Eglises d'Asie

Gujarat : les responsables de l’incendie d’une boulangerie où ont péri onze musulmans ont été acquittés

Publié le 18/03/2010




Le 27 mars 2002, 59 militants hindouistes, revenant de Ayodhya, avaient trouvé la mort à Godhra dans l’incendie du train qui les transportait, un incendie et des meurtres attribués à un groupe de musulmans de la région. L’annonce de cette tragédie avait déclenché les troubles opposant hindous et musulmans du Gujarat, qui se sont prolongés du mois de mars au mois de mai 2001 et ont fait plus de 2 000 victimes, en majorité des musulmans (1). Parmi les premières représailles menées par les hindous, tout le monde avait retenu l’incendie d’une boulangerie appelée “Best bakery située à Vadodara. Cette attaque, inspirée et animée par des groupes de l’extrême droite hindoue, le Bajrang Dal et le Vishwa Hindu Parishad (Conseil mondial hindou, VHP), était survenue trois jours après l’incendie du train de Godhra. Quatorze musulmans réfugiés dans la boulangerie (2) y avaient péri, brûlés vifs. Après les troubles, une plainte avait été déposée contre les principaux responsables de cette attaque, au nombre de 21. Ce procès concernant les troubles de l’an dernier était regardé par les divers groupes musulmans et les médias nationaux comme un test qui donnerait le ton à une série d’autres procès qui devraient avoir lieu après la mise en place par l’Etat de tribunaux spéciaux destinés à les juger.

Le premier verdict prononcé, le 27 juin dernier, par un tribunal de l’Etat de Gujarat, à l’issue d’un procès mené à une allure record, a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les 21 accusés cités devant les juges pour l’affaire de Best Bakery sont sortis libres, faute de preuve. Trente-cinq des 73 témoins cités devant le tribunal pour identifier les coupables ont refusé de le faire. Le principal témoin, Zahira Sheik, la propre fille du propriétaire de la boulangerie a elle-même déclaré ne reconnaître aucun des accusés présents, contrairement à une déclaration précédente où elle avait donné une description précise du massacre. Les autres témoins ont déclaré, au cours du contre-examen, que la police les avait pris au hasard et forcés à signer des déclarations préparées à l’avance.

Aussitôt après avoir pris connaissance du verdict de libération, les principaux journaux nationaux ainsi qu’un grand nombre de représentants de la société civile ont exprimé leur indignation. La Commission des droits de l’homme a eu l’un des jugements les plus sévères. Elle a traité l’acquittement des vingt-et-un accusés de “mascarade de justice” et a aussitôt envoyé sur place une équipe de ses membres chargée d’enquêter sur les circonstances du procès et de lui fournir un rapport lui permettant de se faire un jugement sur l’affaire. Le Parti du Congrès a demandé au gouvernement de faire appel de l’acquittement des accusés et d’intenter une action en justice contre les fonctionnaires qui se sont montrés coupables de défaillance dans cette affaire.

Certains journaux indiens ont mis gravement en cause le gouvernement fédéral. Le Hindustan Times (3), par exemple, doute que celui-ci réponde favorablement à l’appel de la Commission nationale des droits de l’homme lui demandant de faire appel contre le récent acquittement. Selon le journal, le rôle joué dans cette affaire par le gouvernement est largement suspect. Le fait que les témoins aient refusé d’identifier les accusés suggère une intervention des autorités. Le journal accuse la police d’avoir intimidé les témoins, ce qu’elle n’aurait pas pu faire sans des instructions spéciales du ministre-président de l’Etat, Narendra Modi.

La hiérarchie catholique locale a également parlé de cette affaire sans mâcher ses mots. Mgr Godfrey de Rozario, évêque de Vadodara, a déclaré que le jour de l’acquittement des incendiaires était un triste jour pour la démocratie. Il a appelé les catholiques à travailler à la diffusion de la vérité auprès de la population. Sinon, a-t-il ajouté, tous les autres procès se dérouleront de la même manière et on perdra toute confiance dans le système judiciaire du pays.