Eglises d'Asie

Des propos publics du Premier ministre offensants pour l’islam soulèvent une indignation quasi-générale

Publié le 18/03/2010




Au cours d’une manifestation organisée par le principal parti de la coalition au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), le 12 avril à New Delhi, le Premier ministre, Atal Behari Vajpayee, s’est lancé dans un développement malheureux sur l’islam. “L’islam à deux faces, a-t-il dit. D’un côté, il enseigne la tolérance. De l’autre, elle appelle à un militantisme sans aucune tolérance.” Nombreux sont ceux qui se sont émus de ce jugement négatif porté publiquement par le chef du gouvernement contre la deuxième plus grande religion de l’Inde : non seulement les musulmans ont exprimé leurs protestations, mais aussi beaucoup de chrétiens, ainsi que la grande presse. M. Vajpayee a bien essayé de rattraper les mauvais effets causés par ces propos en faisant valoir, deux jours plus tard, qu’ils avaient été mal interprétés par les médias et qu’en réalité ils ne concernaient que le concept de djihad (guerre sainte), il n’a guère convaincu ses critiques.

La grande presse indienne a dans son ensemble fustigé l’attitude du Premier ministre comme indigne des fonctions qu’il exerce. Le quotidien Hindustan Times a rejeté la justification apportée après coup comme très peu satisfaisante et souligné que tous les médias avaient rapporté les propos du Premier ministre de la même façon et que l’on avait pu les entendre à la télévision. Le journal a même mis en relief que le chef du gouvernement était familier de ce genre de retournement et que, dans le passé, des communiqués du même type avaient essayé de rattraper des jugements à l’emporte-pièce prononcés contre des minorités religieuses. Selon le journal, cette succession ridicule et humiliante de propos agressifs et d’explications oiseuses fait désormais partie du style de comportement du Premier ministre. Un autre journal paru le 17 avril, The Statesman, affirme dans son éditorial que Vajpayee s’est écarté sans vergogne de la réserve que lui imposait sa position à la tête de l’Etat. Beaucoup d’autres journalistes ont utilisé l’expression “jeter le masque” pour définir la nature de l’intervention du chef du gouvernement. Selon l’auteur d’une tribune ouverte, qui a rappelé que M. Vajpayee a passé son enfance dans les milieux du Rashtriya Swayamsevak Sangh (Corps national des volontaires, RSS), une association qui veut imposer à l’Inde un régime théocratique, le fascisme naturel du politicien se serait exprimé à visage découvert dans les récentes remarques à propos de l’islam.

Les protestations les plus vives, comme on pouvait s’y attendre, sont venues des milieux musulmans. Un universitaire d’Ahmedabad, G.D. Pirzada, s’est déclaré choqué d’entendre de tel propos dans la bouche d’un Premier ministre qui venait tout juste, lors de son voyage dans le Gujarat, d’exprimer sa sympathie aux familles des victimes musulmanes des massacres de février-mars derniers. Selon le dramaturge musulman Javed Aktar, les accusations de M. Vajpayee ont porté un tort irréparable aux musulmans et attristé l’ensemble des minorités religieuses du pays. Répondant directement à l’accusation de fanatisme portée par le Premier ministre contre l’islam, K. M. Yousouf, président de la Commission des minorités du Bengale occidental, a affirmé qu’il existait peut-être des musulmans et des hindous terroristes, mais que les religions elles-mêmes ne pouvaient être, en aucun cas, liées au terrorisme. Le chef du Conseil islamique de l’Inde, P. K. Moideen, a déclaré combien la vie des communautés religieuses minoritaires devenait difficile et risquée en Inde du fait de la politique de division pratiquée par le gouvernement.

Une réponse indirecte aux propos de M. Vajpayee a été donnée, le 16 avril dernier, à Bangalore par un chercheur musulman, A. G. Noorani, à l’occasion de la sortie du livre dont il est l’auteur, Islam et guerre sainte. Selon lui, pour le prophète Mahomet, la plus sublime des guerres saintes est de prendre la parole face à des gouvernants injustes. Selon lui, la véritable djihad se mène non avec le glaive mais par des déclarations pour la vérité, pour les droits de l’homme et pour la démocratie. La plume, les idées sont les véritables armes de la guerre sainte.

Les réactions exprimées par un certain nombre d’instances chrétiennes ont été, elles aussi, particulièrement virulentes. Le porte-parole du Conseil chrétien panindien, une association œcuménique, a qualifié l’intervention du Premier ministre de “moment le plus ténébreux de l’histoire de la démocratie en Inde Le porte-parole du diocèse catholique de Goa a vu dans les remarques en question une offense volontairement destinée à heurter l’islam, “sinon, a-t-il fait remarquer, il aurait dû nommer aussi toutes les autres religions qui ont, chacune, leurs propres fondamentalistes”.