Eglises d'Asie

Tout en mettant en pratique le devoir de “solidarité critique” qu’ils se sont donné vis-à-vis de la présidente, les évêques catholiques réaffirment leur soutien à Gloria Arroyo

Publié le 18/03/2010




Chaque année, le Discours sur l’état de la Nation est l’occasion de faire le point sur la situation politique du pays. Cette année n’a pas fait exception et, comme d’autres responsables, les dirigeants de l’Eglise catholique ont pris position avant comme après le Discours, prononcé le 22 juillet dernier de-vant le Congrès par la présidente du pays, Gloria Arroyo. Le 12 juillet, Mgr Orlando Quevedo, arche-vêque de Cotabato et président de la Conférence épiscopale, a publié un communiqué pour défendre la présidente, affaiblie par de récentes défections au sein de la coalition qui la soutient. “Si personne ne voit une alternative crédible et réaliste, pourquoi donc devrions-nous continuer à soulever des points mineurs au sujet de la personnalité (de la présidente) ou de ses erreurs politiques comme si elle était superwoman ?”, s’est interrogé Mgr Quevedo, qui a ajouté que l’Eglise conserve l’attitude qui est la sienne vis-à-vis de l’administration Arroyo depuis sa mise en place, à savoir “la solidarité critique”. Au titre de ce devoir de critique, le président de la Conférence épiscopale a souligné que, si la présidente avait, au début de sa présidence, affiché sa volonté de combattre la pauvreté, ce dossier-là avait été négligé par elle, “une pauvreté que notre peuple non seulement constate mais ressent”.

Après le 22 juillet et le Discours sur l’état de la Nation, les réactions de différents évêques ont été nombreuses. Mgr Antonio Ledesma, évêque d’Ipil et président de la Commission épiscopale pour le dialogue interreligieux, s’est dit satisfait de la fermeté affichée par la présidente sur les questions de respect de la légalité et de lutte contre la criminalité mais il aurait “souhaité” que la réactivation du processus de paix à Mindanao, avec les rebelles musulmans, soit abordée. Le gouvernement, a-t-il ajouté, ne devrait pas, sous couvert de “guerre totale” au crime, couper les ponts avec les mouvements séparatistes du sud de l’archipel.

Pour Mgr Teodoro Bacani, évêque auxiliaire à Manille, certaines initiatives de l’administration sont bonnes. Il se félicite notamment du relogement d’une centaine de familles vivant dans des bidonvilles inondables du secteur de Manille dont il a la responsabilité pastorale. Mais, soulignant le taux de chômage qui est aujourd’hui à 13,1 %, Mgr Bacani a déploré l’absence de résultats positifs dans le domaine économique. Selon lui, la présidente, soucieuse des prochaines élections présidentielles de 2004, est trop concentrée sur ce qui peut bénéficier à son image politique et pas assez aux vraies urgences que connaît le pays. Il déplore, entre autres, la hausse continue du nombre des enlèvements contre rançons, l’absence de ferme volonté des autorités pour fermer les officines illégales de jeux d’argent ou encore le revirement de la présidente sur la question de la peine de mort (1).

Selon Frère Armin Luistro, président de l’Association des supérieurs majeurs des Philippines, la présidente “essaie de plaire à tout le monde et fait attention à ne s’aliéner aucun groupe d’importance”. Cette attitude la conduit à arrêter des choix économiques qui sont inspirés de considérations politiques mais ne répondent pas aux vrais besoins du pays, a estimé ce responsable religieux, pour qui il n’existe cependant pas d’autre candidat plus adéquat au poste de président de la République des Philippines.

Selon Mgr Oscar Cruz, archevêque de Lingayen-Dagupan, les Philippins “reconnaissent que Arroyo travaille dur et est animée de bonnes intentions mais ils ne constatent pas dans leur vie quotidienne le fruit de ces bonnes dispositions”. La vision d’une république forte qui est celle de la présidente peine à se concrétiser et par conséquent ne touche pas immédiatement l’homme de la rue, a-t-il encore estimé.

Des responsables de l’Eglise catholique appellent à l’abolition pure et simple de la peine de mort

Le 7 août dernier, au lendemain de la commutation par la Cour suprême philippine de la peine capitale de 107 détenus philippins en peine de prison à vie, la Commission épiscopale pour le soin pastoral des prisonniers a demandé au gouvernement de Gloria Arroyo d’aller au-delà en abolissant la peine de mort aux Philippines. Selon le secrétaire exécutif de la Commission, Rodolfo Dimante, la décision de la Cour suprême montre que le système judiciaire du pays est imparfait et que des tribunaux peuvent envoyer à la mort des innocents ou des irresponsables au sens juridique du terme. Pour Mgr Pedro Arigo, évêque de Puerto Princesa et président de la Commission, ce n’est pas la sévérité des peines encourues qui fera diminuer la criminalité mais “la fermeté, la détermination et le professionnalisme que montreront [les forces de police et l’appareil judiciaire] à arrêter les criminels”. Il a déclaré que la politique du gouvernement en matière de sécurité était “mal orientée”, mettant en garde la présidente de ne pas “tremper ses mains dans le sang”.

La prise de position de la commission épiscopale est intervenue dans un climat politique particulier. Ces dernières semaines, la présidente Arroyo, déterminée à montrer aux Philippins que son administra-tion faisait de la lutte contre la criminalité une des ses priorités, a présenté aux télévisions nationales, sur les marches du palais présidentiel de Malacanang, toute une série de suspects arrêtés dans des affaires d’enlèvements, de corruption et de trafic de drogue. Après s’être déclarée au début de sa prési-dence opposée à la peine capitale, la présidente a adopté une attitude inverse en octobre 2001 (1). Son administration a fait savoir que, les procédures légales étant épuisées, trois condamnés à mort pour-raient être exécutés dans le courant des trois prochains mois, à compter du 31 août. En juillet, la prési-dente a présidé un sommet consacré aux crimes liés aux enlèvements et au trafic de drogue et a promis “une guerre totale” à 21 gangs actifs dans le pays et spécialisés dans les kidnappings contre rançons.

Abolie en 1987, la peine de mort a été rétablie aux Philippines en 1994 au nom de la “Loi sur les crimes odieux” (viol, enlèvement, parricide, meurtre, trafic de drogue et autres crimes particulièrement graves). Après cette date, sept condamnés à mort ont été exécutés dans le pays, tous en 1999, sous la présidence de Joseph Estrada. En délicatesse avec l’Eglise catholique, le président Estrada a, en mars 2000, à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, décrété un moratoire sur les exécutions capitales puis la commutation des sentences capitales en peines de prison à vie. Avec l’arrivée de Gloria Arroyo à la présidence, les militants catholiques opposés à la peine de mort avaient espéré une abolition définitive du châtiment suprême, espoir déçu par le revirement de la présidente en octobre dernier et par la possible reprise prochaine des exécutions.