Eglises d'Asie

Dans une actualité marquée par un débat sur la place des musulmans au sein de la société, le Premier ministre a annoncé la rédaction d’un “code d’interaction” pour les religions

Publié le 18/03/2010




Présent à Copenhague à l’occasion du sommet Asie-Europe, le Premier ministre de Singapour, Goh Chok Tong, a déclaré que son gouvernement avait décidé de rédiger un “code d’interaction” à l’usage des religions de la cité-Etat. Ce texte “pourrait devenir un guide pour les Singapouriens dans la pratique de leur religion, dans la façon de s’adapter aux croyances des autres et dans la marche commune vers une société multi-raciale a-t-il déclaré le 25 septembre dernier, en précisant que ses plans seront présentés aux responsables religieux de Singapour dans le courant du mois d’octobre afin de recueillir leurs réactions et suggestions. La dernière étape consistera à soumettre ce texte au Parlement.

La déclaration du Premier ministre intervient dans un contexte où l’actualité locale a fait une large part à la place que les musulmans, 14 % des 4 millions de Singapouriens, doivent tenir dans la vie de Singapour. A l’occasion des cérémonies organisées pour le premier anniversaire des attentats du 11 septembre commis aux Etats-Unis, un temps de prière et de silence a été observé par des représentants des neuf principales religions ou spiritualités présentes dans la cité-Etat (islam, christianisme, judaïsme, hindouisme, bouddhisme, zoroastrisme, taoïsme, sikhisme et bahaï), mais les commentaires se sont concentrés sur la communauté musulmane. Le 18 août dernier, le Premier ministre avait tenu des propos déplorant l’“inflexibilité” grandissante d’une partie des musulmans de Singapour et appelant les musulmans “modérés” à prendre publiquement la parole pour défendre leur religion (1). Depuis cette date, les réactions ont été nombreuses.

Beaucoup soulignent l’ambiguïté du terme “modéré” utilisé par le Premier ministre. Pour Obaid ul Haq, ancien directeur du Centre pour les études islamiques contemporaines et ancien professeur à l’Université nationale de Singapour, “les musulmans ne voient pas le besoin d’être modérés dès lors qu’il s’agit de lutter contre le terrorisme” car “ce qui est compris sous le terme de modération – tolérance envers les autres et rejet de la violence – fait partie de l’être musulman”. Ce qui est nécessaire, selon lui, est de faire savoir cela et de lutter contre les préjugés et les appréhensions des membres des autres religions. Dans l’affaire du “foulard islamique” (2), nombreux sont ceux qui ont analysé l’épisode comme un “symbole de militantisme islamique” alors qu’il s’agit, selon lui, d’“une manifestation identitaire”. L’irruption de la modernité a amené les croyants à affirmer leur identité, conclue-t-il.

Pour Abdul Rahman, animateur d’un site Internet de la communauté musulmane, KampungNet, ce qui est en jeu est bien la perception que les non-musulmans ont des musulmans dits “modérés”. A titre d’illustration, il cite un haut responsable gouvernemental qui donnait en exemple un leader musulman aujourd’hui décédé et qui le qualifiait de “modéré” parce qu’il ne refusait pas de consommer de l’alcool. “Bien entendu, il avait tort, explique-t-il. Cela témoigne seulement de la non-acceptation d’une tendance à l’ouvre dans la communauté musulmane, à savoir que nous sommes devenus une communauté plus religieuse. Ce n’est pas nouveau. Cela fait 20 ou 30 ans que cela mûrit.”

Les propos du Premier ministre ont également provoqué des réactions au sein des autres communautés religieuses. Pour Frère Michael Broughton, frère des écoles chrétiennes et représentant de l’Eglise catholique au sein de l’IRO (l’Organisation interreligieuse), “un musulman pieux ne peut pas se dire modéré dans l’expression de sa foi. C’est comme lui demander de rabaisser sa foi.” Pour le Vénérable K. Gunaratana, bouddhiste et membre de l’IRO, le Premier ministre a voulu, par ses propos, rappeler à tous, et pas seulement aux musulmans, que l’harmonie raciale et religieuse de Singapour est une caractéristique unique de la République et qu’il était de sa responsabilité de le rappeler.