Eglises d'Asie

Gujarat : le climat reste tendu entre les communautés hindoue et musulmane et de nouveaux heurts restent toujours à craindre

Publié le 18/03/2010




Après les massacres qui, de la fin du mois de février jusqu’au mois de mai 2002, ont coûté la vie à plus de 1 000 personnes (1), la situation continue d’être tendue entre les deux communautés musulmane et hindoue de l’Etat du Gujarat. Chaque fête ou manifestation religieuse de masse risque de mettre le feu aux poudres en devenant l’occasion de nouveaux affrontements. Ceux-ci ont été heureusement évités lors de la manifestation religieuse à intentions politiques, le Gaurav Yatra (‘la procession de la fierté’), qui aurait dû débuter le 4 juillet mais qui, au dernier moment, a été différée, et celle du Jagannath Rathyatra (‘procession des chars du Seigneur de l’univers’), qui a effectivement eu lieu et a reçu un bon accueil des autres communautés religieuses, même si celles-ci n’y ont pas participé comme autrefois.

Une première procession “politico-religieuse”, celle du Gaurav Yatra, avait été programmée de longue date et devait débuter le 4 juillet. Le ministre-président de l’Etat, Narendra Modi, avait déjà donné son accord et son soutien à cette manifestation au cours de laquelle les fidèles hindous devaient traverser les 25 districts de l’Etat. L’association hindoue d’extrême droite, Vishwa Hindu Parishad (Conseil mondial hindou, VHP), un groupe partisan de la construction d’un temple hindou sur les ruines de l’ancienne mosquée d’Ayodhya, avait longuement milité pour que la dite procession ait lieu malgré les risques réels de nouveaux heurts intercommunautaires. Rajendrasinh Rana, président de la section locale du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), avait déclaré que la procession était destinée à améliorer l’image de ce parti au Gujarat, “un parti, disait-il, qui, depuis sa présence au pouvoir, a été rendu responsable de la peste, des cyclones, du tremblement de terre, des attaques dites anti-chrétiennes et des émeutes qualifiées d’anti-musulmanes”.

Un peu partout dans l’Etat et surtout de la part des représentants des minorités religieuses, des mises en garde s’étaient élevées contre les dangers d’une telle manifestation. Mgr Stanislaus Fernandez, archevêque d’Ahmedabad, avait souligné le caractère inopportun d’une telle marche qui ne pouvait qu’inciter à plus de violences. Un dirigeant musulman s’était étonné qu’à travers cette procession, honneur était rendu aux instigateurs des massacres alors que les victimes étaient arrêtées. Les observateurs politiques, en particulier l’universitaire Achyut Yagnik, faisaient remarquer que, dans l’esprit des organisateurs, cette marche avait surtout pour objectif de mobiliser à nouveau les électeurs en vue du prochain scrutin électoral qui, à cette époque, était prévu pour le mois de mars 2003 (2), des élections que le parti au pouvoir risquait de perdre. Dix marches de ce type organisées de 1984 à 1990 avaient aidé le BJP à devenir le parti le plus important du pays. Les résultats acquis durant sa présence au gouvernement étant médiocres, le parti escomptait donc que l’utilisation de symboles religieux l’aiderait à améliorer sa popularité.

L’annulation de cette manifestation, au dernier moment, par le ministre-président Narendra Modi, a été un grand soulagement pour tous ceux qui craignaient de nouveaux affrontements. Cependant, les dirigeants du VHP ont fait remarquer que la marche n’avait pas été purement et simplement abandonnée mais simplement reportée à une date ultérieure.

Une autre manifestation d’ordre plus strictement religieux, la procession des chariots du Seigneur de l’univers, célébrée chaque année depuis 125 ans, était prévue pour le 12 juillet dans les grandes villes du Gujarat. A Ahmedabad, cette procession qui, en 1985 et 1992, avait donné lieu à d’importantes émeutes dure douze heures et traverse des quartiers habités par des musulmans. Certains musulmans dont les habitations se trouvaient sur le parcours de la procession avaient même déserté leurs domiciles par crainte d’incidents violents. Des commerçants avaient fermé boutique et mis leurs marchandises en sûreté. Or la procession qui s’est ébranlée au petit matin sous la surveillance de la police s’est poursuivie dans le plus grand calme. 50 000 fidèles y participaient, accompagnés de douze éléphants et de cinquante camions.

Lorsque les chars tirés par des centaines de fidèles sont entrés dans le quartier musulman, certains fidèles ont arboré des slogans provocateurs, mais ils ont été rappelés à l’ordre. Par contre, dans un geste de bonne volonté, la communauté musulmane a différé l’heure de la prière musulmane pour qu’elle ne coïncide pas avec la procession. Le secrétaire de la communauté musulmane a accueilli la procession et a fait remarquer que les musulmans avaient autrefois pour coutume de célébrer cette fête comme une de leurs propres fêtes. Des catholiques se tenaient aussi sur la route de la procession et ont, eux aussi, déclaré qu’autrefois toutes les communautés religieuses s’associaient à cette procession, devenue aujourd’hui une manifestation exclusivement hindoue.