Eglises d'Asie

A Aceh, où la charia est officiellement en vigueur pour les musulmans depuis le 15 mars 2002, la petite communauté chrétienne se montre unie et résolue à affirmer son identité

Publié le 18/03/2010




Peuplée de quatre millions de personnes, musulmanes à 98 %, la province d’Aceh, où l’armée livre une lutte sans merci au mouvement indépendantiste du GAM (Mouvement pour Aceh libre), vit officiellement depuis le 15 mars dernier sous le régime de la charia, la loi musulmane. En vigueur en réalité depuis plusieurs mois (1), la charia n’est en principe applicable qu’aux musulmans de la province et ne concerne pas les non-musulmans. Parmi ces derniers se trouve une petite communauté chrétienne, forte de quelques centaines de membres (2). Joint par téléphone par l’agence Ucanews, le P. Fernando Severi, missionnaire franciscain d’origine italienne et curé de l’unique paroisse catholique de la province, la paroisse du Sacré-Cœur à Banda Aceh, estime que l’application de la charia représente un “défi” pour les chrétiens d’Aceh. Selon lui, les chrétiens sont appelés à saisir cette “opportunité” pour “montrer leur identité chrétienne non seulement par des symboles mais aussi en témoignant de leur foi dans la société”.

Selon le P. Severi, un des premiers fruits nés de la proclamation officielle de la charia dans la province est le resserrement des liens entre protestants et catholiques, des services communs de prière étant désormais organisés. Les catholiques se montrent plus ardents à la prière et prient aussi pour leurs frères musulmans, particulièrement ceux qui sont directement affectés par le conflit meurtrier entre l’armée et le GAM. Dans la rue, observe encore le prêtre franciscain, les femmes catholiques portent bien en évidence le crucifix afin de se distinguer des musulmanes pour qui le port du voile, le jilbab, est obligatoire. Pour les femmes, “afficher le symbole chrétien est une nécessité si elles veulent éviter de se faire agresser dans la rue par des musulmans”, explique-t-il, tout en ajoutant que les catholiques ont été mises en garde contre le fait de s’habiller trop près du corps ou en minijupes.

Jusqu’à ce jour, l’application de la charia n’a pas eu de conséquence réelle sur la vie religieuse des non-musulmans. Les catholiques “peuvent toujours assister aux offices et aux autres activités proposées par la paroisse”, déclare le P. Severi. Tout au long de la Semaine Sainte, l’église du Sacré-Cœur était bondée. Mais, pour le P. Severi, en poste à Aceh depuis dix ans, l’imposition de la charia ne fait que détourner l’attention des vrais problèmes auxquels doivent faire face les Acehnais, tels que les violations des droits de l’homme, la pauvreté, la corruption et le népotisme, autant de difficultés dont “souffrent les gens”.

Cependant, au bureau local du ministère des Affaires religieuses, certains responsables sont moins optimistes que le P. Severi. Pour l’heure, l’application de la charia est limitée aux musulmans, mais, à terme, la loi musulmane s’appliquera à tous, déclare, sous le sceau de l’anonymat, un de ces responsables. Selon lui, certaines dessertes de la paroisse catholique ont déjà été fermées. Les pressions ne se limitent d’ailleurs pas aux seuls chrétiens ; les musulmans sont concernés. Ainsi, poursuit ce responsable, de nombreux jeunes Acehnais refusent l’application de la charia. “Il n’est pas rare de voir des étudiantes à l’université ne pas porter le voile. Pour le moment, aucune mesure n’a été prise à leur encontre”. Mais le secrétaire de la province, Thantawi Ishaq, a déclaré dans les médias au mois de mars que, dans un premier temps, les musulmanes, en ville, seraient seulement “priées” de s’habiller conformément aux préceptes de l’islam. Les sanctions éventuelles viendront dans un second temps, après concertation entre la police, le bureau de la charia et le conseil local des oulémas. D’ici à cinq ans, une police religieuse, forte de 2 500 personnes, sera recrutée dans les madrasas (écoles coraniques) et au sein de l’Institut public des Etudes islamiques et sera spécialement responsable de l’application de la loi musulmane.