Eglises d'Asie

Un chercheur vietnamien met en garde les bouddhistes contre l’influence néfaste de l’économie de marché

Publié le 18/03/2010




“Sous l’influence grandissante de l’économie de marché, l’héritage culturel des religions risque fort de se perdre.” Ce jugement à la fois nostalgique et pessimiste est porté dans un article écrit par Mme Tran Hông Liên, vice-directrice du Centre de recherches sur les religions, un département de l’Institut de sciences sociales de Hô Chi Minh-Ville, et publié dans le premier numéro d’une nouvelle revue lancée par l’Institut, qui a pour titre Magazine des sciences sociales.

C’est l’économie de marché, son esprit et ses structures qui seraient responsables de la transformation radicale qui, aujourd’hui, affecte l’ambiance et l’environnement attachés aux anciens lieux de culte. Voilà des années que, progressivement, les pagodes situées dans des zones urbaines ont perdu leur sérénité traditionnelle. Le son grave et paisible des cloches de pagodes est désormais étouffé par celui des musiques criardes qui s’échappe des bars environnants ou par les cris des marchands ambulants vantant leurs articles. Autrefois une plage de poésie et de calme entourait certains temples bouddhistes. Classés aujourd’hui monuments historiques nationaux, ils sont devenus au contraire une source de désordre et de bruits avec l’afflux de touristes et de pèlerins locaux ou étrangers ainsi que des marchands cherchant à tirer profit du site.

Aujourd’hui, d’après une confidence reçue d’un religieux par l’auteur de l’article, le clergé bouddhiste se sent, dans une certaine mesure, dépouillé de la propriété de ces pagodes, classées par l’Etat comme monuments nationaux. C’est l’administration gouvernementale qui s’occupe de la gestion commerciale du lieu, vendant les billets d’entrée, recevant des taxes sur les véhicules placés dans les parkings, vendant des billets de tombola et louant les locaux pour la vente de souvenirs. L’Etat a placé des marchands jusqu’à l’intérieur du lieu de culte pour y vendre des rafraîchissements, des bâtonnets d’encens ou des bougies. Par contre, on ne trouve personne pour ramasser les ordures ou entretenir les installations sanitaires.

Avec l’économie de marché un certain nombre de marques du mauvais goût moderne se sont intro-duites à l’intérieur des lieux sacrés. On peut voir désormais, à côté des statues antiques et vénérables, de nouvelles statues disposées sans harmonie, surmontées d’auréoles électroniques, bariolées avec des couleurs agressives, les lèvres rouges et les ongles vernis. Il est arrivé même que les anciennes statues de bois d’une grande sobriété soient affligées d’auréoles et décorées d’une manière indécente. Dans certaines pagodes ce sont les religieux desservants eux-mêmes qui pour faire plaisir aux fidèles leur apportant des offrandes ont procédé à la modernisation du décor. En outre, de plus en plus d’objets anciens appartenant aux temples bouddhistes sont vendus à de riches amateurs après avoir été enlevées et transportés au loin. Beaucoup de chefs d’oeuvre du bouddhisme vietnamien sont d’ores et déjà disparus. C’est ainsi, raconte Mme Trân Hông Liên, qu’un Bouddha géant de Hanoi a été démonté et transporté à Hô Chi Minh-Ville par deux camions. Lorsque l’œuvre d’art est arrivée à destination, on s’est aperçu que la statue avait perdu plusieurs de ses parties essentielles au cours du voyage.

En somme, conclut l’article, c’est la course à l’argent inhérente à l’économie de marché qui a fait le plus de mal au bouddhisme. Elle a altéré la mentalité et le style de vie des fidèles et même des religieux de cette religion. Cependant, en conclusion, l’auteur relève quelques aspects positifs de la nouvelle politique économique à l’égard du bouddhisme. Elle a amélioré le niveau de vie de la population qui a ainsi plus de liberté pour participer aux activités des pagodes. Par ailleurs, les offrandes des bouddhistes de la diaspora vietnamienne dans le monde ont permis de restaurer d’une façon judicieuse d’anciennes pagodes ou d’en construire de nouvelles en style moderne.