Eglises d'Asie

Dans le Karnataka, la querelle linguistique se perpétue encore

Publié le 18/03/2010




A Bangalore, la querelle linguistique continue à couver sous la cendre. Les partisans du kannara (1) comme unique langue liturgique du diocèse n’ont pas abandonné leurs revendications et de temps en temps éclatent des incidents qui témoignent que les passions sont loin d’être éteintes. C’est ainsi qu’au cours du dernier carême, durant un office dominical en langue tamoule dans l’Eglise Saint Antoine qui, depuis quelques années, a souvent été le théâtre d’incidents de ce genre, un partisan de la langue kannara s’en est pris à deux fidèles et les a frappés sous prétexte qu’ils ne récitaient pas leurs prières en langue kannara. L’incident a fait aussitôt la une’ des quotidiens de Bangalore et a attiré l’attention sur le curé de la paroisse, le P. Arockiadoss. Celui-ci a exposé les problèmes suscités dans la paroisse par certains partisans de la cause de la langue kannara (2).

Selon le P. Arockiadoss, l’auteur de la récente perturbation dans son église, étranger à sa paroisse, appartient à une poignée de militants qui ne cessent de provoquer des troubles au sein de la communauté catholique. Ils demandent l’abandon des cérémonies en tamoul, l’expulsion des évêques non “kannadiga” (de parler kannara), et d’autres revendications concernant la langue. De nombreux pamphlets sont publiés par eux, qui s’attaquent aux prêtres, aux évêques et, en général, à la littérature de langue tamoul. Pour imposer leurs vues, ils utilisent toute une gamme de moyens de pression, y compris la force physique. Le curé de St Anthony s’est plaint que les militants “kannara” dans leurs communiqués et leurs déclarations à la presse donnent une fausse idée de la pratique actuelle de sa paroisse en matière de langue liturgique. La paroisse, dit le prêtre, n’a jamais abandonné les cérémonies en langue kannara, pas plus qu’elle n’a condamné cette langue, une langue de riche tradition. Mais, une enquête rigoureuse ayant montré que la communauté locale comptait 2 999 familles tamoules contre 48 d’expression kannara, son pasteur ne pouvait décemment priver les catholiques tamouls de cérémonies célébrées en leur langue.

Le prêtre attribue la campagne anti-tamoule de certains à une peur irrationnelle de voir les Tamouls dominer la population d’expression kannara, une peur largement entretenue par certains politiciens qui ne manquent pas d’y trouver leur avantage. Le P. Arockiadoss s’est plaint de voir quelques prêtres soutenir le petit groupe de militants qui, d’une façon intempestive, milite pour la cause de la langue kannara. Le prêtre a rejeté aussi les accusations portées contre lui par les pamphlets du groupe hostile à la liturgie qu’il essaie de maintenir. Il n’y a chez lui aucune volonté d’éliminer de l’église la langue kannara. Bien que sa langue maternelle soit le tamoul, il est lui-même un kannadiga, né dans le Karnataka.

Le kannara est la langue parlée par 66 % de la population du Karnataka, ancien Etat de Mysore auquel on a rajouté, en 1956, un certain nombre de districts où le kannara était majoritaire. Si l’on ajoute les “kannadiga” d’un certain nombre d’Etats voisins, le total des locuteurs d’expression “kannara” s’élève à 42 millions. C’est une langue dravidienne ayant intégré dans son lexique comme dans sa grammaire une grande part d’éléments sanscrits. La littérature kannara est plus que millénaire (3). Elle comprend des drames, des chants populaires mais aussi des œuvres touchant la mystique religieuse (hindouisme et jaïnisme) et la réflexion philosophique. Elle reste très abondante aujourd’hui encore, puisque chaque année plus de 250 ouvrages sont publiés sur toutes sortes de sujets.