Eglises d'Asie – Indonésie
LA VIOLENCE NE FERA PAS AVANCER LA RELIGION – Un entretien avec le chef de la Nahdlatul Ulama, la plus importante des organisations musulmanes de masse d’Indonésie
Publié le 18/03/2010
Hasyim Muzadi : La chose la plus importante est d’apporter des preuves pour étayer les accusations portées contre eux. Si aucune charge ne peut être retenue contre eux, qu’ils soient libérés ! Ils n’ont pas été arrêtés parce qu’ils sont musulmans mais pour avoir usé de méthodes inappropriées afin de développer l’islam. Ces méthodes sont contraires à la légalité qui a cours en Indonésie et à la culture indonésienne. Je leur ai dit que, dans notre histoire, pas une seule religion ne s’est développée en recourant à la violence. Le fait que 87 % de la population soit musulmane n’est pas dû à la violence. Ce chiffre a été atteint par des approches culturelles, économiques, éducatives, sociales, pas par la violence. J’ai également déclaré qu’un jour ou l’autre, ils se heurteraient à leurs propres frères en islam car les raids que mènent les gens de Habib Rizieq contre des discothèques sont contraires à l’islam. Combattre un vice ne peut être fait en usant d’un autre vice.
Les arrestations que nous avons évoquées ci-dessus, de leaders musulmans durs, sont-elles dues aux pressions exercées par des gouvernements étrangers, tels que celui des Etats-Unis ?
Peut-être mais ces arrestations ne se sont pas faites sur la seule injonction d’un pays étranger. Le gouvernement américain a probablement demandé à l’Indonésie de se montrer ferme contre le terrorisme. De toute façon, le développement de l’islam par la violence doit être enrayé. Ce qui est gagné est moindre que l’impact que ces actions déclenchent. L’Histoire a montré que la violence, que ce soit par des manifestations, des batailles ou des rébellions, au nom de la religion, n’a jamais porté de fruit ici. Ce qui en reste, ce sont seulement des cicatrices parmi les musulmans. Tout mouvement extrémiste qui a recours à la religion, à la prolétarisation et au communisme doit également être éliminé.
La politisation de l’islam a-t-elle encouragé la diversité des adeptes de cette religion ?
L’islam est un (en tant que religion) mais ses adeptes sont divers. Une partie des musulmans ont une véritable connaissance de l’islam, beaucoup n’en ont qu’une connaissance vague et d’autres, encore plus nombreux, ont une connaissance et une compréhension très “primaire” de l’islam. Les origines sociologiques des musulmans sont aussi très diverses. La pauvreté et l’injustice, par exemple, sont des facteurs qui peuvent influer sur une communauté, y compris sur une communauté musulmane. Un certain discernement doit donc être entrepris avant de considérer si un mouvement est religieux ou s’il est le produit d’une interaction sociologique.
En tant que dirigeant de la plus importante des organisations musulmanes, avez-vous eu des contacts avec les dirigeants d’organisations radicales, qui, dans de nombreux cas, utilisent l’argument religieux dans leurs luttes ?
Lorsque j’étais à Amboine [chef-lieu de la province des Moluques déchirée par un sanglant conflit inter-communautaire], j’ai rencontré les dirigeants de onze organisations radicales. Je leur ai dit que l’islam n’avait jamais prêché des actes offensifs contre les autres religions. J’ai cité le fait que ce que le prophète Mahomet avait fait (lors des batailles qu’il a menées) était de l’auto défense, pas de l’agression. Peu après avoir conquis La Mecque, le prophète Mahomet a déclaré que tous, y compris les ennemis, étaient en sûreté. Les églises et les synagogues pouvaient assurer leurs services sans crainte. Pas un seul arbre ne devait être déraciné ou abattu. Cela signifie qu’il ne doit pas y avoir de tuerie. Les mouvements tels que Darul Islam et ses Tentara Islam Indonesia (‘les combattants musulmans d’Indonésie’) ont tous échoué à développer l’islam par la violence. Parmi les victimes de l’attentat de Bali, se trouvent aussi des musulmans.
Au quartier général de la police nationale, un vendredi à l’heure de la prière de midi, j’ai rencontré le général Da’i Bachtiar, chef de la police nationale, et Ja’far Umar Thalib, le dirigeant des (ex-)Laskar Jihad (qui était alors en détention). C’était à moi d’assurer la prédication ce jour-là. Après ma prédication, j’ai demandé à Ja’far ce qu’il pensait quand il a appris qu’après avoir combattu par le sabre au nom de l’islam, il avait prié en étant à côté de l’homme responsable de son arrestation, le général Bachtiar. Il a montré un instant d’étonnement et m’a ensuite demandé pourquoi je lui posais une question pareille. Je lui ai dit que la curiosité était le motif de ma question et que je n’avais pas besoin d’une réponse.
Ainsi, qui est le vrai musulman ? Pourquoi certains prétendent-ils être de meilleurs et plus fidèles musulmans que les autres ? Les kyai (enseignants de la foi musulmane) qui ont dévoué leur vie aux pesantren (les internats musulmans) sont-ils de moins bons musulmans ?
Ja’far Umar Thalib a dissout les Laskar Jihad, déclarant que son organisation avait enfreint des enseignements de la religion musulmane. Quel est votre commentaire ?
Cela dénote une inconsistance dans la pensée. C’est une évidence que la violence est le produit d’une interaction sociale, pas de la religion. La religion est immuable et permanente. Le résultat des interactions sociales n’est pas fondé sur dogme et les enseignements de l’islam, mais sur la compréhension que l’on a du principe amar ma’ruf nahi mungkar (‘encourager la vertu et dissuader le vice’).
Si les Laskar Jihad ont recours à une mauvaise méthode, cela sera contre-productif. L’islam désormais a mauvaise réputation et la haine a été déversée sur des musulmans qui ne connaissent rien de l’extrémisme et de la terreur.
Que devraient faire le gouvernement et les gens face à des organisations radicales qui se drapent des couleurs de l’islam ?
De la part du gouvernement, faire appliquer le droit est la clé. Pour les gens, tout en approfondissant leur compréhen-sion de la religion, ils doivent se rappeler qu’ils vivent en Indonésie. Les jeunes gens qui ont pris part aux violences (dans les zones de combat) connaissent le djihad mais ils ne savent pas ce qu’être patient veut dire. Ils savent ce qui est interdit par l’islam mais ils oublient istighfar (‘demander pardon à Dieu’). Ils peuvent clamer Allahuakbar (‘Dieu est grand’) mais ils ne disent jamais Astagfirullah (‘Allah, je t’en supplie, pardonne-moi !’). Ils vivent en Indonésie, pas au Moyen-Orient. Les choses doivent donc être ajustées à la culture indonésienne, laquelle respecte le pluralisme. Ils manquent d’esprit d’unité.
La Nahdlatul Ulama (NU) a été impliquée dans le jeu politique. Comment avez-vous fait en sorte pour appliquer le principe de la NU de revenir à ses racines, dans des activités non politiques (kembali ke khittah) ?
Khittah est un terme qui renferme de nombreuses significations, mais à la base il signifie appliquer la religion selon les conditions réelles prévalant en Indonésie. Dans un sens plus large, khittah veut dire se tenir en dehors du champ politique concret. Nous nous appliquons à respecter les membres de la NU, à respecter les fidèles des autres religions et les adeptes des autres idéologies fondées sur le nationalisme. A travers khittah, la NU deviendra le plus important des atouts de ce pays. Dans les mains de la NU, la religion est pacifique et tolérante. NU ne considère pas que le pays doive devenir un Etat islamique. La prise en compte de valeurs islamiques dans la Constitution et les modes de vie suffit. Nous n’avons jamais formalisé la religion à travers les structures étatiques.
Aucune religion n’approuve les jeux de hasard, la corrup-tion et la prostitution. Le gouvernement peut simplement promulguer une législation anti-jeux, anti-corruption et anti-prostitution qui comprenne les valeurs de l’islam, de telle façon à ne pas heurter la sensibilité des autres religions et idéologies. De cette manière, la religion peut se développer normalement dans le cadre d’un Etat-nation.