Eglises d'Asie

Mindanao : chassés de chez eux par les opérations militaires menées ces derniers mois au centre de l’île, les réfugiés survivent dans des conditions très précaires

Publié le 18/03/2010




Depuis l’assaut par les forces armées gouvernementales le 11 février dernier du camp contrôlé par le Front moro de libération islamique à Pikit, dans le centre de l’île de Mindanao (1), le sort des populations locales ne s’est pas amélioré. Selon le bureau gouvernemental de la Défense civile, 255 950 personnes ont été déplacées du fait des combats qui ont concerné six provinces au total. Sur ce total, 105 403 très exactement ont trouvé refuge dans les centres d’évacuation mis en place par les autorités, le restant ayant été hébergé chez des proches ou des parents. Au-delà de ces statistiques à la précision toute bureaucratique, nombre de personnes déplacées se plaignent des conditions de vie dans lesquelles elles sont plongées.

Selon le témoignage de certains des réfugiés hébergés dans des centres tenus par les autorités civiles, les personnes vulnérables, les enfants et les vieillards, souffrent d’une sur-mortalité notable. En dépit de conditions de vie difficiles, les réfugiés disent pourtant préférer rester sur place, dans les camps et les centres d’hébergement, plutôt que de retourner chez eux tant que les soldats de l’armée philippine ne se seront pas retirés. Selon Ruben Omar, réfugié dans un entrepôt transformé en centre d’accueil à Buisan, dans le district de Pikit, une tentative menée par lui et trois de ses compagnons pour aller entretenir leurs champs a tourné court, des soldats ayant ouvert le feu sur eux.

Selon d’autres témoignages, l’armée a eu recours à la torture. Trois personnes appartenant à l’ethnie Manobo, groupe aborigène local, disent avoir été torturés par des soldats au prétexte qu’ils étaient soupçonnés d’appartenir au MILF ou qu’ils en étaient des sympathisants. Libérés “pour manque de preuve” par l’armée le 10 mars dernier, ils ont depuis trouvé refuge à l’évêché de Kidapawan où l’évêque du lieu, Mgr Romulo Valles, leur apporte une aide médicale et juridique, afin de déposer un recours devant les tribunaux.

Par ailleurs, à Makati, le cour financier de Manille, le ministre de la Défense, Angelo Reyes, souvent présenté comme le principal instigateur de l’actuelle campagne militaire menée à Mindanao contre le MILF (2), a déclaré que les opérations militaires à Mindanao avaient pour objectif de supprimer les “criminels” qui empêchent l’économie locale de se développer. Intervenant le 24 mars dernier devant la Conférence des hommes d’affaires et des évêques, cercle de réflexion réunissant des responsables de l’Eglise catholique et du monde de l’économie, il a affirmé que l’armée était passée à l’action à Pikit pour répondre à la demande du gouverneur de la province de Cotabato qui se plaignait de l’asile offert par le MILF dans ce camp “aux voleurs, kidnappeurs et autres criminels”. “Lorsqu’il s’agit de la paix et de l’ordre, a-t-il ajouté, les forces armées répondront toujours par l’action car elles ne peuvent attendre pour discuter. L’armée n’a pas le luxe de la diplomatie.”

Pour des prêtres catholiques du diocèse de Cotabato, l’analyse du ministre de la Défense ne recouvre qu’une partie de la réalité. Selon un rapport du P. Anthony Billones, curé de paroisse dans le nord de ce diocèse, des groupes de “Moro” en armes, l’expression Moro renvoyant aux populations musulmanes de la province, étaient bien à l’ouvre dans la région, volant les “carabao les précieux buffles des paysans, mais l’intervention des forces armées n’a pas ramené le calme et l’ordre, les patrouilles se saisissant régulièrement des hommes trouvés dans les champs, les soupçonnant d’accointance avec le MILF. A Manille, dans les journaux locaux, des prêtres ont pris la plume pour dénoncer “la politique de la guerre” poursuivie par Angelo Reyes. Le 16 février, dans le Philippine Daily Inquirer, le P. Eliseo Mercado a qualifié le ministre de la Défense de “plus grand obstacle à la paix rappelant qu’Angelo Reyes était chef d’état-major des armées du temps où le président Estrada avait déclaré une “guerre totale” au MILF (3).