Eglises d'Asie – Philippines
Mindanao : instance de dialogue interreligieux, le Forum des évêques et des oulémas mène une réflexion sur son identité et son objet
Publié le 18/03/2010
Le 9 janvier dernier, le Forum s’est réuni dans la ville de Davao, rassemblant 39 délégués. A l’initiative de Mgr Dinualdo Gutierrez, évêque de Marbel et président de la Commission pour l’action sociale, la justice et la paix de la Conférence épiscopale catholique, une résolution a été votée pour changer le nom de “Forum des évêques et des oulémas” en “Conférence des évêques et des oulémas”. Selon Mgr Gutierrez, un “Forum” n’est plus à même de répondre aujourd’hui au besoin d’unité de la société philippine. Une “Conférence”, a-t-il affirmé, “pourrait apporter une lueur d’espoir aux gens dans le sens d’une plus grande unité nationale”. “Il est temps aujourd’hui de se montrer audacieux dans notre démarche et d’ouvrer activement dans notre quête pour la paix”, a-t-il ajouté, expliquant que le gouvernement ne pourrait s’engager financièrement auprès du Forum que si ce dernier se transformait en une agence responsable et opérationnelle, capable d’assurer le suivi de projets dans les domaines socio-économiques (2).
Parmi les 39 délégués présents, la proposition de Mgr Gutierrez a soulevé des avis très partagés. Sur les neuf délégués catholiques, un seul a voté contre le changement de nom mais six – tous évêques – se sont prononcés contre le fait de recevoir un financement gouvernemental élargi. Pour Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato et président de la Conférence épiscopale catholique, accepter un financement public pour des projets de développement, c’est s’exposer à d’éventuelles pressions venant de la part des pouvoirs publics, en particulier des responsables politiques locaux. Pour Mgr Romulo Valles, de Kidapawan, le gouvernement philippin, en proposant au Forum d’apporter un financement important, cherche à “institutionnaliser” le Forum et à le mettre à son service. Vouloir soulager la misère matérielle est “une diversion tentante” qui pourrait “éloigner le Forum du domaine des valeurs” sur lequel il s’est distingué depuis sa création. Proposant que l’argent offert par le gouvernement soit utilisé à instruire les chrétiens et les musulmans des valeurs portées par les uns et les autres, Mgr Valles a rappelé aux délégués que le Forum avait été fondé uniquement pour apporter “une dimension de foi” au processus de paix à Mindanao.
Aux arguments exposés par ces deux évêques catholiques, Mgr Hilario Gomez Jr., luthérien et membre du Conseil national des Eglises chrétiennes (protestantes) des Philippines, a répondu que l’aide apportée au peuple dans le cadre de programmes socio-économiques sera facteur de paix. De nombreux délégués l’ont approuvé. Sharif Mohsin Julabbi, musulman de Zamboanga, est allé en ce sens, expliquant que, “pour les musulmans, il n’y a pas de séparation entre l’Etat et la religion” et qu’il est “de notre responsabilité d’aider notre peuple”. Israel Baraguir, autre délégué musulman, a ajouté que les musulmans ont besoin des fonds gouvernementaux car une grande partie d’entre eux sont pauvres.
Présent à la rencontre, Norberto Gonzalez, conseiller spécial auprès de Gloria Arroyo, présidente des Philippines, a demandé au Forum d’élargir son horizon aux pays musulmans voisins de la région de Mindanao. Selon lui, le Forum doit ouvrir des branches en Malaisie et en Indonésie de façon à développer le dialogue des chrétiens avec les musulmans de ces deux pays. Mahid Mutilan a réagi positivement à cette proposition, estimant qu’il était nécessaire d’ouvrir le Forum aux pays à majorité musulmane. Mgr Wilfredo Manlapaz, évêque catholique du diocèse de Tagum, a cependant estimé que le Forum avait “des tâches plus urgentes” à affronter, notamment en ce qui concerne l’aide aux Philippins déplacés à Sabah, en Malaisie, ou aux musulmans déplacés de Mindanao vers le centre et le nord de l’archipel philippin du fait des combats entre l’armée et les rebelles musulmans dans le sud du pays.