Eglises d'Asie

Kerala : le conflit entre les deux Eglises orthodoxes, syrienne et malankara, a atteint un niveau jusqu’ici inégalé

Publié le 18/03/2010




Le meurtre d’un laïc, la grève de la faim entreprise par deux groupes de prélats concurrents, l’intervention du gouvernement, telles sont les manifestations les plus récentes d’un conflit aujourd’hui séculaire entre les deux branches rivales de l’Eglise orthodoxe au sud de l’Inde.

Le 6 décembre dernier, T.M. Varghese, un laïc membre du Comité de gestion de l’Eglise orthodoxe malankara, a été trouvé poignardé sur un chemin public à Perumbavoor, à 30 km. de Kochi. Le meurtre a aussitôt été attribué par les fidèles orthodoxes malankaras aux adeptes de l’Eglise rivale, l’Eglise orthodoxe syrienne. La police locale a confirmé ces soupçons et arrêté cinq fidèles syriens qui auraient voulu venger un jeune dirigeant de leur Eglise, renversé au mois d’octobre, par une voiture appartenant à Varghese. L’inspecteur Benny Thomas qui s’occupe de l’affaire a déclaré publiquement qu’il considérait l’inimitié entre les deux Eglises comme la véritable cause du meurtre.

Trois jours plus tard, le 9 décembre, deux évêques de l’Eglise à laquelle appartenait la victime, Mgr Thomas Athanasius et Mgr Mathews Sevarios, entamaient une grève de la faim indéfinie pour obliger le gouvernement à statuer sur les questions opposant les deux Eglises. Le lendemain, deux métropolites orthodoxes syriens, Mgr Mathews Ivanios et Mgr Markose Coorilose, décidaient, à leur tour, d’entreprendre un jeûne prolongé, prétendant que le gouvernement avait essayé de transférer les propriétés de leur Eglise à l’Eglise rivale. Les prélats des deux Eglises, pour poursuivre leur jeûne, s’étaient installés en deux lieux séparés de la ville de Kolencherry, une citadelle de l’Eglise orthodoxe, près de Kochi, dans l’Etat du Kerala.

Les deux Eglises concurrentes ne sont en réalité que deux factions d’une même Eglise orthodoxe, qui divergent sur le choix de leur dirigeant suprême. Les premiers chrétiens du Kérala, de liturgie syriaque étaient connus sous le nom de “chrétiens de St Thomas”. Lors de l’arrivée des Portugais, au XVIe siècle, ils se rallièrent à Rome. Mais bientôt, réagissant contre la latinisation qu’on cherchait à leur imposer, ils se séparèrent pour se joindre finalement au Patriarche de l’Eglise jacobite d’Antioche qui leur envoya un premier évêque en 1665. En 1912, une nouvelle scission se produisait ; une partie d’entre eux restait sous la juridiction du Patriarche d’Antioche tandis que les autres choisissaient un dirigeant local, le “Catholicos d’Orient” résidant en Inde. Ainsi, la faction, dite malankara, affirme que son “Catholicos l’équivalent d’un patriarche, détient le pouvoir suprême. La branche “syrienne”, même si elle élit un évêque pour être le responsable suprême en Inde, fait allégeance, en dernier ressort, au patriarche orthodoxe d’Antioche, en Syrie.

Depuis 80 ans, les querelles, touchant pour la plupart des questions matérielles, n’ont pratiquement pas cessé. D’innombrables procès ont eu lieu auprès des tribunaux civils (1). Ces temps derniers, le conflit entre les deux communautés s’est encore envenimé. Au mois de mars, la Cour suprême de l’Inde a rendu un jugement selon lequel la faction malankara avait la possibilité de prendre le contrôle de la plupart des 1 026 biens immobiliers possédés par l’Eglise orthodoxe au Kerala, un jugement qui, aux dires des responsables ecclésiastiques malankaras, n’a pas été mis en application. Disputes, altercations et échauffourées se sont multipliées. Le conflit a atteint un niveau jamais égalé avec le meurtre de T.M. Varghese.

A la suite de ce regrettable incident, le gouvernement proposait, le 8 décembre dernier, la création d’une commission non gouvernementale chargé de régler le conflit, une proposition qui fut immédiatement repoussée par les deux parties. Du coup, le 11 décembre, le gouvernement du Kerala mettait sur pied une commission ministérielle chargée de s’entretenir avec les dirigeants religieux en conflit. Les deux métropolitains syriens satisfaits ont alors cessé leur jeûne tandis que les évêques malankaras le poursuivaient encore à la mi-décembre : “C’est une action sainte, avait déclaré le Catholicos Baseliyos Marthomma Matthiews II au début du jeûne de ses deux évêques, que de rétablir un contrôle légitime sur nos églises.”