Eglises d'Asie

CIRCULAIRE DES EVEQUES CATHOLIQUES DU TAMIL NADU AU SUJET DE LA LOI ANTI-CONVERSION PROMULGUEE PAR LE GOUVERNEMENT DU TAMIL NADU

Publié le 18/03/2010




Chers frères et sours,

Que la grâce du Seigneur Jésus qui nous a dit : et moi, je suis avec vous, jusqu’à la fin des temps.” (Mt 28,20) soit toujours avec vous.

Vous êtes tous au courant de la loi contre la conversion par la force que l’Etat du Tamil Nadu vient de promulguer. Le peuple du Tamil Nadu continue de rejeter avec vigueur cette loi depuis le premier jour de sa parution. En dépit des protestations soulevées par les catholiques par différents moyens, les évêques tamouls n’ont jusqu’ici toujours pas publié de circulaire au sujet de cette loi. Nous souhaitons par conséquent exprimer très clairement notre désapprobation à l’égard de cette loi contre la conversion et expliquer l’attitude à prôner vis-à-vis de cette loi ambiguë.

Que dit la loi contre la conversion ?

Bien que cette loi ait reçu le nom de “loi contre la conversion par la force elle vise en réalité à empêcher quiconque de changer de religion. De plus, elle tente de qualifier de “conversion” toute action sociale et éducative ainsi que toute aide financière allouée au profit des pratiquants d’une autre religion.

Cette loi considère que “tromper les individus, les inciter et les obliger à son profit” pourraient être interprétés comme des moyens de conversion. Si de tels actes se produisent, les auteurs se verront infliger une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans, et une amende de 50 000 roupies. La sanction est portée à quatre ans d’emprisonnement et 100 000 roupies d’amende si des aborigènes, des femmes et des enfants font l’objet de conversion par ces procédés.

Les officiants (gourou : la loi précise “prêtres”) qui accomplissent un acte ou une cérémonie (baptême) de conversion devront fournir au juge des délits de leur district les informations concernant les personnes qui se convertissent. Ainsi, cette loi sous-entend que l’acte de conversion est plus grave qu’un acte criminel. De plus, parler de la bénédiction ou du châtiment de Dieu est, selon cette loi, considéré comme un délit.

En quoi cette loi est-elle néfaste pour nous ?

Nous ne pouvons pas définir ce qu’est “l’incitation Pour citer un exemple, on peut porter plainte pour “incitation” si une personne se promène dans les rues la Bible à la main, ou si elle dirige une séance de prière en public. De tels actes peuvent donc être interdits.

Nous ne pouvons définir non plus “le détournement à son profit”. Nos actions dans le domaine de l’enseignement, de la santé, de l’aide au développement social, des pensions pour garçons et filles peuvent toutes être interprétées comme “détournement”. Le simple fait de parler du paradis, de la rédemption, de l’enfer, de la bénédiction et du châtiment de Dieu peut être considéré comme “détournement de personne”.

En résumé, nous pouvons dire que le danger existe que les différents services qui sont offerts aux plus défavorisés soient considérés comme des actes condamnables. De plus, si un individu se convertit, toute personne peut porter plainte contre lui. Ainsi cette loi donne aux autorités concernées le moyen de piéger les plus défavorisés sous le coup d’un délit.

Cette loi porte atteinte aux relations interreligieuses. Elle donne des explications erronées quant aux services rendus aux plus défavorisés. Elle instaure un climat de méfiance inutile. Elle culpabilise nos contacts avec autrui. Elle ouvre la voie à des confrontations interreligieuses.

Le gouvernement annonce que cette loi ne portera pas préjudice aux personnes défavorisées aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des tribunaux. C’est un mensonge ; c’est en vérité une tromperie.

Il suffirait de voir qui soutient cette loi pour en discerner les bénéficiaires et les perdants. Seuls les mouvements fanatiques religieux prônant la haine des autres religions et les partis politiques qui sont leurs porte-parole approuvent cette loi. Il s’agit en fait des associations fondées sur le rejet des religions venues d’ailleurs. Ceux qui soutiennent cette loi parlent toujours contre les minorités : les chrétiens défavorisés et les musulmans.

Simultanément, la majorité du peuple proteste contre cette loi. Celle-ci est décriée non seulement par les partis de l’opposition, mais aussi par les mouvements dalit et les associations féministes. Des journaux ont manifesté leur désapprobation en publiant de gros titres. Ainsi, cette loi trouve un refus parmi la majorité de la population.

Pour l’heure, il est primordial de nous associer à ces personnes pour protester contre cette loi. D’une manière générale, nous pouvons dire que notre devoir est non seulement de prêcher la bonne parole mais aussi de servir les droits de l’homme.

Une loi contraire au droit

Conformément aux termes de l’article 25 de la Constitution indienne, chaque citoyen et citoyenne de l’Inde a le droit d’adhérer à une religion. Selon les termes de cet article, chacun a le droit de pratiquer ou de propager la religion qu’il désire. Cette nouvelle loi entend supprimer ces droits en les masquant sous le nom d’“incitation” et de “détournement”. De plus, la déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, dans son article 18, stipule le droit, pour tout le monde, individuellement ou en association, isolément ou en lieu public, de pratiquer ou de propager la religion qu’il désire. Cette nouvelle loi supprime la possibilité de conversion alors qu’elle représente une protection efficace des plus défavorisés.

Une loi inutile

Cette loi contre la conversion est une loi inutile. Jusqu’à présent, dans le pays tamoul, il n’y a jamais eu de plainte contre une conversion par incitation ou par détournement de personne. Auparavant, il n’y a jamais eu de procès enregistré pour une conversion par la force. Par conséquent, cette loi qui a été promulguée à la hâte se révèle inutile.

Pour ces raisons, nous protestons contre cette loi. Nous organisons des manifestations pour que le gouvernement retire cette loi. Dans un pays démocratique, manifester est un droit de tout un chacun. Notre manifestation légitime triomphera. Afin d’atteindre notre but, nous continuons à prier et à méditer. Plus nous prions Dieu, plus nous puisons de l’énergie. Nous découvrons des actions à mener avec humanité, sans esprit de haine envers quiconque et sans implication politique. Avec la grâce de Dieu, il est certain que nous emporterons ce combat.

Le dévouement que nous devons porter dans nos actions

En deux mille ans d’histoire, nous, chrétiens, avons toujours rencontré de nombreux défis. Nous avons enduré des persécutions et des malheurs. “Vous êtes mes témoins” (Lc 24,48), “Allez par le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à tous les êtres.” (Mc 16,15). Nous ne nous déroberons pas, de si peu que ce soit, à la mission que nous a confiée Jésus le Christ. En vérité, ce sont les épreuves qui nous stimulent dans notre mission de prêcher la bonne parole. Par conséquent, dans le contexte actuel nous devons consolider nos bases encore davantage. A ces fins, nous souhaitons insister sur les éléments indiqués ci-après :

1. Il y a un seul Dieu ; il est père et mère de tous les hommes ; nous sommes tous frères et sours ; nous devons tous recevoir tout sans distinction. Nous devons renforcer le sentiment que rien ne nous manquera avec la souveraineté divine. Sur cette base, nous devons continuer à nouer des liens et des échanges interreligieux.

2. Nous devons non seulement instaurer des structures chrétiennes et des associations d’amitié, nous devons également faire fructifier nos liens communautaires en créant des communautés amicales de quartier, incluant des pratiquants et des non-pratiquants des autres religions.

3. “Instaurer les droits des plus démunis” reste le fondement de l’enseignement de Jésus. Tel est également celui de l’Eglise catholique. Nous devons conforter davantage ce principe.

4. Pour nous, chrétiens, suivre les différences de castes est contraire à notre croyance en Dieu. Par conséquent, agissons avec méthode pour éradiquer le système des castes. Ouvrons ensemble pour instaurer une situation où les différends pour raisons de castes seraient abolis. Dans le même but, agissons avec vigueur pour la libération des peuples dalit.

5. Continuons à lutter pour les droits de la femme. Dans nos actes, privilégions l’égalité entre l’homme et la femme.

6. Il faudra être très attentif dans notre mission de prêcher la bonne parole. Notre action ne doit ni blesser quelqu’un ni froisser une autre croyance religieuse. Par des actes trop forts et déraisonnés, nous ne devons pas nous rendre responsables du mépris de nos interlocuteurs vis-à-vis de Jésus.

7. Les annonces telles que “Jésus est Seigneur”, “Jésus, seul sauveur”, “Jésus seul crée la relation entre Dieu et les hommes”, “Jésus est le chemin, la vie, la vérité” doivent être adaptées à la situation et bien comprises par les gens.

8. Pour nous opposer au fondamentalisme hindou ou musulman, nous ne devons pas nous laisser aller à un certain fondamentalisme chrétien ou au fanatisme religieux.

“Il les envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades” (Lc 9,2). Que notre mission de prêcher la bonne parole continue à s’accomplir avec le sentiment que nous sommes envoyés pour cela ! Que la grâce et la bénédiction de Dieu soient toujours avec nous !