Eglises d'Asie

PAQUES A MOSCOU – La communauté vietnamienne catholique en Russie

Publié le 18/03/2010




S’il me fallait expliquer pourquoi, j’ai entrepris ce voyage à Moscou, moi, un prêtre vietnamien étudiant à Paris, je recourrais aux vers du poème de Trang Thâp Tu, “Histoires fortuites” : “Par hasard, je suis venu ; par hasard je suis parti. En cette vie on se rencontre sans rendez-vous et on se sépare…” Durant ce voyage qui n’a duré que quatre jours, je me suis rendu, en effet, auprès de personnes dont je n’avais jamais entendu le nom, pas plus que je ne connaissais leur visage. Comment aurais-je pu leur fixer un rendez-vous !

Mais, la vie est ainsi : des gens que l’on n’a rencontrés que l’espace de quelques instants sont devenus inoubliables, des endroits où l’on s’est arrêté quelques heures restent marqués pour toujours dans la mémoire. La communauté catholique vietnamienne à Moscou fait partie pour moi, désormais, de ces lieux de mémoire. Les choses que j’ai apprises, aussi limitées et sommaires qu’elles soient, je les raconterai donc comme des souvenirs que la vie ne pourra effacer.

1- Aperçu des activités de la communauté vietnamienne à Moscou

Selon des statistiques non officielles, 300 000 Vietnamiens environ résident en Russie. Pour la seule ville de Moscou, ils sont quelque 60 000. Dans cette ville, la plupart d’entre eux gagnent leur vie dans le commerce de vêtements et les services liés à cette branche d’activités.

A Moscou, les Vietnamiens vivent dans une vingtaine de résidences communes, appelées “Op” ou “Dôm” selon la transcription phonétique vietnamienne du russe. Celles-ci portent des noms comme Op Sông Hông 1 (Résidence fleuve rouge n°1), Op Song Hông 2, Op Thuy Loi, Op Saliout 1, Op Saliout 3, etc. Tous ces immeubles sont la propriété de Viet-namiens et comportent chacun environ 200 pièces : les moins spacieuses ont quatre mètres de long sur trois de large, les plus grandes peuvent avoir six mètres de long sur trois de large. Le prix de leur location varie entre 200 et 400 dollars américains, en fonction du degré de sécurité de chacune des résidences. Le nombre de personnes logeant dans chacune des pièces diffère lui aussi en fonction des capacités économiques des locataires. Les plus aisés ne seront que deux dans une chambre, tandis que les plus dépourvus logent quelquefois à quatorze dans la même pièce exiguë. Les pièces sont entièrement vides sans le moindre mobilier. A chaque étage, on trouve encore une salle de toilettes, une salle d’eau et une cuisine communes.

En dehors des pièces destinées au logement, les propriétaires des “Op” louent un certain nombre de pièces pour servir au commerce de détail ou de gros. Le prix de location de ce type de pièces est astronomique. Une pièce ainsi utilisée pour y vendre des produits est louée à environ 1 200 dollars par mois dans l’immeuble appelé “Op Saliout 3”.

Il existe aussi des pièces réservées à la vente de l’alimentation où l’on peut trouver toutes sortes de produits alimentaires vietnamiens, y compris de la viande de chien. Les Vietnamiens ne se contentent pas d’exercer le commerce à l’intérieur des immeubles. Ils louent encore des emplacements réservés dans le marché central de Moscou que les Vietnamiens appellent “Cho Vöm”. Un emplacement de ce type, de trois mètres sur trois, se loue entre 1 800 et 3 000 dollars par mois.

En dehors de quelques personnes comme les propriétaires des immeubles, les patrons de boutiques, d’entrepôt, ou encore les patrons des pièces de séjour, la plupart des Vietnamiens à Moscou vivent grâce à la rémunération reçue pour leur travail. Les plus aisés de tous, ce sont les vendeurs employés par les propriétaires de boutiques. Ils ont la nourriture assurée, un lieu ou dormir, et un salaire fixe chaque mois. Viennent ensuite ceux qui vendent leur force de travail aux patrons de divers services, restauration, laveries, ménage, vente de journaux, de cartes de téléphone, d’objets souvenirs…

Au plus bas de l’échelle, on trouve ceux qui exercent la profession de manutentionnaire, transportant de lourdes charges depuis le rez-de-chaussée jusqu’aux boutiques situées dans les étages des immeubles dépourvus d’ascenseur. En saison, c’est à dire du mois d’août au mois de février, les personnes exerçant cette profession gagnent leur vie peut-être plus facilement que les autres mais ce travail exige des efforts physiques considérables et beaucoup y perdent leur santé. D’autre part ces postes sont souvent difficiles à garder parce que convoités par la population russe. En outre, les Vietnamiens qui transportent ainsi des charges à l’intérieur d’un immeuble sont obligés de payer une somme de 50 dollars au propriétaire, à titre de taxe.

Rien ne vient apporter un soulagement aux pénibles conditions dans lesquelles les Vietnamiens gagnent leur vie. Les seules distractions dont ils peuvent bénéficier sont un programme de télévision VN TV4 et la lecture de quelques feuilles de chou intitulées Nhon Hoa, Ngay Moi, Nhât Bao… des journaux de 16 à 20 pages de petit format, occupées pour une part par la publicité, pour une autre par des extraits de roman à bon marché et des nouvelles invérifiables.

La soif d’argent dont fait preuve la police russe ajoute à cette vie déjà pénible une tension supplémentaire, quelquefois insupportable. La majorité des ressortissants vietnamiens en Russie sont des migrants illégaux qui peuvent être arrêtés et expulsés hors du pays à n’importe quel moment. Cette crainte les accompagne partout, dans les rues, en taxi ou en métro. A chaque rencontre avec un policier, ils doivent glisser dans sa main une somme de 100 roubles. Il arrive que sur un parcours de trois kilomètres, cette opération doive se renouveler trois fois. Les policiers accomplissent encore des rafles dans les immeubles pourvus de boutiques pour y récupérer argent et marchandises.

Mais ce qui est le plus redouté, ce sont les visites domiciliaires de la police spéciale. Le 29 avril, durant mon séjour l’immeuble Salut a été perquisitionné deux fois, dans la matinée à 11 heures et, dans la nuit à minuit. Lors des perquisitions, si la porte ne s’ouvre pas lorsque la police frappe, elle est aussitôt défoncée à coups de leviers ou avec une scie mécanique. Après avoir obligé le propriétaire à se tenir debout la face contre le mur, ils commencent leur fouille. Ils déchirent les moquettes, éventrent les matelas, brisent les armoires et s’emparent de tout ce qu’ils trouvent : argent, objets individuels, télévision, magnétophones. Dans ces occasions, même le personnel de l’ambassade du Vietnam à Moscou, lorsqu’il est appelé à la rescousse, ne peut qu’assister, impuissant, à ces exactions.

2 – La communauté catholique vietnamienne à Moscou

La communauté catholique vietnamienne à Moscou comporte environ 300 personnes disséminées dans les diverses résidences de la ville. Tous les rangs sociaux y sont représentés, depuis les propriétaires de boutiques, les propriétaires de pièces de séjour, jusqu’aux porteurs de fardeaux. L’histoire de sa fondation est assez curieuse.

A l’occasion de la veillée de Pâques de l’année 2000, trois catholiques vietnamiens venus participer aux cérémonies se sont rencontrés à l’église Saint Louis dont un religieux assomptioniste, le P. Bernard, est desservant. Après s’être concertés, ils publièrent un communiqué dans les journaux, invitant les catholiques vietnamiens à venir à l’église pour célébrer l’anniversaire de la consécration épiscopale de Mgr Bui Tuân, évêque de Long Xuyên. L’un des trois catholiques était, en effet, un admirateur de l’évêque dont il avait lu un certain nombre d’articles.

Ce jour-là, une vingtaine de Vietnamiens vinrent participer à la messe. Après celle-ci, ils rencontrèrent le P. Bernard pour lui confier leur désir de fonder une communauté catholique vietnamienne à Moscou, qui rassemblerait leurs compatriotes disséminés dans la ville en vue d’une entraide mutuelle. Leur suggestion fut accueillie avec joie par le P. Bernard qui leur fournit toute l’assistance nécessaire. Le prêtre se mit aussitôt à l’étude du vietnamien et pour la fête de l’Ascension 2000, après de très nombreux efforts, la première messe en vietnamien fut célébrée solennellement en l’église Saint Louis, à Moscou. Au cours de la messe, on baptisa même une petite fille, nommée Nga (Le mot signifie aussi “Russie”).

Depuis ce jour, chaque mois, une messe en vietnamien est célébrée en l’église Saint Louis présidée par le P. Bernard. Elle a lieu à huit heures du soir, faute de pouvoir trouver une autre heure plus matinale. Malgré la température, malgré les rencontres possibles avec la police, l’assistance à cette messe n’a cessé depuis le début d’être plus nombreuse. Le 24 novembre 2000, la messe des martyrs du Vietnam a été célébrée avec beaucoup de ferveur. Les yeux des quelque 100 participants se sont mouillés de larmes à l’évocation de la foi de leurs ancêtres. Chacun pensait : “Malgré notre isolement au bout du monde, malgré nos épreuves, nous suivrons leurs traces ! Plus tard, la fête de Noël 2000 laissa un souvenir inoubliable dans l’esprit et les coeurs des catholiques vietnamiens Russie. Après la messe, environ 400 Vietnamiens, en majorité catholiques, en compagnie de 30 catholiques étrangers entourant leur pasteur français, ont partagé un repas fraternel et joyeux.

Ensuite, pour la communauté vietnamienne, la vie a continué, obscure et silencieuse, avec ses innombrables épreuves et souffrances. Les catholiques vietnamiens ne se doutaient pas que leur Père qui est aux cieux leur préparait des grâces qui surpasseraient tous leurs désirs. Au début du mois de juin, le P. Nguyên Xuyên et Sœur Thérèse Marie Pham Thi Nhiêm, de Bruxelles vinrent leur rendre visite. Le P. Nguyên Xuyên a célébré la messe, et dispensé les sacrements : un mariage et trois baptêmes d’enfants. Le prêtre a aussi visité les familles, consolé et encouragé chacun de nos compatriotes venus ainsi en terre étrangère assurer leur subsistance. Au mois de novembre, une joie encore plus rare attendait la communauté catholique vietnamienne. Le cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân, en mission en Russie, s’est arrêté à Moscou et a célébré une messe pour la paix au milieu de ses compatriotes exilés qui ont ressenti à son égard des sentiments de piété filiale.

Enfin le 31 mars 2002, à l’occasion de la Semaine Sainte et de Pâques, un prêtre vietnamien étudiant à Paris s’est rendu à Moscou pour y rencontrer la communauté vietnamienne. Arrivé à Moscou le samedi saint, il a été reçu chaleureusement par le P. Bernard. Il a dispensé le sacrement de réconciliation à 105 catholiques vietnamiens. Le lendemain, à 19 h 30, il a concélébré avec le P. Bernard une messe en vietnamien à l’église Saint Louis. Le prêtre vietnamien a ensuite fait le tour de chacun des immeubles où résident les Vietnamiens de Moscou. Partout il a dispensé le sacrement de réconciliation, il a célébré l’eucharistie de Pâques pour tous ceux qui, à cause des circonstances n’avaient pu se joindre au reste de la communauté à l’église Saint Louis.

Malgré les voitures policières patrouillant autour des immeubles à la recherche de l’argent des Vietnamiens, malgré le risque d’une perquisition impromptue de la police spéciale, dans les pièces étroites et sales des immeubles, partout on a pu entendre résonner les prières et les hymnes de louange : “J’offre au Seigneur une vénération sans limite. J’offre au Seigneur mon coeur apaisé. Ton amour, Seigneur est immense comme la montagne Thai Son, rempli de tant d’affection.” Oui, ton amour est grand comme la montagne Thai Son, vaste comme l’océan. Quand donc comprendrons nous ton amour, quand reconnaîtrons nous le bonheur que tu nous a accordé à Moscou, en cette terre d’exil de nos compatriotes !