Eglises d'Asie

Mindanao : un prêtre catholique dénonce la collusion qui existe entre des rebelles musulmans et l’armée ainsi que le double jeu de certains des rebelles qui ont fait la paix avec Manille

Publié le 18/03/2010




Le P. Cirilo Nacorda, prêtre catholique de la paroisse de St Pierre Apôtre à Lamitan, sur l’île de Basilan, à Mindanao, compte sur le témoignage d’une journaliste philippine pour étayer son témoignage ainsi que celui de ses paroissiens devant le Congrès philippin qui mène actuellement une enquête à propos des soupçons de corruption qui pèsent sur cinq hauts gradés de l’armée. Après avoir reçu un bakchich, ces officiers auraient, en juin 2001, permis aux extrémistes du groupe Abu Sayyaf, encerclés alors par les militaires, de s’échapper (1). Le témoignage que compte utiliser le P. Nacorda est celui d’Arlyn de la Cruz-Collantes, journaliste âgée de 32 ans et reporter de la chaîne de télévision Net 25, propriété de l’Eglise du Christ, dénomination protestante.

Arlyn de la Cruz-Collantes connaît bien la région de Mindanao et paraît très familière tant du groupe Abu Sayyaf, que des deux principaux mouvements musulmans de rébellion, présents à Mindanao, le Front moro de libération nationale (MNLF) et le Front moro de libération islamique (MILF). Selon le P. Nacorda, il est “clair” que Collantes a ses entrées auprès de ces mouvements rebelles et elle a été aperçue “allant et venant” dans leurs repaires situés sur les îles de Jolo et de Basilan depuis 1994. En mai 2000, elle avait été la première journaliste à ramener des cassettes vidéos de Jolo montrant les 21 Occidentaux et Malaisiens pris en otages par le groupe Abu Sayyaf à partir de l’îlot malaisien de Sipadan (2). C’est encore elle qui a sorti les premières images du couple de missionnaires américains, Martin et Gracia Burnham, kidnappé par Abu Sayyaf en mai 2001 à Palawan (3). Sa réputation est cependant ambiguë tant elle paraît proche à la fois des militaires et du groupe Abu Sayyaf.

Le 20 janvier de cette année, Collantes a disparu sur l’île de Jolo pour ne réapparaître que le 27 avril dernier. Selon son témoignage, ses ravisseurs étaient un mélange d’anciens membres du groupe Abu Sayyaf et d’ex-combattants du MNLF qui ont depuis été intégrés dans l’armée. “Ils ont le pied droit dans l’armée et le pied gauche dans la rébellion, a-t-elle déclaré. C’est un peu comme si les Forces armées des Philippines étaient leur maîtresse tandis que leur épouse légitime serait la rébellion.” Selon un porte-parole de l’armée, le lieutenant colonel Jose Mabanta, les militaires philippins, à la suite des accords de paix conclus en 1996 entre Manille et le MNLF, ont assuré la formation de 4 905 anciens rebelles, aujourd’hui déployés dans Mindanao. Soixante officiers et 440 hommes de troupe supplémentaires ont commencé en mars dernier leur période de formation et d’entraînement, d’une durée de six mois. Une fois “pleinement intégrés”, ces hommes seront répartis dans les différentes unités de l’armée à travers tout le territoire et non plus seulement à Mindanao. “Nous n’avons pas de raison de douter de la loyauté (des ex-rebelles du MNLF) à la lumière des accusations (portées par la journaliste Collantes)”, a déclaré Jose Mabanta, interrogé par des journalistes peu après le témoignage de la jeune journaliste.

Selon le P. Nacorda, un résident de Jolo et un membre d’une ONG locale ont aperçu Collantes en mars dernier à l’intérieur d’un véhicule blindé de l’armée, sur l’île de Jolo, soit à un moment où la journaliste était supposée être l’otage de rebelles. “Je ne sais pas ce que cela signifie. Cela pose de nombreuses questions”, a-t-il ajouté.