Eglises d'Asie

Aceh : quatre mois après la signature de l’accord de Genève entre les indépendantistes locaux et Djakarta, la paix paraît à nouveau très fragile dans la province

Publié le 18/03/2010




Quatre mois après la signature d’un accord de paix à Genève entre le GAM (Mouvement pour Aceh libre) et Djakarta (1), le plus long et sanglant conflit que l’Indonésie contemporaine a eu à connaître semble sur le point de redémarrer. Le 12 avril dernier, le ministre indonésien de la Sécurité, Susilo Bambang Yudhoyono, a déclaré que le Centre Henri Dunant, de Genève, médiateur dans ce conflit, l’avait bien informé du fait que les responsables du GAM étaient disposés à rencontrer les émissaires du gouvernement indonésien sous l’égide du “Comité conjoint regroupant les trois parties (GAM, gouvernement indonésien et Centre Henri Dunant). Demandée par Djakarta pour une évaluation de l’application de l’accord de décembre 2002, la réunion de ce Comité paraît cependant compromise tant les positions ne se sont pas rapprochées en quatre mois de temps. Djakarta déclare ne pas vouloir discuter d’autre chose que de la mise en place d’une “autonomie spéciale i.e. élargie, tandis que le GAM n’a pas renoncé à l’indépendance pour cette province située à l’extrémité nord-ouest de Sumatra. Susilo Yudhoyono a ajouté le 13 avril que le gouvernement n’hésiterait pas à recourir à la force armée au cas où le GAM ne ferait pas preuve de bonne volonté, en particulier en ce qui concerne son désarmement.

Selon Sidney Jones, responsable de l’antenne indonésienne de Crisis Group et auteur de rapports remarqués sur les conflits internes à l’Indonésie tels ceux des Moluques, de Papouasie occidentale ou d’Aceh, “l’humeur au sein du gouvernement ainsi que dans l’opinion publique est à ‘l’écrasement de la rébellion séparatiste’ à Aceh l’armée n’attendant qu’un faux-pas du GAM pour passer à l’action sur le terrain. La tension de ces jours derniers, a-t-elle souligné, ne survient toutefois pas tout à fait par hasard et les deux parties peuvent y avoir leur part de responsabilité.

Du côté du GAM, ses militants ont utilisé ces quatre derniers mois pour sillonner le terrain et expliquer à la population que l’accord de décembre 2002 était le prélude à l’indépendance. Du côté des militaires, l’armée a eu recours aux méthodes qu’elle a déjà employées par le passé au Timor-Oriental, c’est-à-dire recruter des milices paramilitaires pour intimider les observateurs étrangers déployés sur le terrain pour veiller à la bonne application de l’accord de Genève. De fait, après plusieurs incidents au cours desquels des postes isolés d’observateurs ont été attaqués, la centaine d’observateurs étrangers ont été concentrés dans la seule ville de Banda Aceh, chef-lieu de la province.

Selon nombre d’observateurs, dont Sidney Jones, outre le fait que tant le GAM que les militaires trouvent des intérêts économiques et financiers à entretenir le conflit, la question d’Aceh est prisonnière des luttes de pouvoir qui se jouent à Djakarta dans la perspective des élections présidentielles de l’an prochain. La présidente Megawati Sukarnoputri, qui n’a jamais caché ses convictions nationalistes et son souci du maintien de l’intégrité territoriale du pays, doit faire face aux militaires, ou au moins à une faction parmi les militaires, qui voient en Aceh une de leurs dernières cartes pour rester au centre du jeu politique et qui, en entretenant l’instabilité dans cette province, souhaitent prouver qu’ils sont indispensables. Selon Sidney Jones, Aceh “est une opportunité en or pour montrer que seule l’armée peut gérer les problèmes de sécurité interne – même si elle a joué un rôle en les suscitant presque tous”.

Du côté des responsables musulmans à Aceh ou à Djakarta, les réactions à la perspective d’une reprise des hostilités dans la province musulmane ont varié. L’imam Su’ja, président du chapitre local de la Muhammadiyah, seconde plus importante organisation musulmane de masse du pays, a dit le 13 avril que les populations locales souhaitaient la paix et non la guerre. Pour aussi imparfait qu’il soit, les deux parties, GAM et armée gouvernementale, auraient dû s’en tenir à l’accord de Genève, a-t-il déclaré. A Djakarta, le président de la Muhammadiyah, avec des intellectuels musulmans modérés tels que Nurcholish Madjid, a souhaité que le dossier soit confié au ministre Yusuf Kalla, doté d’un portefeuille étendu des Affaires sociales, dont l’action dans la résolution du conflit des Moluques ou de la région de Poso, à Célèbes, a été décisive (2). Le président de la Nahdlatul Ulama, Hasyim Muzadi, a pour sa part demandé que le Centre Henri Dunant se retire du processus, car, a-t-il estimé, cet organisme de défense des droits de l’homme et de médiation n’a pas suffisamment l’expérience des TNI, les forces armées indonésiennes, et du GAM.