Eglises d'Asie

ENTRETIEN AVEC Mgr BASILIO DO NASCIMENTO, EVEQUE DU DIOCESE CATHOLIQUE DE BAUCAU

Publié le 18/03/2010




Pendant deux ans et demi, les Nations Unies ont administré le territoire du Timor-Oriental. L’Autorité transitoire des Nations Unies au Timor-Oriental (UNTAET) a-t-elle posé de solides fondations pour que cette nouvelle nation puisse prendre un bon départ ?

Franchement, je ne peux pas dire qu’il y ait des solides fondements. Qu’il y ait eu quand même quelques fondements, oui. Je pense surtout à l’organisation des forces de sécurité ; il me semble que cela a été l’une des priorités des Nations Unies. A ce niveau là, les choses ont été bien faites : la création et la formation de l’armée timoraise, de la police, etc. Concernant la justice aussi, il y a eu un effort pour établir les institutions judiciaires, des tribunaux, pour former des juges. Il est vrai que cela a été une formation accélérée parce que la plupart de nos juges et de nos avocats, bien qu’ils ont leurs diplômes, n’ont jamais exercé pour la plupart.

Pour le reste, je reste un peu sur ma faim. En ce qui concerne la reconstruction, l’administration elle-même, les routes. Si j’étais un gouvernant, puisque le Timor-Oriental va dépendre pour la plupart des choses de l’extérieur, le bon sens m’aurait dit qu’il fallait développer les infrastructures pour que soit facilité l’accès de ce pays à l’extérieur et vice versa : les aéroports, les ports, etc. Cela n’a pas été fait. S’agissant des télécommunications, pour donner un exemple, Baucau est la deuxième ville du Timor, mais nous n’avons pas le téléphone. A cause de tout cela, quand vous dites “des solides fondements”, je réponds non.

Malgré tout, il y a eu quelques réalisations. Il fallait certainement en faire d’autres. Il me semble que les priorités n’ont pas été tellement bien définies.

Pour les infrastructures, Sergio Vieira de Mello (le chef de l’UNTAET) affirme qu’il fallait calibrer les investissements en fonction du futur budget du Timor Oriental. Selon lui, se lancer dans la construction d’infrastructures coûteuses à maintenir aurait pesé sur le budget du futur Etat. Qu’en pensez-vous ?

Je ne comprends rien au mystère de l’administration. Mais en tant que citoyen, sur le plan de l’administration, je sais seulement que, d’après les informations partout disponibles, il y a eu des millions et des millions de dollars qui ont été versés pour le Timor par les pays donateurs. Compte tenu du volume de la population et de la taille du pays, il semble y avoir une certaine divergence entre ces millions de dollars et les effets concrets au bénéfice du Timor.

Au niveau économique, on sait qu’il y a ces gisements gazier et pétrolier qui vont rapporter des revenus im-portants à partir de 2005, mais y a-t-il eu suffisamment d’efforts faits pour développer l’agriculture, la pêche, le tourisme, l’économie locale ?

Personnellement, je verrais plutôt le pétrole comme un surplus que comme la base de l’économie timoraise. Pour moi, la base de l’économie timoraise aujourd’hui devrait être l’agriculture. Puisque tous les Timorais ont leur petit bout de terre et, à travers ce lopin, n’importe qui peut devenir un petit propriétaire. Puisque la terre sera la source du capital privé pour chacun de nous. Or on a plutôt parlé du pétrole. Personnellement, je ne sais pas trop à quoi m’en tenir. On me dit que l’on va bénéficier de 90 %, mais concrètement je ne sais pas 90 % de quoi. Si cela rapporte beaucoup de revenus pour le bien de Timor, Dieu merci ! Mais on parle un peu en l’air, on nage dans un rêve, il n’y a pas encore de choses concrètes. Pour les choses au jour le jour, pour les activités que les gens peuvent déjà engager, jusqu’à présent il n’y a pas tellement d’investissements, ni de formations, ni d’initiatives, ni quoi que ce soit. Par exemple, pour l’élevage du bétail, pour le développement du petit commerce. J’ai entendu dire que des crédits sont faits par ci par là, mais je ne vois pas encore les effets concrets de ces investissements.

Les réseaux d’irrigation ont-ils été refaits ?

Les Japonais en ont refait, ainsi que certaines ONG. Et, pardonnez-nous cette vanité, le diocèse de Baucau aussi a beaucoup investi pour aider la population à rétablir leurs canaux d’irrigation.

Quelle est la situation dans les campagnes ? Y a-t-il du chômage ? L’activité a-t-elle bien repris ?

Dans les campagnes, on ne peut pas parler de chômage pour la simple raison qu’il n’y a pas de travail salarié. Tout le monde vit de la petite agriculture. Mais dans les villes comme Dili et Baucau où il y a des fonctionnaires, des mécanismes de travail salarié, il n’y a pas tellement de travail. Beaucoup de gens sont au chômage.

Y a-t-il un potentiel pour le développement de la pêche ?

Oui, il y a un potentiel. C’est aussi une chose qui est incompréhensible. Du temps des Portugais, la pêche n’a pas été développée. Pendant l’occupation indonésienne, ce sont surtout des Indonésiens qui sont venus développer cette industrie. Aujourd’hui, il y a des Timorais qui s’y consacrent mais ce n’est pas dans le cadre d’une chaîne industrielle. Malheureusement, il n’y a pas d’incitations, d’encouragements pour le développement de la pêche qui me semble être l’une des richesses de Timor.

A Dili, la population actuelle a doublé par rapport à 1998, passant de 70 000 à 140 000 habitants. Et la masse des chômeurs est très importante. Comment faire face à ce problème et limiter les conséquences sociales en termes de démoralisation et de criminalité ?

Je ne suis pas un expert de ces questions, mais je crois que nous devrions apprendre de l’expérience des autres pays où, pour éviter une migration massive vers les centres urbains, il a fallu prêter attention au développement local. Il ne faut pas tout concentrer dans les grandes villes, mais décentraliser et valoriser la dimension locale pour que les gens puissent être attachés à leur terre et motivés à s’investir dans leur région natale. Aujourd’hui, il me semble que c’est difficile de faire tout cela, puisqu’il y a un cercle vicieux. Pour développer, il faut de l’argent ; pour trouver de l’argent, il faut avoir des infrastructures. Aussi petit le pays soit-il, s’il n’y a pas de moyens pour créer des infrastructures, cela va être difficile. Il faut bien commencer par un bout. Et c’est toujours plus facile de commencer par les grands centres, parce que les voies d’accès et les communications sont meilleures que dans les endroits excentrés. Ces régions risquent toujours d’être laissées de côté jusqu’à ce que l’occasion soit propice.

Il y a donc le risque d’un monde urbain, économique-ment dynamique, qu’un large fossé sépare du monde rural ?

Je crains cela. Mais je ne sais pas s’il est possible de l’éviter.

Sur un plan politique, quelle est votre opinion sur la Constitution ?

C’est la constitution possible dans le cadre de l’apprentissage de la vie démocratique. Parce que les partis politiques en ce moment ne voient pas encore le bien commun comme l’intérêt général, mais ils voient plutôt l’idéologie de chaque parti politique comme la chose la plus importante. Ce sont les limites de la déficience de la vie démocratique. Mais pour nous qui commençons, c’est acceptable. Il est vrai qu’en ce moment les leaders du Fretilin, qui est le parti majoritaire, veulent faire passer leur point de vue. L’opposition est faible. En plus, la connaissance de la vie démocratique, le partage de l’esprit démocratique ne font pas encore partie de notre culture. La Constitution est le fruit de ces circonstances.

Vous semble-t-elle garantir un certain pluralisme à l’avenir ?

Oui, malgré tout. Par exemple, concernant le pouvoir du président de la République, j’ai entendu dire que cela a été fait à la mesure de Xanana Gusmao, pour limiter son rayon d’action. Mais, en lisant la Constitution elle-même et en comparant cela avec d’autres Constitutions comme celle du Portugal, je pense que la Constitution timoraise ne limite pas autant que cela les pouvoirs présidentiels. Ceci dit, il y a trois ou quatre choses où le Fretilin a voulu imposer son opinion. Par exemple, la date de l’indépendance – que la Constitution fixe au 28 novembre 1975, date à laquelle le Fretilin a déclaré l’indépendance. Une grande partie de la population n’accepte pas cela facilement. Une autre chose est le nom officiel : la République démocratique de Timor-Oriental. Cela rappelle un peu la guerre froide. L’hymne, le drapeau national, là aussi ils ont voulu imposer leur point de vue. C’est un peu limitatif. Au moins, laissent-ils la possibilité que tout cela soit révisé à l’avenir.

Y a-t-il eu une participation réelle du public pour la rédaction de la Constitution ?

Non. La Constitution a été rédigée seulement d’après l’opinion du parti majoritaire. Il y a aussi des choses qui m’ont paru un peu irrationnelles. On a craint que les gens votent sur la Constitution. En général, il n’y a pas eu une ouverture assez grande vis-à-vis des opinions de l’opposition. Il y a eu une consultation du public, mais les délais étaient tellement courts que les gens n’ont pas eu le temps de réagir. Par exemple, un exemplaire de la Constitution m’a été envoyé par le président du parlement en me disant de donner mon opinion en trois ou quatre jours. Pour lire et analyser plus de 150 articles, trois jours ne sont pas suffisants. La consultation avec le public a été faite en une semaine. Cela a surtout été symbolique.

Pensez-vous que la figure de Xanana Gusmao soit un atout important pour l’avenir de la nation timoraise ?

Je crois que oui. Xanana est une figure assez consensuelle, représentative de l’opinion publique. Et ces derniers temps, il a quand même démontré un équilibre, un bon sens extraordinaire. Il représente un peu aussi la volonté du peuple. C’est quelqu’un qui va jouer un rôle de contrepoids, mais aussi de miroir du gouvernement et de la société. Mais à la condition qu’il ait un staff assez capable. Parce que lui seul, malgré toutes ses qualités, ne pourra rien faire. C’est là ma préoccupation : son équipe de travail. Il faut qu’il puisse rassembler des gens, techniciens, compétents, qui vont le conseiller. Il faut aussi qu’il se montre capable de travailler en équipe. L’histoire montre que ces intuitifs extraordinaires, ces chefs de guerre, vivent très bien dans une situation où leur intuition est très développée. Mais après, pour travailler en équipe, pour vivre en société, ils continuent toujours à réagir selon leurs réflexes du passé. Cela peut être problématique. Parce qu’il faut être aussi humble, il l’a reconnu déjà plusieurs fois : il est un leader, mais il n’a pas de préparation technique pour devenir président de la République. La grandeur d’un leader, c’est de savoir s’entourer d’une équipe compétente. C’est l’équipe qui valorise le chef.

Seriez-vous d’accord avec l’idée que des prêtres puissent aussi être conseillers ?

Non. Je n’aimerais pas que ce soit des conseillers officiels. Partager des avis entre amis, c’est normal. Mais qu’il y ait des membres du clergé qui apparaissent officiellement comme conseillers d’un homme politique, cela divise toujours les gens.

Voyez-vous en Mari Alkatari un autocrate potentiel ?

Je ne le connais pas personnellement. Je l’ai juste rencontré dix minutes à Lisbonne en 1997 après mon ordination comme évêque à Rome. Son discours de prise de pouvoir m’a plu. J’y ai vu quelqu’un qui avait des idées claires, qui me semblait être ferme, qui semblait savoir où il voulait aller. Mais, comme pour Xanana, il faut voir quelle est son équipe, quels sont ses appuis. L’idéologie du Fretilin est quand même un peu conditionnée par toute l’histoire du parti. Je me demande jusqu’à quel point il aura un esprit ouvert pour ne pas seulement suivre ce que l’idéologie lui dit, mais être aussi ouvert à d’autres points de vue, à d’autres sensibilités, à d’autres horizons pour le bénéfice de Timor.

Pour construire une nouvelle nation, il faut avoir une fonction publique à la fois compétente, honnête et dévouée. L’UNTAET a-t-elle fait un bon travail à ce niveau ?

Je ne crois pas. La formation des fonctionnaires publics n’a pas été complètement développée. Du point de vue compétence, certains Timorais qui sont fonctionnaires me disent que, finalement, les Timorais ne le cédaient en rien à plusieurs membres du staff international, qui semblaient ne pas savoir ce qu’ils venaient faire ici. Parmi ces gens du monde international, certains n’avaient pas une compétence technique supérieure à celle des Timorais du même niveau. Par contre, les salaires étaient différents. Pour les Timorais, les salaires étaient bas et, pour le personnel international, même les salaires minimums étaient extrêmement élevés.

En général, pensez-vous que les Nations Unies ont suffi-samment consulté les leaders timorais ?

Je me souviens d’une conversation avec Sergio Vieira de Mello qui m’a permis de comprendre un peu les déficiences de l’UNTAET. Il m’a dit qu’au Timor, l’ONU a fait ses premières armes en ce qui concerne l’administration et qu’ils ont aussi tenté plusieurs expériences inédites jusqu’alors. La mission de l’ONU jusqu’à présent était d’intervention et non pas d’administration. Pour l’intervention, ils sont déjà rodés, mais en ce qui concerne l’administration, ils débutent. C’est cela qui explique les changements de cap dans leur comportement au cours de leur présence. Au début, tout était dans les mains du personnel international. Lors d’une deuxième étape, il y a eu une sorte de “timorisation” du gouvernement, un partage des postes. Après les élections pour l’Assemblée constituante, ils ont essayé de faire passer la majorité des fonctions aux mains des Timorais. Ils se limitaient à être des conseillers et à faire l’encadrement. Dernièrement, il semble qu’ils n’ont plus pris de décision parce qu’ils disaient qu’ils ne pouvaient plus le faire. Et le gouvernement timorais ne pouvait pas encore le faire. Entre le “ce n’est plus” et le “ce n’est pas encore”, Timor a évolué entre deux eaux.

Le choix du portugais et du tetum (l’idiome local) com-me langues nationales vous paraît-il judicieux ?

Oui. D’abord pour une raison d’identification. La langue qui devrait être normalement la langue officielle est le tetum. Mais comme le tetum n’a pas encore le statut de langue scientifique, il fallait une autre langue avec laquelle nous pouvions nous identifier. C’est le portugais, avec lequel nous avons des liens culturels et historiques. Si l’on se place du point de vue de la facilité, il aurait fallu choisir l’anglais et le bahasa indonesia, à cause de nos voisins australien et indonésien. Mais on serait noyé dans ces deux géants. L’anglais est la langue internationale, le bahasa indonesia est la langue de plusieurs pays de la région. Pour un pays de 800 000 habitants si on parlait seulement ces langues, on disparaîtrait sous ces deux géants.

Je m’appuie aussi sur ce que le professeur Geoffrey Hull disait un jour : le tetum gagnerait s’il avait le portugais comme langue d’appui parce qu’il y a déjà tellement de mots portugais intégrés au tetum. La génération actuelle a une certaine difficulté pour l’apprentissage, parce que c’est un démarrage. Mais pour l’avenir, l’apprentissage du portugais sera facile grâce aux mots qui sont utilisés dans le vocabulaire timorais courant. Enfin, du point de vue de l’évêque, si un jour je veux envoyer mes prêtres faire des études en Europe, on n’enseignera pas en anglais en France, ni à Rome, ni en Espagne, ni en Amérique Latine. Mais la base latine étant commune aux portugais et à toutes ces langues, si celui qui connaît le portugais est envoyé en Europe, il n’aura pas tellement de difficultés à apprendre les autres langues.

Les jeunes Timorais se mettent au portugais mais leur rêve est d’aller étudier dans une université indonésien-ne. Leur situation n’est-elle pas difficile ?

Je ne veux pas être exclusif. Les langues officielles, c’est le tetum et le portugais, mais cela ne veut pas dire qu’on exclut totalement l’anglais et le bahasa indonesia. Si on faisait cela, on serait stupide. Il faut forcément apprendre à l’école les deux autres langues. A cause du voisinage et aussi pour nous faciliter la vie. Le portugais sera une langue interne, pour les documents officiels et aussi pour notre identité. Mais la connaissance de l’anglais et du bahasa indonesia facilitera la vie à tout le monde. Dans ce contexte, l’apprentissage du portugais n’est pas un choix exclusif mais plutôt une richesse supplémentaire.

En septembre 1999, il y a eu ces violences qu’on a enco-re très présentes à l’esprit. Pensez-vous que la réconci-liation et la justice sont deux choses compatibles ?

Oui. Les Timorais sont un peuple simple. Ils ont un sens très aigu de la justice. Par exemple, si vous me faites mal, même une petite chose, un mot quelconque qui ne m’a pas plu, tant que vous ne faites pas le premier pas, il y a toujours le chagrin, il y a toujours la blessure, les sentiments. Vous direz : il est plus facile que ce soit moi qui fasse le premier pas. Mais en faisant cela, comme chrétien c’est très bien, mais comme Timorais je me sens un peu diminué parce que ce n’est pas à moi de le faire. Dès que celui qui a blessé fait le premier pas, tout est effacé complètement.

Ce qu’au fond le peuple demande, c’est que le mal qui a été commis soit reconnu. Et cette reconnaissance passe par le jugement et une peine de prison, mais aussi par des petits gestes qui signifient qu’il y a eu une reconnaissance du mal commis. Sans ce geste, si simple soit-il, l’harmonie des relations entre les personnes n’est pas rétablie.

Ces gestes peuvent être des rencontres dans les villages où les auteurs d’exactions demandent à être pardonnés. Ou selon les coutumes traditionnelles, ils peuvent sacrifier un animal pour donner à manger à tout le village. Cela suffit pour assurer sa réintégration dans la société locale, puisque tout le monde reconnaît que celui-là a quand même reconnu sa situation de criminel. Il a effacé ses mauvaises actions en faisant amende honorable.

Mgr Belo (ndlr : l’administrateur apostolique de Dili) veut que les criminels soient punis et aussi que les mili-taires indonésiens qui avaient des postes de res-ponsabilité soient jugés et punis. Quel est votre point de vue ?

Pendant toutes ces années, on a un peu appris la gymnastique indonésienne. Ils ont fait tellement de théâtre. Je ne crois pas tellement aux bonnes intentions. Je ne sais pas si cela sera fait un jour : je doute que l’armée indonésienne puisse accepter que ses membres importants puissent être traînés en justice.

En ce qui concerne notre situation interne, ceux qui ont commis des exactions sur l’ordre des officiers indonésiens, eh bien, qu’ils le disent ! Au moins qu’ils révèlent tout cela à la société timoraise pour que l’on sache qu’ils n’ont pas agi seulement de leur gré, mais qu’ils ont été commandés par d’autres. A partir de cela, que la justice indonésienne se décide à agir ou que la justice internationale veuille presser l’Indonésie à livrer ces hommes-là, c’est une autre histoire.

Ce qui me préoccupe le plus, c’est la réconciliation interne. Parce que, qu’on le veuille ou non, tout ce beau monde, tous ces gens sont des fils de Timor. Et je crois que s’ils ont commis des fautes, on n’admet pas les fautes, mais on accepte toujours les hommes. Il faut toujours donner une seconde chance pour que les gens puissent se ressaisir.

Les relations entre le Timor-Oriental et l’Indonésie vont être très importantes pour l’avenir de votre pays. Etes-vous optimiste ?

Cela dépend de l’évolution de la démocratie au niveau interne indonésien. Je ne suis plus de près la vie politique indonésienne. Il me semble que Gus Dur (ndlr : l’ancien président Abdurrahman Wahid) a essayé de changer un peu les choses. Maintenant, on n’en parle plus tellement, donc on ne sait pas si Mme Megawati est arrivée à appliquer la démocratie interne ou si la faction la plus radicale de l’armée a repris le contrôle du pouvoir.

Cela dépend aussi de la capacité diplomatique de notre gouvernement. Certainement, l’Indonésie va toujours être une épée de Damoclès qui pend au dessus de la tête de Timor. Aujourd’hui le statut de Timor est changé, ce n’est plus une province indonésienne, c’est un pays. Il ne faut pas pour autant que Timor fasse n’importe quoi pour provoquer les voisins. Nous avons plus intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’Indonésie qu’à être en conflit avec elle.

L’Eglise timoraise pendant l’occupation indonésienne a représenté l’identité timoraise contre l’occupant. Quelle va être la place de l’Eglise dans cette nouvelle nation timoraise ?

Dans un premier temps, l’Eglise au Timor a été le défenseur, puis la dénonciatrice des violations des droits de l’homme. Pendant la dernière période de la présence indonésienne jusqu’à après le référendum, elle a été la réconciliatrice. Aujourd’hui la mission de l’Eglise va surtout être une mission d’éducatrice ou de formatrice. Pas simplement du point de vue des connaissances. Nous sommes au début de tout. Nous sommes un nouveau pays qui est en train de tout apprendre : la notion de dignité de la personne humaine, les notions sur les responsabilités de l’homme et du citoyen dans la société, les notions de savoir vivre en commun, les notions de la démocratie elle-même, les notions de respect mutuel, les notions de développement humain. Notre Etat n’a pas encore la capacité de faire beaucoup de choses et l’Eglise a pris quelque pas d’avance dans ce domaine. Alors l’Eglise aujourd’hui est appelée à jouer ce rôle de structurer l’homme timorais, comme homme, comme citoyen et comme chrétien.

Cette mission formatrice passe-t-elle aussi par le système scolaire ?

Certainement. Et le premier défi, c’est cette éducation qui doit passer par nos agents, les prêtres, les religieuses, les catéchistes. Si l’on compare l’Eglise à une usine, il faut maintenant faire la conversion des cadres. A un moment donné, les cadres ont fonctionné selon un objectif dicté par le contexte. Les circonstances ont changé et, avec elles, les objectifs, mais nos cadres n’ont pas encore intériorisé cette nouvelle situation. Il faut donc investir sur le recyclage de nos cadres pour qu’ils puissent être les premiers à comprendre quel est le but que l’Eglise veut leur assigner pendant cette nouvelle étape de notre histoire et de l’histoire de l’Eglise à Timor.