Eglises d'Asie

UNE ECOLE QUI BOUGE – Evolutions du système éducatif japonais

Publié le 18/03/2010




Avec la fin du troisième trimestre et l’année scolaire suivante qui approchent, de nouveau les débats sur les réformes de l’enseignement s’animent. Les médias se font l’écho de l’inquiétude des parents et des maîtres.

Les maux dont souffre l’école depuis plusieurs années ont été dûment recensés (1). Des remèdes ont été apportés, mais force est de reconnaître que l’état général ne s’est pas amélioré. Pour ne citer qu’un exemple, le nombre d’élèves qui refusent de fréquenter l’école et de ceux qui abandonnent le lycée en cours d’études a atteint, cette année, un nouveau record. Dans ce climat, où règne une certaine résignation, les yeux se tournent avec plus d’attention vers les réformes annoncées, parfois déjà partiellement expérimentées, qui seront appliquées à partir de la nouvelle année scolaire. Elles sont censées redorer le blason d’une institution érigée après la guerre et qui n’a pas fondamentalement évolué depuis. Il s’agissait à l’époque de reconstruire le pays, puis de “rattraper et dépasser” les puissances occidentales. Le but est jugé avoir été atteint et on peut dire que l’école, mise au service de l’économie, a bien rempli son rôle. Ce furent les belles années du “miracle japonais Puis le pays s’est installé dans la société de consommation, mais l’école est entrée en crise.

La première cause en est la chute de la natalité. Elle a commencé par toucher l’école enfantine. Depuis quelques années l’université est atteinte à son tour. Rappelons que l’indice de fécondité est retombé cette année à 1,39, après s’être un peu élevé au cours de l’année 2000. D’autre part, la réussite économique – pas plus au Japon qu’ailleurs – ne suffit à rendre l’homme heureux. Quel sens donner à sa vie, au travail, aux études ? Au sein du pluralisme idéologique, sur quelles valeurs peut-on compter ? Une crise morale atteignant parents et enfants ne tardait pas à aggraver la crise scolaire. Finalement, commencée il y a déjà une décennie avec la bulle économique et financière, la restructuration des entreprises a déclenché une crise de l’emploi. La situation est paradoxale : le nombre des chômeurs ne cesse d’augmenter alors que les gens qui travaillent font de longues journées, habituellement sans rétribution particulière, et sans avoir la possibilité de refuser. Les faillites se multiplient en même temps qu’émergent de puissants groupes dont les employés sont privilégiés comparés aux autres. C’est dans cette ambiance de crise généralisée que l’école tente – peut-être trop tardivement ou timidement – de se réformer.

La semaine scolaire de 5 jours

Plusieurs réformes sont facilement définissables. La première est la semaine scolaire de 5 jours. Elle s’est faite progressivement. En 1992, le deuxième samedi du mois devenait jour de congé. En 1994 s’ajoutait le quatrième samedi du mois. Prônée depuis plus de dix ans, afin que les enfants soient moins tendus, la semaine de cinq jours est donc devenue une réalité. Jusqu’à maintenant, si les élèves se réjouissaient de quitter leur pupitre deux samedis par mois, par contre, ils étaient plus surmenés les cinq autres jours. En effet, il fallait venir à bout du programme, resté pratiquement inchangé. Que dire des maîtres privés de plusieurs heures d’enseignement ? Ils demandaient instamment un allègement des programmes et des manuels.

Réduction des programmes et des manuels

La demande des maîtres a été entendue. La révision est accomplie. A la rentrée du mois d’avril entre en vigueur un nouveau Directoire des études qui remplace celui de 1992. Les manuels ont été revus substantiellement, puisque les matières à enseigner ont été réduites d’un tiers.

Cette double réforme, si elle est bien appliquée, devrait atteindre ses objectifs : faire baisser la tension nerveuse des élèves, leur donner le temps de réfléchir et d’assimiler. Ce serait la fin d’une longue période, dominée par le bourrage de crâne et une mémorisation excessive. Débuterait une nouvelle ère où des élèves détendus seraient éduqués à la réflexion et au jugement personnels. Ils devraient y trouver la force de vivre, du moins, du goût pour l’étude. Tels sont, du moins, les voux du ministère de l’Education nationale.

Introduction de l’heure d’enseignement “libre”

Troisième innovation : 1 heure d’enseignement “libre” par semaine. Elle a été déjà partiellement expérimentée ; à la rentrée, elle devient obligatoire partout. L’initiative du travail passe du côté des élèves. Ils sont invités à choisir ensemble un sujet d’études et la méthode de travail adaptée. Le maître, sans manuel, est là, non pour diriger, mais pour assister et conseiller. Le champ des investigations est illimité : problèmes de société, la nature et le monde agricole – inconnus des petits citadins -, écologie, histoire locale, actualité véhiculée par les médias, etc. Les élèves sont incités à enquêter, faire des rapports, réfléchir ensemble, dialoguer, juger et définir des actions concrètes. Les maîtres jeunes, qui ont eu l’occasion d’expérimenter ce genre de travail, se disent satisfaits du comportement des élèves. Ceux-ci feraient preuve d’imagination et de dynamisme. Ils apprennent à se connaître, à collaborer et à prendre la parole en public. Certains élèves, amorphes devant un manuel, se réveillent et s’animent. Par contre, des maîtres, plus anciens, habitués à enseigner manuel en main, se sentent démunis et sont pris de panique.

Baisse du niveau intellectuel ?

Face à cette triple réforme, les détracteurs ne font pas défaut. Ils crient à la baisse du niveau intellectuel des élèves et des étudiants, prélude au déclin du Japon. Selon eux, cette baisse, déjà fort amorcée ne fera que s’accélérer. Que penser du pessimisme de ces critiques ? Il est assez largement répandu, mais des statistiques semblent lui donner tort. Une enquête de l’OCDE faite auprès de 265 000 jeunes âgés de 15 ans, originaires de 32 pays, place la Finlande, le Japon et la Corée aux premiers rangs pour la “compréhension de l’écrit la “culture mathématique” et la “culture scientifique Dans une autre enquête de l’I.E.O., s’étendant à 36 pays et concernant les mathématiques et la physique, le Japon arrive en 3ème position, derrière Singapour et la Corée. L’enquête antérieure, de 1994, donnait le même classement.

D’autre part, 55 % des doyens d’universités d’Etat, plus qu’une baisse des connaissances, déplorent un manque de motivation et d’ardeur à étudier d’une manière personnelle, sur des sujets originaux. Cette critique paraît être reconnue d’une manière générale. Le ministère, quant à lui, dénonce plutôt une carence du raisonnement et de l’expression. Au sujet des statistiques fondées sur les examens, les mauvaises langues ne manquent pas pour dire que les Japonais sont des bêtes à examens, qui oublient tout dès le lendemain de l’examen. Il ne faudrait pas confondre le niveau des connaissances avec le niveau culturel ou intellectuel. Avouons qu’en l’absence d’une définition claire de ce qu’il faut entendre par “force intellectuelle de critères fiables pour l’évaluer, il est difficile de porter un jugement valable sur cette question. On peut espérer que les trois réformes incriminées, même si elles devaient se solder par une diminution des connaissances enregistrées, devraient par contre améliorer les qualités intellectuelles des lycéens et des étudiants. Mais ceci non plus n’est pas encore prouvé.

Vers un système scolaire à deux vitesses ?

Surgit ici une autre difficulté. Les écoles du secteur public sont obligées de suivre les décisions du ministère, mais les écoles du secteur privé restent maîtresses de leur décision. Or, la majorité d’entre elles continuent de s’opposer à la semaine de 5 jours. Par conséquent, les maîtres jouissent d’environ 15 heures de plus par mois, pour enseigner les mêmes programmes. Les élèves sont privilégiés et leur niveau sera plus élevé que celui des écoles publiques. Leur entrée à l’université en sera facilitée. Que devient alors le principe de l’égalité des chances devant la vie que l’école est censée assurer à tous les enfants ? Des voix autorisées s’élèvent de plus en plus nombreuses pour demander aux écoles du secteur libre de se mettre au pas du secteur public. Sinon ce sera l’apparition d’un système à deux vitesses, favorisant les classes riches et ouvrant la porte à l’élitisme. La ministre Tôyama est intervenue dans ce sens – en vain, semble-t-il.

Comment les responsables justifient-ils leur refus ? Ils rappellent que les maîtres sont tenus à enseigner le samedi si les parents le demandent, puisque ceux-ci versent des frais de scolarité alors que l’école publique est gratuite. L’argument ne manque pas de poids. D’autres précisent que les samedis sont utilisés pour donner une éducation morale et religieuse, chose qui, disent-ils, fait cruellement défaut dans ce pays. Qui pourrait les contredire ?

Face à ces mises en garde, le ministère et la Commission centrale pour l’éducation précisent plusieurs points. Le premier concerne les programmes et les manuels. Certes ils ont été allégés et réduits d’un tiers, mais ils indiquent seulement le minimum obligatoire en dessous duquel il ne faut pas descendre. La liberté est laissée de dépasser ce minimum, si le maître le juge opportun et si les élèves peuvent suivre. Dont acte, mais alors le manuel ne sera plus accordé à cet enseignement supplémentaire. Deuxième point : le samedi matin pourra être mis à profit pour donner des cours complémentaires aux élèves qui en auraient besoin et le réclameraient. Cette entorse à la règle commune part d’un bon naturel, mais n’est-ce pas entrebâiller une porte qui risque, un jour, de s’ouvrir démesurément ? Ainsi progresse le Japon : deux pas en avant, un en arrière, quand ce n’est pas deux ! D’autres suggestions sont faites : devoirs à domicile, cours particuliers, etc. L’importance de l’éducation au sein de la famille et du quartier est rappelée. Le sens du bien et du mal, l’éducation à la patience et à l’endurance sont d’abord du ressort des parents. Il est bon de le rappeler, mais la relation avec la soi-disant baisse du niveau intellectuel est assez lointaine.

“La guerre des manuels”

C’est dans ce climat d’inquiétude et de contestations qu’il faut aborder la question des nouveaux manuels d’histoire qui a défrayé la chronique l’an dernier, au point qu’un professeur d’université coréen, président d’un groupe mixte de recherches historiques, a pu parler de “guerre des manuels 

Tout commence en 1997, année de la dernière révision des manuels du cycle obligatoire. Plusieurs personnalités proches du ministère, mécontentes des manuels alors en usage, s’érigent en comité en vue de rédiger le nouveau manuel 2002. Ce comité reproche aux manuels utilisés successivement depuis 1947 de donner une vue partiale de l’histoire du pays. Ils insisteraient sur les aspects négatifs, passant trop sous silence les aspects qui sont à l’honneur du Japon. Cette tendance à “l’auto-flagellation” donnerait aux élèves un complexe de culpabilité et d’infériorité déprimant qui les démobiliserait. Au contraire, il faut donner aux enfants la fierté de leur pays, et stimuler leur ambition de rester une grande puissance. Bien au courant de la crise économique des années 1990, de la crise scolaire et des projets de réformes, le comité pense que le pays fait fausse route. Il faut donc changer de cap, et pour cela, commencer par rédiger un nouveau manuel afin de remotiver les enfants. Ce manuel devra leur insuffler une certaine dose de patriotisme, trop absent, dit-il, des manuels actuels. Derrière ce projet on sent percer la nostalgie du passé et du fameux décret de l’empereur Meiji sur l’éducation, qui donnait des repères solides aux éducateurs. On décèle aussi une tentative pour contourner la loi fondamentale promulguée par Mac Arthur en 1947, pourtant animée par un humanisme toujours valable.

Le comité se montre dynamique. Il s’enrichit d’une pléiade de professeurs qui se chargeront de la rédaction. Le journal Sankei, qui bénéficie du soutien des milieux industriels et financiers, propose d’éditer l’ouvrage, et la maison d’édition Fusô, de le mettre en vente. Par la suite, le ministère demandera au Sankei de se retirer, laissant à Fusô

le soin à la fois d’éditer et de commercialiser le futur manuel. Le comité fait flores, il se transforme rapidement en une association comptant plus de 48 sections et 10 000 cotisants. Des sympathies politiques et financières le soutiennent. La Commission centrale pour l’éducation lui donne son aval.

Fin 2000, le “manuel” est rédigé et publié. Sept autres ma-nuels sont aussi publiés par les maisons d’éditions scolaires habituelles (Tokyo – shoseki, Osaka – shoseki, etc.). Dès leur parution, ces ouvrages essuient le feu de la critique ; du Ja-pon bien sûr, mais surtout de Corée, de Chine et de Taiwan. 137 objections sont adressées à la maison Fusô concernant notamment, le sens de la Restauration impériale, la guerre sino-japonaise et ses suites, l’occupation de la Corée et sa colonisation, “l’incident” de Nankin, les avions-suicides de 1945 et, enfin, le jugement porté sur la guerre. La rédaction est estimée tendancieuse : auto-justificative, unilatérale, trop louangeuse à l’égard des bons côtés, trop discrète à l’égard des méfaits. Les expressions sont jugées vagues et équivoques. Des omissions graves sont relevées. Les jugements font fi des recherches historiques récentes. Les déclarations faites par l’ancien Premier ministre Murayama, lors de sa visite en Corée, sont oubliées. Même la critique japonaise se montre sévère d’un point de vue pédagogique. Le 2 avril 2001, amendé, le texte est approuvé par un comité ministériel ad hoc. On explique que, tenant compte des critiques et de la sensibilité différente des pays concernés, le texte primitif avait été ré-visé trois fois et bien amélioré. Il faut préciser que cette ap-probation du texte ne signifie pas son adoption comme ma-nuel, et, encore moins, son imposition aux écoles. Il s’agit d’un simple feu-vert ouvrant la voie aux délibérations ulté-rieures nécessaires au choix définitif. C’est cependant cette approbation qui a fait brusquement monter la température.

Les trois pays concernés, d’emblée, déclarent le texte inacceptable. Début mai, la Corée demande une nouvelle révision, qui prenne en considération une liste de 25 corrections. Le Japon refuse. Il prétend avoir déjà fait le maximum et qu’il n’était plus possible – sauf dans le cas d’une erreur flagrante – de contester l’approbation du Comité ministériel. Tôyama abonde dans ce sens. Le Premier ministre Koïzumi, déjà embourbé dans les problèmes soulevés par son projet de visite à Yasukuni (2), se contente de faire des promesses pour l’avenir.

La polémique bat son plein entre les deux pays. Plus de 140 voyages à fin culturelle ou sportive sont annulés en cascade. La Coupe du monde de football est ouvertement menacée. Le président Kim Dae-jung s’efforce de calmer les esprits, mais il reste ferme sur le fond. Au mois de juillet, Fusô arrive encore à obtenir du gouvernement l’autorisation de faire quatre corrections, mais la Corée et la Chine ne sont toujours pas satisfaites.

L’étape décisive du choix des manuels s’est déroulée dans cette ambiance de polémique. Elle a commencé le 2 avril pour se terminer le 15 août, date limite. Ce choix se fait traditionnellement à l’échelon des 542 circonscriptions qui découpent le pays. Le processus en est complexe. Il fonctionne au sein d’une commission où les directeurs d’école, les maîtres, les parents et, bien sûr, le comité local chargé des affaires scolaires, échangent leurs avis avant de fixer un choix. En l’occurrence, le débat s’est déroulé partout d’une manière démocratique. Sauf quelques rares exceptions, les élus locaux ne sont pas intervenus. Evidemment, les réactions des pays voisins, de la Corée surtout, ont pesé incontestablement sur les décisions. Le 15 août, toutes les circonscriptions ont fait connaître leur choix. Surprise : aucune circonscription n’a choisi le livre édité par Fusô, sauf deux établissements pour handicapés et neuf collèges privés. Cela touche 75 élèves, soit 0,039 % de la totalité des élèves japonais ! Devant l’ampleur de l’échec du manuel édité par Fusô, du jour au lendemain, la polémique a cessé et les médias ont fait silence.

Quelles conclusions tirer de cette affaire ? La plus évidente, et la plus triste aussi, est que le contentieux entre le Japon et la Corée, entre autres, n’est pas encore réglé. La guerre est terminée depuis plus de 50 ans, mais la Corée reste traumatisée ; elle garde une sensibilité d’écorché en ce qui concerne la guerre et sa colonisation par le Japon. De son côté, le Japon, connu pour sa fierté nationale, non seulement n’est pas encore prêt à reconnaître franchement ses torts, mais rechigne toujours à revoir ses expressions et son vocabulaire. L’impression persiste que le feu couve encore sous la cendre et qu’un incident mineur suffit à faire jaillir les flammes.

Par contre, au moment décisif du choix, les responsables de “la base” ont fait preuve d’une maturité politique certaine. Ils ont su résister aux pressions occultes du grand capital et de l’aile droite du parti libéral au pouvoir. Gardant leur cal-me, ils ont tenu compte d’une sensibilité et d’une com-préhension historiques différentes de celles des Japonais.

Signalons une autre réaction encourageante. Depuis 1993 travaille un groupe mixte de 25 personnes appartenant au monde politique, économique et universitaire. Ce groupe fait des recherches sur la période en cause, et organise régulièrement des forums. Le dernier a eu lieu l’année dernière, pendant la “guerre des manuels Ce groupe a déclaré vouloir continuer ses travaux jusqu’à la mise au point d’une version commune des événements. Il a reconnu que, jusqu’à maintenant, la Corée et le Japon avaient suc-combé aux même tentations : étroitesse de vue et égoïsme national. La décision est louable, mais une interprétation commune des mêmes événements est-elle possible ?

Remous à l’université

Un tableau, même esquissé à grands traits, des réformes actuelles serait trop incomplet si la question de l’université n’était pas évoquée. La ministre de l’Education nationale s’est attelée en priorité à la réforme des structures de l’université. La preuve en est qu’on parle très souvent du “Plan Tôyama plus exactement, du projet “Top 30 La ministre voudrait qu’émergent 30 universités de haut niveau, capables de rivaliser avec les meilleures universités d’Europe et d’Amérique. Actuellement quelque 600 universités dont 99 universités d’Etat s’offrent aux candidats. Avec la chute de la natalité, elles ont de plus en plus de difficultés à recruter le nombre d’étudiants nécessaire à leur fonctionnement. On prévoit qu’en 2009 tous les lycéens le souhaitant trouveront une place dans une université quelconque. Les “recalés” disparaîtront de la scène. La qualité de l’enseignement est alors condamnée à baisser progressivement. Déjà, depuis une dizaine d’années, les examens d’entrée ont été simplifiés afin de remplir les bancs des amphis. Réduction des matières, remplacement des examens classiques par une dissertation, rencontre avec un ou plusieurs professeurs : c’est la pratique du A.O. (bu-reau chargé des admissions) ; elle s’est généralisée en-traînant des abus notoires. “Trois minutes d’entretien avec un professeur et on entre à l’université ! a-t-on pu dire en plaisantant. Le temps où les professeurs de lycée faisaient le tour des universités pour recommander leurs élèves est révolu ; aujourd’hui, ce sont les professeurs d’université qui visitent les lycées pour glaner quelques candidats.

Le Plan Tôyama veut renverser la vapeur. Il repose sur trois options. Première option : trop nombreuses, les universités sont invitées à se restructurer. Il s’agit moins de fusion que de complémentarité des facultés, d’équivalence des “valeurs” entre les universités, de “circulation” entre les établissements. Deuxième option : introduction du principe de la rivalité et de l’émulation au niveau de la qualité de l’enseignement et de la recherche. La recherche spécialisée devient nécessaire. Troisième option : la gestion doit être réformée en s’inspirant des méthodes qui ont cours dans les entreprises modernes, au sujet des crédits et du personnel. Deux objectifs sont poursuivis : chaque université doit viser à devenir une personne juridique particulière, jouissant d’un maximum d’indépendance et d’originalité ; chaque université doit s’efforcer de faire monter son niveau intellectuel afin d’être reconnue comme faisant partie du groupe des “30 meilleures L’université parvenue à ce stade bénéficiera d’un traitement privilégié pour l’attribution des crédits par le ministère.

Qu’en est-il de la restructuration ? Les universités privées font la sourde oreille, mais les universités et les facultés d’Etat se montrent favorables. Sur 101 établissements, 75 envisagent de se regrouper cette année ou au cours des années prochaines. Les universités de cycle court (2 ans), les facultés de médecine ou des beaux-arts sont intéressées par cette opération.

Corrélativement, la dégradation des examens d’entrée est radicalement remise en cause. A partir de 2004, l’examen devra porter sur les 5 matières traditionnelles : anglais, mathématiques, langue japonaise, sciences, sociologie (histoire, géographie, etc.), et comporter 7 sujets. N’est-ce pas, alors, un simple retour à l’ancienne formule si décriée à cause du bourrage de crâne ? Le risque est réel et la question difficile. L’université de Tokyo prétend avoir trouvé une solution satisfaisante. Quoi qu’il en soit de cette question pratique, au niveau des principes, l’option est prise : priorité à la qualité des candidats sur le nombre. Qu’adviendra-t-il des universités qui ne pourront pas s’adapter ? Tôyama paraît envisager froidement leur disparition. Va-t-on vers une hécatombe ?

Révision de la loi fondamentale

Sous-jacente à tous ces projets de réforme, continue de se poser une question majeure, celle de la révision de la loi fondamentale datant de 1947. Elle est accusée de manquer de patriotisme, d’être sortie du cerveau de l’occupant, d’être trop libérale, etc. Il est bien évident que ses auteurs ne pouvaient pas prévoir tous les problèmes qui surgiraient à l’orée du troisième millénaire : mondialisation, écologie, bioéthique, etc. Une sérieuse mise à jour de cette loi s’impose. Elle est préparée depuis plusieurs années par les ministres qui se succèdent à l’Education nationale. Tôyama ne s’y oppose pas, mais elle vient de nommer une nouvelle commission. On se demande si ce n’est pas pour se donner du temps. Junichiro Koïzumi, lui non plus, n’est pas opposé à cette révision, mais il aurait l’intention d’en profiter pour réviser en premier lieu la Constitution. Dans un second temps, dans le même esprit que la nouvelle constitution, viendrait la révision de la loi fondamentale. Est-ce un procès d’intention ? Le syndicat (de gauche) des enseignants, le Nikkyôsô, affirme que cette loi n’a pas à être révisée. En fait, il redoute qu’elle aille de pair avec une réforme constitutionnelle dirigée par l’aile droite, nationaliste et militariste, du parti libéral au pouvoir. En attendant, le dossier de projets de réformes proposées par le Conseil national à la demande de l’ancien Premier ministre Obuchi, en 2000, continue de sommeiller sur une étagère du ministère depuis plus d’un an.

Le dossier du Conseil national Obuchi

Ce dossier contient une mine d’idées sur l’éducation à venir. Il n’est pas question de l’analyser ici, mais seulement d’en faire une présentation globale. Il comprend six chapitres débouchant sur 17 propositions, détaillées en une soixantaine de suggestions concrètes. Le champ couvert est très large. Toutes les questions soulevées par le système scolaire sont abordées : les responsables, le but, le contenu, les méthodes, la formation des maîtres. La révision de la loi fondamentale n’est pas oubliée. Des insistances sont à remarquer : le rôle de la famille (5 suggestions), l’éducation morale (10 suggestions), un débat sur l’éducation du sentiment religieux est jugé nécessaire. Au sujet de la morale, trois suggestions proposant une éducation pratique à l’esprit de service ont été vite remarquées et ont soulevé un débat dans la presse. Que veut dire le mot “service” ? S’agirait-il d’un premier pas fait dans la direction d’un service militaire national ancien style. Ayako Sono, inspiratrice de cette suggestion, s’en est vite expliquée. Le but de ce service est de lutter contre l’individualisme et l’égoïsme actuels. Pour cela, il faut donner aux enfants et aux adolescents des occasions d’ouvrir les yeux sur les laissés pour compte, les exclus de la société et de les éduquer à rendre service autour d’eux. Le mot de “diaconat” a même été prononcé par Ayako Sono, qui est une chrétienne convaincue.

Quant au débat concernant l’éducation du sentiment religieux, certes il est nécessaire, mais est-il possible ? Un regard, même rapide, sur les manuels d’histoire, non seulement celui de Fusô qui a été refusé, mais sur les autres utilisés depuis de longues années, est très éclairant. Les informations données sur l’introduction du christianisme au XVIe siècle, les persécutions et l’interdiction, la “résurrection” de l’Eglise pendant l’ère Meiji, la liberté religieuse accordée par la Constitution impériale, les difficultés affrontées pendant la période nationaliste. toutes ces informations sont d’une pauvreté et d’une parcimonie inquiétante sinon révoltante. Les jugements portés sont très fortement tendancieux. En fait le problème religieux en tant que tel n’est pas posé. La religion chrétienne est présentée comme un prolongement de l’expansion commerciale puis culturelle de l’Occident. On se demande quelle idée et quelle image le collégien qui a en main de tels manuels peut se faire du christianisme et de l’Eglise. D’autre part le missionnaire est-il conscient de l’absence dramatique de culture et d’enseignement religieux dont souffrent les adolescents qui fréquentent l’église ? Tout un pan de catéchèse ne doit-il pas être mis en place pour pallier cette carence ?

Des professeurs qualifiés

Il n’est pas faux de dire que l’école se réforme à petits pas, mais le corps des maîtres et des professeurs est-il à même de réaliser les réformes en projet ? Le doute est légitime. Les critiques fusent, de la part des parents et des élèves. Leurs connaissances ne sont pas mises en cause, mais leurs capacités pédagogiques le sont. Lorsqu’une classe d’adolescents sombre dans l’indiscipline, nombreux sont les maîtres qui ne peuvent pas reprendre la situation en main.

Les spécialistes demandent que les maîtres reçoivent une formation pédagogique plus poussée, qu’ils puissent se recycler et soient régulièrement contrôlés. Au cas où leurs capacités pédagogiques seraient insuffisantes, ils pourraient passer dans le personnel administratif. Ils pourraient aussi seconder un autre professeur surchargé.

Cette question est étroitement liée à celle du nombre des élèves d’une classe. Ce nombre est fixé à 40 ! On demande qu’il soit rabaissé à 25 ou 30, pour que les élèves soient mieux connus, mieux dirigés et les maîtres moins tendus. La chute de la population enfantine sensible surtout dans le centre des ville, la surpopulation des banlieues, l’inadaptation des circonscriptions scolaires à l’urbanisation actuelle sont autant de facteurs qui compliquent cette question. Quoi qu’il en soit, la profession d’enseignant n’est pas prisée. Les enseignants sont souvent fatigués et découragés. Cette raison explique-t-elle les scandales d’ordre sexuel de moins en moins rares où se trouvent impliqués un maître et une élève ?

Enfin la “révolution numérique” n’est pas faite pour mettre à l’aise les professeurs, surtout les plus âgés. Depuis peu, le Japon découvre qu’il a pris un retard considérable dans le domaine des techniques modernes d’information et de communication. On parle d’un retard de 8-10 ans sur l’Amérique. Tôyama voudrait combler ce retard en 4 ans. L’achat du matériel nécessaire pose, certes, de gros problèmes budgétaires, mais que dire de la formation des maîtres compétents ? Les enfants ne seront-ils pas plus habiles que leurs maîtres pour maîtriser ordinateurs, e-mail, Internet, etc. ?

Quelles conclusions tirer de ce panorama ? Oui, l’école bouge, souvent en tâtonnant, parfois quitte à reculer lorsqu’il s’avère nécessaire de le faire. Le problème est que la société évolue plus vite que l’école. L’important ne serait-il pas de remonter en amont de l’école jusqu’au niveau de la famille ? C’est ce que tente de faire le message de l’épiscopat japonais intitulé “Regard sur la vie publié au mois de janvier 2000. Le premier chapitre cite des extraits de l’Ecriture.

Le deuxième chapitre aborde directement la famille : son titre : “La Famille vacillante Il compte 45 pages, dont plus de trente traitent du couple et de la procréation. L’éducation des enfants est largement débattue. Le document rappelle qu’avant de parler de l’école en ruine, il faudrait prendre conscience que c’est la famille qui va vers la ruine. Le dernier slogan de l’école : “Donner la force de vivre l’épiscopat en fait d’abord le devoir de la famille. C’est à elle de donner à l’enfant la force de conduire sa barque, c’est à elle de lui donner un havre de repos lorsqu’il est fatigué. C’est à elle de donner aux enfants ces valeurs fondamentales grâce auxquelles ils pourront entrer dans la vie adulte avec confiance et joie de vivre.

Notes