irréguliers, gardant une large marge de manouvre pour les temps de crise, vu qu’il y a peu d’opposition à l’exclusion des migrants irréguliers. Cependant, l’histoire de la migration dans d’autres régions montre qu’il est difficile de se passer de la migration une fois celle-ci établie. La crise économique asiatique de 1997 a confirmé cette tendance (Battistella et Asis, 1999). Aussi on peut conclure que la migration arrive à jouer un rôle structurel dans les économies d’Asie. Si la main-d’ouvre migratoire, telle qu’elle est employée dans la région, pose des problèmes en ce qui concerne le respect des droits des migrants, et si la migration est un composant structurel des économies d’Asie, les droits des migrants questionnent le modèle du développement lui-même. A cet égard, la question des droits de l’homme pour les migrants devrait être inscrite dans les discussions dominantes de la région concernant les droits de l’homme. Le traitement des migrants peut être utilisé pour tester la validité des arguments sur certains aspects de la discussion. Par exemple, jusqu’où les valeurs asiatiques peuvent-elle aider à améliorer la protection des migrants et jusqu’où les abus commis sur les migrants dévoilent-ils la faiblesse de ces valeurs asiatiques pour éviter les obligations des droits de l’homme ? Evidemment, les stratégies peuvent être différentes et, au lieu de mettre l’accent sur les “libertés”, il serait plus productif de le mettre sur les “revendications” (Woodiwiss, 1998), à condition que le résultat final soit la protection.
Le souci pour les droits des migrants questionne aussi le modèle de migration adopté dans les régions. D’autres études ont montré que la tradition des droits de l’homme dans certains pays d’immigration, même si elle n’arrive pas à éviter tout abus, a limité l’adoption de mesures postérieures dans l’organisation de la migration (Cornelius et Al, 1994). Peut-être que l’Asie a opté pour un choix opposé : maintenir le contrôle de la migration au prix d’un moindre intérêt pour les droits des migrants. Cependant, une migration irrégulière qui s’étend indique que l’approche n’est pas adaptée. Un système de migration qui dénie la possibilité d’intégration et qui privilégie seulement la dimension économique est fondamentalement imparfait.
L’Eglise a fait de la défense de la dignité de l’homme un point central de sa mission. Comme l’a dit Paul VI, “nous ne pouvons pas, sans grave danger pour la société, nous résigner à la peine infligée à tant de gens et aux blessures faites envers ces droits dans beaucoup de pays, malgré des déclaration éminemment éloquentes. L’Eglise, par dessus tout concernée par les droits de Dieu, ne pourra jamais se dissocier des droits de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de son créateur. Elle se sent blessée quand les droits de l’homme, où qu’il soit et avec qui que ce soit, sont ignorés ou violés”. Et Jean-Paul II a réaffirmé qu’il y a un lien direct entre la protection des droits de l’homme et la mission de l’Eglise (Redemptoris Hominis, 17). Aussi a-t-il déclaré dans l’encyclique Redemptoris Hominis Missio que “les droits des individus et des peuples, spécialement ceux qui appartiennent aux minorités, sont dans le champ d’activité où l’Eglise et son activité missionnaire doivent se déployer” (Redemptoris Missio, 37). Et il continue : “Un engagement pour la paix, la justice, les droits de l’homme et leur promotion, est aussi un témoignage de l’Evangile quand il est le signe d’un intérêt pour les personnes et qu’il est dirigé vers le développement humain intégral” (Ibidem, 42).
Il s’ensuit qu’un intérêt semblable est requis envers les travailleurs migrants et les réfugiés dont la jouissance de leurs droits va dépendre des décisions souveraines d’un gouvernement étranger qui montre bien la persistance d’une distinction fondamentale entre les citoyens et les étrangers. L’universalité des droits de l’homme demande l’abolition d’une telle distinction (Savat, 1990).
La mission de protection des droits des migrants prend des formes différentes et donne lieu à des niveaux d’engagements différents. Cependant, elle exige enseignement et éducation et il y a urgence du fait du retour de l’intolérance et du rapide changement de la société en communautés multiculturelles. Une telle éducation visera à former des personnes capables de relativiser leurs particularités et à devenir une force pour l’établissement du respect vis-à-vis de ceux dont la dignité n’est pas fondée sur des frontières artificielles mais sur les valeurs éternelles inscrites dans leur nature.
Etre concerné par les droits des migrants n’est pas simplement être engagé dans la protection des personnes vulnérables. C’est aussi questionner les valeurs et l’identité de la société, car, dans la façon de traiter les étrangers, nous révélons qui nous sommes. C’est se donner du mal pour plus de dignité humaine pour tous, sans forcer les gens à choisir entre profit et dignité.
LES MIGRATIONS EN ASIE DE L’EST
En Asie de l’Est, il y a une grande variété de modèles de migration en volumes et en types, essentiellement du fait des différences dans les niveaux de développement et d’urbanisation de chaque économie. Le Japon a une des plus importantes et riches économies de la planète ; la Chine est le pays le plus peuplé dans le monde. Parmi les plus pauvres en Asie, certains vivent dans des régions isolées de Chine, alors que, parmi les plus riches du monde, certains vivent à Tokyo et à Hongkong. La Chine s’est départie de son isolationnisme socialiste seulement après 1979, alors que la plus grande part du reste de l’Asie de l’Est s’est liée étroitement à l’Amérique du Nord et au système capitaliste après la fin de la seconde guerre mondiale, particulièrement à la suite de la guerre de Corée. Pendant ces dix dernières années, la Chine a été une des économies dont la croissance a été la plus forte dans le monde alors que le Japon se retrouvait pris dans la stagnation. Les économies de Hongkong et de la Corée sont entrées en récession avec la crise de juillet 1997. Les énormes différences économiques au sein de l’Asie de l’Est se reflètent dans les mouvements des personnes vivant dans, venant de et allant vers la région. Les mouvements de populations ne sont pas simplement le produit d’un passé récent ; ils ont toujours été une part intégrale de la vie de la région.
Tous les gouvernements de la région gèrent des politiques d’immigration restrictives et permettent l’importation de main-d’ouvre uniquement pour répondre à certains besoins. Ce ne sont pas des pays de migration permanente et les migrants ont tendance à se retrouver dans des positions vulnérables, avec des contrats à court terme s’ils sont légaux, et sujets à la déportation s’ils sont clandestins. La mobilité en Asie de l’Est est encore beaucoup plus sujette à l’intervention et au contrôle des Etats que dans des pays occidentaux, même si ce contrôle semble s’éroder en certains endroits. Les migrations internationales continueront d’être une question majeure dans la région, tant que les économies développées maintiendront leur demande de main-d’ouvre même si leurs sociétés persistent à se voir comme homogènes.
Dans les premières années 1990, on estimait à plus de 30 millions le nombre des Chinois d’outre-mer (excluant ceux de Hongkong, Macao et Taiwan), à quelque 4 millions les Coréens vivant en dehors de la péninsule coréenne et à environ 1 million les Japonais vivant en dehors du Japon. La majorité des Chinois d’outre-mer et des Coréens vivaient en Asie, les Japonais étant expatriés en Amérique du Nord et du Sud. Les forces démographiques et économiques à l’ouvre ont transformé tous les pays de la région, à l’exception de la Chine, de nations exportatrices de main-d’ouvre en importateurs.
Tous les pays de l’Asie de l’Est les plus développés ont connu une transition marquée, devenant des pays d’immigration alors qu’ils étaient des pays d’émigration. Cette transition se voit plus clairement dans le cas de la Corée. Dans les dernières années 1980, plus de 30 000 Coréens ont été admis chaque année aux Etats-Unis. En 1991, en fonction de changements démographiques, la situation a changé. Dans les années 1990, la République de Corée a émergé comme une importante destination pour les migrants, venant surtout d’Asie. Le nombre des travailleurs étrangers a augmenté jusqu’à 267 000 en 1997. Avec la crise financière, on estime que ce nombre a baissé jusqu’à 160 000 environ, entre juillet 1997 et juin 1998.
Dans les années 1990, le Japon, Hongkong et Taiwan sont devenus des destinations importantes pour les migrants des autres parties de l’Asie. La population résidente étrangère légale a augmenté au Japon de 780 000 en 1980 à 1,5 millions en 1997. La majorité des étrangers au Japon étaient des résidents coréens ou d’origine chinoise. Mais la récente immigration montre que les admissions viennent d’une liste de pays plus importante. Le nombre de travailleurs étrangers au Japon est estimé être passé de 260 000 en 1990 à 630 000 en 1996, dont 45 % à cette date avaient dépassé la durée légale inscrite sur leur titre de séjour. A Taiwan le nombre total des travailleurs étrangers est estimé être passé de 67 000 à 270 000 entre 1993 et 1997, avec moins de 5 % de travailleurs illégaux. En 1997 les travailleurs étrangers représentaient juste un peu plus de 1 % du total de la population de Taiwan. A Hongkong, le nombre de résidents étrangers à la fin de 1998 était estimé à 509 000. Le nombre véritable d’immigrants à Hongkong était plus élevé vu que ces chiffres excluent les migrants venant de Chine continentale et les travailleurs qui sont entrés sous un des programmes d’importation de main-d’ouvre.
Même s’il est impossible de faire une comparaison directe de ces chiffres à cause des différentes définitions et des méthodes de comptage, il y a un nombre de particularités communes à travers l’Asie de l’Est. D’abord, bien que les nombres absolus des migrants apparaissent significatifs, les migrants ne représentent qu’une très petite portion de la population totale et de la force de main-d’ouvre des pays d’accueil dans la région. Deuxièmement, les travailleurs étrangers ont tendance à se concentrer dans relativement peu d’endroits et deviennent des minorités très visibles qui se sont toujours regardées comme homogènes ethniquement. Troisièmement, l’intérêt porté sur la composition ethnique de la population laborieuse étrangère pose deux questions contradictoires pour ces pays. D’un côté, les gouvernements veulent importer de la main-d’ouvre qui s’accorde au contexte social, de l’autre le désir des pays d’accueil pour un plus sévère contrôle sur les travailleurs étrangers les conduit à favoriser les travailleurs qui sont bien visibles et qui se détachent de la population indigène.
A travers l’Asie de l’Est, la migration est un phénomène très contrôlé. Toutes les économies appliquent des politiques d’immigration restrictives, ce qui donne à très peu de migrants la possibilité de devenir résidents permanents ou d’être qualifiés pour acquérir la nationalité de leur pays de résidence. De plus, partout dans la région, les droits des migrants sont subordonnés à la volonté de l’Etat et il existe peu d’institutions défendant les droits des migrants comme on peut en trouver dans les pays occidentaux.
La Chine est la plus importante source de travailleurs non qualifiés dans la région de l’Asie de l’Est. Les migrations internationales quittant la Chine chaque année sont estimées à 400 000 personnes. De ce total, quelque 100 000 s’établissent légalement chaque année aux Etats-Unis, au Canada, en Australie. Les estimations pour le nombre de Chinois passés en fraude dans ces pays et quelques autres atteignent 200 000 personnes par an. Mis à part Hongkong et Macao, pour des raisons politiques et autres, un relativement petit nombre de travailleurs chinois sont recrutés pour travailler dans les pays d’Asie de l’Est.
Les agences de recrutement dominent la migration du travail en Asie. C’est un des meilleurs moyens pour les gouvernements d’éviter le séjour permanent dans leur région. Les termes du contrat stipulent que les agences de recrutement renvoient les travailleurs chez eux à la fin des contrats. Quelque 100 000 à 200 000 migrants clandestins quittent la Chine chaque année avec l’aide de filières de contrebande organisées. Les estimations du nombre des Chinois clandestins vers les Etats-Unis dans les premières années 1990 atteignaient le chiffre de 100 000 migrants. Le nombre total des Chinois émigrés – 30 millions – est relativement réduit comparé à l’importance de la population chinoise. La majorité de ces Chinois illégaux viennent d’un relativement petit nombre de provinces en Chine (Guangdong, Fujian, et Zhejiang) où l’impact des mouvements vers l’étranger a été et reste grand. De vastes régions de Chine n’ont pas encore pris part aux mouvements internationaux de population. Les mouvements non autorisés sont facilités par l’ensemble des Chinois d’outre-mer établis grâce aux migrations des années 1990. Ce réseau permet l’organisation d’un système complexe en changeant constamment de routes de contrebande de la Chine vers les pays occidentaux. Le coût pour arranger une migration est substantiel, souvent il excède 30 000 dollars par personne. Ces sommes exorbitantes sont rarement payées en totalité, mais l’avance en liquide demandée exclut les membres des familles les plus pauvres et les moins éduqués. Les syndicats criminels généralement avancent la somme requise et imposent ensuite le remboursement.
La tendance avec le temps en Asie de l’Est a été le développement de plus en plus complexe des modèles de migration et des types de migrants. Les systèmes transnationaux de circulation entre les pays caractérisent les mouvements vers les économies concernées. Cette tendance est le résultat d’une augmentation du niveau d’éducation des populations locales allant de pair avec le déclin de la croissance de main-d’ouvre. La récession économique qui a paralysé l’Asie à la fin des années 1990 n’a pas affecté matériellement cette tendance. Le principal impact de la crise en Asie se retrouve plutôt dans les migrations internes. Cependant, dans les économies de l’Asie de l’Est les plus développées, l’alternative du retour au village n’est pas une option réaliste pour la population scolarisée et urbaine. Aussi la crise économique a eu peu d’impact observable sur le volume et sur les modèles de migration. Vu que la crise continue, une pression grandissante dans les régions les plus durement touchées pourrait orienter la migration vers les économies d’Asie de l’Est.
LES MIGRATIONS EN ASIE DU SUD-EST
La migration en Asie du Sud-Est présente une variété de formes qui reflètent la complexité de la région. En plus de la migration entre pays ayant un accord permanent, la région a une migration temporaire vers le Moyen-Orient et l’Asie ainsi que des mouvements de main-d’ouvre dans la région. Pendant toute la crise des réfugiés indochinois, la région a servi de premier asile et des conflits encore latents résultent de l’exode temporaire de réfugiés. La récente crise économique et financière a forcé les gouvernements à un contrôle des migrations illégales ; cependant, les sombres perspectives économiques ne font que renforcer la pression de la migration. La sécheresse apportée par El Nino a réduit la productivité agricole et a aggravé d’autres effets négatifs comme fermetures d’usines, chômage et augmentation des prix à la consommation.
Depuis le début de la crise, le nombre des migrants non autorisés a grossi vu que les travailleurs essayent de maintenir leur gagne-pain. Les politiques de migration restrictives continuent de dicter quelles personnes et combien de personnes peuvent entrer dans le pays, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont autorisés à travailler et à séjourner. Cependant, les intérêts à court terme principalement pour les secteurs d’activités où on utilise une main-d’ouvre flexible et bon marché, s’assurent que les politiques de migration déterminent une portion seulement des entrées ; l’autre portion étant formée par ceux qui sont rentrés sans autorisation ou qui restent dans le pays sans autorisation.
Vacillant sous l’impact de la crise, certains gouvernements ont pris de sévères mesures en ce qui concerne l’immigration, diminuant les avantages et appliquant le rapatriement, ce qui a causé des frictions sur les fronts bilatéraux et internationaux. Il en a résulté que les gouvernements régionaux et les organisations internationales dans un même élan ont évoqué la question des migrations internationales de façon coopérative et compréhensive.
Des facteurs économiques déterminent trois sous-systèmes persistants de migration à long terme, entre les frontières de Singapour, la Péninsule malaise, la Malaisie orientale et Brunei Darussalam, et la Thaïlande. Dans les deux premiers cas, l’Indonésie et les Philippines constituent les sources principales des courants de main-d’ouvre ; plusieurs nations en Indochine représentent les sources principales de la migration vers la Thaïlande.
La Péninsule malaise et Singapour constituent les régions d’Asie du Sud-Est dotées des économies les plus dynamiques et constituent donc une attraction majeure pour les migrants. Les contacts commerciaux traditionnels et les héritages coloniaux ont apporté différents courants de migrants dans la péninsule, établissant une large diaspora dans la société malaise. Les mouvements de populations ont continué de répondre à la demande de main-d’ouvre ou de pénurie de main-d’ouvre due à un rapide développement. En tant que sous-système de migration, la péninsule reçoit des migrants des pays avoisinants et aussi de pays plus éloignés tels que le Bangladesh. Une considérable mobilité de main-d’ouvre existe aussi entre la Malaisie et Singapour, particulièrement avec les frontaliers. A Singapour, les travailleurs étrangers constituent 27 % de la main-d’ouvre totale. Quant à la Malaisie, on estime qu’elle a 1,2 millions de migrants réguliers sur son territoire.
A cause de leur histoire et configuration économique, Brunei et la Malaisie orientale, en particulier l’Etat de Sabah, constituent un sous-système différent qui coïncide avec les limites Brunei-Indonésie-Malaisie-Philippines de l’aire de croissance ASEAN fixée en 1994. Cet accord régional a récemment approuvé une telle mobilité de main-d’ouvre pour faciliter le commerce, les investissements et l’intégration économique dans la région qui compte 40 millions de personnes.
Le Cambodge, le Laos, la Birmanie et le Vietnam sont les sources pour la migration en Thaïlande. Ensemble, ils constituent le troisième sous-système de migration dans le Sud-Est asiatique. Les estimations officielles donnent le chiffre de 600 000 travailleurs migrants en Thaïlande (la plupart venant de Birmanie) ; les estimations non officielles dépassent le million.
Le programme de migration de la Thaïlande a basculé du Moyen-Orient aux pays d’Asie, en particulier vers Taiwan où quelques 136 000 Thaïlandais forment le groupe dominant pour le travail dans le bâtiment. La Thaïlande fait face aux problèmes particuliers dans le domaine du trafic des migrants tel qu’il a été identifié comme facteur principal de l’immigration clandestine. Le plus souvent, les trafiquants laissent les migrants coincés dans le pays. Le trafic des femmes, le recrutement illégal de travailleurs, les trafics excessifs des bureaux de placement font que les migrants se retrouvent en situation d’esclavage virtuel, et d’autres abus marquent l’émigration thaïlandaise. En 1999, le gouvernement thaïlandais a pris l’initiative en patronnant et en convoquant une conférence régionale sur les problèmes associés aux migrations illégales.
La migration vers Sabah est ouverte principalement aux Indonésiens et aux Philippins, mais un petit nombre d’Indiens, de Pakistanais et de Chinois sont aussi concernés. Dans Sabah, la population totale des migrants officiels atteint presque 600 000 personnes, Indonésiens pour la plupart avec un permis de travail régulier, des Philippins qui ont reçu un statut de réfugiés, et des Indonésiens et des Philippins qui ont été enregistré pendant le programme de régularisation mis en ouvre en 1997. Environ 80 000 migrants clandestins ne se sont pas enregistrés.
L’Etat de Brunei Darussalam a une population de 300 000 personnes avec le pouvoir d’achat le plus élevé de tout le Sud-Est asiatique. Avec une économie dominée par le pétrole, Brunei a depuis longtemps recouru à la main-d’ouvre étrangère pour répondre aux demandes de son marché du travail. En 1998, cette main-d’ouvre assurait 71 % de la capacité de travail pour le secteur privé. Comme dans les économies semblables du Moyen-Orient, la population locale de Brunei est employée dans les bureaux de l’administration publique et les professions administratives.