Eglises d'Asie – Corée du Nord
Les réfugiés nord-coréens dans le nord-est de la Chine
Publié le 18/03/2010
EDA N° 373
Avril 2003
Dossier
COREE DU NORD
LES REFUGIES INVISIBLES
– Les demandeurs d’asile nord-coréens en Chine –
par Song Ji Young
[NDLR – En 2002, les diverses tentatives de Nord-Coréens passés en Chine de trouver un asile politique en cherchant refuge dans les missions diplomatiques des pays occidentaux ou du Japon présentes sur le sol chinois ont attiré l’attention des médias sur le sort réservé aux Nord-Coréens qui fuient leur pays par le nord. Ces tentatives ne sont que la partie visible de l’iceberg. Près d’un demi million de Nord-Coréens pourraient avoir fui la famine et la répression qui sévissent dans leur pays et trouvé refuge en Chine. Dans l’article ci-dessous, tiré de la publication éditée à New-York, aux Etats-Unis, China Rights Forum (n° 3, 2002), Song Ji Young étudie la façon dont la Chine traite ces réfugiés à la lumière de ses obligations légales et de ses relations avec la Corée du Nord et la Corée du Sud. Sud-coréenne, chercheur à l’institut Sejong, à Sungnam en Corée du Sud, elle appelle la communauté internationale à prendre une ferme position de principe sur cette urgence humanitaire de grande ampleur. La traduction est de la rédaction d’Asie.]
Le nombre croissant de réfugiés nord-coréens cherchant asile dans les ambassades étrangères de Pékin a attiré l’attention internationale sur le statut et le traitement de ces réfugiés en Chine. La Chine maintient sa position officielle, en mettant en avant la Constitution chinoise, de ne pas vouloir considérer les demandeurs d’asile nord-coréens comme des réfugiés, au sens des conventions internationales, parce que beaucoup d’entre eux se sont enfuis en Chine pour y trouver de quoi manger et non pour y acquérir le statut de réfugiés politiques.
Le gouvernement chinois est toutefois réellement préoccupé de voir ce problème de réfugiés compliquer encore plus ses relations diplomatiques avec les deux Corée. Compte tenu de ses relations très complexes avec ces deux pays, la Chine n’a pas défini de politique fixe envers les réfugiés nord-coréens qui essayent de passer par la Chine pour trouver asile en Corée du Sud ou dans un autre pays. Cet article entend éclairer la position de la Chine vis-à-vis des réfugiés nord-coréens en examinant les obligations légales de ce pays et ses relations diplomatiques avec les deux Corée.
L’exode vers la Chine en quête de nourriture
La pénurie alimentaire a commencé en Corée du Nord au milieu des années 1990 et n’a pas cessé depuis. Plusieurs catastrophes naturelles survenues entre 1995 et 1996 se sont combinées à la corruption pour porter à son paroxysme l’ampleur et l’impact de la famine. Depuis 1994, près de deux millions de Nord-Coréens, soit presque 10 % de la population du pays, sont probablement morts de famine ou de maladies liées à la famine. Certaines estimations vont même jusqu’à 3,5 millions de morts.
Selon des rapports de l’UNICEF et de l’Organisation mondiale de la santé, publiés en mars 2002, 60 % des enfants nord-coréens de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. C’est le plus mauvais ratio des cent dix pays en voie de développement qui sont suivis par ces organisations. Beaucoup d’organisations non gouvernementales (ONG) qui fournissaient une aide économique à la Corée du Nord ont choisi de quitter le pays en invoquant l’échec du gouvernement à adopter un système de distribution alimentaire transparent et sa réticence à permettre aux ONG d’avoir une action sur le terrain ou d’avoir accès aux plus défavorisés.
La conséquence des souffrances supportées par les Nord-Coréens a été l’exode vers la Chine de nombreux réfugiés en quête de nourriture. Il n’y a pas de données sûres quant au nombre des demandeurs d’asile nord-coréens en Chine. Les estimations vont de 10 000 à 500 000 et la plupart des ONG optent pour un chiffre de 300 000, en se fondant sur le rapport consacré à la Corée du Nord par le Comité américain pour les réfugiés. De plus, à l’intérieur des frontières de la Corée du Nord, on compterait 100 000 personnes déplacées et un nombre inconnu se trouverait en Russie ou dans d’autres pays.
En cas de capture en Chine par les autorités et de renvoi en Corée du Nord, les réfugiés risquent l’emprisonne-ment, la torture, les travaux forcés et même la mort. Les réfugiés sont aussi souvent victimes du chantage auquel se livrent des hommes habillés en uniforme de policiers chinois qui leur demandent de l’argent contre leur silence.
Quelques réfugiés gagnent de l’argent en travaillant dans des fermes chinoises et, s’ils en gagnent suffisamment, ils essayent de retourner dans leur famille en Corée du Nord. D’autres ont des parents sino-coréens en Chine qui essayent d’aider les réfugiés en leur donnant de la nourriture qu’ils peuvent vendre au marché noir en Corée du Nord. Toutefois, les autorités chinoises ont décidé récemment de renforcer les patrouilles à la frontière et de fouiller toutes les maisons pour trouver les personnes dans l’illégalité. Les communautés sino-coréennes qui jusqu’alors aidaient les réfugiés leur ferment maintenant leur porte, dans la crainte d’être elles mêmes poursuivies pour leur charité. Quelques comptes-rendus ont été faits de gardes-frontière nord-coréens amicaux qui permettraient des retours non autorisés. Mais la plupart des réfugiés qui essayent de rentrer sont capturés à la frontière et soumis à des traitements brutaux.
Outre la faim, l’autre raison pour laquelle des Nord-Coréens demandent asile en Chine est leur désir d’échapper à la répression politique. Bien que les libertés de parole, de rassemblement et de publication soient garanties par l’article 67 de la Constitution nord-coréenne, en pratique personne n’est autorisé à prendre part à un quelconque groupement indépendant qui ferait entendre la voix et les besoins de la population nord-coréenne. Le gouvernement empêche les Nord-Coréens et tous les étrangers d’agir librement. De plus, les Nord-Coréens ne sont pas autorisés à voyager à l’étranger, à moins d’être diplomates ou de faire partie des dirigeants du ministère des Affaires étrangères. Ainsi, une grande partie de la population est coupée de toute information. Les opposants politiques sont envoyés dans des camps de travaux forcés où ils subissent des tortures.
En dépit de ces conditions, seuls sept demandeurs d’asile nord-coréens en Chine ont pu acquérir le statut de réfugié donné par le Haut Commissairiat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Pékin n’a jamais reconnu un seul réfugié politique de Corée du Nord.
Pas de havre sûr
Beaucoup de Nord-Coréens ont été victimes de violations des droits de l’homme en Chine. Par exemple, les jeunes femmes coréennes qui veulent aller en Chine pour y trouver une vie meilleure finissent vendues par des trafiquants comme « épouses » ou prostituées dans des villages de la campagne chinoise. Pendant leur voyage en Chine, elles ont été violées et torturées. Elles travaillent toute la journée pour un salaire très faible ou nul et sont battues par leurs maris chinois, le plus souvent, malades mentalement ou physiquement. En tant qu’immigrées illégales, elles n’ont pas de statut au regard de la loi et donc, aucune protection. Beaucoup de femmes ont été vendues plusieurs fois à des maris différents et sont particulièrement maltraitées.
Les enfants coréens sont aussi victimes de violations des droits de l’homme. Beaucoup errent dans les campagnes pendant des années ou courent après les touristes sud-coréens en quémandant de la nourriture et de l’argent. D’autres trouvent refuge dans les églises qui sont tenus par des associations chrétiennes sud-coréennes. Pendant mes déplacements, en 1999 à Yanbian, une petite ville au nord de la Chine, j’ai rencontré quatre adolescents qui, du fait de la malnutrition, n’avaient pas grandi et semblaient beaucoup plus jeunes. L’un d’eux, qui avait 19 ans, s’approcha de moi et m’expliqua qu’il voulait apprendre les mathématiques et l’anglais et qu’il avait passé trois fois la frontière. A chaque fois, il avait été repris par les gardes de sécurité nord-coréens, mis en détention dans un centre près de la frontière et sévèrement battu. Les profondes cicatrices violacées qu’il avait aux chevilles et aux poignets étaient une preuve évidente de la véracité de ses dires.
Quand les réfugiés nord-coréens sont arrêtés par la police chinoise, ils sont détenus dans des centres près de la frontière et remis aux autorités nord-coréennes. Les autorités chinoises ne leur donnent, en effet, pas le choix de rester en Chine comme réfugiés politiques ou d’aller dans un autre pays ou en Corée du Sud. Les réfugiés sont interrogés par les autorités nord-coréennes et, selon leurs réponses, ils sont torturés ou, dans certains cas, sommairement exécutés, comme le permet l’interprétation par le gouvernement du Code pénal nord-coréen. Ce dernier qualifie la défection ou la tentative de défection comme un crime grave punissable de mort. Selon la presse sud-coréenne, les autorités nord-coréennes sont particulièrement sensibles aux transfuges qui ont pu avoir des contacts, en Chine, avec des étrangers, particulièrement des Sud-Coréens et des chrétiens. Le nombre de Nord-Coréens rapatriés de force par les gardes-frontière chinois aurait augmenté depuis 1999, bien qu’aucun chiffre d’ensemble ne soit disponible. Au printemps 2001, la Chine a intensifié la manière forte vis-à-vis des demandeurs d’asile nord-coréens, en en retournant des milliers au gouvernement nord-coréen. Selon les ONG travaillant dans la zone frontalière, la Chine a arrêté quelque 6 000 Nord-Coréens durant les seuls mois de juin et de juillet 2001.
Une diplomatie qui fait de l’équilibre
Historiquement, la Chine a toujours entretenu de bonnes relations avec la Corée, très proches de celles qu’entretient un grand frère avec son cadet, mais, à la fin de la deuxième guerre mondiale, elle a dû adopter des positions différentes avec la Corée du Nord et la Corée du Sud. La crise provoquée par les réfugiés a eu un impact sérieux sur cette diplomatie triangulaire.
Dans le passé, Pékin a été le meilleur allié de Pyongyang. Les deux gouvernements ont toujours été très proches l’un de l’autre depuis la guerre de Corée et plus particulièrement depuis la signature d’un accord bilatéral de coopération mutuelle, le 11 juillet 1961. Ces relations se sont quelque peu tendues quand la Chine a trouvé une sorte d’arrangement diplomatique avec la Corée du Sud en 1992. Les échanges diplomatiques entre la Chine et la Corée du Nord se sont ralentis à la mort de Kim Il-Sung en 1994 et les échanges politiques courants ont été dramatiquement réduits après la défection de Hwang Jang-Yop, le plus haut dirigeant du régime à avoir fait défection (via la Chine, en février 1997). Quand la famine a commencé au milieu des années 1990, la Chine a fermé les yeux sur les dizaines de mil-liers de Nord-Coréens qui cherchèrent une assistance et des vivres auprès des agences de secours et des Eglises étrangères en Chine, de l’autre coté de la frontière.
Une délégation nord-coréenne menée par Kim Young-Nam, commissaire permanent de l’Assemblée nationale populaire, a tenté de resserrer les liens avec la Chine au cours d’une visite officielle en juin 1999. Après la visite de Kim, les relations entre la Chine et la Corée du Nord se sont effectivement réchauffées et, le 6 octobre 1999, jour du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, il y eut un échange de délégations diplomatiques. Plusieurs visites devaient suivre : Kim Jong-Il, le leader nord-coréen, a ainsi rendu visite à l’ambassade de Chine à Pyongyang le 5 mars 2000 et est allé en Chine du 28 au 31 mai 2000 puis à nouveau en janvier 2001. Baek Nam-Soon, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu en Chine du 18 au 22 mars 2000, et Jiang Zemin, président de la République populaire de Chine, a visité la Corée du Nord en septembre 2001.
Néanmoins, ces derniers temps, la Chine a commencé à montrer des signes d’impatience devant les faibles progrès de Pyongyang dans sa lutte contre la famine et l’exode de ses citoyens affamés, alors qu’elle-même devait affronter les critiques internationales grandissantes du traitement qu’elle infligeait aux Nord-Coréens qui avaient franchi sa frontière nord. Par déférence pour la position légale de son allié sur les demandeurs d’asile, qui sont considérés comme des criminels par son Code pénal et aux termes de son accord de 1961, la politique de la Chine était de renvoyer les réfugiés nord-coréens. Alors que l’article 17 de la Constitution de la Corée du Nord stipule que « les citoyens de la République populaire démocratique de Corée jouiront du droit de résider et de se déplacer librement l’article 117 de son Code pénal prévoit que « le franchissement de ses frontières sans permission est un acte criminel et que les auteurs de ce crime seront condamnés à une peine de rééducation par le travail pouvant aller jusqu’à trois ans De plus, l’article 47 du Code pénal énonce que « ceux qui trahissent le pays et la nation, fuient dans un pays tiers ou dans un pays ennemi, ou se livrent à l’espionnage, seront condamnés à plus de sept ans de réhabilitation par travaux forcés ou même à la peine capitale, si l’offense est jugée sérieuse
Aux termes de « l’Accord bilatéral sur le maintien de la sécurité nationale et de l’ordre public dans les zones frontalières que la Chine et la Corée du Nord ont signé en 1965, les deux pays se sont mis d’accord pour traiter les réfugiés qui passent illégalement la frontière en les renvoyant dans leur pays d’origine, quelle que soit la raison pour laquelle ils l’ont fait. A la suite des récents événements pour respecter le droit nord-coréen et pour donner satisfaction à son allié, Pékin a intensifié la sécurité autour des missions diplomatiques dans tout le pays, bloquant les rues menant aux ambassades et donnant des instructions à ses forces de police armée de patrouiller sans arrêt.
Commercer avec « l’ennemi »
Tandis que Pékin a entretenu des relations durables avec la Corée du Nord, malgré quelques difficiles tensions dans les dernières années, des relations de style commercial ont été établies en 1992 avec la Corée du Sud, pour tirer parti de son potentiel économique et de ses sophistications technologiques. De par le fort taux de croissance de son économie, la Corée du Sud est rapidement devenue le troisième partenaire commercial de la Chine, après le Japon et les Etats-Unis. Cette nouvelle politique, sans précédent, de séparation de la politique et de l’économie impliquait que la Chine ne prenne en compte que les éléments politiques dans ses relations diplomatiques avec la Corée du Nord et que ses intérêts économiques dans sa politique avec la Corée du Sud.
Avec le renforcement de ses relations économiques avec la Corée du Sud, une relation politique commença à se développer entre Pékin et Séoul. Le discours politique officiel de la Chine sur la Corée du Sud plaidait pour le maintien de la paix et de la stabilité, la réalisation d’une réunification indépendante et la non-prolifération d’armes nucléaires dans la péninsule coréenne. Les deux pays ont coopéré, au niveau régional, dans des organisations comme l’APEC, l’ASEM (le forum Asie-Europe), le Forum régional de l’ASEAN, aussi bien qu’avec d’autres institutions multilatérales traitant de l’environnement et du désarmement. Pékin a montré des signes patents de son soutien aux objections de Séoul quant au développement nord-coréen d’armes nucléaires et d’essais de missiles balistiques. La Chine reconnaît, en effet, que son ouverture et ses réformes politiques ne peuvent réussir qu’avec le maintien de la paix et de la sécurité dans cette région.
Faisant écho aux problèmes de la Chine avec la Corée du Nord, les relations de la Chine avec la Corée du Sud sont mises à l’épreuve par le nombre croissant de Nord-Coréens cherchant asile dans les missions sud-coréennes en Chine. Selon les militants sud-coréens des droits de l’homme, une forte pression s’est exercée à l’intérieur de la Corée du Sud pour l’énoncé d’une politique plus claire vis-à-vis de la Corée du Nord, à la lumière du nombre croissant de violations. Pour éviter de mécontenter Pékin, les missions diplomatiques sud-coréennes en Chine ont renvoyé des réfugiés, mais, selon le témoignage de réfugiés nord-coréens aux Etats-Unis ou en Corée du Sud, en leur donnant de l’argent et en leur offrant de l’aide s’ils rejoignaient un pays tiers, comme la Mongolie ou le Vietnam.
Ayant eu connaissance de cette façon de faire, la Chine a demandé que les bureaux diplomatiques ne soient pas utilisés comme des moyens d’immigration illégale. La Corée du Sud a répondu qu’elle comprenait très bien la demande de la Chine qu’elle acceptait. Mais, à la suite d’un incident significatif au cours duquel des Nord-Coréens ayant tenté d’entrer dans l’ambassade sud-coréenne à Pékin en ont été sortis de force, et qu’une lutte ait été engagée entre les membres de l’ambassade et les policiers de sécurité chinois, le gouvernement sud-coréen a demandé des excuses officielles à la Chine pour avoir battu un diplomate sud-coréen. Il demandait également le retour des demandeurs d’asile nord-coréens qui avaient été arrêtés au cours de cet incident et qu’il soit garanti que de tels incidents ne se reproduisent pas à l’avenir.
La contradiction entre la position officielle et cet incident est, néanmoins, plus apparente que réelle. Un officiel sud-coréen a expliqué que, si Pékin et Séoul s’étaient mis d’accord pour que les ambassades étrangères ne soient pas utilisées comme moyens d’immigration illégale, ils s’étaient aussi accordés à reconnaître que les demandeurs d’asile nord-coréens ne soient pas renvoyés en Corée du Nord et qu’ainsi, les réfugiés nord-coréens ne soient pas empêchés d’utiliser les missions étrangères comme une voie vers la Corée du Sud. En fait, ils ont continué de le faire, comme en témoigne la récente incursion d’un groupe dans l’école allemande de Pékin. Selon un article du Korea Times de juin 2002, l’officiel en question a également dit qu’aux termes de l’accord, les futurs demandeurs d’asile seraient traités selon les lois chinoises ainsi que selon les lois internationales et les principes humanitaires.
Cet accord est considéré comme devant permettre à chaque partie d’éluder la question, car Séoul pouvait, ainsi, prendre les mesures nécessaires pour faire diminuer la pression exercée par l’opinion publique sud-coréenne, en acceptant les réfugiés qui se présenteraient à sa porte et, en même temps, Pékin pouvait alléger la pression internationale grandissante.
Le statut légal des réfugiés
Le gouvernement chinois dénie toute violation de la Convention de 1951 des Nations Unies sur le statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés), que Pékin a ratifiée en 1982, de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires (Convention de Vienne) et des lois internationales qui garantissent les droits des réfugiés et l’inviolabilité des locaux consulaires. Les organisations internationales des droits de l’homme ont souvent avancé que les Nord-Coréens qui se réfugient dans les ambassades étrangères devraient bénéficier du statut de réfugiés au titre de la Convention sur les réfugiés et de son protocole. Toutefois, Pékin dénie aux Nord-Coréens le statut international de réfugiés en raison de l’Article 1. A 2 de la Convention (amendé par le Protocole de 1967) qui définit comme réfugiée une personne ayant « une peur bien fondée d’être persécutée pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d’appartenance à un groupe social ou d’opinion politique Dans les lois internationales, il n’y a pas de statut de « réfugié économique L’article 32 de la Constitution chinoise ne prévoit d’accorder asile que pour des raisons politiques, suivant en cela la Convention sur les réfugiés.
Il n’est guère surprenant que Pékin refuse d’accorder l’asile politique à des réfugiés qui fuient un pays avec lequel il partage la même politique socialiste et les mêmes valeurs. Si Pékin acceptait des réfugiés politiques de la Corée du Nord, non seulement il endommagerait sérieusement ses relations avec son voisin, mais il tournerait en ridicule son engagement envers le système socialiste. La Chine n’a jamais cessé de repousser toute assistance de l’UNHCR, en prétendant que « ces gens n’étaient pas des réfugiés Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a rejeté l’idée de camp de réfugiés, qui était proposée par le gouvernement sud-coréen et des militants des droits de l’homme. La Chine affirme qu’il s’agit de migrants économiques qui doivent retourner en Corée du Nord.
La communauté des droits de l’homme a aussi accusé la Chine d’être en infraction avec la Convention de Vienne, lorsque ses forces de sécurité enlèvent de force des réfugiés des ambassades de Corée du Sud ou du Japon. De tels actes sont illégaux au vu de l’article 31, chapitre II de la Convention de Vienne qui stipule : « Les autorités de l’Etat hôte n’entreront pas dans les locaux consulaires. » Toutefois, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Liu Jianchao, a prétendu que les hommes qui sont entrés dans le consulat sud-coréen et en ont emmené les demandeurs d’asile étaient des gardes de sécurité privés et non pas des membres de la police, alors que les images de la télévision montraient qu’ils portaient des uniformes de la police et de l’armée. Il a accusé les diplomates sud-coréens qui essayaient de s’opposer à la capture d’un Nord-Coréen par les gardes chinois d’ignorer les ordres chinois et d’enfreindre la loi chinoise. Liu a ajouté ce commentaire : « Leur conduite était totalement incompatible avec leur statut diplomatique et contrevenait au droit international. » Il se référait à l’article 31 qui dit : « L’Etat hôte a le devoir particulier de prendre les mesures appropriées pour protéger les locaux consulaires contre toute intrusion ou dommage et éviter toute perturbation de la tranquillité du poste consulaire ou toute atteinte à sa dignité. » La réaction chinoise a été prise de façon à enlever les Nord-Coréens aussi vite que possible, sans avoir à prendre de position officielle sur le sujet.
La hausse du nombre des tentatives de demandeurs d’asile nord-coréens pour parvenir aux bâtiments diplomatiques à Pékin a attiré l’attention des médias internationaux et la Chine a commencé à sentir monter la pression de la communauté internationale de défense des droits de l’homme pour que les réfugiés soient traités selon les lois protégeant les droits de l’homme. En dépit de son accord bilatéral sur les immigrants illégaux, Pékin a permis, de mars à juillet 2002, à quatre-vingt-un Nord-Coréens de partir pour un pays tiers. Les officiels à Pékin ont avancé des considérations humanitaires comme facteur déterminant pour leur permettre un voyage sain et sauf. Permettre aux réfugiés de gagner la Corée du Sud par les Philippines ou la Thaïlande est vu comme une façon pour la Chine de ne pas perdre la face, car elle ne veut pas les remettre directement à Séoul par crainte d’offenser ses alliés politiques à Pyongyang. Toutefois, en privé, les officiels craignent qu’une telle mansuétude ne déclenche une vague massive de défections.
Toutefois, la Chine semble avoir durci sa politique envers ces réfugiés. Le 28 mai, pour la première fois, les autorités chinoises ont demandé à Séoul de leur livrer quatre demandeurs d’asile qui s’étaient réfugiés dans son ambassade de Pékin. Le 30 mai, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Kong Quan, a demandé à toutes les ambassades de remettre tous les intrus à la police, déclarant : « Nous demandons à l’ambassade sud-coréenne de livrer ces gens à la Chine qui s’en occupera. Nous maintenons que, selon les lois internationales et les lois chinoises, les ambassades étrangères n’ont aucun droit à accorder l’asile à des citoyens d’un pays tiers. » Les forces de sécurité chinoises ont en conséquence renforcé la sécurité autour des ambassades, doublé le nombre des gardes en les armant de gourdins en bois. De plus, des agents de sécurité ont passé au peigne fin les villes du nord-est, le long de la frontière avec la Corée du Nord, pour retrouver d’éventuels fugitifs. Ainsi, alors que Pékin manouvre pour contenir la pression internationale et préserver ses relations avec la Corée du Nord, des milliers de réfugiés en Chine vivent dans la crainte d’une arrestation et d’un rapatriement en Corée du Nord.
Que faut-il faire ?
Fuir la Chine est perçu comme le seul moyen dont disposent pour survivre les Nord-Coréens affamés et opprimés. L’effroyable famine et la crise économique sont les facteurs déterminants de la fuite pour beaucoup, mais la situation de la majorité d’entre eux n’est pas celle d’émigrés économiques, compte tenu de la situation politique en Corée du Nord et de ce qu’ils doivent affronter s’ils y sont renvoyés après leur fuite. Pékin nie que les Nord-Coréens soient des réfugiés politiques, mais Amnesty International a soutenu que les demandeurs d’asile nord-coréens ne sont pas des émigrés économiques, mais bien des réfugiés politiques, puisqu’ils risquent la prison et la persécution s’ils reviennent en Corée du Nord. Pékin ne veut rien entendre.
Pyongyang est responsable au premier chef de la protection des droits de l’homme pour son peuple qui souffre du manque de nourriture et d’énergie ainsi que de persécutions politiques. Pékin est obligé légalement de protéger, au regard des droits de l’homme, les réfugiés qui demandent asile en Chine. Les agences des Nations Unies, y compris l’UNHCR, le Bureau du Haut Commissariat aux droits de l’homme, le Comité contre la discrimination des femmes et le Comité pour les droits de l’enfant, devraient entreprendre une action immédiate pour protéger les droits des Nord-Coréens et promouvoir ainsi la paix et la démocratie en Asie du Nord-Est. La première priorité de Séoul devrait être de résoudre la question de savoir si les Nord-Coréens sont des citoyens justiciables automatiquement de la protection consulaire et de commencer à agir dans ce sens.
La détresse des réfugiés nord-coréens a été négligée pendant beaucoup trop longtemps, alors que la situation est urgente et qu’il s’agit de centaines de milliers de vies humaines. Pékin doit mettre en ouvre une politique sérieuse concernant le traitement des réfugiés. La seule force suffisamment puissante pour faire bouger Pékin est la pression de la communauté internationale de défense des droits de l’homme.
Le problème n’est pas de savoir si les demandeurs d’asile nord-coréens doivent être considérés ou non comme des réfugiés politiques. La vraie question est la protection de leurs droits et un traitement compatible avec les lois internationales de défense des droits de l’homme. La communauté internationale doit demander à Pékin de protéger les droits des réfugiés politiques nord-coréens et de garantir leur transfert dans un endroit sûr. De plus, ils ne doivent pas être torturés à leur retour en Corée du Nord. Bien sûr, la plus évidente, mais aussi la plus difficile des solutions est de permettre à la Corée du Nord de nourrir son peuple, de protéger ses droits et de promouvoir la démocratie et la liberté.
(EDA, China Rights Forum, avril 2003)
Dossiers et documents N° 4/2003
EDA N° 373
Avril 2003
Dossier
COREE DU NORD
LES EVADES NORD-COREENS DANS LE NORD-EST DE LA CHINE
par le P. Robert Jézégou, MEP
Introduction
En Corée du Sud, sur les ondes radiophoniques, on entend parfois des nouvelles comme celle-ci : « Deux (ou trois ou quatre) Nord-Coréens venant d’un pays tiers sont arrivés ce matin à l’aéroport international d’Inchon, avec le désir d’être admis dans le pays. Ceci leur a été accordé et, après une brèves enquête d’identité, ils vont être conduits au centre Hanawon (‘maison de l’unité’), situé près d’Ansong, pour une introduction à la vie en Corée du Sud. » Mais la radio ne dit pas si ces personnes avaient pris l’avion pour Inchon à Moscou, à Oulan Bator, à Pékin, à Hô Chi Minh-Ville ou à Bangkok, ni comment ils avaient fait pour arriver en ces lieux.
Par contre, depuis le printemps 2002, on entend parfois des nouvelles comme celle-ci : « Hier onze (ou vingt-cinq) Nord-Coréens ont pénétré dans l’ambassade de tel pays occidental à Pékin et ont demandé à être conduits en Corée du Sud. » Ou bien : « Depuis le début de ce mois, une vingtaine de Nord-Coréens se trouvent à l’ambassade de Corée du Sud à Pékin où ils sont entrés à diverses dates par petits groupes de deux ou trois, ou seuls. » Et dans les deux cas, « l’ambassade est en pourparlers avec les autorités chinoises afin que ces évadés nord-coréens puissent, selon leur désir, partir pour la Corée du Sud ; mais ces négociations vont être laborieuses ». Puis deux, ou trois, ou quatre semaines plus tard, la radio annonce que « les évadés nord-coréens qui se trouvaient depuis telle date dans telle ambassade à Pékin ont quitté la Chine aujourd’hui à destination d’un pays tiers. On peut penser qu’ils arriveront à l’aéroport d’Inchon dès demain (ou après demain) ».
Le jour de leur arrivée, on nous dit parfois qu’ils sont effectivement arrivés, venant de Manille, de Singapour, de Bangkok. Il est parfois précisé que, parmi les nouveaux arrivés, il y avait « une, ou deux, ou trois familles de trois personnes chacune, les autres étant des individus isolés ». Le soir même, on peut parfois voir aux nouvelles à la télévision une brève séquence qui montre leur arrivée, et, le lendemain, il y a parfois dans les journaux un court article et/ou une photo de groupe. D’après ces images et ces photos, les deux tiers des Nord-Coréens qui arrivent en Corée du Sud, après avoir pénétré dans une ambassade en Chine, y être restés un certains temps et avoir passé quelques heures dans l’aéroport « d’un pays tiers sont des femmes jeunes, quelque fois avec des enfants en bas âge, et souvent même des femmes qui paraissaient n’avoir guère plus de vingt ans. Parmi les vingt qui sont arrivés à Inchon le 12 octobre 2002, il y avait une famille de quatre personnes et seize personnes isolées, en tout quinze femmes et cinq hommes ; parmi les quinze qui sont arrivés le 7 novembre, il y avait douze femmes et trois hommes ; parmi les vingt qui sont arrivés le 16 décembre, il y avait neuf hommes et onze femmes, dont une fillette qui paraissait n’avoir pas plus de 5 ou 6 ans.
Les évadés nord-coréens arrivés en Corée du Sud : 9 en 1991, 8 en 1992, 8 en 1993, 52 en 1994, 41 en 1995, 56 en 1996, 85 en 1997, 72 en 1998, 148 en 1999, 312 en 2000, 583 en 2001, plus de 1 000 en 2002.
Parmi les plus de mille évadés nord-coréens qui avaient réussi à arriver en Corée du Sud fin novembre 2002, il y en avait 160 qui avaient réussi à pénétrer dans des ambassades à Pékin ou dans des consulats à Shenyang (Moukden) ou à Qingdao et à y trouver refuge. D’autres sont arrivés en décembre.
Quelques précisions
1. En Chine, la « Région du Nord-Est » est formée de trois provinces : au nord, celle du Heilongjiang (‘Fleur d’amour’), avec Harbin comme chef-lieu, celle du Liaoning au sud avec Shenyang comme chef-lieu et celle de Jilin au centre avec Changchun, comme chef-lieu.
2. La minorité « coréenne » de Chine, appelée là-bas chao xian ju et comprenant deux ou trois millions de personnes, est constituée des descendants de Coréens qui ont émigré au-delà du mont Paik-tu et de la rivière Tumen dans le dernier tiers du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle. Les premiers de ces émigrés allaient cultiver les immenses espaces vides qui se trouvaient dans cette région, après en avoir pris possession, les seconds pour constituer des groupes de « résistants » en vue de lutter contre les Japonais qui avaient annexé la Corée. Aujourd’hui, ces « Coréens » se retrouvent un peu partout dans les « trois provinces du Nord-Est et en particulier dans celle de Jilin. Ci-après, ces citoyens chinois d’origine coréenne seront appelés « Coréano-Chinois ». Ils constituent l’une des cinquante-six minorités ethniques qui sont officiellement recensées par les autorités chinoises sur leur territoire.
3. La province de Jilin s’étend sur 180 000 km , soit à peu près le double de la superficie de la Corée du Sud ; peuplée de 26 millions d’habitants, elle est divisée en neuf « districts, dont, tout à fait à l’est, le district autonome coréen de Yanbian ». Ce district autonome a 2, 8 millions d’habitants parmi lesquels 830 000 sont des « Coréano-Chinois ». Le chef-lieu de ce département est Yanji, une ville de 380 000 habitants dont 150 000 sont des Coréano-Chinois. Au début des années 1950, les Coréano-Chinois représentaient 75 % de la population du département autonome, ils ne sont plus que 30 % ; et à Yanji, qui était une ville presque entièrement « coréenne », ils ne sont plus que 38 %. Les Coréano-Chinois sont de plus en plus submergés par les « purs Chinois » dans leur « district autonome ». Cela tient à la « politique de sinisation » mise en ouvre par les dirigeants chinois qui encouragent l’émigration de « purs Chinois » vers les régions où se trouvent les minorités ethniques. Cela tient aussi à l’émigration de Coréano-Chinois qui ont quitté leur département autonome pour aller à Pékin où ils sont entre 80 et 100 000, à Qingdao où ils sont 50 000, à Shanghai où ils sont 30 000, à Canton où ils sont également 30 000, etc. Et il y a actuellement 100 000 de ces Coréano-Chinois qui résident, légalement ou illégalement, en Corée du Sud où ils travaillent sur des chantiers de construction ou dans des usines. Les Coréano-Chinois du département autonome parlent le coréen aussi bien que le chinois, regardant les émissions des télévisions de Corée du Sud, mais leur département autonome est de moins en moins autonome. La Chine opère son unification, lentement certes, mais sûrement. D’un point de vue ecclésial, le « district autonome de Yanbian » correspond à peu près à ce que les missionnaires MEP appelaient le « Kan-to » et au territoire qui devient en 1928 la Préfecture apostolique de Yanji. Celle-ci, tout en se trouvant en Chine, était considérée comme faisant partie de l’Eglise de Corée. Bien que devenant de moins en moins autonome, le département autonome de Yanji reste le refuge de prédilection des Nord-Coréens qui s’évadent en Chine, mais il en est qui vont au Liaoning ou au Heilongjiang.
4. La rivière Tumen prend sa source dans le mont Paik-tu, coule vers le nord-est, se jette dans la mer du Japon (cette mer que les Coréens du Sud veulent que le monde entier appelle « mer de l’Est et sert de frontière physique entre la Chine et le nord-est de la Corée du Nord. C’est une rivière peu large et peu profonde. En hiver, recouverte d’une épaisse couche de glace, elle peut être traversée à pied. Pendant la majeure partie de l’année, elle peut être traversée à pied mais avec de l’eau jusqu’à la poitrine ou jusqu’au cou. Fin juin-début juillet et parfois en septembre, soit après les pluies diluviennes saisonnières, elle est trop profonde et son courant est trop rapide pour pouvoir être traversée à pied.
5. Les histoires qui suivent ont été glanées au cours de voyages en Chine ainsi que dans divers journaux sud-coréens depuis juin 2002. Certains articles ont été combinés avec d’autres. Les noms de lieux sont tous exacts, mais les noms de personnes sont tous fictifs.
Quelques histoires d’évadés
Comment appeler cette Song Sun-Bok, jeune femme de 25 ans, au teint trop pâle, originaire de Chongjin en Corée du Nord, et mère d’un bébé de trois mois ? Je l’ai rencontrée chez des cultivateurs coréano-chinois, dans un petit village à une trentaine de kilomètres de Yanji. Son statut officiel en Corée était certainement celui de « Mademoiselle mais en Chine elle n’est rien. Tout au plus est-elle une « sans papiers », une immigrée illégale. Elle est venue en Chine au début de l’année 2000, en traversant la rivière Tumen à pied sec, grâce à l’épaisseur de la couche de glace. Venue seule, n’ayant rien mangé depuis plusieurs jours, épuisée, elle est entrée un peu au hasard dans une ferme qui, heureusement pour elle, était tenue par des Coréano-Chinois. Voyant l’état d’épuisement de la jeune femme, la maîtresse de maison, une femme déjà bien âgée, lui a dit : « Ma petite, si tu n’as pas où aller, tu peux toujours rester ici. »
Melle Song, est restée là, aidant aux travaux de la ferme. En 2001, elle est devenue membre de la famille qui l’accueillait en devenant l’épouse de fait du fils de la maison qui, malgré ses 35 ans, était encore célibataire. Mais la jeune femme reste une « sans papiers » qui peut être dénoncée et arrêtée n’importe quand. La prime de 1 000 yuans (150 000 wons ou 125 euros) accordée pour une dénonciation peut se révéler alléchante. A trois reprises, Melle Song a été démasquée par la police chinoise. A chaque fois, sa « belle famille » a supplié la police de fermer les yeux : « Voyez dans quel état elle est ? « Ne voyez-vous pas qu’elle est enceinte ? « Elle n’est pas en état de s’enfuir, vous pourrez toujours la prendre plus tard et a « aidé » la police à fermer les yeux, et à garder le silence. Un verre de Kaoliang et un billet de 100 yuans ont fait l’affaire.
Mais craignant une nouvelle visite des policiers, Melle Song a choisi de quitté la famille qui l’hébergeait et qui est devenue la sienne, sans toutefois quitter la « grande famille » : elle passe quelques jours chez tel cousin de son mari, puis quelques jours chez tel autre cousin. Même devenus Chinois, ces Coréens d’origine gardent leur qualités premières : ils sont restés accueillants et disposés à aider leurs frères de « race ». Rencontrée chez l’un de ses cousins par alliance, Melle Song avoue : « Je pense souvent à maman, restée à Chongjin, mais je n’ose pas me mettre en relation avec elle, de peur que mon évasion devienne connue. Si j’étais restée là-bas, j’aurais bien sûr continué à avoir faim, mais j’y aurais été davantage en sécurité. Ici, je vis en permanence dans la crainte d’être capturée par la police chinoise. Je dois tout faire pour éviter d’être capturée et renvoyée là-bas car deviendrait alors ce bébé ? »
Dans la ville de Yanji, dans le couloir d’un immense immeuble d’appartements, Om Kwang-Su, un jeune homme de 19 ans, est endormi. Il prépare le championnat du monde des évasions, et il a des chances de le remporter. Capturé trois fois en Chine, il a été reconduit trois fois en Corée du Nord, d’où il s’est enfui une quatrième fois il y a peu de temps. Les policiers chinois l’ayant capturé pour la troisième fois au début de l’année 2002 et l’ayant reconduit en Corée du Nord, il a, pendant trois mois, dû se soumettre aux travaux forcés dans une unité de « rééducation par le travail Quelques jours après sa libération, il s’est enfui en Chine pour la quatrième fois. « Les évadés nord-coréens capturés en Chine et reconduits de force en Corée du Nord sont si nombreux qu’ils ne peuvent être gardés longtemps dans les camps dit-il.
Début juillet 2002, 20 heures, au bord de la rivière Tumen. Hier, il a plu, la rivière ne fait même pas dix mètres de large en cet endroit et, si le courant est rapide en raison des pluies de la mousson, la profondeur n’empêche pas une traversée à pied. En face, le poste de garde nord-coréen est vide, car le gardien a été « payé » pour être absent un moment. Trois femmes qui se cachaient du côté nord-coréen parmi les roseaux qui bordent la rivière se mettent à l’eau et, en quelques secondes, se trouvent en Chine où les attendait M. Pak, 33 ans, un trafiquant coréano-chinois. Précédemment, M. Pak était commerçant en voitures japonaises d’occasion et, à l’époque, M. Pak a eu des moments difficiles. Depuis, il a fait sa mue. Après avoir été trafiquant en voitures japonaises il s’est fait « trafiquant en chair coréenne » : il aide des Nord-Coréens à passer en Chine et les vend à des Chinois.
M. Pak a commencé par conduire les trois évadés à une ferme abandonnée qui est le repaire des trafiquants. L’une des trois évadés est Mme Kim Jong-Ok, 25 ans, originaire de Chongjin, mariée depuis six mois seulement. Manifestement inquiète et tendue, elle quitte ses vêtements, trempés par le passage dans la rivière, pour les faire sécher. A la question : « Pourquoi avez-vous voulu venir en Chine ? sa réponse est simple : « Vous savez certainement comment on vit en Corée du Nord. Je suis venue pour manger à ma faim. » Et comme si elle se doutait déjà ce qu’elle devra subir pour cela, elle ajoute : « Est-ce que je ne pourrais pas vous suivre en Corée du Sud ? »
A la frontière sino-coréenne, une mafia spécialisée dans le trafic de « chair humaine » est fort active, bien qu’elle agisse dans la clandestinité. Du côté chinois, il y a les trafiquants coréano-chinois qui ont, du côté nord-coréen, leurs correspondants, les deux gangs étant en correspondance par téléphone portable. L’utilisation de ces appareils de fabrication chinoise est possible des deux côtés de la région frontalière. Sur instruction de la mafia coréano-chinoise, les correspondants nord-coréens recherchent la « marchandise » nécessaire et reçoivent 500 yuans (75 000 wons ou 62 euros) pour faire venir à la frontière des Nord-Coréennes désireuses de passer en Chine ou ayant été persuadées d’y passer. Ces personnes deviennent alors une « marchandise » qui peut se vendre en Chine entre 3 000 yuans (450 000 wons ou 375 euros) et 10 000 yuans (1 500 000 wons ou 1 250 euros).
Selon un rapport récent International, parmi les Nord-Coréens qui s’évadent en Chine, 25 % environ sont des femmes. Celles-ci sont une cible de choix pour les « mafieux de la chair » qui les mènent à la prostitution ou les vendent à des Chinois en quête d’épouses nouvelles. N’ayant pas d’autre moyen d’assurer leur subsistance, ces femmes s’accommodent de leur sort.
A Yanji, se trouve une dame de 65 ans, originaire d’Unsan dans la province du Pyongan Nord, dans le nord-ouest de la Corée du Nord. Elle a un mari, âgé comme elle, mais si affaibli en raison des privations alimentaires qu’il ne peut se lever. Elle a aussi un fils qui l’a conduite au bord de la rivière Tumen vers la fin de l’année 2000 et lui a dit : « Maman, ne reste pas ici pour mourir de faim. Passe donc en Chine où tu pourras manger à ta faim et vivre encore longtemps. » A la rivière frontière, la vieille dame a été prise en main par des trafiquants coréano-chinois qui, raconte-t-elle, « m’ont conduite à un train à Tianjin en passant par Changchun et m’ont remise à un vieux Chinois qui, je ne le savais pas encore, m’avait achetée pour 4 000 yuans (600 000 wons ou 500 euros) aux trafiquants de la frontière. Au bout de quelques mois, ce Chinois m’a revendue à un autre, et ainsi de suite. J’ai été vendue quatre fois ainsi. Dès mon passage en Chine, je suis devenue une marchandise que ces « propriétaires » se vendaient et s’achetaient à tour de rôle. Mais à la fin de l’année 2001, j’ai pu m’enfuir et je suis venue à Yanji. Ici, il y a heureusement beaucoup de gens d’origine coréenne qui parlent tous le coréen ».
Mais peu après son arrivée à Yanji, elle a été capturée par la police chinoise en ville de Yanji, renvoyée en Corée du Nord et incarcérée à Musan, chef-lieu de l’arrondissement du même nom, juste de l’autre côté de la frontière, dans la province de Hamkyong Nord, dans le nord-est de la Corée du Nord. En raison de son âge et de sa faible constitution physique, elle a été libérée au bout de deux semaines. Mais, au lieu de partir pour Unsan revoir son mari et son fils, elle a franchi la frontière une fois de plus, et même sans se cacher, en passant par le pont routier. Pour ce faire, elle a trompé le chef du poste de garde nord-coréen en lui disant : « Je ne fais qu’aller de l’autre côté et je reviens aussitôt après avoir récupéré l’argent qui m’est dû. Je serai de retour dans un instant et je vous donnerai alors 200 yuans (30 000 wons ou 25 euros). » Le gardien nord-coréen attend depuis des mois le retour de la vieille dame.
De retour à Yanji et vivant dans une baraque où règne une odeur de moisi, cette femme ajoute : « J’ai tellement peur d’être à nouveau capturée que je n’ose pas sortir de ce ‘trou’. La « paroisse » n’aide plus les réfugiés venus de Corée du Nord en raison de l’intensification de la surveillance policière. La vie est vraiment difficile. » et ses yeux se remplissent de larmes.
Cinquième étage d’un immeuble minable à usage d’appartements, en ville de Yanji. Il y a ici à la fois le logement et l' »église » d’un missionnaire laïc coréano-chinois qui sert aussi – ou plutôt qui servait aussi – de refuge à des évadés nord-coréens. J’ai beau frapper à la porte, pas de réponse. Je prononce un nom à plusieurs reprises et finalement M. Lee Pyung-Chol, 31 ans, ouvre la porte. Homme d’une taille plus petite que la moyenne, il n’a pas l’air très rassuré.
Il y a peu de temps, à la suite d’une dénonciation, la police chinoise a pris d’assaut cet appartement où se cachaient huit évadés nord-coréens. Tous ont été capturés, ainsi que M. Lee, et enfermés à la prison de Tumen, une ville frontière du côté chinois. M. Lee raconte : « A la prison de Tumen, deux cents Nord-Coréens étaient déjà incarcérés. Pour les empêcher de s’enfuir, les gardiens les avaient dépouillés de tous leurs vêtements, sauf leur slip. Pour éviter que je sois déporté en Corée du Nord, j’ai insisté pour dire que, si je suis d’origine coréenne, je suis depuis toujours citoyen chinois. Malgré cela j’ai été boxé, j’ai été frappé à coups de trique qui envoie des décharges électriques dans le corps, mais j’ai persisté à affirmer ma nationalité chinoise. Au bout de cinq jours, j’ai finalement été relâché et je suis revenu ici. Mais la police peut revenir à n’importe quel moment pour opérer une nouvelle fouille. Se déplacer en ville est devenu très dangereux pour les évadés nord-coréens. Quand la police opère une rafle ou, plus simplement, un contrôle d’identité, tous ceux qui n’ont pas de papiers d’identité chinois et ne parlent pas correctement le chinois sont aussitôt arrêtés. »
Shenyang, province du Liaoning. Melle Lee Hi-Jin, 23 ans, donne l’impression d’être un peu inquiète. Elle se prostitue pour 200 yuans (30 000 wons ou 25 euros). Jusqu’en 2001, à Pyongyang, elle faisait partie d’un « corps d’assaut » (sorte de régiment du génie) dans les « forces d’appoint » (une sorte d’armée de réserve). Un jour, elle s’est enfuie de son unité pour aller voir sa famille. Elle a trouvé sa mère très émaciée. Quant à son père, il est mort de faim depuis longtemps déjà. Voyant l’état dans lequel se trouvait sa mère, Melle Lee s’est décidée à fuir la Corée du Nord et à passer en Chine. « Au printemps 2002, dit-elle, j’ai été capturée par des policiers chinois, conduite de force en Corée du Nord et emprisonnée à Sinuiji, à l’extrême nord-ouest du pays. Quand j’ai été capturée, j’avais 300 yuans en poche (45 000 wons ou 37 euros). J’ai bien enroulé ces billets et les ai cachés dans la partie la plus secrète de mon corps. J’ai évidemment subi une fouille en règle, toute nue, mais ma fortune est restée sauve en moi. Libérée de la prison au bout de quarante-cinq jours, j’ai tout de suite repris le chemin de la Chine. »
Pékin, juillet 2002. « Tous les jours, je tremble de peur toute la journée. Mais je ne suis pas en mesure de faire comme d’autres et de courir chercher refuge dans l’ambassade de Corée du Sud. Je suis responsable de deux enfants et, depuis l’an dernier, j’attends des nouvelles de mon frère aîné que la police chinoise a arrêté et reconduit en Corée du Nord. » C’est ainsi que se présente M. Shim Jai-Ho, 39 ans, que j’ai rencontré au bar d’un petit hôtel dans un quartier périphérique de Pékin. Il avait manifestement l’air inquiet, ayant peur d’être lui aussi arrêté par des policiers chinois comme son frère aîné. Originaire de Pyongyang, M. Shim s’est évadé de Corée du Nord en avril 1997, en passant par Musan et en traversant la rivière Tumen. Il a immédiatement trouvé du travail comme domestique de ferme chez un cultivateur coréano-chinois dans le département autonome coréen de Yanbian. Après avoir travaillé cinq ans dans cette ferme, il est venu à Pékin en avril 2002.
« Ce n’est pas parce que j’avais envie de venir à Pékin que je m’y trouve, dit-il. Depuis juin 2001, la police chinoise a beaucoup intensifié sa « chasse aux évadés nord-coréens Mon employeur a pris peur pour lui-même et a fortement insisté pour que je vienne me cacher chez un de ses cousins à Pékin. » A Pékin, il y a de 80 à 100 mille Coréano-Chinois, la plupart originaire du département autonome de Yanbian, et, dans telle arrière rue, il y a jusqu’à deux cent cinquante familles de Coréano-Chinois.
En Corée du Nord, M. Shim avait une situation plutôt privilégiée. Du temps où la Corée était devenue une partie de l’empire japonais, son père s’était enfui de Corée, était passé en Chine pour s’engager dans un groupe de résistance et combattre les Japonais, puis était devenu soldat de l’armée populaire de libération. Il a participé à la guerre de Corée de 1950 comme membre d’un « corps des volontaires chinois » venus au secours des armées de Corée du Nord. Son fils est devenu officier dans l’armée nord-coréenne et, à son dernier poste, se trouvait au quartier général du corps armé qui est responsable de la défense de la capitale nord-coréenne. Quant à Shim Jai-Ho, son fils cadet, il a étudié à l’Ecole supérieure d’économie populaire et était employé par l’entreprise commerciale d’Etat Yu-Kyong Trade Co. La raison d’être de cette entreprise est de remplir en devises fortes les caisses de l’Etat. Ayant un bon emploi, M. Shim n’avait jamais songé à quitter son pays.
Un jour, ses employeurs l’ont chargé de trouver des minéraux rares pour l’exportation. Un employé de la même compagnie lui ayant dit qu’il savait où trouver ces minéraux, M. Shim a cru ce collègue sur parole et lui a donné l’argent qui lui avait été confié pour l’acquisition de ces fameux minéraux. Mais ce collègue était en réalité un escroc qui a disparu avec l’argent sans laisser de traces. Se trouvant sans les minéraux qu’il devait trouver et sans l’argent avec lequel il devait les payer, M. Shim a été arrêté et emprisonné. Grâce à l’intervention de ses parents et amis influents, M. Shim a bénéficié d’« une libération pour raison de santé » au bout de trois mois de détention. Mais, un peu plus tard, M. Shim a appris que sa libération était seulement provisoire et qu’il restait inculpé. Prévoyant qu’il serait à nouveau emprisonné puis jugé et certainement condamné, M. Shim s’est empressé de s’évader, emmenant avec lui son jeune garçon.
En raison de l’évasion de M. Shim en 1997, son frère aîné a été congédié de l’armée en janvier 1998. Se rendant compte que « cela commençait à sentir le roussi le frère aîné s’est à son tour enfui en Chine avec son épouse et leur fille, alors âgée de 7 ans. Tandis que M. Shim restait caché dans la ferme de son employeur coréano-chinois avec son jeune fils, le frère aîné trouvait refuge chez un missionnaire sud-coréen, présent clandestinement dans le département autonome coréen de Yangbian. Son épouse est décédée peu après d’une maladie étrange. Son frère aîné se trouvait en Chine depuis trois ans quand, en janvier 2001, il a été arrêté par la police chinoise et reconduit en Corée du Nord.
« Mon fils a maintenant 8 ans. A Yangbian, il s’est fait des amis qui, depuis un ou deux ans, vont à l’école. Il ne cesse de me demander pourquoi lui-même ne va pas à l’école. Comment lui expliquer et lui permettre de comprendre notre situation de résidents illégaux ? En quittant Yangbian pour venir à Pékin, j’ai pris mon fils avec moi, mais j’ai laissé ma nièce là-bas dans une famille de Coréano-Chinois avec laquelle je me suis lié d’amitié. Je ne sais pas quand mon frère aîné pourra s’évader à nouveau de Corée du Nord et s’occuper de sa fille. Je ne me sens pas le droit de laisser ma nièce seule en Chine. C’est pourquoi je reste en Chine avec mon fils, mais,. M. Shim ne peut pas finir sa phrase.
« Mais non, je ne sais pas où il se cache me répond M. Chang, 45 ans, un Coréano-Chinois qui habite la ville de Yanji. Et M. Chang ajoute : « L’intensification de la « chasse aux évadés nord-coréens » a fait que tous ici se cachent. » Jusqu’au début de l’année 2001, on pouvait voir beaucoup d’évadés nord-coréens flâner dans les rues de Yanji, qui n’est même pas à une heure en voiture de la frontière entre la Chine et la Corée du Nord. Il en allait de même à Wangching ou Hwalung, deux sous-préfectures dans le département autonome coréen de Yanbian et même dans des villes éloignées comme Jilin, voire Shenyang et Harbin.
Les évadés nord-coréens qui avaient trouvé un travail en Chine gagnaient de 200 à 300 yuans par mois (30 à 45 mille wons ou 25 à 37 euros). C’était peu, mais cela suffisait pour vivre et même pour faire de petites économies et aider les proches restés en Corée du Nord. Les hommes travaillaient surtout comme manouvres sur les chantiers de construction ou comme garçons de ferme, les femmes dans des restaurants ou dans des bars, dont certains étaient un peu « louches ». Mais il est de plus en plus difficile aux évadés nord-coréens d’avoir un emploi en Chine.
En effet, la « chasse aux évadés nord-coréens » est devenue plus intense depuis que la « famille de Kil Su » (1) a réussi à pénétrer dans les locaux du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) à Pékin le 26 juin 2001 pour finalement gagner la Corée du Sud. Cette « chasse » est devenue encore plus intense depuis que, le 14 mars 2002, un groupe de vingt-cinq évadés nord-coréens, qui s’étaient donnés une apparence de campagnards chinois enrichis faisant du tourisme dans la capitale, a réussi à s’introduire dans l’ambassade d’Espagne pour demander, eux aussi, à être conduits en Corée du Sud. Et ce n’était là que le début d’une longue série d' »invasions » d’ambassades à Pékin ou de consulats à Shenyang par des évadés nord-coréens qui voulaient tous partir en Corée du Sud pour jouir de la liberté. La surveillance policière qui, dès 2001, avait déjà été renforcée dans les « trois provinces du Nord-Est » a ensuite été nettement renforcée aux environs des ambassades à Pékin. Les voitures qui circulent sur les petites routes interurbaines dans les provinces nord-est sont habituellement fouillées plusieurs fois au cours d’un même voyage. Le délit d’« aide aux évadés » est désormais plus sévèrement puni que par le passé. Jusqu’en 2001 étaient parfois punis seulement les employeurs d’évadés ou ceux qui les avaient cachés pendant longtemps, et le plus souvent la police fermait les yeux. Mais maintenant le seul fait d’avoir donné un repas à un évadé nord-coréen ou d’en avoir pris un dans son taxi suffit à être condamné pour complicité.
Hwalung est une petite sous-préfecture située à 75 km. au sud-ouest de Yanji et à 60 km. de la bourgade-frontière de Sanheuo, située au bord de la rivière Tumen. Entre Sanheuo et Hwalung, il y a deux points de contrôle filtrant tous les passages ; ces points de contrôle ont été établis pour empêcher les évadés nord-coréens de pénétrer profondément en Chine. Selon un « trafiquant de chair humaine « pendant longtemps la police chinoise a feint d’ignorer l’arrivée massive d’évadés nord-coréens ; mais les choses ont bien changé depuis que ces évadés se sont mis les uns après les autres à s’introduire dans des ambassades ou des consulats à Pékin ou ailleurs ». Effectivement, le 14 juillet 2002, venant en voiture de la frontière par la route qui mène de Sanheuo à Hwalung, nous avons été stoppés par la police et notre voiture a été sérieusement fouillée. Mais, malgré ces contrôles policiers, l’afflux des évadés nord-coréens semble n’avoir guère diminué. Selon un policier coréano-chinois du commissariat de Hwalung, « beaucoup d’évadés sont capturés et reconduits en Corée du Nord. Mais ceux qui ont goûté à la Chine ne veulent pas rester là-bas et nous reviennent dès qu’ils le peuvent. » Pour eux, la vie devient une sorte de spirale sans fin dont les étapes sont l’évasion, la capture, le retour forcé en Corée du Nord et un certains temps en prison, puis une seconde évasion en Chine, une seconde capture, etc.
Les évadés nord-coréens sont avant tout des gens qui cherchent à manger à leur faim et à gagner un peu d’argent, parfois des gens qui cherchent la liberté. Mais ce ne sont pas tous de « petits saints » bien discrets. Récemment, un petit groupe d’évadés nord-coréens a assassiné un cultivateur, son épouse et leur bébé pour s’emparer d’un poste de télévision et d’une caméra vidéo. Certains évadés sont liés à des gangs de cambrioleurs ou de trafiquants de « chair humaine ». Un missionnaire clandestin sud-coréen précise que, « parmi ces évadés nord-coréens, il en est qui ne pensent qu’à survivre, et on peut les comprendre. Mais il en est qui ont perdu jusqu’à leur caractère de personne humaine, perdu tout sens élémentaire du bien et du mal. S’il en est parmi ces derniers qui finissent par se rendre en Corée du Sud, ils auront besoin d’être sérieusement rééduqués pour pouvoir y vivre en société ».
A 40 minutes de Yanji en voiture, M. Kim Yeng-Gil, 31 ans, vit chez des cultivateurs. « On peut toujours être dénoncés, on n’a aucune sécurité, la police peut surgir à tout moment. C’est pourquoi j’ai creusé une « grotte » sous l’armoire qui contient ma literie, avec l’espoir d’avoir le temps de m’y cacher si la police venait à ma recherche. »
Jusqu’au milieu de l’année 2001, on pouvait souvent voir des évadés nord-coréens traînant ou mendiant sur les places du marché des grandes villes de la Chine du Nord-Est, et surtout à Yanji, mais on n’en voit plus. Lors des contrôles d’identités qui se font à l’improviste, les Coréano-Chinois peuvent exhiber leurs papiers d’identité chinois et, si nécessaire, donner des explications en parlant un chinois correct car ils sont généralement parfaitement bilingues ; mais ceux qui n’ont pas de papiers d’identité chinois et ne parlent pas parfaitement la langue sont aussitôt soupçonnés d’être des évadés nord-coréens, emprisonnés et reconduits d’office en Corée du Nord. On estime à dix mille le nombre d’évadés nord-coréens qui ont été ainsi capturés par la police dans les trois provinces du Nord-Est de juillet 2001 à juin 2002. Mais cette « chasse aux Nord-Coréens » est loin d’être achevée. Selon le bureau pékinois de l’UNHCR, il y aurait cinquante mille évadés nord-coréens dans les trois provinces chinoises du Nord-Est, mais les autorités chinoises pensent qu’ils sont entre 200 et 300 000.
Pour ne pas se mettre en danger, les évadés nord-coréens qui se trouvent en Chine hésitent beaucoup à se rencontrer. Jusqu’en 2001, ceux qui étaient originaires d’une même région communiquaient parfois entre eux par téléphone portable, formant ainsi des réseaux informels de renseignements et se donnant des informations telles que « si vous allez à tel endroit, on vous donne un billet de dix yuans (1 500 wons ou 1,2 euros) » ou « si vous allez à telle église, on vous donnera trois kilos de riz » ou « la surveillance policière est devenue plus sévère à tel endroit ». Mais c’est précisément parce que la surveillance policière est devenue plus sévère partout que les églises ont pratiquement cessé de donner des secours en argent ou en nature aux évadés nord-coréens ou de les cacher. Et, ce qui est peut-être bien plus grave, il semble que les évadés nord-coréens jouissent désormais de bien moins de sympathie chez les Coréano-Chinois des provinces du Nord-Est, sans doute en raison des tracasseries policières. Ces évadés ont de plus en plus de difficultés à y trouver un emploi et surtout à le garder longtemps. Cependant, il en est parmi eux qui s’estiment en sécurité du fait qu’ils sont munis de papiers d’identité chinois. Ce sont évidemment de faux papiers, et il est relativement facile de s’en procurer. Cela coûterait de 500 à 1 000 yuans (75 à 150 000 wons ou 62 à 125 euros).
Les échecs subis par des évadés nord-coréens qui tentaient de se rendre en Corée du Sud
Parmi les évadés nord-coréens qui se trouvent en Chine, il en est un certain nombre pour qui le séjour en Chine n’est qu’une étape vers la « terre promise celle-ci étant ordinairement la Corée du Sud. Mais le passage de Chine en Corée du Sud est pour eux une entreprise autrement difficile, longue et périlleuse que le passage de Corée du Nord en Chine. C’est même une entreprise presque impossible.
A Yanji, M. Kim Sung-chan, 29 ans, raconte : « Une fois, nous avons constitué deux équipes de Nord-Coréens, composées chacune de six personnes, et nous les avons conduits en Mongolie intérieure, le but ultime pour eux étant d’arriver en Corée du Sud en passant par la Mongolie. En réalité, parmi eux, un seul a réussi à arriver en Corée du Sud. »
A Yanji également, se cache Mme Kim Yun-Ju, 44 ans. En février 2002, avec cinq autres évadés nord-coréens, elle a pris le train pour Changchun, chef-lieu de la province de Jilin. Là, leur groupe a rejoint un autre groupe de neuf évadés nord-coréens. Selon le plan qui avait été établi, un entremetteur coréano-chinois devait alors les conduire en Mongolie intérieure pour qu’ils passent ensuite en Mongolie. Mais, au moment de partir, l’entremetteur a, ce qui n’était pas prévu, exigé 5 000 yuans (750 000 wons ou 625 euros) par personne. Le voyage s’est donc arrêté là.
La république de Mongolie est un relais relativement commode pour aller en Corée du Sud, en raison de la bienveillance des autorités mongoles. Mais, avant d’y arriver, il faut traverser la province chinoise qui s’appelle « Région autonome de Mongolie intérieure ». Un entremetteur coréano-chinois explique : « Après avoir pénétré aussi loin que possible en voiture en Mongolie intérieure, chacun, avec sa nourriture et son petit bagage, doit marcher quatre jours et quatre nuits dans le désert. Il en est qui y perdent leur chemin et leur vie. Ceux qui gardent la bonne direction finiront par arriver à la frontière, faite de barbelés, entre la Chine et la Mongolie. Il est à désirer qu’ils soient rapidement capturés par les gardes-frontières mongols, car c’est encore le meilleur moyen d’être en sécurité (ce qui ne serait pas le cas s’ils étaient capturés par une patrouille chinoise), d’être conduits à Oulan-Bator et de pouvoir tôt ou tard recevoir l’aide de l’ambassade de Corée du Sud. » Parce que les représentants de la Corée du Sud qui se trouvent à Oulan-Bator peuvent s’occuper des évadés nord-coréens beaucoup plus facilement que ceux qui se trouvent à Pékin, et parce que le voyage est relativement court, nombreux sont les évadés nord-coréens qui veulent se rendre en Corée du Sud à choisir le passage via la Mongolie.
D’autres évadés nord-coréens traversent la Chine du nord au sud et cherchent à passer par le Vietnam, le Laos ou la Thaïlande pour, de là, se rendre à Séoul. D’autres traversent la Chine d’est en ouest pour aller au Kirghizistan ou au Kazakhstan, et de là, parfois à Moscou. Le voyage, forcément très long et fort périlleux, puisqu’il se fait illégalement, se termine souvent par un échec. Le 13 novembre 2002, dix-sept évadés nord-coréens avaient traversé la Chine du Nord au Sud jusqu’à la frontière sino-vietnamienne. Etaient-ils dans le train de Nanning et Hanoi, étaient-ils en voiture, étaient-ils à pied ? Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient quelque part entre Pingxiang, la dernière gare chinoise, et Langson au Vietnam, qu’ils étaient déjà passés au Vietnam, qu’ils avaient été refoulés par les Vietnamiens et que finalement ils ont été capturés par la police chinoise des frontières et emprisonnés à Nanning, chef-lieu de la province de Guangxi. Ce groupe était composé de personnes ayant respectivement 68, 63, 55, 45, 43, 39, 36, 32, 30, 29, 27, 25, 24, 21, 9, 4 ans et 7 mois, et, vu leurs noms, il semble bien que les deux tiers étaient des femmes. Ce qui est certain, c’est que le bébé de 7 mois est un garçon. Le nom des dix-sept personnes qui avaient été capturées et emprisonnées ainsi que leur âge était, fait exceptionnel, mentionné dans le quotidien sud-coréen Tong-a Ilbo du 21 novembre 2002. L’information avait été fournie au journal par un organisme privé sud-coréen d’aide aux « réfugiés nord-coréens ».
Ce n’est pas souvent qu’on trouve dans la presse sud-coréenne, orale ou écrite, des informations à propos des échecs essuyés par des Nord-Coréens qui, s’étant évadés de Chine, voulaient se rendre définitivement en Corée du Sud. Pourtant, on a pu voir à la télévision le 26 août 2002 un groupe de sept Nord-Coréens, cinq hommes et deux femmes, tenter d’entrer dan