Eglises d'Asie

Le débat sur l’adoption d’une loi visant à ce que chaque élève reçoive une instruction religieuse conforme à son appartenance confessionnelle se politise

Publié le 18/03/2010




Depuis plusieurs mois déjà (1), les milieux chrétiens mènent campagne contre un projet de loi visant à rendre obligatoire pour chaque élève, dans les écoles privées aussi bien que publiques, une instruction religieuse conforme à son appartenance confessionnelle, qui devra être dispensée par un enseignant de la religion en question. Les milieux chrétiens craignent que la spécificité des écoles chrétiennes soit remise en question et estiment incompatible avec le statut de ces écoles le recrutement de professeurs de religion musulmans, ainsi que la mise à disposition de lieux de culte musulmans. Le 2 mai dernier, dans de nombreuses grandes villes du pays, partisans musulmans et adversaires chrétiens de ce projet de loi ont défilé séparément, en s’évitant soigneusement. Diversement appréciées, ces manifestations, qui se sont déroulées dans le calme, marquent une politisation de la question de l’enseignement confessionnel dans le pays, des partis politiques se saisissant du problème dans la perspective des élections présidentielles de l’an prochain. Des chrétiens, dans les régions orientales du pays, ont même menacé de faire sécession de l’Indonésie au cas où le texte de loi était voté en l’état.

Les manifestations ont culminé le 2 mai dernier, jour prévu de longue date pour l’examen du texte de loi controversé par la Chambre des Représentants. En fait, ce jour-là, un député, membre de la Commission de l’Education de la Chambre, a déclaré à la télévision que les députés n’examineraient pas le texte, qu’ils demeuraient ouverts aux éventuelles propositions des citoyens indonésiens jusqu’à l’examen du texte qui aura lieu le 20 mai 2003. Malgré cela, les manifestants ont été nombreux dans les rues. Du côté chrétien, dès le 28 avril, 10 000 personnes défilaient à Manado, chef-lieu de la province à majorité chrétienne de Célèbes-Nord. Quelques jours avant, le 23 avril, 2 000 catholiques étaient descendus dans les rues de Maumere, sur l’île de Florès. Le lendemain, 8 000 personnes, des prêtres, des religieuses, des élèves et des enseignants d’écoles catholiques venus du Timor occidental, de Florès, de Sumatra-Nord et de Kalimantan-Ouest, demandaient dans les rues de Djakarta le retrait du texte. Le 26 avril, à Semarang, à Java central, 5 000 élèves et enseignants d’éco-les chrétiennes défilaient avec la même revendication. Les jours suivants et le 2 mai en particulier, c’était au tour de manifestants musulmans de défiler, en particulier autour du Parlement à Djakarta.

Selon les observateurs locaux, les manifestations de ces derniers jours, pour pacifiques qu’elles aient été, marquent un changement par rapport à l’attitude adoptée par les communautés religieuses du pays au moment de la guerre en Irak. Avant comme après le déclenchement des hostilités en Irak, responsables chrétiens et musulmans étaient apparus côte à côte pour dénoncer cette guerre (2). Aujourd’hui, notent ces observateurs, les communautés sont face à face plutôt que côte à côte.

Pour nombre de responsables d’écoles chrétiennes, le projet de loi a été rédigé de façon à miner l’influence dont jouissent ces écoles. Dans de très nombreuses écoles chrétiennes, en effet, les élèves sont en majorité musulmans et sont placés là par leurs parents pour recevoir une formation perçue comme bonne. Or, certains législateurs ont admis que le projet de loi visait à exercer une influence sur ces écoles où l’élite sociale du pays place ses enfants. Par ailleurs, pour un certain nombre de militants de la cause musulmane, les écoles chrétiennes sont un des outils de la “christianisation” progressive de l’Indonésie. Un haut responsable de la Muhammadiyah, la seconde plus importante organisation musulmane de masse du pays, est venu à l’appui de cette thèse en affirmant, le 5 mai, que les rapports parvenus de la base indiquaient que, chaque année, de 16 000 à 19 000 musulmans scolarisés dans des écoles chrétiennes se convertissaient au christianisme. Après avoir échoué l’an dernier à inscrire la charia dans la Constitution (3), les partis d’inspiration musulmane ont fait du vote de cette loi un test de leur influence. Dans les provinces orientales du pays dominées par les chrétiens, certains responsables politiques voient là un danger pour l’avenir de leur communauté. Au Timor occidental, à Célèbes-Nord, aux Moluques et en Papouasie occidentale, les manifestants chrétiens ont menacé de recourir à la lutte armée pour réclamer leur indépendance de l’Indonésie en cas d’adoption de la loi par le DPR le 20 mai prochain.

Par ailleurs, certains observateurs locaux, y compris parmi les groupes musulmans modérés d’Indonésie, s’interrogent sur le soutien que certains partis politiques ont apporté à ce projet de loi. Deux factions réputées nationalistes et donc a priori hostiles à tout ce qui peut affaiblir l’unité de la nation se sont déclarées en faveur du projet de loi. Il s’agit du Parti démocratique indonésien de lutte, le PDI-P de la présidente Megawati Sukarnoputri, et du Golkar, la formation de l’ancien président Suharto, dont l’un des leaders aujourd’hui est Akbar Tanjung, président de la Chambre. Ensemble, le Golkar et le PDI-P réunissent plus de la moitié des députés de la Chambre. Selon certaines analyses, ces deux partis auraient accepté de soutenir le projet de loi en échange du soutien des partis musulmans lors des prochaines échéances électorales, en particulier l’élection présidentielle de l’an prochain qui, pour la première fois, se déroulera au suffrage universel direct.