Eglises d'Asie – Japon
PARMI LES EGLISES CATHOLIQUE D’ASIE, L’EGLISE DU JAPON DEVRAIT SAVOIR MIEUX OCCUPER SA PLACE – Une interview avec le président de la Caritas japonaise –
Publié le 18/03/2010
Nous ne sommes qu’une petite minorité au Japon malgré l’histoire de notre Eglise qui remonte à St François Xavier, au XVIe siècle (2). Le nombre de catholiques n’atteint pas encore les 0,5 %, soit moins d’un demi million de personnes pour une population de 120 millions d’habitants.
Après l’expansion économique des années 1980, les usines du Japon manquant de main-d’ouvre, on a invité des Latino-américains, particulièrement des Brésiliens d’ascendance japonaise à venir travailler. Comme ces Brésiliens ressemblaient physiquement à des Japonais, le gouvernement leur avait accordé des visas sans difficulté (3). Ils sont arrivés en grand nombre, la plupart catholiques. La population catholique japonaise a donc soudainement augmenté. Les évêques estiment aujourd’hui à un million les catholiques au Japon (immigrés inclus). Ce qui signifie que les travailleurs migrants catholiques sont plus nombreux que les catholiques du pays. Les immigrés sont concentrés dans des lieux comme Tokyo, Nagoya et Osaka. Ces diocèses ont donc organisé des services d’entraide qui composent actuellement l’essentiel de leur activité. Du temps de l’économie florissante, ces travailleurs venaient au Japon et gagnaient suffisamment d’argent pour repartir quelques années plus tard. Depuis la chute de l’économie, ils n’ont plus les moyens de repartir et beaucoup d’entre eux décident de rester au Japon.
Un autre problème s’est fait jour. Les enfants de ces travailleurs migrants ignorent souvent leur propre langue. Ils ne parlent plus que le japonais si bien qu’il est très difficile pour eux de repartir. Ils resteront donc au Japon. La charge de ces catholiques non japonais est une priorité pour de nombreux diocèses. Caritas Japan s’occupe de l’éducation de ces enfants et les prend en charge car beaucoup d’entre eux ne bénéficient d’aucune prestation sociale gouvernementale.
Quelles sont les principales opérations de Caritas au Japon ?
Depuis plusieurs années, Caritas travaille avec d’autres ONG du Japon pour aider la Corée du Nord. Ce choix s’explique par nos relations spéciales avec les deux Corée puisque la péninsule coréenne a été colonie japonaise pendant une quarantaine d’années jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Caritas Japan a commencé par envoyer du riz en Corée du Nord via le Vietnam. Depuis la récente révélation des enlèvements de Japonais par la Corée du Nord quelques dizaines d’années auparavant, ce qui a suscité émoi et indignation, l’opinion publique reste en général anti-coréenne et beaucoup nous interrogent sur l’opportunité de leur venir en aide. Nous répondons qu’il s’agit d’une ouvre humanitaire et qu’il faut la poursuivre. Nous ne voulons pas que l’action caritative de l’Eglise se politise (4).
Notre engagement en Afghanistan a commencé bien différemment. Dès l’ouverture des combats, beaucoup nous ont appelés pour nous demander : “N’allez vous pas faire quelque chose face à ce désastre ? Le public a commencé immédiatement à envoyer des dons pour l’Afghanistan. Avant même l’enclenchement d’une campagne, l’argent affluait. A l’époque, nous avons craint un moment de ne pouvoir utiliser cet argent puisque l’Afghanistan ne possède aucun relais catholique susceptible de réceptionner notre aide. C’est alors que la Caritas Internationale a commencé ses propres opérations et nous l’avons rejointe. Les sommes d’argent collectées ont été très importantes, bien supérieures à celles recueillies habituellement par Caritas Japan. Peu après, les évêques ont décidé de collaborer et d’envoyer des commissions d’enquête. Deux ou trois évêques japonais, pour le moins, se sont rendus en Afghanistan (5).
Quelles sont les principales préoccupations de l’Eglise au Japon ?
L’ensemble des catholiques garde le silence sur les questions politiques et les problèmes sociaux face à une situation économique désastreuse. Le nombre des sans abri a beaucoup augmenté et beaucoup sont des chômeurs âgés. Les entreprises cherchent à employer des jeunes pour de faibles salaires et renvoient les autres. C’est ainsi que ces personnes sans domicile fixe sont devenues, pour l’Eglise, un de ses plus gros soucis.
L’Eglise anime de nombreux services d’entraide, des soupes populaires, des distributions de couvertures. Vous seriez surpris de voir le nombre de SDF dormant dans les rues de Tokyo ou vivant dans les taudis de ce pays pourtant si développé (6). Les installations réservées aux handicapés physiques ou mentaux sont rares car le gouvernement essaie de réduire les subventions. Cela inquiète l’Eglise. La Commission ‘Justice et paix’ de la Conférence épiscopale est très active sur ce sujet, ce qui lui assure beaucoup de respect.
Quelle est la réaction de l’Eglise à la montée du nationalisme ?
Au sujet de la politique, l’Eglise catholique au Japon reste silencieuse et le nationalisme devient un problème. Pour la plupart, les jeunes ne connaissent ni l’histoire ni l’origine du nationalisme au Japon. Ils ne savent pas comment, dans la période qui a précédé la deuxième guerre mondiale, le gouvernement a été débordé par la montée des idéologies nationalistes. La jeunesse ignore tout de cette triste époque.
Toujours est-il qu’en ce moment, beaucoup essaient de manipuler les jeunes. Comme par exemple, pendant la Coupe du monde de football, quand tous les spectateurs ont chanté l’hymne national glorifiant l’empereur et agité des drapeaux. Cela arrive maintenant très souvent et divise les catholiques (7).
Nous avons un grand nombre d’excellentes écoles où la majorité des étudiants déploie le drapeau et chante l’hymne national lors des cérémonies d’entrée ou de remise de diplômes. La Commission épiscopale ‘Justice et paix’ a déconseillé l’usage de l’hymne et du drapeau dans les écoles mais la tendance est, en ce moment, en faveur de ces idéologies. Malheureusement, les évêques restent silen-cieux. Nombreux sont âgés et proches de la retraite. Dans quelques années, nous aurons un nouveau groupe de jeunes évêques. Souhaitons qu’ils soient bons, avec une bonne compréhension des problèmes de société. Mis à part la Commission ‘Justice et paix’, il est très rare d’entendre les évêques discuter de ces sujets. En session plénière, la Conférence des évêques ne parle généralement pas de ces questions. Avec de nouveaux évêques, cela devrait changer.
Est-il difficile pour les catholiques de vivre leur religion au Japon ?
Le Japon est considéré comme un pays bouddhiste, ce qui est faux. Beaucoup de ceux qui se disent bouddhistes ne le pratiquent pas. D’après les statistiques, tous les Japonais, moi-même y compris, sont considérés comme shintoïstes. Né Japonais, vous êtes membre du Shinto. Le shintoïsme est lié à l’empereur. Cette sorte de conviction est très forte si bien qu’elle rend difficile la pratique de la foi catholique dans la société japonaise.
D’autres facteurs font qu’il est difficile d’être catholique dans le contexte économique et culturel actuel. Les élèves doivent aller en classe le dimanche, soit pour des cours, soit pour d’autres activités. Les entreprises organisent généralement des excursions ou des séminaires le dimanche. Les catholiques ont des difficultés pour se rendre à l’église.
D’autre part, nous avons peu de familles entièrement catholiques. Dans la plupart des cas, un seul de ses membres est catholique. Si le mari n’est pas catholique, ce sera très difficile pour sa femme d’aller à la messe le dimanche ou de participer à des activités religieuses. C’est là le plus important problème pastoral. Nous avons peu de catholiques et beaucoup ne peuvent pas se rendre facilement à l’église le dimanche. Comparés à ceux des autres religions, les chrétiens sont plutôt bien respectés, en particulier les catholiques. La famille de l’empereur compte plusieurs catholiques. Ce n’est pas un secret que la femme du cousin de l’empereur est catholique.
Comment voyez-vous l’avenir de l’Eglise du Japon ?
A la fin des années 1980, un synode s’est tenu avec pour thème une nouvelle évangélisation du Japon. Nous en attendions de grands résultats, en particulier une meilleure participation des laïcs. L’évêque de Yokohama de l’époque, Mgr Stephen Fumio Hamao, alors président de Caritas, était le chef de file et l’animateur de ce mouvement de rénovation. Il travaille actuellement au Vatican. Il a fondé un mouvement de laïcs missionnaires ainsi qu’un institut, le Centre catholique pour la Formation des laïcs. Après dix années d’existence, l’institut a été fermé. Quant au mouvement de laïcs missionnaires, il fonctionne bien mais n’est pas populaire au Japon (8). Ce que nous avions espéré il y a dix ans s’est évanoui. Même avec optimisme, il ne faut pas s’attendre à une augmentation significative du nombre de baptêmes au Japon. Nous continuerons à plafonner autour du demi million de fidèles.
Voyez-vous que l’Eglise du Japon puisse occuper une place de leader au sein des Eglises d’Asie ?
Les évêques du Japon essayent tout particulièrement de collaborer avec la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie) et d’autres activités ecclésiales, mais cette sorte d’internationalisme reste étrangère aux catholiques moyens japonais. Certaines paroisses sont très actives en ce qui concerne l’entraide, comme un jumelage avec une paroisse aux Philippines ou au Cambodge, mais cette mentalité est plutôt rare. C’est pourquoi Caritas Japan se contente d’envoyer de l’argent sans avoir beaucoup de contact avec les personnes.
L’une des priorités de Caritas Japan est de faire prendre conscience aux Japonais qu’il ne s’agit pas que de financement. Il faut aussi vouloir connaître et s’intéresser aux personnes qui en bénéficient. Si, plus tard, s’établissait un échange d’informations et des relations, ce serait l’idéal. L’une des priorités de l’Eglise au Japon est donc de faire de l’information parmi les fidèles pour devenir plus proches des autres pays d’Asie.
(1)Voir EDA 369
(2)Voir le Dossier de EDA 105 : “Eglise du Japon : 444 ans d’histoire”
(3)Voir EDA 367 (Cahier de documents)
(4)Voir EDA 361
(5)Voir EDA 340
(6)Voir EDA 362
(7)Voir EDA 329
(8)Voir EDA 243 (Cahier de documents)