Eglises d'Asie

Rédigée – non sans mal – sous l’égide du gouvernement, une “Déclaration sur l’harmonie reli-gieuse” a été adoptée par les responsables des principales religions de la cité-Etat

Publié le 18/03/2010




Dans un contexte marqué par les attentats du 11 septembre 2001 commis aux Etats-Unis, par l’arrestation à Singapour de membres du réseau terroriste Jemaah Islamiah mais aussi par les affaires dites du “foulard islamique” (1) et par les remarques du Premier ministre de Singapour au sujet de l'”inflexibilité” grandissante d’une partie de la communauté musulmane de la cité-Etat (2), on se souvient que les autorités singapouriennes avaient, en septembre 2002, annoncé la rédaction d’un “Code d’interaction” à l’usage des religions à Singapour (3). L’objectif affiché des autorités était de “guider les Singapouriens dans la pratique de leur religion, dans la façon de s’adapter aux croyances des autres et dans la marche commune vers une société multiraciale”. Près de neuf mois plus tard, le texte promis a été publié après avoir été accepté par les différents responsables religieux de Singapour mais il semble que sa mise au point a été plus délicate que ce à quoi s’attendaient les autorités gouvernementales (4).

Contrairement à ce qui avait été dit en septembre 2002 par le Premier ministre Goh Chok Tong, le texte ne sera pas soumis au vote du Parlement. Du “Code d’interaction” annoncé, on est passé à une “Déclaration sur l’harmonie religieuse à l’intitulé moins normatif. A en croire le Straits Times du 14 juin dernier, il a fallu plus de six mois de débats intenses aux responsables religieux réunis sous l’égide du gouvernement pour parvenir à la formulation finalement retenue. Le 9 juin, lors de la conférence de presse organisée pour présenter le texte, le ministre d’Etat Chan Soo Wen, coordinateur du travail des responsables religieux, a déclaré dans un premier temps que la rédaction de la Déclaration avait été “étonnamment aisée avant de convenir que certains passages avaient posé problème à certains responsables religieux.

Pressé de préciser ses propos, le ministre n’a pas nommé les responsables religieux en cause. Il a toutefois déclaré que le passage le plus contesté avait été celui concernant “l’expansion de notre espace commun”. Selon Chan Soo Wen, des responsables religieux ont craint que cette expression signifie l’obligation pour les religions de se retirer toujours plus dans la sphère privée de façon à laisser le champ libre à cet “espace commun”. Dans le texte finalement retenu, l’expression : “élargir notre espace commun” est devenue : “faire grandir notre espace commun jugée plus neutre. De même, les responsables religieux ont rejeté dans le texte initial la phrase : “Nous sommes une société laïque (secular) soulignant que c’est l’Etat qui est “laïque pas la société. Dans la version finale du texte, on peut lire : “Nous reconnaissons la nature laïque de notre Etat.”

En fait, le débat remonte à la “Loi sur le maintien de l’harmonie religieuse” en 1990 (5). A travers ce texte législatif, l’Etat instituait un contrôle très strict sur les religions à Singapour. L’Eglise catholique avait officiellement protesté par la voie de Mgr Gregory Yong Sooi Ngheam, l’archevêque de l’époque. Mgr Gregory Yong avait notamment critiqué la définition donnée par le gouvernement de la séparation du politique et du religieux, rappelant le devoir de l’Eglise d’intervenir dans le domaine de la morale tant individuelle que sociale. La Loi sur le maintien de l’harmonie religieuse a manifesté son inefficacité relative dans la mesure où le contrôle gouvernemental n’a pas empêché des cellules islamistes radicales de se développer à Singapour sans que les services secrets de l’Etat en aient eu vent. Elles ont été découvertes par les Américains au moment de la guerre contre les Talibans afghans, ce qui a profondément inquiété les autorités singapouriennes. Aujourd’hui, à travers ce nouveau texte, le gouvernement semble changer de méthode pour obtenir un consensus assez large de la part des chefs religieux, espérant sans doute que le contrôle interne des religions fonctionnera mieux que le contrôle externe de l’Etat.

Afin d’assurer la diffusion du texte, les responsables religieux ont été appelés à former un “Cercle de l’harmonie interreligieuse” dont le rôle sera de préciser l’interprétation à donner à la Déclaration en cas de questions ou de contestations de la part des Singapouriens. Lors de l’officielle Journée de l’harmonie raciale, fixée cette année au 21 juillet, les différents groupes religieux mèneront des activités visant à assurer la publicité de la Déclaration. L’Eglise catholique a annoncé qu’au cours de la semaine du 21 juillet, la Déclaration sera “récitée” par 100 000 fidèles au cours de 160 services religieux. Une journée portes ouvertes sera organisée dans les mosquées pour que la Déclaration puisse être “partagée au sein de la communauté a annoncé Syed Ahmad Mohamed, assistant du mufti de Singapour.

Interrogés par le Straits Times, des citoyens singapouriens se sont dits satisfaits qu’un tel texte existe, estimant qu’ils retiendraient sans doute son esprit mais pas forcément sa formulation exacte. Selon Hannah Koh, mère au foyer, âgée de 33 ans, le texte “contient des valeurs que nous devons vivre au jour le jour”. Pour Sanda Pee, 53 ans, “la question est comment nous allons appliquer cela dans nos vies de tous les jours”. Selon Zulkifli Baharuddin, ancien candidat à la députation, la Déclaration est importante “dans un pays comme le nôtre où nous sommes fréquemment mis à l’épreuve. Mais on ne peut garantir que son contenu sera intériorisé par chacun”.