Eglises d'Asie

Moluques : l’attaque d’un village chrétien fait 14 morts et compromet le retour à la paix dans l’archipel

Publié le 18/03/2010




L’attaque d’un village chrétien par des assaillants musulmans au cours de laquelle 14 chrétiens ont péri constitue le plus grave et récent accroc au processus de retour à la paix civile dans l’archipel des Moluques et pourrait compromettre les chances de succès de l’accord de Malino, accord signé le 12 février dernier et sur lequel les Moluquois comptaient pour mettre fin à trois années d’un conflit intercommunautaire meurtrier (1). L’attaque de ce village, dans la nuit du samedi à dimanche 27-28 avril, s’il témoigne du caractère volatil de la situation aux Moluques et plus particulièrement à Amboine, chef-lieu de la province, ne manque pas d’interroger sur l’attitude des forces de sécurité dont certains signes indiquent qu’elles paraissent à nouveau divisées sur la conduite à tenir, divisions qui, au cours des trois années de conflit, avaient été un facteur d’accentuation des violences commises entre chrétiens et musulmans.

L’attaque de la nuit de samedi à dimanche est intervenue dans un climat qui, depuis quinze jours, laissait percevoir une tension grandissante. On se souvient (2) que le 3 avril dernier l’explosion d’une bombe de forte puissance avait fait sept morts, tous chrétiens, et une soixantaine de blessés à Amboine. Des manifestants en colère – en grande majorité des chrétiens – avaient alors marché sur le palais du gouverneur de la province et partiellement incendié celui-ci. A l’approche du 25 avril, jour marquant le 52e anniversaire de la “République des Moluques du Sud” (RMS), le FKM (Front pour la souveraineté des Moluques), qui, selon la plupart des analystes, ne représente pas plus de 100 personnes – des chrétiens pour la plupart – aux Moluques et qui reçoit le principal de ses soutiens de la communauté moluquoise émigrée aux Pays-Bas, avait annoncé qu’il célébrerait cet anniversaire en hissant les couleurs de la RMS et du FKM. Le 17 avril, les forces de l’ordre ont procédé à l’arrestation d’Alex Manuputty, dirigeant du FKM. Inculpé de “trahison”, ce dernier a été maintenu en détention et a cependant pu s’adresser à la foule de ses partisans qui entourait sans discontinuer le quartier général de la police. Il a donné des garanties sur sa santé et a invité les gens à retourner chez eux pacifiquement. La foule est cependant restée sur place jusqu’au 23 avril, date du début du couvre-feu décrété pour une durée de quatre jours, de 10 heures du soir à 6 heures du matin.

La journée du 25 avril s’est déroulée dans un calme relatif. Les rues d’Amboine étaient désertes, les écoles, les bureaux et la quasi-totalité des commerces étaient fermés, des soldats et des policiers patrouillaient dans les rues du chef-lieu de la province. Cependant, plusieurs ballons pouvaient être vus dans le ciel, emportant avec eux des drapeaux de la RMS. Dans l’après-midi du 25, une série d’explosion dans un quartier musulman de la ville provoqua l’attaque en représailles par une foule de musulmans d’un temple protestant en construction et son incendie partiel (3). La foule musulmane menaçant de s’en prendre à des quartiers chrétiens et des chrétiens étant également descendus dans la rue, les forces de l’ordre ont dû faire usage de leurs armes, tirant en l’air pour maintenir les deux groupes à distance.

Le lendemain, le foyer de tension s’était déplacé aux alentours de la grande mosquée Al-Fatah d’Amboine. Arrivé l’avant-veille aux Moluques, Jafar Umar Thalib, le dirigeant du Laskar Jihad, groupe d’extrémistes musulmans originaire de Java et partisan de la création d’un Etat islamique en Indonésie, devait y prononcer le tabliq akbar (prêche du vendredi). Devant environ 5 000 musulmans, le chef du Laskar Jihad, fidèle à ses prises de position extrémiste, a dénoncé en des termes très virulents l’accord de Malino (une “trahison et ses signataires ainsi que les autorités, de la présidente Megawati aux militaires en passant par le gouverneur des Moluques (un “traître “A partir d’aujourd’hui, nous ne parlons plus de réconciliation”, a-t-il notamment déclaré, appelant à faire la guerre à la RMS “chrétienne” et à fabriquer “avec zèle” des bombes.

Dans la nuit du 27 au 28 avril, à 3 h 45 du matin le dimanche 28, le village de Soya, petit village peuplé de chrétiens protestants et situé à proximité d’Amboine, a été attaqué par une douzaine d’hommes masqués et armés d’armes automatiques. L’attaque s’est produite juste avant que l’électricité, qui est distribuée dans les villages secteur après secteur, ne soit coupée. Pénétrant dans les habitations, invoquant la grandeur d’Allah, les assaillants ont tué toutes les personnes qu’ils ont trouvées sur leur chemin, n’épargnant ni les femmes ni les enfants, selon le rapport du Centre de crise du diocèse catholique d’Amboine. Six villageois, dont un bébé âgé de neuf mois, ont été tués par balles, six autres ont péri brûlés dans leurs maisons, et, selon plusieurs sources, deux autres personnes encore sont mortes. De nombreuses habitations ont été incendiées ainsi que le temple protestant, bâti en 1876. Selon le Centre de crise déjà cité, les assaillants se sont retirés à 5 heures du matin et les forces de sécurité, pourtant basées non loin de là, à Amboine, ne sont arrivées sur les lieux que deux heures et demi plus tard.

A Djakarta, les plus hautes autorités du gouvernement, que ce soit le ministre chargé des Affaires politiques et de sécurité ou celui des Affaires sociales, tous deux impliqués dans l’accord de Malino, ou même la présidente Megawati, ont déclaré se tenir informées de la situation sur place afin de prendre les mesures appropriées pour faire face à ces événements. “Le gouvernement va se montrer plus ferme”, a déclaré Jusuf Kalla, ministre des Affaires sociales. Le responsable national de la police a annoncé que des renforts allaient être envoyés aux Moluques. Sur place, la consternation prévalait dans les milieux chrétiens mais la tension restait très vive. Des policiers membres des brigades dites “Brimob” ont été aperçus étant pris à partie par des soldats ce qui fait craindre à certains observateurs que les rivalités entre la police et l’armée ne refassent surface, rivalités qui, comme cela s’est déjà produit ces trois dernières années, pourraient être utilisées par le Laskar Jihad ou d’autres extrémistes pour ruiner définitivement le processus de paix engagé par l’accord de Malino.