Eglises d'Asie

L’Indonésie et la Papouasie occidentale (ex-Irian Jaya)

Publié le 18/03/2010




Première partie : Mettre fin à la répression en Papouasie occidentale (Irian Jaya) (EDA, International Crisis Group, avril 2002)

Deuxième partie : L’engagement de l’Eglise catholique dans la défense des droits de l’homme en Papouasie occidentale (EDA, P. Neles Tebay, avril 2002)

PREMIERE PARTIE :

METTRE FIN A LA REPRESSION

EN PAPOUASIE OCCIDENTALE (IRIAN JAYA)

[NDLR – Le rapport ci-dessous a été rédigé par les équipes de Crisis Group (ICG). L’ICG est une organisation internationale privée dont l’objectif est d’améliorer la réponse de la communauté internationale aux crises politiques et humanitaires. Rassemblant des hommes politiques, des diplomates, des journalistes et des universitaires, l’ICG, dont le siège est à Bruxelles, demande à ses équipes de rédiger des rapports sur divers points du globe en situation de crise et propose des solutions pour mettre fin à ces conflits. Financée, entre autres, par l’Union européenne et des fondations américaines, elle affiche sa volonté de travailler à partir de sources ouvertes et les rapports qu’elle publie sont consultables sur son site Internet www.crisisweb.org. Le présent rapport au sujet de la Papouasie occidentale a été publié le 20 septembre 2001. La traduction est de la rédaction d’Asie.]

I. Introduction

Dans son discours du 16 août 2001 pour la commémoration de l’Indépendance, la présidente Megawati Sukarnoputri a présenté les excuses du pays au peuple de la Papouasie occidentale pour les politiques répressives du passé. Elle a pris l’engagement d’un nouveau programme politique pour son gouvernement, qui, non seulement, respecterait l’identité culturelle et les particularités du peuple de la Papouasie occidentale, mais encore donnerait au gouvernement de la province une plus large autorité pour diriger ses propres affaires, sous la forme d’une autonomie spéciale. Ce nouveau programme serait mené dans le respect de l’intégrité terri-toriale de la République Unitaire d’Indonésie. La présidente Megawati a donné à son gouvernement la préservation de l’unité du pays comme priorité n° (1). Dans son engagement total pour l’unité de l’Indonésie, elle rejoint les idéaux de son père, président fondateur. Pour tous les deux, la Papouasie occidentale (2) a sa place spéciale dans la République. Citant son père, Megawati a déclaré que [.] sans la Papouasie occidentale, l’Indonésie n’est pas complète” (3).

La Papouasie occidentale n’est qu’un des problèmes auxquels est confronté le nouveau président de l’Indonésie. La capacité de la présidente Megawati à réaliser l’idéal de son père d’une union nationale ou de répondre aux aspirations du peuple papou est liée à la question plus large de sa capacité, et de son intérêt, à contrôler l’armée. Briser le cycle de la répression et de l’aliénation et concéder en même temps une large autonomie sont, pour Megawati, les préalables indispensables, si elle veut réaliser le rêve de son père. Si la présidente peut résoudre les problèmes de la Papouasie occidentale sans aucune aide de l’armée, elle aura contribué significativement au maintien de l’intégrité territoriale de l’Indonésie et en même temps au processus de démocratisation de son pays.

La lutte papoue pour l’indépendance et la détermination du gouvernement indonésien à maintenir la Papouasie occidentale en tant que province dans la République imposent des choix difficiles aux politiques de l’Indonésie et de la région. Il y a un engagement fort de la communauté internationale au maintien de l’intégrité territoriale de l’Indonésie et de sa souveraineté sur la Papouasie occidentale. Cependant, ce soutien est donné en opposition aux mesures militaires brutales et aux violations des droits de l’homme qui ont accompagné les efforts de Djakarta pour asseoir son autorité sur la Papouasie occidentale. La politique du gouvernement indonésien d’“autonomie spéciale” pour la Papouasie occidentale a reçu un fort encouragement international en tant que moyen de résolution pacifique du conflit dans la province et de maintien de l’intégrité territoriale de l’Indonésie.

Au centre des questions politiques discutées dans ce rapport se trouve l’insatisfaction des peuples indigènes de Papouasie occidentale. Beaucoup de Papous se considèrent comme étant soumis à une forme de colonialisme ; économiquement, politiquement et culturellement marginalisés dans ce qu’ils pensent être leur propre pays.

L’Indonésie a été capable de maintenir son administration de la Papouasie occidentale depuis le rattachement de la province en 1963 en se passant largement du consentement de la popula-tion indigène. La guérilla localisée qui s’est alors déclenchée, menée par l’Organisation de la Papouasie Libre (OPM), n’a jamais menacé le contrôle indonésien de la province.

L’OPM s’est constituée en 1964 et la première révolte significative a eu lieu l’année suivante à Manokwari. Elle est devenue la principale organisation de la résistance papoue à l’administration indonésienne. Les opérations de l’OPM le long de la frontière, lui permettant de trouver refuge en Papouasie – Nouvelle Guinée et bénéficiant du soutien des réfugiés papous de l’ouest, ont été les plus efficaces de ses activités. Elles ont été la cause de violentes tensions entre l’Indonésie et la Papouasie – Nouvelle Guinée. Les moyens militaires limités de l’OPM et ses dissensions internes ne diminuent pas son importance en tant que porteur de l’idéal indépendantiste. La plupart des dirigeants papous en exil s’identifient à l’OPM (4).

L’autorité indonésienne est apparue la plus vulnérable lors de la période d’ouverture politique qui a suivi la chute du président Suharto et pendant laquelle furent permises une expression et une organisation des sentiments nationaux papous. La mainmise indonésienne s’est révélée fragile parce qu’il est devenu clair que l’Indonésie avait peu progressé pour convaincre les Papous d’un avenir préférable comme citoyens de l’Etat indonésien.

Depuis 1998, le désenchantement et la marginalisation papous se sont traduits dans une simple et forte demande d’indépendance vis-à-vis de l’Indonésie. Les aspirations nationales papoues ont des racines historiques qui remontent aux temps de la colonisation hollandaise et l’expérience de la férule indonésienne n’a fait que renforcer le sentiment d’une identité distincte.

Les gouvernements qui se sont succédés après la chute de Suharto ont permis la création d’un climat politique qui a amené la transformation de la résistance papoue à l’autorité de Djakarta d’une lutte dans les jungles de la province localisée, sporadique et sans grand armement à une lutte ouverte et largement pacifique menée par des masses à dominante urbaine. Les dirigeants pro-indépendantistes ont ainsi réussi à propager largement et profondément dans la société papoue l’idée d’une séparation de l’Indonésie – depuis l’élite urbaine éduquée à l’indonésienne jusqu’aux villages les plus perdus.

II. Le nationalisme papou

L’histoire est au cœur de la compréhension de la politique papoue contemporaine et des relations entre la Papouasie occidentale et le gouvernement indonésien. C’est en partie l’histoire qui différencie la Papouasie occidentale du reste de l’Indonésie. L’histoire est une des raisons du désaccord entre la Papouasie occidentale et le gouvernement indonésien. L’histoire a une importance primordiale sur la rhétorique politique papoue et elle modèle la pensée de nombreux dirigeants papous quant aux problèmes politiques auxquels ils sont confrontés. Le slogan nationaliste « Corriger le cours de l’histoire papoue” transmet quelque chose de l’influence de l’histoire. L’histoire que de nombreux Papous veulent corriger est celle de l’intégration de la Papouasie à l’Indonésie. Cette interprétation de l’histoire est devenue dominante dans les cercles politiques papous et est en opposition flagrante avec l’histoire officielle de l’Indonésie.

La Papouasie a été l’un des recoins négligés des Indes orientales hollandaises. Avant la guerre du Pacifique, la présence coloniale se réduisait à une poignée de postes administratifs, dans lesquels des fonctionnaires est-indonésiens, instituteurs et missionnaires dépassaient largement en nombre les Hollandais. Les missionnaires chrétiens avaient une infrastructure et des relations dans la société papoue beaucoup plus étendue que celles des autorités coloniales et étaient, de ce fait, largement responsable du système d’éducation. Cet aspect de l’histoire se reflète dans l’importance des Eglises chrétiennes dans la société papoue contemporaine et dans la politique.

La Papouasie faisait partie des Indes orientales hollandaises, et en tant que telle, elle a été comprise dans les territoires réclamés par les pères fondateurs de l’Indonésie. La Papouasie est devenue un objet de dispute entre l’Indonésie et les Pays-Bas pendant la lutte de l’Indonésie pour son indépendance. Elle est restée sous contrôle hollandais pendant la Révolution et son aide à l’Indonésie s’est limitée à des révoltes mineures à Jayapura et à Biak. Les groupements politiques papous étaient divisés entre ceux qui soutenaient l’intégration avec l’Indoné-sie et ceux qui soutenaient la poursuite de l’administration hollandaise. A partir de mi-1949, les Hollandais ont cherché à soustraire la Papouasie du transfert de souveraineté du reste des Indes orientales hollandaises. Les différences ethniques culturelles et religieuses entre la Papouasie et le reste de l’Indonésie étaient prédominantes dans les arguments avancés par les Pays-Bas pour ne pas considérer la Papouasie comme faisant partie de l’Indonésie. La détermination hollandaise de ne pas céder la Papouasie à l’Indonésie s’est crispée dans une querelle internationale, qui, à la fin des années 1950, s’est embrouillée avec les développements de la Guerre froide dans le Sud-Est asiatique (5).

La querelle entre l’Indonésie et les Pays-Bas eut pour conséquence pour les Papous de ne pas prendre part avec les autres Indonésiens aux luttes révolutionnaires pour l’indépendance, ni aux premiers temps de l’indépendance, autant d’expériences formatrices sur le plan de l’appartenance à une nation. La politique hollandaise s’attachait à promouvoir une identité papoue distincte de celle de l’Indonésie, et, à partir des dernières années 1950, alors que la pression internationale se faisait plus forte sur les Pays-Bas, une avancée politique rapide ayant pour objectif ultime de créer un Etat indépendant de la Papouasie occidentale dès 1970. Faisant partie de ce programme et directement lié à cet objectif, les Hollandais tentaient de développer une élite papoue.

En tant que différend international, le conflit entre l’Indonésie et les Pays-Bas fut résolu en août 1962 avec la signature à New York d’un accord qui transférait l’administration de la province à l’Indonésie. Les négociations ayant abouti à cet accord avaient été conduites sous les auspices des Nations Unies. L’autodétermination des Papous ayant été la base de la politique hollandaise, l’ accord de New York comportait, pour sauver la face, une clause d’autodétermination devant intervenir, selon les pratiques internationales, dans les six ans d’administration indonésienne. La Loi du Libre Choix (Act of Free Choice) fut votée en 1969, sous la supervision des Nations Unies, dans des circonstances controversées (6).

Le “retour” à la nation de la Papouasie occidentale était con-sidérée comme un succès de la lutte nationaliste menée par le président Sukarno et soutenue par toutes les factions politiques importantes. Sukarno utilisa la lutte contre la Hollande en Papouasie occidentale comme un moyen d’union du pays – pour parachever la Révolution. Il utilisa astucieusement l’élan de la Guerre froide pour acquérir d’importants armements du bloc soviétique et pour couper le soutien des Etats-Unis aux Pays-Bas, son allié dans l’OTAN. La lutte indonésienne a été pour l’essentiel une lutte diplomatique, mais l’emploi limité d’infiltrations armées et la menace de déployer son armement soviétique ont apporté une aide efficace à la diplomatie.

La Loi du Libre Choix a finalement été votée en 1969 sous le gouvernement de Sukarno. Djakarta a amené 1 025 chefs cou-tumiers à Djakarta, où, sous forte pression, ils ont voté à l’una-nimité le rattachement à la République d’Indonésie, en tant que représentants des peuples papous. Aucune consultation significative ne fut entreprise avec les peuples eux-mêmes.

L’Indonésie tire une grande satisfaction de la reconnaissance internationale du processus de retour de la Papouasie occiden-tale à l’Indonésie, grâce à l’acceptation par les Nations Unies des résultats de la Loi du Libre Choix. A la lumière du fort sentiment d’orgueil national ressenti par les Indonésiens pour le “retour” de la Papouasie occidentale, il leur est particuliè-rement difficile de comprendre le renouveau des aspirations nationalistes papoues. La fille de Sukarno, Megawati Sukarno-putri, illustre ce sentiment quand elle a rappelé une conversa-tion d’enfance qu’elle eut avec son père. Elle lui avait deman-dé pourquoi il avait été visité la Papouasie occidentale. C’était si loin. Il avait alors répondu : “Sans la Papouasie occidenta-le, l’Indonésie n’est pas complète et le territoire national de la République unitaire d’Indonésie est incomplet.” Elle a voulu maintenir la vision de son père. Elle en a appelé au peuple de Papouasie occidentale pour qu’il reconnaisse que leur territoire avait été confié à la nation à travers le sacrifice de héros (7).

La façon de voir papoue la plus répandue est complètement différente et se résume dans les trois premières résolutions du Second Congrès papou (Kongres Papua) qui s’est tenu à Jayapura du 29 mai au 4 juin 2000 :

– “Le peuple de Papouasie a été souverain en tant que nation et Etat depuis le 1er décembre 1961.

– Le peuple de Papouasie, au cours de son second Congrès, rejette pour des raisons morales et légales l’accord de New York de 1962, qui a été adopté sans aucun représentant papou.

– Le peuple de Papouasie, au cours de son second Congrès, rejette les résultats de Pepera (la Loi du Libre Choix) pour avoir été votée sous la coercition, l’intimidation, des meur-tres sadiques, des violences militaires et une conduite immo-rale contrevenant aux principes humanitaires. En consé-quence, le peuple de Papouasie demande que les Nations Unies révoque la résolution 2 504, du 19/12/1969″ (8).

La première résolution se rapporte au jour de 1961 où les emblèmes nationaux – le drapeau de du Matin et l’hymne Hai Tanahku Papua ont été dévoilés. En octobre 1961, le Comité national des membres dirigeants du Conseil de Papouasie occidentale ont adopté le drapeau et l’hymne comme symboles d’Etat pour une Papouasie occidentale indépendante, en même temps qu’il rédigeait un Manifeste politique demandant l’indépendance. Le 1er décembre 1961, le drapeau a été hissé et l’hymne chanté pour la première fois, devant le Conseil de Papouasie occidentale et en présence du gouverneur de la Papouasie occidentale hollandaise et les membres du Conseil (9). La résolution du Congrès exprime l’opinion que le 1er décembre 1961 est le jour où la Papouasie est devenue indépendante. Non sans quelque ironie, l’instruction du 19 décembre 1961 du président Sukarno à ses forces armées de détruire l’Etat fantoche de Papouasie occidentale a été utilisée comme preuve de l’existence de cet Etat (10).

L’attachement à cette interprétation de l’histoire de la Papouasie n’est pas propre aux groupes pro-indépendantistes. Dans la proposition du gouvernement provincial pour l’Autonomie spéciale, il y a une clause pour l’établissement de la “Commission pour la correction du cours de l’histoire papoue” qui effectuera des recherches sur l’histoire de l’intégration. Dans tout le monde politique papou, il y a une conviction très vive de ce que la Papouasie a été l’objet d’un conflit international plutôt que de ce qu’elle en a été partie prenante. D’où le rejet de l’accord de New York, dont les Papous ont été exclus, alors que les négociations portaient sur le sort de leur propre patrie. L’accord de New York, la supervision des Nations Unies et l’acceptation des résultats de la Loi du Libre Choix renforcent, aux yeux des Papous, l’idée que la Papouasie a été sacrifiée aux intérêts des autres (12).

C’est le lien que font les Papous entre cette histoire et leur lutte actuelle qui est le point clé de ce rapport. Commentant la “Loi du Libre Choix” un rapport du FORERI (Forum pour la réconciliation de la société de Papouasie occidentale) a noté : “Tout le peuple papou a été témoin de l’injustice, de la duperie et de la manipulation. Les Papous n’ont pas pu résister. Toute résistance était, à l’époque, supprimée par les armes. Les massacres largement perpétrés depuis lors ont instillé le désir de l’indépendance dans le cœur du peuple.”

III. Les communautés de colons indonésiens

Si les changements démographiques radicaux qui sont interve-nus durant l’administration indonésienne sont absents des dis-cours politiques publics en Papouasie occidentale ou sur la Pa-pouasie occidentale, ils n’en sont pas moins de la plus grande importance pour la compréhension de l’évolution de la situa-tion politique. L’arrivée de colons indonésiens et la domination qu’ils exercent sur l’économie font, en effet, que les Papous ne se sentent plus maîtres de leur propre pays. En dépit d’une so-ciété papoue hétérogène, formée de plus de 250 groupes lin-guistiques, les Papous se définissent par rapport aux colons, souvent en termes physiques simples – des Papous aux che-veux crépus et des Indonésiens aux cheveux plats. De l’exté-rieur, l’identité papoue est une identité ethnique. Dans son ex-pression politique, c’est un nationalisme ethnique. L’organisa-tion indépendantiste dominante, le Praesidium Dewan Papua (Conseil du Présidium papou, ci-après le Présidium) est une organisation d’ethnie papoue. Lors de l’anniversaire de “l’In-dépendance” le 1er décembre 2000, seuls quelques colons émi-grés observaient de loin, les Indonésiens n’étant représentés que par la police et l’armée. L’importante minorité non papoue constitue la contrainte majeure et le plus grand défi pour les leaders indépendantistes. Comme les affrontements à Wamena et à Abepura d’octobre à décembre 2000 le laissent entrevoir, les tensions entre Papous et non-Papous sont en puissance la source de conflits sociaux et de violences de grande ampleur.

La transformation démographique de la Papouasie a été considérable à de très nombreux titres. En 1960, la population “asiatique” – essentiellement des Indonésiens de l’Est, des Javanais et des Chinois – n’était que de 18 600 sur une population totale estimée de 736 700, soit 2,5 % (14). Le recensement indonésien ne fournit aucun chiffre pour les populations papoue et non-papoue de la province. Les chiffres de l’appartenance religieuse que fournit ce même recensement donnent quelques indications sur la composition ethnique de la population. Mais il y a des populations papoues musulmanes dans quelques régions côtières occidentales de la province autour de Fak Fak, Sorong et des îles Raja Ampat et de nombreux colons indonésiens sont des chrétiens venant des Moluques et de la province de Célèbes-Nord. En 1988, il y avait 452 214 musulmans représentant 21,14 % de la population de la province (15), soit par rapport à 1982 un accroissement de 139 739 personnes ou 11 % (16). Le recensement de 1990 indique que 16,13 % de la population est née hors de la province. Avec 35,1 %, cette proportion est beaucoup plus élevée dans les zones urbaines. La capitale Jayapura est le lieu où les communautés de colons sont les plus en vue et où les musulmans représentaient en 1998 42,72 % de la population (17). Michael Rumbiak, démographe à l’université de Cenderawasih, estime qu’il y a un peu moins de 1,5 million de Papous, ce qui signifie que les communautés de colons atteignent 30 % de la population (18).

Sous l’administration hollandaise, les Indonésiens, particuliè-rement les Amboinais, Menadonais et Keies ainsi que des Eurasiens, étaient des fonctionnaires, des policiers, des institu-teurs et des missionnaires. De ce fait, les Papous ont subi un double colonialisme et des Indonésiens de l’Est et des Hollan-dais. L’élite papoue naissante des années 1950 et du début des années 1960 a affiné son identité par référence aux Indonésiens de l’Est, qui détenaient les postes auxquels ils aspiraient (19). Le sentiment de compétition avec les colons pour obtenir des postes dans l’administration et la rancœur de l’accaparement des postes clés par ces mêmes colons nourrissent une forte motivation du nationalisme papoue dans l’élite éduquée. Michael Menufandu, un haut fonctionnaire papou qui a été maire de Jayapura, se plaint de l’arrogance intellectuelle des fonctionnaires qui prétendent que la politique ne peut être faite qu’à Djakarta. Alors que les gens en place connaissent au mieux la région et ses problèmes (20). Une autre raison de ressentiment des officiels papous réside dans le fait qu’alors qu’ils doivent se battre avec les Indonésiens pour les hauts postes en Papouasie occidentale, ils ne sont que très rarement nommés à ces mêmes postes dans les autres provinces (21).

L’immigration en Papouasie occidentale a revêtu deux formes : les programmes de transmigration du gouvernement central et l’immigration volontaire, qui à leur tour ont crée deux modèles différents de peuplement. Les immigrants des programmes gouvernementaux ont été installés dans les zones rurales, tandis que les immigrants venus par leurs propres moyens ont été attirés par les possibilités économiques qu’offraient les zones urbaines de la province. Les plus grands groupes de colons sont Javanais, Bugis, Makassar, Amboinais, Menadonais et Bataks (22). Bien que les colons indonésiens forment une petite minorité dans les zones rurales de la province dans son ensemble, le rapide accroissement des immigrants dans les zones d’immigration autour de Jayapura, de Merauke, de Paniai, de Fak Fak et de Sorong a submergé la population papoue locale.

Les immigrants volontaires ont eu tendance à s’installer dans les zones urbaines de Papouasie. Les statistiques données plus haut confortent l’impression visuelle que Jayapura, en particu-lier, est une ville “indonésienne”. Les colons ont réussi sur le plan des affaires. Ils dominent la vie économique de la ville. Les rues du marché central de Jayapura sont le reflet de la hié-rarchie économique. Les boutiques sont la propriété d’Indoné-siens, de Chinois et de colons ; des colons commerçants disposent d’étals devant les boutiques ; et devant les étals sont assis des commerçants papous, montagnards vendant de petites quantités de fruits et de légumes. Un observateur papou a noté, que . la présence de colons a crée une structure économique coloniale, dans laquelle seul le secteur traditionnel est assuré par la population indigène” (23).

Les marchés urbains sont devenus un foyer de discorde entre les colons commerçants et les Papous. Ils symbolisent les dis-parités économiques entre les communautés. En avril 2000, il y eut des affrontements entre des Papous et des colons Bugis-Makassar à Entrop, un des principaux marchés de Jayapura. En novembre 2000, le marché d’Abepura fut le théâtre de deux affrontements violents. Le premier eut lieu quand trois Papous (montagnards) refusèrent de payer leur repas. Un combat s’engagea au cours duquel les commerçants Bugis-Makassar blessèrent cinq Papous avec des armes indigènes. Le rapport de police sur l’incident nota que les disputes entre colons et Papous étaient fréquentes aux abords du marché. “Les immigrés sont souvent des vendeurs qui travaillent dur pour gagner de l’argent alors que les locaux essayent toujours de leur extorquer de l’argent. Dans le cas d’Abepura, les immigrés ont répliqué” (25). Quelques jours plus tard, un nouvel affrontement mettait au prise un plus grand nombre de Papous et faisait seize blessés (26). En avril 2001, un jeune garçon Bugis fut tué et un Papou poignardé dans une rixe entre Papous et colons commerçants au marché d’Abepura (27).

Le 7 décembre 2000, environ 300 personnes ont attaqué le pos-te de police avec un armement traditionnel, tuant trois policiers et incendiant des boutiques. La police a été incapable d’iden-tifier ni de capturer aucun des assaillants. Supposant qu’il s’agissait de montagnards, la police a fait une descente dans les dortoirs d’étudiants (en majorité montagnards) attaquant les étudiants qui dormaient et en arrêtant 90. Quelques uns furent torturés durant leur détention et trois furent tués (28).

Le déroulement des affrontements entre montagnards d’une part et forces de sécurité et colons d’autre part est parfaitement clair dans les violences du 6 octobre 2000 dans la ville des hautes terres de Wamena (29). Ces violences et les morts qui s’en suivirent sont intervenues de par la détermination du gouvernement de ne plus laisser flotter le drapeau papou. Le 6 octobre, la police de Wamena amena le drapeau dans un grand nombre de postes de la milice indépendantiste (Satgas Papua) de la ville sans aucune résistance. Au moment où elle approchait le poste principal de la milice près du quartier général de la police, une foule d’indépendantistes s’était rassemblée pour défendre le drapeau. Ni les Satgas ni la foule n’ont prêté la moindre attention aux instructions de la police et, lors des affrontements qui suivirent, deux policiers furent blessés et la police tua un Papou. La mort d’Elieser Alua fut le détonateur des attaques papoues sur les colons indonésiens et sur les Papous des basses terres qui avaient émigré dans la région (30). A Wouma, un quartier de la ville de Wamena, les colons furent attaqués dans leurs maisons et ces dernières furent brûlées. De source papoue, les colons furent attaqués dans leurs maisons parce que la police et les soldats les utilisaient pour se mettre à couvert et à faire feu sur les Papous (31). La police estima à trente le nombre des morts (32). La violence à Wamena, les traumatismes de ceux qui l’ont endurée et l’exode des colons et des Papous originaires des côtes sont l’image de la brutalité et du sadisme de la tuerie et du nombre des tués (33). Il est, toutefois, important de noter qu’il y eut de nombreuses histoires de Papous défendant et protégeant des colons.

L’impact immédiat des violences à Wamena fut l’exode des colons et des Papous originaires des côtes. L’échelle de cet exode pour quitter Wamena est difficile à quantifier. Kompas a estimé qu’environ 1 000 colons (sur une population de 15 000 colons) étaient partis dans les deux semaines ayant suivi les violences (34). Quand ICG a visité Wamena au début de novembre 2000, l’exode continuait. Des colons et des Papous originaires des côtes, y compris de nombreux résidents de longue date, s’en allaient pour des raisons de sécurité. Beau-coup d’écoles hors de Wamena ont fermé et celles de la ville fonctionnaient avec un personnel réduit (35). L’équipe d’in-vestigation humanitaire de Wamena a affirmé que le système éducatif avait subi des dommages durables. De nombreux en-seignants avaient fui la région. Quelque 200 enseignants avaient demandé leur transfert et de nombreuses écoles étaient sans maître. En janvier 2001, les autorités responsables n’a-vaient pas encore de mesure pour remédier à la situation (36).

Les violences à Wamena et l’incertitude sur ce qui pourrait se passer en Papouasie occidentale le 1er décembre, jour anniversaire de “l’indépendance” papoue semblent avoir provoqué un important exode de la province de personnes et de biens, y compris de véhicules. La société de liaison maritime inter-îles Pelni a constaté une “explosion” des demandes après l’affaire de Wamena. Elle aurait été dans l’obligation de vendre des tickets sans couchette ou sans siège. En octobre et novembre 2000, environ 25 000 personnes ont quitté Jayapura sur des bateaux de la Pelni. L’embarquement de véhicules par leur propriétaire à partir de Jayapura et de Biak laisse penser que la principale raison était une préoccupation de sécurité du fait de la situation politique beaucoup plus qu’un nombre plus élevé qu’à l’ordinaire de gens voulant célébrer la fin du Ramadan ou Noël hors de Papouasie (37).

Il existe une crainte parmi quelques Papous que les violences à Wamena ne soient liées à une manœuvre des forces de sécurité pour dévier la dynamique du conflit politique d’une demande d’indépendance vers un affrontement ethnique (38). Cette crainte a trouvé quelque crédit peu de jours après les violences dans les propos du brigadier-général S.Y. Wenas, alors chef de la police en Papouasie. Wenas, en effet, encouragea les colons à s’armer en prévision d’attaques par les Papous. Lors de l’af-frontement au marché Abepura la seconde semaine de novem-bre, les commerçants venant de Célèbes étaient armés (39). L’assimilation des montagnards, en particulier ceux de Wame-na, à la ligne dure des indépendantistes et aux responsables de l’attaque du poste de police à Abepura le 7 décembre n’a fait qu’aggraver les tensions ethniques et la peur. Le chef de la po-lice d’Abepura, Alex Sampe, “déclara la guerre” aux monta-gnards (40). Le directeur de l’Institut d’assistance légale à Jayapura, Demianus Wakman, a noté qu’il était de la respon-sabilité des forces de sécurité d’arrêter ceux qui avaient attaqué le poste de police et non pas de faire la chasse et de capturer un groupe ethnique, comme cela a été le cas à Wamena (41). La tension entre les montagnards et les forces de sécurité s’est aussi ressentie dans l’exode de personnes de Wamena résidant dans les environs de Jayapura, qui ont cherché refuge de l’autre coté de la frontière avec la Papouasie – Nouvelle Guinée (42). Un rapport de l’Eglise catholique a noté que le nombre des réfugiés à Valimo (Papouasie – Nouvelle Guinée) seul avait plus que doublé depuis novembre 2000. Le rapport citait l’absence de paix et de sécurité en Papouasie occidentale depuis décembre 2000, ainsi que l’attitude et la conduite des forces de sécurité envers les Papous, en particulier, envers les montagnards, comme les raisons majeures de cet exode (43).

L’exode de réfugiés à la suite des conflits au Timor-Oriental, aux Moluques et plus récemment dans la province de Kalimantan-Centre donne une idée de ce qui pourrait se passer en Papouasie occidentale. Les changements démographiques en Papouasie ont été énormes et les tensions culturelles et les rivalités économiques qui en ont résulté font du conflit ethnique et de l’exode de réfugiés des sujets de grande préoccupation. Le flux modeste de réfugiés en 2000 et au début de 2001 donne la mesure de la tension politique. Les colons indonésiens ont quitté la Papouasie occidentale dans les derniers mois de 2000 à cause des tensions croissantes entre le mouvement indépendantiste et les autorités indonésiennes, à l’approche de la commémoration de “l’indépendance”. Les Papous et, en particulier les montagnards, ont cherché refuge de l’autre coté de la frontière, en Papouasie – Nouvelle Guinée, en réponse aux poursuites dont ils étaient l’objet de la part des forces de sécurité.

IV. L’élite papoue

L’élite papoue a été l’élément clé du développement d’une identité papoue. Ils ont été les premiers “Papous” rassemblés de nombreuses régions de la province et éduqués dans les écoles et les collèges créés après la guerre du Pacifique. L’approche sélective et élitiste des Hollandais a été abandonnée sous l’administration indonésienne au profit d’un système d’éducation beaucoup plus ouvert à la base à un plus grand nombre. Les diplômés des systèmes d’éducation hollandais et indonésien ont assuré la direction des organisations politiques, religieuses et communautaires.

Les dirigeants de la société papoue ont grandi, été élevés et fait carrière souvent dans des circonstances qui ont imposé des décisions difficiles quant à l’accès à l’éducation et au travail, au bien être personnel et à celui de la famille, à l’identité culturelle et aux valeurs politiques. Ceux qui détenaient des postes de responsabilité ont été souvent confrontés à des choix entre, d’un coté, les intérêts et les valeurs du peuple qu’ils représentaient et, de l’autre, leur communauté institutionnelle, leur avancement personnel et leur survie dans l’Etat indonésien.

La pression d’une vie que beaucoup regardent comme entachée de colonialisme a conduit à des arrangements qui, depuis la chute de Suharto, ont été parfois la source d’embarras. La plupart des dirigeants papous contemporains ont des “passés” marqués par l’Ordre Nouveau. Des membres éminents du Présidium comme Theys Eluay et Yorris Raweyai en sont les exemples les plus controversés.

L’élite papoue est une élite bureaucratique. Dans une économie dominée par les Chinois et les Indonésiens, il y a peu de figures industrielles papoues de poids. En dehors de la légitimité traditionnelle (adat), le statut d’une personne est fondé sur sa réussite universitaire et son emploi. L’élite papoue occupe de hauts ou de moyens postes dans le gouvernement de la province ou d’un district, dans les Eglises, les établissements d’enseignement supérieur et les ONG.

La vieille génération encore en activité dans de hauts postes de la bureaucratie et des Eglises a été éduquée dans le système hollandais. L’éducation hollandaise et les valeurs hollandaises restent beaucoup plus apparentes que n’importe où ailleurs en Indonésie. Les derniers Papous à avoir été éduqués à la hollan-daise ont de 13 à 20 ans de moins que leurs équivalents indo-nésiens. Le maintien des valeurs hollandaises est plus solide, non pas parce que l’éducation hollandaise était de plus haut ni-veau ou plus largement accessible, mais parce qu’elle reste hautement prisée, au moins en comparaison des valeurs politi-ques culturelles et éducatives de l’Indonésie de l’Ordre Nou-veau. Il y a une attitude beaucoup moins ambivalente envers le passé colonial hollandais que nulle part ailleurs en Indonésie.

L’accommodement de l’élite papoue à l’Etat indonésien est un facteur clé pour la compréhension du changement politique contemporain. Le mode d’accommodement dominant est venu de l’acceptation pragmatique de l’autorité indonésienne sur la Papouasie occidentale et des possibilités qu’elle apportait au développement économique, politique et social du territoire, aussi bien qu’à l’avancement personnel. En ce qui concerne les dirigeants des Eglises papoues, Benny Giay a avancé que les dignitaires ecclésiastiques ont été des agents, des médiateurs et des conciliateurs du gouvernement (44). Ils ont été mus, en cela, par le sens de leur responsabilité vis-à-vis de leurs ouailles, qu’ils protégeaient de ce qu’ils ressentaient comme la force écrasante que les autorités indonésiennes étaient capables de mobiliser. Le programme politique des membres les plus conservateurs de l’élite papoue reste construit sur leur appréciation de la réalité politique : comment moins de deux millions de Papous espèrent-ils conquérir leur liberté contre 220 millions d’Indonésiens ? (45)

Les dirigeants d’Eglise ont leurs correspondants dans les membres de l’élite occupant des postes élevés dans l’administration indonésienne. Aux périodes critiques de la Loi du Libre Choix et de l’anniversaire de l’“indépendance” papoue en 2000, alors que les autorités indonésiennes étaient bien décidées quant à ce qu’ils allaient faire, ces hauts fonctionnaires papous ont ressenti la nécessité d’user de leur influence pour contenir la résistance papoue, sauver des vies et limiter la violence. Ils ont considéré qu’ils agissaient dans le sens du maintien de la société papoue. Le gouverneur Jacobus Solossa était dans ce cas le jour de l’“indépendance” 2000. Dans une interview à Radio Nederland, il a laissé entendre la situation difficile qui se présentait à lui. En réponse à la question de savoir pourquoi, dans le contexte d’une liberté largement concédée (merdeka), telle qu’il la soutenait, le drapeau papou ne pouvait pas flotter, il déclara : “N’incitez pas notre peuple à demander l’indépendance. Il faut expliquer que l’Indonésie n’accepterait pas cette demande aussi facilement. Il y aurait de nombreux problèmes complexes et notre peuple en ferait les frais. Nous devons expliquer les choses clairement et les regarder avec clairvoyance, de telle façon à éviter une conduite passionnelle. [Sinon] notre peuple deviendra la victime. Qui sera responsable du peuple ?” (46)

Le gouverneur reconnaissait implicitement l’étendue du soutien de l’indépendance dans la société papoue. Il était l’un des 100 dirigeants papous à demander l’indépendance lors d’une réunion avec le président Habibie en février 1999. Cependant, en politicien membre du de longue date, il est parfaitement conscient des réalités politiques de la lutte pour le pouvoir dans le gouvernement de Djakarta, la détermination de presque toutes les factions de l’élite politique de Djakarta à maintenir la Papouasie occidentale dans l’Indonésie et les conséquences qui en résultent pour la province. L’accommodement avec l’Etat indonésien de l’élite papoue a deux facettes. Les Papous qui ont atteint des niveaux moyens et élevés dans l’administration ont publiquement accepté les demandes de loyauté imposées par l’Etat, alors que leur engagement envers l’Etat, ses valeurs et ses idéaux peut ne pas être ce qu’il semble.

La dualité de la loyauté des hauts représentants papous est bien rendue par l’étonnante figure qu’est Filip Karma, un militant de la cause indépendantiste et un haut fonctionnaire du gouvernement, qui a souvent été vu à Jayapura, dans les jours précédant l’anniversaire de l’indépendance, dans sa tenue de fonctionnaire indonésien, arborant fièrement le drapeau papou à son revers. Les rapports des propres services secrets du gouvernement ont reconnu l’ambiguïté de la loyauté de cette élite. Une fuite d’un document de ces services a montré que quelques uns des plus anciens officiels papous, y compris l’actuel et le précédent gouverneur, Bas Suebu, actuellement ambassadeur à Mexico, étaient sur une liste intitulée “conspiration politique papoue”. Il y était admis que le gouvernement provincial était “contaminé” par l’idée d’indépendance et il y était recommandé que de fortes sanctions soient prises à l’encontre des partisans bien connus de l’indépendance parmi les officiels locaux (47). Il a été annoncé en septembre 2000 que des sanctions seraient prises contre les officiels gouvernementaux papous qui soutiendraient ouvertement la cause de l’indépendance (48).

V. Reformasi et la renaissance papoue

Jusqu’à la chute de Suharto, les seules alternatives à la coopé-ration qui s’ouvraient à l’élite étaient de rejoindre la résistance armée de l’Organisation de la Papouasie Libre (OPM), d’autres formes d’opposition ouverte ou l’exil. La réponse au mouvement de réformes Reformasi en Papouasie a été complexe. D’un coté, apparaissaient des ouvertures politiques supprimées avec succès dans le passé par les présidents Sukarno et Suharto. Reformasi représentait la renaissance des valeurs d’une politique plus ouverte, responsable, égalitaire et moins corrompue, qui faisait appel à tous les militants de l’archipel. D’un autre coté, les Papous répugnaient à se joindre à leurs compatriotes indonésiens dans une lutte pour une Indonésie plus démocratique. Ils préféraient saisir l’occasion de raviver la lutte pour l’indépendance papoue. Human Rights Watch a expliqué que l’attente du changement était encore plus grande en Papouasie qu’ailleurs en Indonésie, à cause du ressentiment accumulé de trois décennies de gouvernement sévère, souvent discriminatoire” (49)

En août 1998, dans les semaines de la répression des manifes-tations indépendantistes à Jayapura, Sorong, Wamena et Biak (50), des intellectuels, des dirigeants ecclésiastiques et des militants avaient crée le Forum pour la réconciliation de la société de Papouasie occidentale (FORERI). FORERI recher-chait l’occasion pour les Papous de diriger leurs propres affai-res par l’autonomie, un système fédéral ou par l’indépen-dance (51). Les militants à Jayapura étaient conscients qu’ils devaient se dissocier de l’OPM, après l’affaire du kidnapping de l’expédition Lorentz en 1996, si la Papouasie voulait bénéficier du soutien international. Une lettre envoyée au président Habibie par 15 membres du Congrès américain les y encourageait. Ces derniers pressaient Habibie d’ouvrir le dialogue avec les peuples du Timor-Oriental et de la Papouasie occidentale sur les droits de l’homme et sur une solution équitable à leur statut politique (53).

FORERI apparut comme le principal véhicule des idéaux papous grâce au soutien des trois Eglises les plus importantes, de dirigeants intellectuels et d’ONG, ainsi qu’à de nombreux dirigeants traditionnels. FORERI est devenu l’interlocuteur du gouvernement central dans une série de réunions – les réunions informelles de Djakarta – qui ont abouti à la réunion de l’équipe de 100 dirigeants papous avec le président Habibie en février 1999. Les 100 membres de la délégation étaient largement représentatifs de l’élite papoue, tant sur le plan géographique, qu’en termes de classe sociale et d’appartenance religieuse. L’exposé que lut Thom Beanal, le leader de l’équipe des 100, au président Habibie et à son cabinet présentait la volonté de la Papouasie occidentale de se séparer de l’Indonésie, l’établissement d’un gouvernement provisoire sous la tutelle des Nations Unies et, si nécessaire, l’appel aux Nations Unies pour prendre part au dialogue entre le gouvernement d’Indonésie et le peuple papou.

L’absence de toute réponse formelle d’Habibie à la réunion ou par la suite a fait que, d’un point de vue papou, le “dialogue national” souhaité avec le gouvernement central n’a jamais eu lieu. Néanmoins, la réunion avec Habibie a représenté une éta-pe importante dans la transformation de la résistance papoue et dans l’émergence d’un nouveau leadership. La réunion a donné une légitimité à l’équipe des 100 et une crédibilité aux stratégies non violentes pour arriver à l’indépendance.

Depuis novembre 1999, les principaux leaders papous de “l’équipe des 100” ont organisé une série de réunions de masse, dont les principaux objectifs ont été de mobiliser leur soutien, asseoir la crédibilité de leur leadership et articuler leurs demandes au gouvernement indonésien et à la communauté internationale.

Le premier rassemblement politique de ce genre s’est tenu juste en dehors de Jayapura le 12 novembre 1999 – pour marquer le 62ème anniversaire de Theys Eluay. Theys Hiyo Eluay, leader traditionnel (adat) de Sentani et membre du Golkar de longue date, est devenu le premier leader du mouvement indépendantiste (55). Theys Eluay a conduit la célébration du 38éme anniversaire de ce que beaucoup de dirigeants papous contemporains considèrent comme leur jour d’indépendance. L’anniversaire du 1er décembre 1999 fut marqué à Jayapura par un lever des couleurs et de du Matin et du drapeau indonésien au même endroit qu’en 1961, c’est-à-dire devant le bâtiment qui a abrité le Conseil de Papouasie occidentale instauré par les Hollandais, situé, ironiquement, en face de la place Merdeka, où les Indonésiens ont élevé un monument à la mémoire des marins perdus dans la bataille navale de janvier 1962 contre les Hollandais. En fort contraste avec l’anniversaire de 2000, le lever des couleurs se déroula avec peu sinon aucune présence militaire indonésienne (56). Theys Eluay a défini l’absence d’intervention militaire comme un “miracle” (57). L’absence d’intervention militaire dans ces rassemblements politiques a marqué le début d’une période de près d’un an d’ouverture politique octroyée sous la présidence de Wahid.

VI. Le Conseil du Présidium papou

L’envoi des couleurs le 1er décembre 1999 a été un instant symbolique ; cependant en terme d’établissement et de conso-lidation d’une nouvelle structure de direction et de mobilisa-tion du soutien de la province entière, les réunions les plus im-portantes ont été le Musyawarah Besar Papua 2000 (Mubes, la consultation de masse papoue), les 23-26 février, et le Kongres Papua II (Deuxième Congrès papou), en mai-juin 2000.

Des délégations des quatorze districts (kabupatan) de la province ont assisté aux deux réunions, en même temps que des représentants des communautés papoues d’outre-mer. Le Mubes a instauré le Conseil du Présidium Papou, qui est devenu la principale organisation des groupes indépendantistes. En termes de personne, il y a une très forte continuité entre le Foreri, l’équipe des 100 et le Présidium. Le Conseil se compose de 22 membres avec deux présidents et deux modérateurs. En tant qu’exécutif, est responsable devant un “Panel” une assemblée élue de 200 représentants des royaumes et des communautés papoues d’outre-mer. Le Présidium se définit lui-même comme étant une forme de direction collective. Theys Eluay et Thom Beanal, les deux présidents, ont été reconnus comme “senior leaders” (58).

Le Présidium offre une structure de commandement aux diver-ses forces indépendantistes, en même temps qu’une certaine légitimité au dialogue courant avec les autorités indonésiennes. Associé au Présidium, plus particulièrement à Theys Eluay, se trouve le Satgas Papua (la milice papoue). Le Satgas Papua a été dirigé par un de ses fils, Boy Eluay, et a été fondée, pense-t-on, par un des proches de Theys Eluay au Présidium, Yorris Raweyai (59). Les forces de sécurité ont permis au Satgas Papua de maintenir l’ordre aux deux réunions.

La direction qui est sortie du Mubes était collective et globale. Beaucoup souhaitaient que cette direction collective soit confirmée au Congrès. Au lieu de cela, Theys Eluay prit l’initiative de se faire reconnaître comme le leader suprême. Alors qu’on ne s’y attendait pas, il proposa au Congrès de devenir le leader et Thom Beanal son adjoint (60). Cette auto-nomination reflétait la conviction de Theys Eluay d’être celui qui unirait la Papouasie et la conduirait à l’indépendance. Comment pouvait-il se faire qu’un homme, qui avait été l’un des 1 025 Papous à voter le rattachement à l’Indonésie par la Loi du Libre Choix de 1969, qui avait été suspecté d’être mêlé à des affaires de non-respect des droits de l’homme et qui avait siégé au parlement de la province comme membre du Golkar pendant trois législatures, puisse être reconnu comme le leader du mouvement indépendantiste ? Theys Eluay était un chef coutumier de Sentani avec une éducation sommaire et une expérience limitée du monde extérieur à la Papouasie (61). Il avait, en fait, une très forte personnalité, un physique imposant et une grande facilité à dialoguer avec une large fraction de la société papoue. Cette dernière capacité, associée à son statut de chef coutumier, emporta la conviction de ses collègues au Pré-sidium de l’accepter comme leader, en dépit des réserves sur son style autocratique, sa répugnance à consulter et sa tendan-ce à faire des promesses peu réalistes à ses partisans. De par leurs liens avec le passé de Suharto, le rôle de Theys Elluay et de Yorris Raweyai au Présidium continue de poser problème aux milieux intellectuels et jette une ombre sur le mouvement indépendantiste en Indonésie et outre-mer dans des milieux, dont on aurait pu attendre qu’ils leur aient été favorables.

En dépit des réserves sur Theys Elluay et Yorris Raweyai, la direction du Présidium qui est sortie du Congrès reflétait largement la société papoue. Les hautes terres étaient moins bien représentées que les régions côtières, mais les intellectuels, les Eglises, les Papous musulmans, les femmes et les militants de l’époque hollandaise avaient leurs représen-tants. Theys Eluay et Thom Beanal avaient la stature de leaders traditionnels. Jusqu’à quel point c’était une cause de légitimité en dehors de leur propre région reste plus difficile à affirmer.

Si Theys Eluay illustre un des aspects de la transformation de la politique papoue dans l’après Suharto, Thom Beanal en éclaire un autre. C’est un leader traditionnel d’Amungme, qui est la région où opère la société minière géante Freeport. Freeport est l’un des plus grands producteurs du monde d’or et de cuivre. Elle domine l’économie de la Papouasie occidentale et est un acteur significatif du monde industriel indonésien. Beanal s’est fait connaître comme défenseur de son peuple en face de Freeport. En 1997, il assigna la société en justice aux Etats-Unis sur des questions d’environnement et de droits de l’homme. Au début de 2000, toutefois, il semble être revenu sur sa position, après avoir été nommé mandataire, bien payé, de Freeport. Plus tard dans l’année, il signa un accord avec la société, au nom des peuples d’Amungme et de Kamoro, sur les ressources socio-économiques, les droits de l’homme, les droits de la terre et l’environnement (62). Le changement de Freeport de symbole de l’exploitation des ressources de la province et de la dégradation de son environnement en bienfaitrice et partenaire potentiels n’a pas été sans controverse. John Rumbiak, le leader des droits de l’homme, a critiqué Freeport lors de son Assemblée générale annuelle en 2001. Il a contesté le développement économique de la société et ses programmes de droits de l’homme pour les communautés locales. Il a qualifié le soutien financier occasionnel de la société au mouvement indépendantiste de “politique classique de Freeport ». “Ce n’est un secret pour personne que Freeport joue un double jeu en aidant le mouvement indépendantiste de Papouasie occidentale, alors que son véritable objectif est de pacifier les Papous.” (63).

La participation de délégations régionales à la consultation de masse Papoue et au Congrès papou a crée également l’occa-sion pour les délégués de répandre ces idées à leur retour dans leurs communautés. Les délégations se sont érigées en panel locaux, reconnaissant l’autorité du Présidium à Jayapura et responsables de la “socialisation” de l’idéal d’indépendance, tout en créant des Satgas Pua et des Posko (poste de commandement) locaux. Avec l’établissement du Présidium et des panels locaux, le mouvement indépendantiste avait les prémices d’une organisation à l’échelle de la province, dotée d’une direction centrale – chose que, ni la première génération de politiciens papous sous l’administration hollandaise, ni l’OPM n’avait jamais pu réussir.

Aux environs de Wamena, dans la vallée de Baliem, le processus de “socialisation” semble avoir été particulièrement intensif et d’une grande portée. Les délégués de Wamena avaient eu un franc succès au Congrès avec leur tenue traditionnelle et pour être venus à Jayapura à pied de 300 kilomètres pour l’occasion. Les membres importants aussi bien que les dirigeants locaux ont entrepris de propager les résultats du Congrès. La socialisation impliquait des rassemblements de masse, des discours enflammés et des appels souvent émouvants. En dehors de la ville de Wamena, les leaders locaux, dans leur enthousiasme à répandre l’idéal de l’indépendance, ont été au-delà de la politique fixée par le Présidium et fait des promesses peu réalistes. Selon un rapport, “ce qui a le plus touchés les cœurs du peuple de la vallée de Baliem et des Papous en général a été que la demande pour l’indépendance n’était pas négociable” (64). La mobilisation des Satgas Papua et la création de Posko ont été très importantes aussi bien à Wamena que dans les districts environnants. En ce qui concerne la Papouasie occidentale plus généralement, un rapport des services de renseignements de la Direction du ministère de l’Intérieur soulignait que l’atmosphère après le Congrès était, jusque dans les villages, une atmosphère d’euphorie et d’enthousiasme à l’idée de Merdeka (indépendance). Les “groupes de conspirateurs” soutenant Merdeka étaient de plus en plus soudés et tentaient de “socialiser” les résultats du Congrès dans toute la Papouasie occidentale, en Indonésie et dans le monde (65).

Il est important de noter que Wamena et les districts environnants dans la vallée de Baliem ont souffert les plus extrêmes brutalités et la plus forte répression de la part des forces de sécurité, en particulier en 1977. Le rapport de l’Equipe d’Investigation humanitaire explique que beaucoup de personnes de la vieille génération sont encore traumatisées par ces événements (66). L’idéal d’indépendance a été reçu avec autant de disponibilité et d’enthousiasme en grande partie pour avoir supporté la répression. La façon de comprendre ce que signifiait l’indépendance pouvait être naïve et les gens que trop disposés à croire à des promesses irréalistes, mais leur soutien de l’indépendance ne peut être écarté. Au contraire, il est fort, parce que fondé sur leur propre expérience.

Le soutien important, direct et sans compromis pour l’indépendance au niveau des villages et au niveau des villes de province a donné un dynamisme particulier aux groupes indépendantistes. La nouvelle direction politique – le Foreri, le Groupe des 100 et le Présidium – fait partie d’une élite qui a saisi l’occasion créée par Reformasi pour se faire l’avocat de l’indépendance par des moyens non violents. En agissant ainsi, ils ont rapidement recueilli un large soutien de la part de couches de la société papoue qui ne partageaient pas leur expérience des accommodements avec l’Etat indonésien. L’expérience de la base dans son soutien de masse est en Indonésie celle du côté coupant de la répression. Ceci ne veut pas dire que l’élite a échappé à la main lourde de l’Etat, mais qu’elle disposait d’une série d’alternatives qui n’étaient pas à la disposition de tous les Papous. Les partisans de ce mouvement ont pu avoir une notion naïve et irréaliste de l’indépendance, mais ils ont eu une idée directe de ce dont ils ne veulent pas. D’un autre coté, les leaders indépendantistes ont tendance à être modérés, pragmatiques et ouverts à la négociation et au compromis. Leurs partisans sont le “coeur dur” du mouvement. Il y eut des tensions entre les leaders qui ressentaient le besoin d’articuler leur idéal en termes simples pour communiquer avec leurs partisans, d’un coté, et la nécessité de se garder de l’espace pour manœuvrer dans leurs négociations avec le gouvernement. Dans une telle situation, il y a le risque que des promesses non tenues conduisent au désenchantement et au sentiment d’avoir été trahis.

L’émergence d’une nouvelle direction et la création du Prési-dium n’ont pas signifié la disparition de l’OPM. L’organisation a continué à fonctionner pendant toute la période d’ouverture politique. En fait, depuis décembre 2000, il y a eu un retour des kidnappings et des attaques de l’OPM ou dans le style de l’OPM contre les forces de sécurité. Les relations entre le Pré-sidium et les factions de l’OPM ont été difficiles. Ils partagent le même idéal d’indépendance, mais les nouveaux dirigeants ont cherché à se séparer de l’OPM et de ses méthodes. Le Présidium se considère comme le leader de la lutte pour l’indépendance de tous les Papous, y compris l’OPM.

La partie de l’élite qui a dirigé les groupes indépendantistes a rapidement acquis autorité et légitimité comme “représentants” de la société papoue, parce que son message était immédiatement accepté. Ce sont ces représentants, plutôt que leurs collègues plus prudents, qui ont occupé les postes de la direction politique dans le gouvernement de la province et au Parlement et qui sont les leaders de facto de la société. En juin 1999, la Papouasie occidentale a élu un parlement provincial, démocratiquement, pour la première fois depuis le rattachement à l’Indonésie (67). Cependant, c’est un groupe de leaders qui se sont autoproclamés, le Présidium, qui de fin 1998 à décembre 2000, ont négocié avec les autorités provinciale et centrale. Ce sont ceux qui étaient engagés dans Foreri, le Groupe des 100 et le Présidium, qui ont décidé de l’agenda politique de la Papouasie.

Le fait ethnique influe aussi sur la légitimité. Le Présidium est une organisation ethniquement papoue, alors que la majorité des membres du parlement provincial et les hauts fonctionnaires du gouvernement provincial sont des Indonésiens ne venant pas de Papouasie. Leur association avec le Golkar et Suharto désavantage de nombreux Papous au parlement et dans le gouvernement.

Il y a deux courants d’opinions qui séparent les membres de l’élite qui sont devenus des leaders indépendantistes de ceux qui sont restés prudents, sans que leurs idéaux n’aient changé. D’abord, il y a les pragmatiques, qui tout en reconnaissant les changements qui ont suivi la chute de Suharto, ont été néanmoins sceptiques sur les limites de tolérance des autorités indonésiennes. Ils ont reconnu l’importance économique et symbolique de la Papouasie occidentale pour l’Indonésie et n’ont pas cru qu’un seul gouvernement de cette génération, même démocratique, pourrait autoriser la séparation du territoire et ne pas se servir des moyens militaires à sa disposition pour éviter une sécession. Pousser les limites de la tolérance indonésienne comportait des risques, à la fois pour les leaders indépendantistes et pour leurs partisans. Les pertes en vies humaines qui ont été la conséquence de la détermination des forces de sécurité à amener les couleurs fin 2000 et le mode de répression militaire de la première moitié de 2001 ont confirmé ces vues. Les pragmatiques, en particulier ceux qui occupent des postes d’autorité formels, ont critiqué la direction du Présidium pour avoir risqué la vie de leurs partisans aussi bien que le retour à une répression plus ouverte de la société papoue dans son ensemble (68). Cette critique était teintée de ressentiment à l’égard de la légitimité et de l’autorité que les leaders du Présidium avaient acquis par leurs plaidoiries en faveur de l’indépendance.

Deuxièmement, beaucoup dans les ONG, les Eglises et l’université Cendrawasih ont été préoccupés du fait que la Papouasie n’était pas prête pour l’indépendance. Ils ont mis en avant la domination des colons sur l’économie et les hauts postes de l’administration, ainsi que le besoin d’améliorer le niveau d’éducation des Papous. Ils ont mis en doute la capacité du gouvernement provincial à diriger un Etat-nation. La Papouasie avait besoin de temps pour développer ses ressources humaines, ses capacités institutionnelles et à faire face aux nombreuses zones d’infériorité socio-économiques. Comme beaucoup de Papous, ils savaient que la Papouasie est une des provinces les plus riches d’Indonésie avec un des niveaux de vie le plus bas, de même que ceux de l’éducation et de la santé, particulièrement pour la population indigène.

Une des conséquences de cette analyse de l’opinion politique de l’élite est que ce qui divise ses membres est une évaluation pragmatique en même temps qu’une divergence de vues sur les besoins et les capacités de développement de la Papouasie, bien plutôt qu’un désaccord sur l’idéal d’indépendance. En d’autres termes, les différences se situent dans l’étalement dans le temps, les moyens et les probabilités, plutôt que l’objectif. Il y a peu de Papous pour soutenir publiquement que demeurer une partie de l’Indonésie constitue un avenir souhaitable pour leur territoire. Le jugement des services de renseignements du ministère des Affaires intérieures décrivant le gouverneur et l’ambassadeur à Mexico, avec Theys Eluay et Thom Beanal, comme des membres d’une “conspiration politique papoue” est correct.

Comme il a été indiqué plus haut, le gouverneur critique ceux qui veulent l’indépendance parce que l’Indonésie ne tolèrera pas la séparation et que des victimes innocentes souffriront si les indépendantistes persistent plutôt que de penser que l’indépendance est un objectif non désirable. La promotion de l’Autonomie spéciale par le gouverneur reflète bien ces préoccupations pragmatiques. L’Indonésie s’opposera à l’indépendance et la Papouasie a besoin de temps pour préparer l’indépendance.

Le Présidium est sorti grandi du Congrès, avec une stature largement mise en valeur. Le président Wahid avait misé sur l’événement. Les leaders du parlement et du gouvernement de la province étaient présents. L’événement reçut une très large couverture des médias indonésiens et internationaux. Le Présidium considéra qu’il avait reçu mandat du Congrès pour pousser la lutte pour l’indépendance. Entre autre, le Présidium devait rechercher la reconnaissance de la communauté internationale de la souveraineté de la Papouasie occidentale et commencer des négociations avec l’Indonésie et les Pays-Bas, sous les auspices des Nations Unies, pour un referendum sur la reconnaissance de la souveraineté papoue. Le 1er décembre, jour anniversaire de l’indépendance, il devrait rendre compte de l’avancement de ce mandat (69).

VII. Le lobbying international

Alors que le Présidium rendait compte de ses efforts pour impliquer la communauté internationale dans la lutte contre Djakarta, il ne pouvait mettre en avant que le soutien formel de deux micros Etats du Pacifique Sud. Le président de Nauru et le Premier ministre de Vanuatu ont pris la parole pour soutenir la Papouasie occidentale au Sommet du Millenium des Nations Unies, auquel Theys Eluay et d’autres membres du Présidium ont pu assister. Plus significatif fut l’image que la Papouasie acquis au Forum des Iles du Pacifique, à Kiribati, en octobre 2000. Les représentants du Présidium assistèrent comme membres de la délégation de Nauru. En dépit de la répugnance de l’Australie, de la Nouvelle Zélande et la Papouasie – Nouvelle Guinée, le communiqué exprimait « ses sérieuses préoccupations au sujet des violences récentes et des victimes dans la province indonésienne de Papouasie occidentale” Le Forum “en appelait au gouvernement indonésien, l’autorité souveraine, et aux groupes sécessionnistes pour régler leur différend pacifiquement par le dialogue et la consultation. Ils pressaient également les deux parties en présence de protéger et de maintenir les droits de l’homme pour tous les habitants de la Papouasie occidentale” (70). Le Présidium ne rencontra pas le même succès à la réunion 2001 du Forum. La puissance invitante, Nauru, exclut les délégués du Présidium. Depuis un changement de gouvernement, Nauru était devenu beaucoup moins favorable à la cause papoue (71). Le Forum 2001 fut le premier où l’Indonésie participait comme interlocuteur. Néanmoins le communiqué réaffirma la préoccupation des dirigeants du Forum devant la poursuite de la violence et des pertes en vies humaines. Les dirigeants du Forum pressaient l’Indonésie de rechercher une solution pacifique par le dialogue avec toutes les parties. Ils saluaient les propositions d’Autonomie spéciale (72). Les relations diplomatiques du Présidium lui permirent de prendre des contacts avec d’autres puissances et tout particulièrement avec la Chine.

Des gouvernements étrangers ont fait part de leurs préoccupations face aux violences croissantes des forces de sécurité indonésiennes. Alors que la tension montait à la fin de 2000, le ministre des Affaires étrangères de Nouvelle Zélande, Franzalbert Joku, offrit sa médiation. La Nouvelle Zélande souhaitait “encourager le dialogue pacifique, dans l’optique d’explorer les paramètres d’autonomie susceptibles de donner à la Papouasie occidentale un haut niveau de contrôle sur la vie de sa population” (74). A la suite de la reprise des activités militaires autour de Wasior (Manokwari) en juin et juillet 2001, le ministre des Affaires étrangères australien, Alexander Downer, fit savoir que l’Australie et la communauté internationale considérerait comme un outrage le retour en Papouasie occidentale aux genres de violations des droits de l’homme qui avaient eu lieu dans le passé au Timor-Oriental. Un porte-parole du Département d’Etat indiqua que le soutien des Etats-Unis à l’intégrité territoriale de l’Indonésie ne signifiait pas le soutien aux sévères opérations militaires du type de celles d’Aceh ou de Papouasie occidentale. Du point de vue du Présidium, sa réussite fut que son combat s’était inscrit dans les préoccupations diplomatiques internationales et que la violence et les violations des droits de l’homme étaient devenues des moyens de pression sur l’Indonésie.

VIII. La politique du gouvernement indonésien

L’importance historique et idéologique de la Papouasie occidentale dans le mouvement nationaliste indonésien a été exposée. Comme Aceh, elle a aussi une composante économique, en tant que province riche de ressources, qui génère un substantiel chiffre d’exportations. En termes de revenu brut par têtes d’habitants, la Papouasie occidentale est