Eglises d'Asie

Le Premier ministre reçoit officiellement le dirigeant de la branche du bouddhisme réfractaire au contrôle gouvernemental

Publié le 18/03/2010




L’organe du Parti communiste vietnamien, le Nhân Dân du 2 avril dernier, présentait en sa première page une image insolite. A l’endroit où d’habitude n’apparaissent que des personnalités du Bureau politique, on pouvait voir, en grande conversation avec le Premier ministre Phan Van Khai, à côté d’un énorme bouquet de fleurs, le vénérable Thich Huyên Quang, patriarche du bouddhisme unifié, qui depuis 1975, plus particulièrement depuis 1981 (1), refuse avec obstination et ténacité la mainmise du gouvernement sur les affaires de la religion majoritaire au Vietnam. Sans doute l’histoire nous aidera à comprendre la signification d’une telle rencontre. Toujours est-il que les premiers comptes-rendus sur cet événement ne sont pas, pour l’heure, très éclairants.

En effet, selon les rapports présentés par la presse officielle (2), le dirigeant bouddhiste, qui vient d’être opéré d’une tumeur à la face dans un hôpital de Hanoi (3), était venu, le 2 avril dernier, présenter ses “salutations” au Premier ministre. Celui-ci, après s’être réjoui du rétablissement de la santé de son interlocuteur, lui aurait exposé la politique religieuse du gouvernement et son souhait de le voir apporter sa contribution au dharma et à la nation. Grâce à la “préoccupation du Parti et de l’Etat” et aux soins dispensés, le religieux a recouvré la santé, a pu rendre hommage au mausolée de Hô Chi Minh et visiter diverses pagodes et monuments historiques de la capitale.

Cependant, la version de cette rencontre émanant de sources indépendantes s’éloigne quelque peu de cette présentation officielle. Certes, le communiqué du Bureau international d’information bouddhis-te (4), dont la source est le patriarche lui-même reconnaît que l’entrevue a été ouverte et amicale, mais ajoute qu’aucune décision n’a été prise en ce qui concerne le bouddhisme unifié, interdit par le gouver-nement depuis 1981. Au contraire, à la demande de rétablissement du statut légal du bouddhisme unifié, le Premier ministre a répondu : “Nous avons déjà l’Eglise bouddhiste du Vietnam. C’est suffi-sant.” Il s’agit de l’Eglise patronnée par l’Etat et fondée par lui en 1981. Selon la version indépendan-te, le patriarche a rappelé au Premier ministre la répression systématique de son Eglise, la confiscation de toutes ses ouvres éducatives et caritatives, son propre exil sans jugement depuis vingt-et-un ans. Le Premier ministre a répondu en admettant que le Parti communiste avait de nombreux défauts et avait commis de nombreuses erreurs dont certaines, comme l’exil du patriarche, ont été attribuées à des décisions irrationnelles prises au niveau local et ne correspondant pas à la politique de l’Etat.

Cette spectaculaire et improbable rencontre a d’autant plus étonné que des nouvelles inquiétantes avaient été diffusées après l’opération du religieux. Aux alentours du 28 mars dernier, trois religieux qui avaient accompagné le patriarche à Hanoi avaient été priés de quitter la capitale sous la menace d’une arrestation imminente. Quand au patriarche, qui voulait revenir à son lieu de résidence au Quang Ngai, on lui avait fait savoir, trois jours durant, qu’il n’y avait plus de places disponibles dans le train. Le patriarche attribuait cette mauvaise volonté à une requête en six points envoyée par lui aux chefs du Parti et du gouvernement. Il y exigeait en particulier la libération immédiate des deux plus hauts dirigeants du bouddhisme unifié, le rétablissement légal de cette Eglise bouddhiste, de son indépendance et de son autonomie par rapport au Parti et au gouvernement.

La rencontre du patriarche avec le Premier ministre avait montré que si telles avaient été les intentions du gouvernement, il en avait changé. C’est tout à fait paisiblement que, le 7 avril, le dirigeant bouddhiste a pu s’embarquer dans un train à destination de Huê où environ 2 000 religieux et laïcs bouddhistes, appartenant au bouddhisme unifié comme à l’Eglise bouddhiste patronnée par l’Etat, lui ont fait un accueil triomphal. Le lendemain, après avoir rencontré un certain nombre de personnalités bouddhistes du lieu, il quittait l’ancienne capitale impériale en voiture à destination du Quang Ngai.

Divers jugements ont été portés sur cet étrange épisode dans l’histoire des relations difficiles entretenues par l’Etat avec le bouddhisme unifié. Beaucoup ont souligné l’ouverture qu’il représentait par rapport à l’ancienne politique. Pour le moment, rien ne dit quelle en sera la suite. Dans le cas où cette rencontre devrait précéder une reconnaissance officielle du bouddhisme unifié, on pourrait penser qu’il s’agit là d’une façon de maintenir le contrôle sur une partie du bouddhisme vietnamien que, jusqu’à présent, le gouvernement n’a pu faire rentrer dans le bercail des religions contrôlées par lui.