Eglises d'Asie

ACEH : LA CRAINTE, LA DOULEUR ET LA HONTE

Publié le 18/03/2010




Dans les postes de police à Aceh, à l’extrême nord-ouest du pays, la crainte règne en maître parmi les détenus. Non qu’ils craignent l’issue d’un procès juridique légal, mais tous redoutent la torture à laquelle la police indonésienne a recours afin d’extorquer de faux aveux. Depuis plusieurs jours maintenant, des informations nous parviennent de Polres, le lieu où les forces de police locales sont stationnées à Banda Aceh, le chef-lieu de la province. Les sources sont diverses mais la principale d’entre elles vient d’un policier dégoûté par ce à quoi, selon lui, il est contraint de prendre part. Ce policier ressent une terrible honte à ne pouvoir intervenir en faveur de ceux qui sont détenus là où il est stationné.

Depuis la loi martiale, décrétée le 18 mai 2003 à Aceh, le nombre des détenus à qui il n’est pas possible d’avoir accès à un avocat et qui sont accusés de trahison a augmenté de façon exponentielle. Les récits, rassemblés à partir de différentes sources, parlent tous de torture, d’intimidation, de privation de sommeil, de surpopulation carcérale et du manque d’eau et de nourriture. La torture est systématique et survient à toute heure du jour et de la nuit.

Ce dimanche 29 juin, trente-sept personnes étaient détenues dans deux cellules à Polres, chacune d’entre elles mesurant trois mètres sur quatre. Deux maigres repas sont fournis chaque jour mais l’eau potable est donnée en quantité trop limitée. Le manque de nourriture, la déshydratation et la chaleur causée par la surpopulation, tout cela provoque de nombreuses maladies parmi les détenus. A ce jour, pourtant, aucun médecin n’a été admis à Polres. Les toilettes communes sont bouchées depuis plusieurs jours, nombreux sont ceux qui souffrent de plaies ouvertes, du fait des tortures endurées, et le risque d’infection est extrêmement élevé.

Ces derniers jours, Amiruddin, jeune homme âgé de 16 ans, a été battu si sévèrement à la tête qu’il a perdu l’usage d’un oil. Plusieurs détenus sont mineurs, âgés de moins de 18 ans, et tous ont été battus. Selon les normes internationales en vigueur, ces jeunes sont considérés comme des enfants.

Certains prisonniers sont des personnes âgées et leur âge ne leur épargne pas les coups. Lundi 30 juin, Tengku Wahab a été placé dans une des deux cellules décrites ci-dessus ; une partie de ses côtes étaient déjà cassées du fait des coups reçus au poste de détention des Brimob. Les Brimob forment les brigades mobiles d’élite de l’Indonésie et leur réputation de brutalité et de violence vaut celle de l’armée de terre du pays. Tengku Wahab est âgé de 63 ans et, comme la plupart de ses co-détenus, a été accusé de trahison.

Les autorités indonésiennes ont fait savoir que les personnes soupçonnées d’apporter un soutien au GAM, le mouvement séparatiste local, seraient accusées de trahison. Lundi 30 juin, sur les quinze détenus partageant la cellule de Tengku Wahab, tous l’étaient pour trahison. La plupart des vingt autres détenus de la cellule voisine avaient été arrêtés pour le même motif. Deux, cependant, parmi eux, détenus depuis plus de cinq mois à Polres, n’ont pas été formellement inculpés. L’un d’eux est malade mental ; il est, lui aussi, soupçonné de trahison.

A 21 h 30, le dimanche 29 juin, un nouveau prisonnier est arrivé. La police était nerveuse, ils hurlaient : “Tu appartiens au GAM ! Tu penses que nous sommes stupides ?! Dis-le, dis que tu es membre du GAM !” et, tandis qu’ils criaient, ils frappaient sa tête contre les barreaux de la cellule – sans fin. Au téléphone à 23 h 30, le policier qui nous a informé et qui était responsable de l’ouverture des portes des cellules à Polres, nous a imploré : “Appelez la Croix-Rouge internationale ! Ces gens ont besoin d’aide. Que Dieu me pardonne pour ce à quoi je participe, que Dieu nous pardonne tous !”

Les informations ne viennent pas seulement de ce policier mais de plusieurs autres sources, y compris d’un détenu qui a été relâché. “Oui, j’ai été battu mais je suis OK. Je ne sais pas pourquoi j’ai été libéré. Je suppose que j’ai eu de la chance, tout simplement. S’il vous plaît, venez en aide à mes frères qui sont toujours détenus à Polres.” Interrogé à propos des instruments de torture utilisés, Saifuddin (le nom a été changé) déclare : “Ils utilisent tout ce qui leur tombe sous la main. Ils battent les gens avec des armes, des bambous, des battons et même des livres épais. Ils frappent avec leurs chaussures militaires, dans les côtes, à la tête, et ils en ont brûlé si souvent avec des cigarettes ou des briquets. Il leur est arrivé de glisser un stylo à bille entre mes doigts et de presser ensuite mes mains ensemble.”

Le moins que l’on puisse dire est que la communauté internationale est très silencieuse au sujet de ce qui se passe à Aceh. Le contraste est grand lorsque l’on compare avec l’attention accordée par les médias à la détention d’Aung San Suu Kyi, la dirigeante de l’opposition en Birmanie. En fait, il est intéressant de noter que, lors de la récente réunion des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN (Association des Nations du Sud-Est asiatique), le ministre indonésien, Hassan Wirayuda, a été parmi les critiques les plus virulents du régime birman. A propos de la détention de Suu Kyi, Hassan a déclaré : [La junte birmane] est un échec pour la Birmanie et un poids pour la région.” Il a dénoncé l’arrestation de l’opposante birmane et les conditions de sa détention.

Mais son discours sonne faux, considérant qu’en mai, de retour en Indonésie, le gouvernement dont Hassan fait partie a lancé contre les Acehnais la plus vaste opération militaire que le pays a connu depuis l’invasion du Timor-Oriental en 1975. En Indonésie, aujourd’hui, les personnes détenues en violation de toutes les normes internationales et des conventions organisant le traitement des prisonniers sont si nombreuses. Les droits des civils en situation de guerre ne pèsent pas lourds.

C’est une chose de se battre sur le terrain ; c’en est une autre que de voir les membres de la police nationale recourir à la torture, aux mutilations et au meurtre des personnes détenues au nom de lois douteuses. Le gouvernement indonésien a interprété le relatif silence de la communauté internationale sur la question d’Aceh comme un soutien pour son action dans cette province périphérique.

Pourquoi la police indonésienne torture-t-elle et mutile-t-elle les enfants et les personnes âgées à Aceh ? Pourquoi le samedi 28 juin dernier le corps d’un détenu de Polres, qui n’a pas survécu aux conditions de détention, a-t-il évacué nuitamment ? Où est ce corps aujourd’hui ?

Hassan a dit que le gouvernement birman ne pouvait ignorer les appels de la communauté internationale à relâcher Suu Kyi. Si tel est le cas, alors la solution des problèmes à Aceh tels que nous venons de les décrire est simple : la communauté internationale doit seulement demander au gouvernement indonésien d’empêcher ses forces de police de torturer les civils, y compris les enfants et les personnes âgées. Mais cela est-il vraiment si simple ?