Eglises d'Asie – Divers Horizons
L’EVANGELISATION EN ASIE A LA LUMIERE D’ECCLESIA IN ASIA
Publié le 18/03/2010
L’évangélisation à la lumière Ecclesia in Asia (Mgr Malcolm Ranjith)
“Murmurer l’Evangile à l’âme asiatique” (Mgr Thomas Menamparampil)
L’évangélisation comme dialogue vue dans Ecclesia in Asia (P. Sebastian M. Michael)
L’évangélisation comme inculturation vue dans Ecclesia in Asia (Sour Maria Ko Ha-Fong)
L’évangélisation au service de la promotion de l’homme vue par Ecclesia in Asia (Card. Julius Darmaatmadja)
Communication sociale et évangélisation dans Ecclesia in Asia (P. Franz-Joseph Eilers)
L’évangélisation : un service des pauvres (P. Jean Dantonel)
Déclaration finale : un engagement renouvelé à proclamer le Christ
Dossiers et documents N° 2/2003
EDA N° 369
Février 2003
Dossier
L’EVANGELISATION A LA LUMIERE D’ECCLESIA IN ASIA
par Mgr Malcolm Ranjith
[NDLR – Mgr Malcolm Ranjith est de nationalité sri-lankaise. Depuis octobre 2001, il est secrétaire adjoint de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Ancien évêque du diocèse de Ratnapura, au Sri Lanka, c’est lui qui a prononcé l’adresse inaugurale du Symposium de Pattaya
Votre Excellence, Votre Grâce, Messeigneurs,
Chers pères et sours et très chers frères assistant au symposium de “l’Evangélisation à la lumière d’Ecclesia in Asia
Je vous remercie tous et particulièrement Mgr Telesphore P. Toppo, président du Bureau pour l’évangélisation de la FABC, ainsi que le P. Saturnino Dias, secrétaire exécutif de ce Bureau, pour l’aimable invitation qu’ils m’ont faite de partager avec vous quelques réflexions sur cet appel primordial du Seigneur à l’Eglise d’Asie à s’engager avec détermination dans l’évangélisation, appel qui a été maintenant renouvelé par notre chef spirituel, le pape Jean-Paul II dans son exhortation apostolique Ecclesia in Asia (l’Eglise en Asie, EA).
Oui, l’évangélisation est le thème central et prépondérant in Asia. En fait, le Synode du continent asiatique a été convoqué précisément parce que le pape souhaitait s’assurer que, dans chaque continent, et pour nous plus spécifiquement en Asie, les “évêques en tant que chefs de leur Eglise locale, “pouvaient répondre au problème de l’évangélisation selon leur situation particulière et les besoins propres de chaque continent” (EA 2). Cet appel pour un nouvel élan dans l’évangélisation fait écho aux paroles du pape prononcées lors de la sixième assemblée plénière de la FABC à Manille, lorsqu’il déclarait que “si l’Eglise d’Asie doit accomplir son destin providentiel, l’évangélisation, en tant qu’annonce joyeuse, patiente et progressive du Salut par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, doit être votre priorité absolue” (EA 2).
Pourquoi évangéliser. ?
En effet, l’évangélisation n’est pas une option pour l’Eglise – c’est son devoir le plus important et la raison même de son existence. Citant Evangelii Nuntiandi (l’exhortation apostolique du pape Paul VI sur l’ouvre missionnaire, EN) : “Evangéliser est en fait la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son essence même. Elle existe pour évangéliser, c’est-à-dire pour prier et enseigner” (EN 14). L’enseignement est clair. L’Eglise en Asie existe pour évangéliser, ou, au risque de paraphraser René Descartes, l’Eglise en Asie existe si elle évangélise. Il convient donc de regarder Ecclesia in Asia comme un autre rappel et une invitation, pour nous en Asie, à comprendre que l’Eglise ne peut être, ici, qu’une communauté de disciples du Christ annonçant l’Evangile. Nous ne sommes pas une Eglise si nous n’annonçons pas l’Evangile. En fait, nous savons qu’évangéliser est le devoir de chaque chrétien baptisé, parce que c’est le commandement du Seigneur, c’est son vou le plus cher, au moment où il quittait la communauté de ses disciples, (Mt. 28 : 18-20) avec la rassurante promesse qu’il serait présent et nous guiderait jusqu’à la fin des temps. C’est le plus parfait accomplissement de son commandement d’amour, par lequel il appelait ses disciples à “s’aimer les uns les autres” comme il les a aimés – mourant pour les sauver des chaînes du péché et de la mort. Notre amour pour nos frères doit nous emmener beaucoup plus loin que de simples préoccupations altruistes vers le royaume de l’esprit, en nous faisant ardemment désirer être les artisans de leur salut. Nous ne pouvons répondre à Jésus avec les paroles de Caïn : “Suis-je le gardien de mon frère ?” Jésus veut que nous désirions ardemment le salut de nos frères et sours, pour difficile que soit la tâche.
Dans un monde sans amour de Dieu, où toute chose a perdu son sens et où beaucoup connaissent le vide et la souffrance, il est de notre devoir, à nous chrétiens, de partager la plénitude de la vie que nous donne notre connaissance de Jésus et de son message d’amour. Le pape Jean Paul II affirme dans sa lettre encyclique Redemptoris Missio (la Mission du Rédempteur, RM) “la nouveauté de la vie en Lui est “la Bonne Nouvelle” pour les hommes et les femmes de tout âge ; tous y sont appelés et c’est leur destinée. En vérité, tous sont en recherche de cette vie, bien que parfois de façon confuse, et tous ont le droit de connaître la valeur de ce don et de l’accueillir librement. L’Eglise et chaque chrétien à l’intérieur de l’Eglise ne peuvent garder cachées ou monopoliser cette nouveauté et cette richesse qui ont été données par la bonté de Dieu pour être répandues à toute l’humanité” (RM 11). Le monde brûle du désir de donner un sens à sa vie ; nous avons la réponse à ce désir et nous devons la faire connaître à tous.
Nous savons qu’en Jésus il y a plénitude de vie. “Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance” (Jn 10,10) En fait, le Saint-Père l’affirme très clairement quand il déclare “L’Eglise peut offrir une rencontre avec Jésus aux peuples d’Asie qui sont en recherche de la plénitude de la vie. Dans cette rencontre seulement peut être trouvée l’eau de vie qui jaillit pour la vie éternelle, à savoir la connaissance du seul vrai Dieu et de Jésus qu’Il a envoyé (Jn 17,13)” -(EA 18). Cette plénitude de vie est la conséquence du don de la foi en Jésus que l’Eglise a reçu. “Et ce don doit être partagé. C’est le plus beau don que l’Eglise puisse offrir à l’Asie” (EA 18). La vie divine qu’en tant que disciples de Jésus, nous portons en nous, cette vie qui rachète, recrée et vivifie, demande à être partagée avec les autres.
Nous sommes convaincus, en tant que chrétiens, que Jésus-Christ est le seul et unique Sauveur et “qu’il n’y a pas de salut en dehors de lui” (Actes 4,10-12). D’où notre conviction que tous ont le même droit au salut en Lui et que c’est notre devoir de les y aider. Différentes formes de médiation sont possibles, mais elles ne vont pas dans le même sens que celle de Jésus, qui est unique et conduit à la plénitude de la vie (RM 5). En fait, le Saint-Père dit : “L’Eglise est convaincue qu’au cour des peuples d’Asie, dans leurs cultures et dans leurs religions, il y a une soif profonde pour ‘l’eau de vie’ » (Jn 4,10-12) – (EA 18).
L’évangélisation est l’expression de notre foi la plus créative – la plénitude de notre engagement. Redemptoris Missio affirme que notre engagement dans la Mission et l’ouvre missionnaire est réellement “le signe de la maturité de la foi et d’une vie chrétienne féconde” (RM 77). En fait, à la lumière de l’histoire de l’Eglise au travers de l’herméneutique de la Mission, le pape soutient que “l’élan missionnaire a toujours été un signe de vitalité et que son amoindrissement est un signe de crise de la foi” (RM 2). L’invitation que le pape fait aux catholiques au vu de cette constatation est de trouver un plus grand sens et un plus grand dynamisme à leur foi en la partageant – la phrase clé de Redemptoris Missio, à cet égard, est : “La foi devient plus forte quand elle est donnée aux autres” (RM 2). La façon de rendre notre foi réellement vivante et dynamique réside dans l’évangélisation. Une Eglise qui évangélise est une Eglise qui vit.
La situation largement minoritaire de la communauté chrétienne en Asie nous ouvre, à nous, disciples de Jésus, un défi stimulant pour un engagement missionnaire vivant. Nous sommes, pour ainsi dire, privilégiés par le Seigneur de nous trouver en face d’une aussi vaste mer d’hommes et de femmes qui ne Le connaissent pas, et ainsi, son appel à l’annonce de l’Evangile doit être ressenti encore plus vivement par nous qui sommes Asiatiques.
Le défi : ramener Jésus en Asie
En fait, le défi majeur que le Saint-Père propose à l’Eglise en Asie, dans son exhortation apostolique, est celui de trouver la façon de présenter Jésus et son message dans ce qu’il a d’asiatique aux peuples d’Asie, de telle sorte qu’ils puissent le comprendre et soient capables de l’accepter. Le Saint-Père exprime sa surprise à la façon dont les choses se sont déroulées jusqu’ici. Il constate : “C’est réellement un mystère de voir que le sauveur du monde, qui est né en Asie, est resté jusqu’à maintenant parfaitement inconnu aux peuples de ce continent” (EA 2). Jésus est Asiatique affirme Ecclesia in Asia (idem) et le Saint-Père voit le Synode “comme une célébration du souvenir des racines asiatiques du christianisme” (EA 4).
Néanmoins, Jésus demeure caché pour son propre pays. Le pape pense que la présentation de Jésus que s’est efforcée de donner l’Eglise missionnaire dans le passé n’a pas été celle qu’elle aurait dû être. Il estime que “les Asiatiques voient Jésus comme un Occidental plutôt que comme un Asiatique” (EA 20). Mais l’Asie a grand besoin de Jésus et de son message de libération. Le Saint-Père affirme en effet : “Les peuples d’Asie ont besoin du Christ et de son Evangile. L’Asie a soif de l’eau de vie que seul Jésus peut donner (Jn 4,10-15)” (EA 50). Et encore : “En contemplant Jésus dans sa condition humaine, les peuples d’Asie trouvent réponse à leurs questions les plus graves, ils trouvent leurs espoirs comblés, leur dignité rétablie et leur désespoir vaincu” (EA 14).
Ainsi, “les disciples du Christ en Asie doivent sans réserve s’efforcer de remplir la mission qu’ils ont reçue du Sauveur, qui leur a promis d’être avec eux jusqu’à la fin des temps (Mt 28-20)” (EA 50). Il n’y a donc pas d’hésitation sur ce que doit être la tache prioritaire, la responsabilité, aussi bien que l’orientation de l’Eglise en Asie – c’est une Eglise missionnaire. Elle doit ramener le Christ en Asie.
Et, selon le pape : “La grande question qui se pose maintenant à l’Eglise en Asie est de savoir comment partager avec nos frères et nos sours asiatiques ce que nous chérissons comme le don qui contient tous les dons, à savoir la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ” (EA 19). C’est également une question d’herméneutique. Autrement dit, la question n’est pas seulement de savoir ce qu’il faut présenter dans l’annonce de Jésus à l’Asie, mais, bien mieux, comment le présenter. A mes yeux, c’est exactement ce que fait Ecclesia in Asia – offrir à l’Eglise en Asie un programme de travail qui présente Jésus d’une nouvelle manière à l’Asie.
La structure argumentaire in Asia
Dans la présentation des nombreux thèmes de son exhortation apostolique, le pape suit la structure argumentaire suivante :
Chapitre I : La situation actuelle de l’Asie, qui est réelle-ment le continent de Jésus – le défi est que l’Asie est en recherche d’un sens encore plus profond à donner à la vie.
Chapitre II : Et Jésus a la réponse à ces profondes aspirations de l’Asie pour ce sens de la vie – après tout, c’est un Asiatique.
Chapitre III : L’action de l’Esprit Saint dans l’histoire du salut et dans la mission de l’Eglise en Asie, quand elle présente Jésus comme cette réponse.
Chapitre IV : Le devoir de la communauté chrétienne de proclamer Jésus – comme le don de Dieu à l’Asie.
Chapitre V : Appeler à la communion avec l’Asie dans toute sa riche diversité pour aider ce continent à découvrir en Jésus la réponse totale et définitive à sa quête de toujours. (Dialogue)
Chapitre VI : Appeler à la solidarité avec l’Asie et ses dramatiques défis sociaux (la promotion de l’homme) pour que la communauté chrétienne puisse aider à conduire l’Asie à la Paix, à la Justice, à la Solidarité et à la Liberté qui trouvent leur accomplissement dans le Christ.
Chapitre VII : Des hommes et des femmes témoins du message de libération de Jésus – le mode d’évangélisation le plus efficace, auquel nous devons consacrer notre vie.
Le pape présente ainsi le défi (chapitres I-III) et recentre une approche possible (Inculturation). Il met l’accent sur la nécessité d’une attitude de dialogue avec la riche diversité des cultures et des religions en Asie et d’une assistance aimante au pauvre et au sans défense (EA 32) et il couronne le tout en évoquant le rôle absolument primordial et le mode le plus effectif d’évangélisation qui est d’être réellement un témoin asiatique.
Compte tenu du temps limité qui m’est imparti, je souhaiterais maintenant partager avec vous quelques unes de mes réflexions sur seulement quelques thèmes principaux de ce document, en vous soumettant quelques suggestions pratiques pour votre propre réflexion et une éventuelle application.
Le disciple de Jésus et la transparence (le témoin)
Je préfère ici le mot transparence au mot témoin, précisément parce que le pape Jean-Paul II, dans Redemptoris Missio, a déclaré : “Le monde aujourd’hui accorde plus de foi aux témoins qu’aux enseignants, à l’expérience qu’à l’enseignement, à la vie et à l’action qu’aux théories” (RM42). Et le pape affirme avec justesse : “Une personne véritablement religieuse gagne rapidement le respect et se fait des disciples en Asie” (EA 23). Ainsi, ce qui est fondamental pour l’Eglise en Asie n’est pas d’annoncer l’Evangile, en présentant Jésus simplement d’une façon correcte et acceptable du point de vue théologique, ou en rendant l’Eglise très efficace, très forte et mieux organisée. Ce n’est pas non plus notre engagement dans le dialogue, la promotion de l’homme ou des projets d’aides charitables qui apportera des résultats – même le mot résultat est ici déplacé. Mais c’est la manière même que le Seigneur a suggérée qui est fondamentale – la transparence de vie en étant fidèle à sa vocation de disciple. Le Seigneur voulait que ses disciples soient “la lumière du monde” (Mt 5,14) et “le sel de la terre” (Mt 5,13) et qu’ils soient “parfaits comme le Père des Cieux est parfait” (Mt 5,48) Ce ne sont pas les paroles qui comptent pour Lui, mais les actes (Mt 7,2) Et le signe du vrai disciple pour Jésus est la mise en pratique du précepte d’amour (Jn 13,35). En fait, dans Redemptoris Missio, le pape Jean Paul II inverse l’ordre des préférences entre la proclamation et le témoignage que l’on trouve dans Evangelii Nuntiandi et met le témoignage au premier rang, l’appelant “la première forme d’évangélisation Le pape développe ce thème plus avant dans le chapitre VII de la même exhorta-tion apostolique, appelant le vrai missionnaire un saint (RM 90). Ce thème a été beaucoup débattu dans le hall de réunion du Synode, en soulignant que l’Asie sera amenée au Christ si ceux qui se nomment Ses disciples mènent une vie de témoignage transparent par rapport à Lui.
Ainsi, l’option fondamentale que l’Eglise en Asie doit prendre en matière d’évangélisation est la manière même du Christ – amener la communauté catholique existant en Asie à une vie de disciples et de transparence chrétienne. L’Asie croit, comme nous le savons tous, aux personnes qui vivent la vie de Sadhu, de saint homme. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour approfondir la conscience de Jésus et de Son message dans nos communautés, avec toutes leurs composantes ; pour les motiver à l’amour et à la valeur de la personne de Jésus en l’imitant de toutes les façons imaginables, et être des témoins pleins de zèle et de joie, annonçant le salut et la liberté que chacun d’eux vit déjà en Lui. Aucune autre méthode n’égale cette option fondamentale.
Je pense que pour lancer le débat de cette journée nous devrions libérer notre esprit des erreurs et des doutes qui le hantent très souvent. Entre autres :
Que nous sommes incapables de faire cela. Je me rappelle combien, parfois, durant le Synode, des pères ont montré de pessimisme quant à leur capacité à présenter à l’Asie Jésus comme son unique Rédempteur. L’erreur dans ce cas est une sorte de conviction secrète qu’il nous faut, en quelque sorte, convertir l’Asie à Jésus. C’est faux. C’est en réalité le Seigneur qui atteint les coins les plus reculés du cour humain et l’amène à Lui – nous ne sommes que Ses humbles instruments. Paul n’a fait que semer (1ère L 3,6), comme nous le savons.
Qu’il est important d’obtenir des résultats sur le champ. Les principes de management d’aujourd’hui sont très orientés vers l’obtention de “résultats C’est également vrai de la mondialisation du système économique qui se fait jour actuellement partout. Et de façon surprenante, beaucoup sont victimes de stress à la suite de cette tendance, particulièrement quand ils subissent souvent des échecs. Dans la vie d’Eglise et dans l’annonce de l’Evangile, nous pouvons aussi ressentir la même chose. Pour moi c’est encore une erreur. La vérité est que nous ne sommes que les semeurs de la semence dont le Seigneur, le maître de la moisson, prendra soin avec d’autres ouvriers et à qui il fera porter du fruit en Son temps.
Que nous agissons seuls. Nous oublions souvent que c’est le Seigneur qui nous envoie Allez donc.” (Mt 28,18-20) ; qu’il a “toute autorité dans les cieux et sur la terre” (Mt 28,18) et c’est cette autorité qui nous confère notre mission, et qu’Il a promis d’être avec nous “toujours et jusqu’à la fin de ce monde” (Mt 28,20).
Que nous sommes trop peu et faibles. Jésus appelait effectivement la communauté de ses disciples “le petit troupeau” (L 12,32) et il voulait qu’ils aient à cour d’être petits et de ne pas avoir peur (idem). En de nombreuses occasions Il parlait du Royaume de Dieu comme étant “semblable à une graine de moutarde” (Mt 13,31) ; comme étant “le levain” (Mt 13,33) ou “le trésor caché dans un champ” et la “perle cachée” (Mt 13,44-46). Par ailleurs, souvent l’absence de puissance était une occasion de connaître la force de Dieu pour s’engager encore plus. St. Paul s’est réjoui de ses souffrances et des persécutions et il affirmait : “C’est quand je suis faible que je suis fort” (2e L 12,10). En fait, les sombres aspects du rapprochement avec les puissances coloniales ont, parfois dans le passé, été un obstacle à l’évangélisation en Asie et l’effort missionnaire de l’Eglise en a souffert grandement. Sans doute les circonstances en sont-elles la cause. Ce n’est pas un reproche, mais c’est ainsi. L’arrivée silencieuse et humble des missionnaires dans les premiers siècles après le Christ en Inde, en Asie centrale et orientale, en Chine, par exemple, a eu des résultats plus durables que celle qui eut lieu lors de la domination coloniale. Ce qu’il faut, c’est la conviction que Dieu est avec nous plus puissant quand nous sommes humainement et politiquement plus faibles.
Le renouveau de la foi et l’engagement de transparence
En reconnaissant ainsi la valeur de chaque catholique – donné par Dieu à l’Eglise comme ses missionnaires, qu’ils soient évêques, prêtres, religieux, laïcs, encore enfants ou d’un grand âge, que ce soient des familles ou des mouvements d’Eglise – chacun doit être motivé et stimulé aussi vite que possible pour rendre réelle et plus complète sa vocation de disciple par une sainteté renouvelée dans sa personne et dans sa communauté. Chaque diocèse, paroisse, institution ou mouvement doit être englobé dans cette action. Personne ne peut donner ce qu’il ou qu’elle n’a pas. En effet, comme le dit le pape : “Un feu ne peut être allumé que par quelque chose qui est dedans. De la même façon, l’annonce couronnée de succès de la Bonne Nouvelle du salut en Asie ne peut se produire que si les évêques, le clergé, les consacrés et les laïcs sont eux-mêmes brûlant de l’amour du Christ et dévorés du zèle de Le faire connaître partout, de Le faire aimer plus profondément et de Le suivre encore plus près. Les chrétiens qui parlent du Christ doivent incarner dans leur vie le message qu’ils proclament” (EA 23).
Ainsi, le défi est bien la transparence du témoignage chrétien et la nécessité d’amener chacun à mettre en avant sa vocation de disciple et à la vivre vingt quatre heures par jour. Le pape affirme en effet : “Porter témoignage de Jésus-Christ est le don suprême que l’Eglise peut offrir aux peuples d’Asie, car il répond à leur profond besoin d’absolu” (EA 20). Cela ne sera pas facile mais il n’y a pas d’autre moyen.
Il nous faut remarquer ici que la sécularisation du monde a tendance à idolâtrer la prétendue laïcité qui s’oppose à la dimension spirituelle et religieuse de la vie humaine. La séparation entre la foi et la vie, entre l’Eglise et l’Etat, ou entre le clergé et les laïcs est, à mon sens, une schizophrénie moderne. C’est anormal. Nous devons être persuadés et nous devons persuader chacun dans l’Eglise qu’il ne peut pas y avoir une séparation stricte entre notre foi en Jésus et les décisions que nous prenons au jour le jour dans notre vie sociale, politique ou économique. L’une et l’autre se mêlent, se conditionnent et s’influencent. Vous ne pouvez pas être un disciple du Christ à un moment donné et à un autre, le serviteur du démon (Mt 6,24). Ainsi, l’Eglise doit orienter, animer et former tous ses membres à la compréhension correcte de Jésus – le défi même du disciple – elle doit les motiver à l’amour du Christ dans le sens le plus complet du terme ; et elle doit les stimuler et les aider à avoir cette transparence chrétienne à chaque instant de leur vie, ainsi que l’enthousiasme à apporter aux autres le sens même de la libération qu’ils vivent déjà.
Il y a donc un grand besoin d’un travail zélé pour renouveler la foi de la communauté actuelle, lui donner un enthousiasme missionnaire, lui donner confiance et la rendre vivante – afin que tous ses composants et chaque membre en tant que tel se sentent poussés à évangéliser et à dire avec St. Paul : “Malheur à moi si je n’annonce pas la Bonne Nouvelle” (1ère L 9,16). Je pense que ce renouveau ne doit pas être seulement un exercice de l’esprit ou des structures ou seulement du système. Un renouveau de ce type échouera et cela s’est déjà produit. Il doit être, au contraire, authentiquement personnel. Les décisions structurelles pour le renouveau doivent continuer d’être prises à des conseils, à des synodes, à des assemblées locales d’évêques, du clergé, de religieux et d’autres, mais seules, elles ne peuvent suffire. Même “l’aggiornamento dont on a beaucoup parlé au moment du Concile Vatican II, reste à faire.
Beaucoup d’encycliques ont été écrites et aujourd’hui nous sommes en train de faire une nouvelle session d’études sur Ecclesia in Asia. Mais la question reste : comment pou-vons-nous faire passer dans la réalité toutes les bonnes idées qui sortent de ces documents et de ces réunions ? Beaucoup d’entre elles ne sont-elles pas restées sur le pa-pier ? Est-ce que la qualité de l’engagement de nos prêtres, de nos religieux et de nos missionnaires, aussi bien que de nos laïcs s’est améliorée après tous ces séminaires et ces réunions ? Nos paroisses et nos diocèses ont-ils pris le che-min qui les conduira à la transparence des disciples chré-tiens et au service de l’Asie ? Avons-nous commencé notre périple vers cet “aggiornamento” tant désiré de Vatican II, réellement et authentiquement ? Dans un monde qui aspire à Dieu et qui recherche son sens profond – et c’est aussi le cas de l’Asie – nous, disciples du Christ, devons être ceux, dans la vie desquels le message de l’Evangile peut être vu, touché par des millions de gens, qui lui répondront. C’est alors seulement que le Christ sera apporté avec profit à l’Asie, car en Asie, “les gens sont davantage convaincus par la sainteté de la vie que par des arguments intellectuels” (EA 42). Regardons cela en face aujourd’hui.
En fait, le pape dans Ecclesia in Asia définit un programme qui permet de réussir une vie de sainteté. Son programme consiste à “écouter avec profit la parole de Dieu. prier et adorer… célébrer le mystère de Jésus dans les Sacrements, avant tout dans l’Eucharistie, et. donner l’exemple d’une vie de vraie communion de vie et d’intégrité d’amour” (EA 23).
Je crois que tous les bergers doivent, en premier lieu, prendre comme responsabilité première de travailler ce programme, veiller à sa mise en place dans chaque diocèse et dans chaque paroisse et encourager l’apparition d’un souci pastoral et missionnaire dans tout leur personnel ecclésiastique, de telle façon que les communautés, dont ils ont la charge, deviennent des communautés vivantes prêchant l’Evangile. Les quatre étapes énoncées par le Saint-Père sont importantes dans la formation de la conscience missionnaire dans tous les secteurs de l’Eglise :
1. L’écoute de la parole de Dieu et des enseignements de l’Eglise ;
2. La prière et la contemplation ;
3. L’adoration de Jésus dans les sacrements, spécialement dans l’Eucharistie et, j’ajouterais, dans le Sacrement de Pénitence ;
4. Le témoignage d’une vie vécue selon les préceptes du Christ.
Une nécessité primordiale serait d’évaluer l’état actuel de la communauté ecclésiale dans chaque paroisse, diocèse et région et de définir un programme donné pour animer et former une conscience missionnaire et une vie de témoi-gnage chrétien pour tous les membres de l’Eglise, au moins dans une région choisie, rassembler toutes les ressources et le personnel disponibles pour la réalisation de cet objectif, et, sous la direction de l’évêque de chaque diocèse, le mettre en ouvre. Toutes les ressources disponibles, dans ce cas, signifieraient les mouvements ecclésiaux existants, les institutions et les apostolats spécialisés et toutes les autres formations possibles. Une attention particulière sera donnée à la formation missionnaire des prêtres, des religieux et de tous les autres pasteurs.
Il doit être très clairement explicité ici que la Mission n’est pas seulement de la responsabilité des congrégations religieuses missionnaires – mais qu’elle l’est encore davantage des évêques et des prêtres. Redemptoris Missio parle de la responsabilité première des évêques dans l’évangélisation (RM 63-64). Chaque évêque est le premier missionnaire de son diocèse, parce qu’il partage la mission même du Christ, le porteur même de la Bonne Nouvelle, et parce qu’il est un successeur des Apôtres, auxquels le Christ a assigné directement cette responsabilité. Chaque diocèse existe pour évangéliser, de même chaque paroisse. Tous les prêtres, comme l’indique Redemptoris Missio, “doivent avoir l’esprit et le cour d’un missionnaire” (RM 67). Personne n’en est exempté. Et un diocèse ou une paroisse qui n’évangélise pas n’est qu’une structure sans vie. Ainsi, l’animation/formation missionnaire des familles, de la jeunesse et même des enfants et l’émulation de chaque catholique au témoignage chrétien et à l’évangélisation deviennent l’absolue première nécessité de chaque diocèse ou paroisse – pas simplement des structures, mais aussi en ce qui concerne finances ou les études ou les documents réalisés, et la discipline ou l’ordre hiérarchique et l’harmonie.
Qui est Jésus pour l’Asie . ?
Dans le processus de renouvellement demandé par le pape, l’étape la plus importante de toutes serait pour la communauté catholique toute entière de découvrir et d’aider à découvrir la vie, la mission et l’appel du Christ – dans sa signification profonde -. Je dis toute entière parce que beaucoup n’en ont pas encore eu conscience. Parce que c’est uniquement cette découverte qui donnera l’élan missionnaire pour une vie de zèle missionnaire et d’engagement à l’Eglise en Asie à la fois dans la communauté et en chacun de ses membres. La question la plus importante de toutes est celle que Jésus a posée à Pierre : “Mais, vous, qui dites-vous que je suis ?” (Mc 8,29) C’est la réponse à cette question qui déterminera la nature de la consécration du croyant à Jésus. C’est la foi fondamentale qui anime le véritable témoin et sa proclamation du Christ – “Qu’est Jésus pour moi ?”
Ainsi, tout devient extrêmement important, diriger et assister toutes les composantes de l’Eglise en Asie par une catéchèse correcte et par la connaissance du Christ, à travers la prière, la méditation de la parole de Dieu et des enseignements de l’Eglise, le témoignage de la communauté, une vie sacramentelle et cultuelle et la pratique des préceptes d’amour, aussi bien que le renforcement de la préoccupation du salut des autres.
La tendance majeure qui se dégage sur ce point serait de désirer le Christ davantage comme une expérience personnelle que comme un sujet d’études. Et cette tendance est beaucoup plus proche de la mentalité religieuse de l’Asie. Jésus n’est pas simplement un sujet d’études – Il est notre Sauveur et notre vie. C’est une expérience vécue. La présentation de Jésus à l’Asie ne devrait pas être basée sur ce que d’autres disent de Lui, mais bien plutôt, sur ce que moi, ou ma communauté, savons de ce qu’Il est. Cela n’est donc plus seulement une question de théologie. Ce que moi, disciple du Christ, je présente à ceux que je rencontre devrait être “Qu’est Jésus pour moi ?” Sur ce point, la recherche théologique a très souvent tendance à être un exercice de sophistication intellectuelle, parce que ce n’est plus “fides quaerens intellectum” (la foi cherchant l’entendement) mais plutôt l’inverse. Pour l’Asie, la vérité religieuse n’est pas simplement le résultat d’un exercice de logique déductive. Même dans le bouddhisme, dont la philosophie est orientée vers une approche très rationnelle, le sentiment religieux du peuple est manifestement davantage tourné vers le Sacré, l’inconnu et le transcendant. La présentation de doctrines, la sotériologie et les pratiques religieuses dans la tradition asiatique sont beaucoup plus une affaire d’expérience, que d’argumentation intellectuelle ou rationnelle. Par exemple, en Orient, il n’y a pas de forme de contradiction, et la pensée religieuse philosophique est de type cyclique.
Jésus est réellement oriental, mais il nous a été présenté, à travers la théologie et la doctrine chrétiennes, plus selon la pensée occidentale gréco-romaine que selon la manière orientale. Rechercher le langage qui présenterait Jésus d’une façon compréhensible en Asie est important, mais il devrait l’être dans l’esprit du témoignage et du partage de la foi personnelle, de la prière et de la réflexion sur les textes sacrés et les enseignements de la Tradition, ainsi que sur le “sensus fidei” (le sens de la foi) de la communauté. Ecclesia in Asia qualifie cette recherche de “défi extraordinaire” (EA 20). Le visage de Jésus doit être montré d’une manière asiatique, c’est à dire davantage sur un mode de partage, que sur un mode “affirmatif Dans ce genre de présentation, il convient de rester fidèle à “la doctrine théologique de l’Eglise” (EA 20), tout en usant d’une interprétation linguistique qui soit véritablement asiatique. Ecclesia in Asia affirme que St. Paul et même les conciles ocuméniques, qui formulèrent des engagements qui ont lié les destinées de l’Eglise, “ont dû employer les ressources linguistiques, philosophiques et culturelles dont ils disposaient” (EA 20). C’est cet héritage qu’il faut “s’approprier et partager encore et encore dans la rencontre avec les différentes cultures” (idem). En d’autres termes, ce qu’on attend des théologiens asiatiques, c’est qu’ils approfondissent encore les Vérités sur le Christ et qu’ils les présentent dans des termes vraiment asiatiques, sans chercher à mettre en cause leur véracité ou leur contenu. Les théologiens ne peuvent pas mettre en doute la doctrine, mais ils doivent lui trouver de nouvelles explications dans un langage qui soit compris à un moment donné, pour une culture donnée.
Le document affirme à de nombreuses reprises que l’Asie possède déjà “des semences” de vérité. Le pape dit : “Par le travail de l’Esprit, il existe déjà dans les individus et dans les peuples une attente, même si elle est inconsciente, de la connaissance de la vérité de Dieu, de l’homme et de la façon dont nous serons libérés de la mort et du péché” (EA 20). Ainsi, les mots qui pourraient présenter Jésus aux Asiatiques comme leur unique sauveur sont là, déjà, d’une certaine façon, imparfaite peut-être, mais préparés par Dieu. La véritable nature asiatique doit être la source qui permettra de découvrir ces mots. Cette nature asiatique est différente dans sa terminologie de la théologie occidentale qui est analytique, rationnelle et démystifiante, on pourrait dire, évitant toute mythologie. Il y a un danger, et il est redoutable pour la théologie elle-même, qui est celui de faire une “salade” de concepts et d’expressions, occidentales et orientales en même temps et au même niveau. Une telle pratique fait violence à la pensée et aux traditions qui, dans leur riche diversité, sont présentes dans chacune. Il est difficile pour quelqu’un qui est immergé dans le rationalisme théologique moderne, que l’on rencontre dans quelques universités européennes, d’écrire un article théologique authentiquement asiatique, sans être influencé par les courants rationalistes que l’on y croise, même si elles sont originellement asiatiques,. Comme je l’ai déjà dit, à la différence de la pensée philosophique occidentale, qui est conditionnée par le principe de la contradiction, en Orient la pensée philosophique est cyclique. Elle est orientée vers la synthèse. Elle n’est pas coupante et sèche. Ainsi, la recherche théologique en Asie doit avant tout garder présentes à l’esprit les perspectives et les valeurs de la culture asiatique. Parmi les nombreuses orientations qui déterminent nos schémas d’existence, on trouve la grande importance donnée au sacré et au mystère comme chemin conduisant au bonheur, on trouve le concept de la vie et le respect de la vie sous toutes ses formes, qui est un phénomène global recouvrant tout, la valeur donnée à la connaissance de Dieu et du salut en tant qu’intériorité profonde de l’être, l’importance attachée à la renonciation et au détachement, comme valeurs absolues et encore bien d’autres. La vérité n’est pas simplement linéaire, en Asie elle est cyclique – c’est à la fois ceci et cela, comme l’enseigne Bouddha. Les maîtres illuminés sont des guides et des exemples qui forment leurs élèves au travers d’un processus de contact direct, d’accompagnement et de croissance progressive. Le temps aussi est cyclique. Ces concepts et leurs incidences sur l’attitude vis-à-vis de la vie déterminent la façon dont l’enseignement religieux est compris. L’emploi de symboles dans l’enseignement religieux et dans le culte est relativement très fréquent en Asie.
Deuxièmement, l’enseignement de l’Ecriture Sainte, la communauté chrétienne originelle et leur évolution ultérieure, notamment dans le domaine de la Christologie, ainsi que le dogme sont des données de fait dans les modes de croyance de nos fidèles en Asie. Ils ne remettent pas en cause, ni ne doutent de tels enseignements, même s’ils ne les comprennent pas complètement. Cette attitude est typiquement asiatique, humble et respectueuse de Dieu et de la noblesse de la Révélation. Toutefois, un essai plus sérieux devrait être fait pour présenter cet enseignement doctrinal de telle façon que le peuple d’Asie voie en Jésus Christ son vrai libérateur faisant réellement partie de sa vie. Les Pères du Synode disent : “La présentation de Jésus-Christ pourrait venir comme l’accomplissement des souhaits exprimés dans la mythologie et le folklore des peuples asiatiques. En général, les méthodes narratives proches des formes culturelles asiatiques sont préférables” (EA 20). L’approche doit être plus expérimentale qu’ontologique. La religion en Asie parle plus au cour qu’à l’esprit. Dans le bouddhisme, l’attitude religieuse est le sraddha – une confiance née d’une conviction vécue. Il se compose de trois éléments – une conviction pleine et entière résultant d’une rencontre profondément personnelle ou d’une expérience vécue, et conduisant à une vie qui lui corresponde, ou la motivant dans ce sens.
Troisièmement, la Révélation apparaît toujours comme étant née de la tradition des maîtres, des disciples et de la pratique religieuse du peuple, particulièrement dans les lieux de culte. Ce ne sont pas les philosophes qui priment dans le sentiment religieux oriental, mais la communauté. Une sorte de “vox populi, vox Dei” (voix du peuple, voix de Dieu). Ainsi, pour la communauté chrétienne aussi, les traditions transmises jouissent de l’aura du sacré, où sont tenus les ancêtres qui ont agi dans ce sens et dont la vie est un exemple plus important que leurs paroles. Souvent la théologie s’expose au danger de, non seulement mettre en doute ces croyances populaires, mais, même de les tourner en ridicule ; ce qui est néfaste et irrespectueux du rôle du Seigneur, qui a souvent choisi le faible pour confondre le fort et le puissant (1ère L 1,27-28), un thème récurrent dans la tradition biblique. Un théologien doit montrer beaucoup de respect pour l’humble et silencieux travail de Dieu, spécialement à l’ouvre dans la ferveur religieuse des pauvres. J’ai entendu dire certains qu’il s’agissait là d’un encouragement au paternalisme. Je ne suis pas d’accord. Dieu choisit les pauvres et les illettrés (1ère L 1,27) pour être les artisans du salut, à la grande surprise des autres. Le mysticisme de l’Orient doit trouver un écho dans tout essai d’étude et de recherche théologiques.
Quatrièmement, il est nécessaire d’affirmer clairement que la théologie doit être un exercice venant beaucoup plus du cour que de l’esprit. Le théologien est quelqu’un qui doit toujours travailler avec un grande vénération de Dieu et du mystère de la Révélation et avec une grande foi en Lui. Il convient de faire de la théologie dans une profonde attitude de prière et d’adoration. Le «docteur angélique” (Saint Thomas d’Aquin) disait qu’il fallait faire de la théologie à genoux. La prière et l’adoration sont comme le revêtement de la pellicule qui reçoit l’image. Plus grande est sa foi et sa vie de prière et d’adoration, plus on est capable d’expliquer la parole révélée. Cette attitude de vénération aimante est propre à tous les serviteurs de Dieu dans les saintes écritures – même Moïse couvrit sa face en présence de Dieu (Ez 3,6). Dans l’Ancien Testament, cette profonde vénération et cette crainte de Dieu sont souvent marquées par des expressions comme “Mais que Dieu ne nous parle pas, sinon nous mourrons” (Ex 20,19). Faire de la théologie est ainsi une ouvre d’humble et respectueux discernement. Ce n’est certainement pas un geste d’orgueil ou de pédanterie, sinon, c’est une moderne tour de Babel.
Cinquièmement, la théologie n’est pas une fin en soi, mais bien un service rendu aux pasteurs, pour les aider à remplir leur rôle de meneurs de la communauté, service qui doit permettre d’édifier (1ère L 14,5) et de fortifier la communauté dans sa foi et dans son témoignage chrétien. Il faut faire de la théologie avec un grand soin, beaucoup de sérieux, une étude et un savoir dominés par la prière. Ce n’est pas simplement du journalisme. Le pape presse les théologiens de “travailler dans un esprit de collaboration avec les pasteurs et le peuple, qui – en union les uns avec les autres et sans jamais se séparer les uns des autres – re-flètent le véritable sensus fidei qui ne doit jamais être perdu de vue. Le travail théologique doit toujours être guidé par le respect des sensibilités des chrétiens” (EA 22).
La joie et l’optimisme
Ecclesia in Asia est une approche très optimiste du défi de l’évangélisation en Asie. En fait, le Synode lui même fut un moment de joie, louant et remerciant Dieu pour les nombreuses merveilles qu’il accomplit ici en Asie – pour le don de Jésus à ce continent, le don de la première commu-nauté de disciples et tout le travail d’amour de milliers et de milliers de missionnaires, comme Saint Thomas l’Apôtre, Saint François Xavier, Jean de Montcorvin, Robert de Nobili et tant d’autres ; et pour tous les autres dons qu’Il a répandus sur son Eglise jusque là. Il fut aussi une occasion de remercier Dieu pour la préparation de ce continent à l’Evangile au travers de ces nombreuses “traditions et civilisations religieuses anciennes, les philosophies profondes et la sagesse qui ont fait de l’Asie ce qu’elle est aujourd’hui” (EA 4). Le pape ajouta une note de prudence également en disant que le synode “n’était pas une célébration motivée par l’orgueil de la réussite humaine” (EA 4). D’ailleurs, le synode fut aussi une affirmation de la foi de l’Asie en Jésus et une confirmation de son intention d’ouvrir encore plus largement les portes de l’Asie au Christ. Une note d’optimisme conclut le Chapitre d’Introduction, assurant que ‘les évêques et les participants portaient témoignage du caractère, du feu spirituel et du zèle qui assurément feront de l’Asie une terre de récolte abondante dans le millénaire à venir’ » (EA 4).
Chers amis, une expérience joyeuse ne peut être tenue cachée. Elle doit être partagée. La Bonne Nouvelle du grand amour de Dieu pour l’humanité qui s’est manifesté dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, notre sauveur est cette expérience. C’est l’expérience que les apôtres ont partagée si joyeusement et si courageusement : “C’est ce que nous avons vu depuis le début, et ce que nous avons entendu et ce que nous avons vu avec nos propres yeux, ce que nous avons vu et touché avec nos propres mains” (1 Jn 1,1). C’est l’expérience de tant d’hommes et de femmes qui ont rencontré Jésus, qui, après une crise initiale, ont compris qui Il était et l’ont proclamé courageusement, même au milieu des persécutions : “Et il n’y a pas de salut en dehors de Lui, car il n’y a pas d’autre nom sous les cieux, qui ait été donné parmi les hommes, qui puisse nous sauver” (Actes 4,10-12).
C’est cette conviction qui leur donna un immense courage, en face de sévères épreuves, pour proclamer l’Evangile et, souvent en le payant de leur vie, ils proclamèrent Jésus avec hardiesse et Lui rendirent témoignage avec enthousiasme. C’est cette Mission qui est née non seulement du désir de répondre à l’ordre du Seigneur, mais surtout de l’immense joie qu’ils ressentaient de leur foi en Jésus.
Ce que nous devons générer sur ce continent, bien plus que toute autre chose, est ce même sens de la joie, du témoignage courageux, aussi bien que de l’attention, en Son nom, à tous nos frères et sours en Asie. Cela peut être fait par nos efforts pour construire la communion et le dialogue avec toutes les différentes religions, avec les forces culturelles, politiques et économiques en Asie, ou cela peut être fait par notre engagement dans la promotion de la dignité humaine et des ouvres de charité. Ecclesia in Asia donne un aperçu de la façon dont ces choses peuvent être faites par la communauté catholique. Toutefois l’optimisme sous-jacent est plus important. L’évangélisation ne peut pas tomber du ciel. Le seigneur nous a mis en Asie en tant que Ses disciples parce qu’il veut que nous proclamions l’Evangile. Il nous a promis Sa présence parmi nous. Donc, nous ne devons pas avoir peur ou désespérer. Nous ne devons pas non plus être pessimistes. Avec le Seigneur, rien n’est impossible (Lc 1,37), tout est possible. Tout ce que nous avons à faire c’est de nous consacrer à Sa Mission, rechercher toutes les possibilités qu’Il met sur notre route, enthousiasmer chaque croyant dans le Christ et le transformer en un disciple adulte de Jésus qui devienne un missionnaire, en lui donnant un témoignage courageux du Christ ; rêver de nouveaux plans pour le Seigneur et se lancer dans la mer – duc in altum – comme Jésus conseillait de le faire à ses disciples et, comme eux, l’Eglise en Asie engrangera une grande récolte.
Orientations pratiques
1. Comme nous l’avons vu, dans le contexte de l’Asie, où se trouvent des traditions religieuses très vieilles et très bien implantées, qui offrent le sentiment de la liberté intérieure et répondent à la soif de libération spirituelle de milliards d’hommes, et avec une communauté chrétienne infime, “le petit troupeau” (Lc 12,32), la méthode la plus efficace d’évangéliser n’est pas autre chose, pour tous ceux qui s’affirment chrétiens, que d’être des disciples transparents et authentiques du Christ.
L’Asie croit à l’expérience et non pas aux doctrines. C’est le continent de la contemplation, du silence et de l’appel à la sainteté – “le sâdhu Le devoir le plus important pour évangéliser est donc de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour pousser tous les chrétiens sur la voie de la sainteté. C’est la meilleure façon de montrer à l’Asie, qu’après tout, le Christ, qui est un fils de son sol, a une réponse encore meilleure aux aspirations de l’Asie. C’est le moyen de ramener Jésus à ce continent.
Un tel renouveau, je pense, ne doit pas être simplement une affirmation écrite, ni la résolution d’un autre synode, d’un autre symposium ou d’un séminaire à réunir. Nous en avons eu assez.
La première priorité est, plutôt, de raffermir la foi et de renforcer la formation missionnaire des catholiques d’Asie, dès que possible. J’ai été édifié de voir comment, grâce à la coordination efficace entre le CELAM (le sigle espagnol pour l’Assemblée des Conférences épiscopales d’Amérique latine) le PMS (la Société des Missions pontificales) et les Commissions épiscopales locales pour les Missions, une vague d’enthousiasme et d’actions s’est développée dans l’Eglise d’Amérique latine en matière d’évangélisation. Ils ont déjà tenu six congrès missionnaires pour ce continent et continuent ce programme encore maintenant. Mais ce qui est remarquable, ce sont les résultats. Pour la Colombie seulement, il y a plus de 2 000 prêtres travaillant comme missionnaires dans d’autres pays et sur d’autres continents. Il y a beaucoup d’évêques impatients d’envoyer leurs prê-tres à des tâches missionnaires ad extra (hors du pays). Je suggérerais que le Bureau pour l’évangélisation de la FABC poursuive sérieusement son intention de tenir un Congrès missionnaire asiatique. On peut s’inspirer de l’ex-périence du CELAM. Mais cela ne doit pas s’arrêter là avec juste une série de résolutions. Un tel congrès doit se tenir régulièrement. La préparation au niveau national est égale-ment importante. Il faut, d’une certaine façon, continuer d’enfoncer le clou, jusqu’à ce que le message soit entendu.
“Que l’Asie soit missionnaire pour son propre peuple et pour le monde” ; tel devrait être le refrain. Le Saint-Père a déjà qualifié l’Asie dans Redemptoris Missio de zone où il faut renouveler l’effort d’évangélisation au troisième millénaire. Il montre beaucoup d’espoir dans la capacité de l’Eglise d’Asie à le faire. Ainsi, en partant des paroisses, des diocèses et des conférences d’évêques, un processus devra être lancé pour forger une forte conscience missionnaire dans les différents secteurs de l’Eglise. Les congrès missionnaires asiatiques, alimentés par les Congrès missionnaires nationaux, les congrès diocésains, aussi bien que par les programmes de travail de base des paroisses et des SCC (Petites communautés chrétiennes) doivent faire partie d’un projet coordonné se déroulant dans le temps pour stimuler la ferveur missionnaire dans la communauté catholique. Un des plus importants secteurs à accompagner de la sorte doit être celui des évêques et des prêtres. Ils sont habituellement engloutis par l’administration, la paperasserie et la routine, comme vous le savez bien.
2. J’ai parlé de la formation missionnaire parce qu’à moins que nous ne donnions un fort élan missionnaire vers l’extérieur à nos évêques et à nos prêtres, ils seront beaucoup trop pris par leur routine de tous les jours et par les problèmes de leurs propres Eglises. Il faut souligner la responsabilité de chaque prêtre et de chaque évêque, appelés, non seulement à aider leurs propres fidèles, mais encore et beaucoup plus, à désirer ardemment le salut des non chrétiens – exerçant ainsi, envers eux, leur charité pastorale -. L’Eglise doit regarder au-delà de son propre horizon. Le dialogue entre les religions deviendra un exercice profondément évangélisateur, si nous gardons cette perspective devant nous.
3. Toute cette conception doit commencer dans nos séminaires et nos instituts de formation, alors que dans ces lieux, l’approche reste hautement intellectuelle. Peut-être pensons-nous que c’est la façon dont évoluent le monde économique et le monde de la science et que nous devons suivre cette tendance.
Mais nous oublions qu’une telle évolution est celle d’une société en voie de sécularisation. Et que les aspirations de l’humanité n’y trouvent pas leur compte. Je me rappelle encore de cette jeune Française de 15 ou 16 ans, qui, à la journée de la jeunesse à Paris, il y a quelques années, dit au pape, à qui on l’invitait à s’adresser : “Père, dites à vos prêtres de nous parler de Dieu
Bien qu’apparemment on se moque souvent du sentiment religieux dans la société moderne, qui idolâtre la science, la technologie et l’esprit du siècle, l’humanité dans sa majorité aspire toujours à une liberté plus intérieure et plus profon-de. Et cette adolescente française parlait au nom de millions de ses semblables en exprimant cette même aspiration.
En vérité, la formation doit donner sa juste place à la compétence académique. Mais notre souci majeur doit être de modeler un cour qui, avec le Christ, peut dire : “J’ai soif” du salut des âmes, et de mettre en ouvre un zèle missionnaire, ouvert sur l’expérience, universel et réellement catholique. Ces hommes et ces femmes que Dieu a donnés à l’Eglise doivent être aidés à mette en valeur leur vocation, à grandir dans la sainteté d’une vie de transparence par l’action et la conviction, grâce à l’intimité avec le Christ et enfin, à acquérir un cour qui ait “soif” du salut de la race humaine toute entière et, en vérité, de tout le cosmos, comme St. Paul.
Si, ce qui parle le mieux à l’Asie est la vie du “sâdhu c’est ce qu’il faut donner comme formation en toute absolue priorité. “Soyez des saints et soyez des missionnaires et pas simplement des intellectuels et des managers Voilà ce qu’il faut souligner. Je pense que le Bureau pour l’évangélisation (de la FABC) devrait entreprendre un examen détaillé de l’approche de la formation missionnaire dans les séminaires asiatiques. Je rencontre beaucoup de ces séminaires qui ne dispensent même pas un cours de missiologie, sans parler d’un programme de formation missionnaire. Le Bureau pour l’évangélisation devrait avoir un programme spécial, ou même un bureau pour la formation, y compris pour la formation missionnaire dans les séminaires.
4. Un des principaux obstacles au succès de nos efforts pour un élan renouvelé dans l’annonce de l’Evangile est une certaine mentalité “de gens installés” dans une église de diocèse ou dans une communauté paroissiale. Cela se produit aussi dans le cycle normal de vie de toute personne. Ainsi, s’installer, satisfait avec ce qui a été fait jusque là, et abandonner, au moins jusqu’à un certain point, l’enthousiasme d’origine est une tentation forte qui nous menace tous. Cela nous conduit à un état d’esprit routinier qui se repose sur les institutions ou les structures existantes. Ainsi s’en ira l’élan de dynamisme tourné vers les non chrétiens – ou au moins vers ce qui dépasse nos limites ordinaires – Alors peut-être le dialogue se réduira-t-il à des formules du genre “Bonjour, comment allez-vous ?” et rien au delà ; mais dire “Bon, nous devons faire face à nos devoirs de ce jour, n’est-ce pas ?” et ne pas perdre la capacité que Dieu nous a donnée de rêver, d’inventer, d’être créatif pour Lui et ressentir que si un diocèse ou une paroisse vont bien, tout va bien.
Dans un tel contexte, la nature normalement mobile, sans frontière et sans routine de notre appel missionnaire meurt, comme meurt le dynamisme engendré par l’esprit. Pouvons-nous changer notre état d’esprit ? Je pense que là se trouve le défi le plus grand que nous devons affronter, nous en particulier, les évêques et les prêtres. “Que dirait St. Paul s’il voyait mon engagement missionnaire aujourd’hui” ce pourrait être une bonne question à nous poser.
5. L’engagement missionnaire est le baromètre de la vigueur de toute communauté ecclésiastique et de tout disciple au niveau individuel. Dans la mesure où nous proclamons le Christ et où nous portons témoignage, brûlant d’apporter son message de salut aux autres, dans cette mesure nous sommes de vrais disciples ou de vraies communautés de disciples. Jusqu’où y sommes-nous engagés ? Pouvons-nous magnifier cet engagement ? Je pense que le Bureau pour l’évangélisation a le devoir tout particulier de communiquer de l’enthousiasme aux évêques, aux pasteurs responsables d’Eglises locales, aux prêtres, aux pasteurs de communautés de paroisses et aux religieux, ces soldats de la mission sur les frontières. Il a le devoir de faire tout ce qui est possible pour qu’eux-mêmes soient engagés et qu’ils anticipent en missionnaires zélés du Christ. Ils devraient aussi être, alors, stimulés pour donner une formation missionnaire forte aux familles, aux mouvements ecclésiastiques, à la jeunesse et aux enfants.
6. La formation missionnaire de la jeunesse et des enfants demande une attention particulière de la part des responsables de la pastorale et de la formation missionnaire sur le terrain, je veux nommer spécialement les évêques et les prêtres. Le Programme missionnaire pour les enfants s’est révélé très efficace dans quelques pays d’Asie et dans de nombreux pays d’Amérique latine, ainsi qu’en Afrique. Je pense que les évêques pourraient faire un meilleur usage de ce programme pour assurer une formation missionnaire durable et efficace au grand nombre d’enfants catholiques que l’Eglise d’Asie a le bonheur d’avoir, parce que, si ces enfants sont guidés et aidés correctement, ils seront les missionnaires zélés et efficaces de l’Asie de demain. Des programmes particuliers de stages pour les évêques pourraient être mis sur pied, et la Société pontificale missionnaire (PMS) pourrait financer de telles entreprises. Les mêmes programmes pourraient être accessible à la jeunesse et aux familles, comme cela se fait dans quelques pays d’Amérique latine, comme la Colombie et le Mexique. Les directeurs nationaux de la PMS pourraient imaginer, avec l’accord du Bureau pour l’évangélisation, un plan d’action spécial pour arriver à ces objectifs.
7. Le point final que je souhaite faire concerne la nécessité de mettre en place un mécanisme d’assistance au niveau de la FABC pour coordonner et financer les nombreuses initiatives prises dans différents pays et diocèses pour former des laïcs comme missionnaires et les envoyer dans les zones les plus reculées de l’Asie pour un apostolat de présence, de témoignage et de service et aussi pour chercher les brebis perdues. Des diocèses ont déjà des programmes de ce type. Ils devraient être mieux coordonnés, avec des programmes d’assistance organisés et avec des laïcs de plus en plus engagés dans des ouvres de mission.
Voilà les suggestions que je souhaitais faire. Je suis sûr que pendant ces jours de prière, de réflexion et de dialogue le Seigneur vous guidera pour découvrir Sa volonté en Asie, où le désir de la vraie Rédemption est si grand. Je termine avec cette citation qui est destinée tout spécialement à ceux d’entre vous qui sont appelés à être des Saints Paul, des Saints François Xavier et des Saintes Thérèse d’Asie :
Toi, O Missionnaire de Jésus,
Souviens toi que :
Chaque fois que
Tu te trouves faible
Ils échoueront
Tu doutes
Ils seront au désespoir
Tu t’assoies
Ils tomberont
Mais chaque fois que
Tu les précèdes
Ils te dépasseront
Tu leur tends la main
Ils donneront leur vie
Tu pries
Ils deviendront des saints
Je vous remercie.
(EDA, UCAN, février 2003)
Dossiers et documents N° 2/2003
EDA N° 369
Février 2003
Dossier
“MURMURER L’EVANGILE A L’AME ASIATIQUE”
par Mgr Thomas Menamparampil
[NDLR – Mgr Thomas Menamparampil est archevêque de Guwahati, en Inde
1. Dans un style typiquement asiatique, je commencerai par un conte. Le poète indien Iqbal imagine un débat animé entre le Gange et l’Himalaya.
2. “Il était une fois,
Au pied des montagnes,
Une rivière qui regardait l’Himalaya
Et qui lui demandait sur un ton provocateur :
‘O vous, enroulé de votre manteau de neige,
Et revêtu de torrents florissants,
Toujours présent depuis l’aube de la Création,
Vous avez été béni du Seigneur
Par la connaissance des secrets divins.
Pourquoi alors avez-vous été privé
d’une démarche gracieuse ?
Pourquoi ne pouvez-vous
Pas vous déplacer ou marcher ?
Oh ! A quoi servez-vous Majesté,
A quoi rime cette représentation ?
La vie est avant tout mouvement,
Qu’il soit lent ou rapide
Le mouvement perpétuel est l’essence de la vie .”
3. A cette provocation du Gange, l’Himalaya rétorqua d’une voie tonitruante en crachant des fumées de rage :
4. J’ai regardé couler vos eaux immenses,
Afin de mieux comprendre qui vous êtes,
Et qui sont ces centaines d’eaux semblables à vous,
Coulant sans fin, ne sachant où aller.
Vous me parlez de votre grâcieux mouvement,
Mais en réalité ce mouvement n’est que l’annonce de votre mort.
Plus vous bougez, plus votre agonie est grande,
Mais comme un idiot, vous vous réjouissez de votre malheur.
Vous êtes né des entrailles du ciel,
Vous vous êtes créé votre propre existence
Qui n’est rien d’autre qu’une offrande à l’océan.
Vous vous imaginez que ma vie n’a pas de sens,
Regardez et voyez, si vous le pouvez,
N’ai-je pas grandi au point d’atteindre le ciel ?
Vous bougez certes, mais vous finissez par disparaître dans l’océan.”
5. Dans ce débat, chaque participant cherche plus à contredire ou à ridiculiser l’autre qu’à rechercher la Vérité. Serait-ce ce que nous appelons communément « le dialogue de sourds”, qui n’aurait pas de fin ?
6. Tant que les participants à un tel dialogue tiennent les religions pour des idéologies, ils s’affronteront à coups d’arguments, de déballages de preuves ou d’intérêts conflictuels, ils ne dépasseront pas le stade du groupe de discussion. Les traditions religieuses asiatiques ne sont d’ailleurs pas néophytes en ce domaine. Mais les gens n’en retirent que de l’amertume. Bouddha fulminait contre les personnes “subtiles et expérimentées en controverses, coupant les cheveux en quatre, et se tordant en argumentation comme des vers de terre”. (“The Buddha”, par Michael Carrithers, dans Founders of Faith, éditions Keith Thomas, Oxford, 1989). Vous risquez de dépenser votre énergie en paroles, mais vous ne parviendrez pas à emporter la conviction.
7. En Asie, les personnes fortes d’une expérience pastorale vous confirmeront que les arguments philosophiques ou historiques n’impressionnent pas l’Asiatique en quête de Foi. Par contre, ils vous confirmeront que les paroles de Jésus attirent toujours l’attention. Le travail impressionnant réalisé par l’Eglise dans le domaine de l’éducation, de la santé, et du travail social est généralement admiré, mais les cours sont véritablement touchés par les profondeurs religieuses et le partage d’expériences spirituelles. Les personnes affluent là où existe une atmosphère spirituelle, elles ne sont pas émues par des structures élaborées, qu’elles soient institutionnelles, même inspirées de la tradition des ashrams.
8. “L’Esprit qui était à l’ouvre en Asie au temps des Patriarches et des Prophètes, et de manière plus puissante à l’époque de Jésus Christ et de l’Eglise primitive, est maintenant à l’ouvre chez les chrétiens de l’Asie, affermissant leur témoignage de foi parmi les peuples, les cultures et les religions du continent (.). L’Eglise sait bien qu’elle ne peut remplir sa mission que si elle obéit aux impulsions de l’Esprit Saint. Appelée à être signe et instrument authentiques de l’action de l’Esprit dans les réalités concrètes de l’Asie, elle doit discerner dans les différentes situations du continent l’appel de l’Esprit à témoigner de Jésus Sauveur sous des formes nouvelles et efficaces (.). C’est pourquoi l’Eglise ne cesse de crier : « Viens, Esprit Saint ! Pénètre le cour de tes fidèles ! Qu’ils soient brûlés au feu de ton amour ! » (EA 18)
9. L’Eglise est convaincue qu’au plus intime des personnes, des cultures et des religions de l’Asie, est ressentie une soif d’“eau vive » (Cf. Jn 4,10-15) (EA 18)
Recherche d’identité
10. Il existe un intérêt renouvelé pour l’Asie. Pas de doute, la majeure partie de la population mondiale vit sur ce vaste continent. Certains économistes vont jusqu’à penser que la future économie mondiale sera asiatique. A propos de l’économie asiatique, John Naisbit écrivait en 1996 (à la veille de l’effondrement des économies des pays de l’Est) “. plus d’un demi milliard de personnes deviendront ce que l’Occident appelle communément les classes moyennes. Ce marché représente “grosso modo” la taille des Etats-Unis et de l’Europe réunis.” (Naisbitt, Megatrends in Asia, Simon & Schuster, New York, 19996, p. 13). Certaines prévisions sont prématurées, d’autres sont utopiques. Même si elles ont le mérite d’élever nos espérances, il existe néanmoins suffisamment de raisons pour nous permettre de rester dans la dure réalité économique actuelle de l’Asie.
11. Durant la guerre froide, les personnes s’interrogeaient sur le système qui leur permettrait de devenir prospère. Aujourd’hui des millions de personnes se demandent : Qui sommes-nous ? Où sont nos racines ? Comment définissons-nous notre héritage ? Quelle est notre histoire ? Où se trouve notre destinée ? “Les personnes se définissent en fonction de leurs ancêtres, religion, langue, histoire, valeurs, coutumes et institutions. Ils s’identifient grâce à des groupes culturels : tribus, groupes ethniques, communautés religieuses, nations, et, dans une plus large mesure, civilisations.” (Samuel Huntington, The Clash of Civilizations, Penguin, New Delhi, 1997, p. 21) (1).
12. Les Asiatiques ont également soif de se définir. Plusieurs leaders asiatiques y ont d’ailleurs contribué de manière diverses et pendant différentes périodes : Gandhi et Nehru, Mao et U Nu, Mahathir et Lee Kuan Yew. Ils représentent des idéologies variées qui ont dominé la scène asiatique, il y a quelques années, et qui ont révélé les nouveaux visages de l’Asie émergeante. De vastes changements ont pris place. Tout comme l’Occident avait été radicalement transformé par des mouvements tels la Renaissance, la Réforme ou les Lumières aux siècles passés, la rencontre de l’Asie avec l’Occident a progressivement transformé la société asiatique. Les traditions ancestrales sont défiées, les valeurs culturelles centenaires sont remises en question.
13. “Dans le processus de développement, le matérialisme et le sécularisme gagnent aussi du terrain, spécialement dans les zones urbaines. Ces idéologies, qui minent les valeurs traditionnelles, sociales et religieuses, menacent les cultures de l’Asie de dommages incalculables (.). Un certain nombre de Pères synodaux ont souligné les influences extérieures qui pèsent sur les cultures asiatiques. De nouveaux modes de comportement apparaissent par suite d’une exposition excessive aux médias et aux types de littérature, de musique et de films qui prolifèrent sur le continent.” (EA 7)
Affirmation de soi en Asie
14. Plus ces valeurs sont contestées, plus les Asiatiques examinent avec intérêt leur héritage en explorant de nouvelles formes qui le mettraient en valeur différemment. Nous entendons parler du renouveau du génie confucéen, des valeurs Vaisya, des conventions de castes, du patrimoine cul