Eglises d'Asie

Le gouvernement persiste dans ses efforts d’ingénierie sociale avec une nouvelle campagne pour inciter les Singapouriens à procréer

Publié le 18/03/2010




Le gouvernement de Singapour a toujours pensé, depuis le milieu des années 1980, que la prospérité économique de la cité-Etat ne pourrait perdurer que s’il arrivait à inverser significativement des tendances démographiques lourdes qui font que les Singapouriens se marient de moins en moins et ont de moins en moins d’enfants. Régulièrement, des campagnes ont été menées dans ce but.

Cette année encore, le mois de février a vu se dérouler l’une de ces campagnes. Appelée “Rendre Singapour romantique elle était destinée à encourager les Singapouriens à “s’accoupler et se multiplier Le côté “romantique” de l’affaire était peut-être préservé, aux yeux des autorités, par le fait qu’elle a été lancée le jour de la Saint-Valentin. Offres de croisières organisées, de bals, de concerts, de visites de musées, de dîners aux chandelles et d’escapades de week-end se sont multipliées pour les couples à des prix défiant toute concurrence. “A l’époque qui est la nôtre, il nous est facile de nous noyer complètement dans nos vies menées à grande vitesse, en négligeant les relations humaines, dit le site Internet officiel de la campagne. Nous avons donc l’ambition de créer un climat où chacun puisse célébrer et apprécier ses relations humaines.”

Le fait est que l’évolution démographique de la cité-Etat est inquiétante. Au fur et à mesure que la prospérité s’est installée, hommes et femmes ont été encouragés à s’investir dans leurs carrières professionnelles. Beaucoup ont repoussé le mariage à plus tard, la natalité a chuté brutalement. Au milieu des années 1980, le gouvernement incitait déjà les membres des professions libérales à avoir davantage d’enfants en leur proposant de substantielles réductions d’impôts à cet effet. En même temps, il invitait les femmes n’ayant pas un niveau d’éducation jugé suffisant à se faire stériliser après le deuxième enfant, incitation financière à la clé. Cette distinction était fondée sur la croyance des autorités singapouriennes que les enfants des “riches” seraient plus à même que ceux des “pauvres” de participer positivement à la prospérité de la république. Aujourd’hui pourtant cette distinction ne semble plus d’actualité et elle n’est plus mentionnée. C’est donc que la situation démographique est devenue beaucoup plus sérieuse.

De fait, en 2002, les statistiques officielles recensent 40 800 naissances, le chiffre le plus bas depuis quatorze ans. Le nombre des mariages a lui aussi baissé de 2 % par rapport aux années 1980 et 1990. La proportion de personnes non mariées âgées de plus de trente-cinq ans est passée de 18,7 % à 30,3 % en l’espace d’une décennie.

Cette détérioration rapide de la situation démographique implique une dépendance accrue de Singapour par rapport à la main-d’ouvre étrangère. Dans un pays sans ressources autres que ses ressources humaines, le fait qu’un quart de la population de quatre millions d’habitants soit formé de travailleurs étrangers n’incite pas à l’optimisme : “Dans la mesure où les pays voisins se développeront, le réservoir de travailleurs étrangers disponibles se réduira et qu’adviendra-t-il alors ? Il n’y aura pas assez de travailleurs, la productivité baissera et l’économie en souffrira affirme par exemple la sociologue Pauline Tay Straughan.

En dépit de ces réalités, les campagnes gouvernementales incitant les Singapouriens à la procréation rencontrent de plus en plus de scepticisme et d’agacement dans les classes moyennes, les premières visées, qui préféreraient que le gouvernement n’interfère pas trop dans leur vie privée. Les raisons les plus souvent citées pour ne pas avoir d’enfant sont la situation économique actuelle, qui n’est guère brillante, mais surtout l’extrême compétition qui règne dans tout le système éducatif singapourien et qui génère beaucoup d’anxiété chez les parents et les enfants. C’était le sujet d’un film à succès à l’affiche l’an dernier sur les écrans de Singapour et qui s’intitulait “I No Stupid”.