Eglises d'Asie

LETTRE DE L’ARCHEVECHE DE HO CHI MINH-VILLE AU PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE

Publié le 18/03/2010




Archevêché de Hô Chi Minh-Ville

Conférence épiscopale du VietnamLe 27 juin 2003

au Président de l’Assemblée nationale

de la République socialiste du Vietnam

ainsi qu’au Secrétaire Général du Comité central

du Parti communiste du Vietnam,

au Président du pays, au Chef du gouvernement,

Monsieur le président,

Nous avons bien reçu le 16ème projet d’ordonnance sur la religion, qui nous a été envoyé pour avis par le Bureau permanent de l’Assemblée nationale. Cependant, par la suite, grâce aux députés catholiques à l’Assemblée nationale et aux membres du Conseil délibératif des religions, nous avons aussi pu prendre connaissance du 19ème et 20ème projet.

Après une étude minutieuse du dernier projet en date (le 20ème) et consultation des opinions envoyées par des organisations ou des individus appartenant aux milieux catholiques et aux organes compétents, nous avons également entrepris une lecture de la première ordonnance de notre pays sur la religion (234 S/L), signée par le président Hô Chi Minh le 14 juin 1955. Par ailleurs, nous avons aussi lu un article de valeur du professeur Dô Quang Hung, de l’Institut d’études religieuses, traitant de Hô Chi Minh et des fondements de la législation religieuse, publié dans la revue des Etudes religieuses, n° 3, 2002 (pp. 3-13). Par suite, nous nous permettons de vous présenter la contribution suivante.

1 – Comme toutes les contributions des organisations et des individus appartenant aux milieux catholiques dont nous avons parlés plus haut, nous sommes entièrement d’accord avec le professeur Dô Quang Hung lorsqu’il affirme que l’ordonnance 234 du président Hô Chi Minh est « parmi les importantes contributions apportées par lui durant la première étape de l’édification de la législation religieuse au Vietnam, le texte doté du caractère législatif le plus représentatif et le plus accompli » et lorsqu’il souligne que cette ordonnance « avec ses nombreux articles, riches et systématiques concernant les activités religieuses, reflète clairement les conceptions et les attitudes de notre Etat dans son travail d’institutionnalisation de la politique religieuse ». Nous nous accordons aussi avec lui lorsqu’il déclare : « En plus, y sont exprimées des idées humanistes satisfaisant le sentiment et la raison, réglant les questions religieuses d’une manière typiquement vietnamienne » (p. 11). Ainsi nous donnons notre accord à l’auteur de cette étude lorsqu’il propose : « Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut tourner notre recherche vers la source afin de poursuivre l’ouvre entreprise » (p. 12).

Si donc l’ordonnance 234 de Hô Chi Minh possède ce caractère législatif le plus représentatif et le plus accompli, il apparaît que nous devons la conserver et la compléter de manière à ce qu’elle soit appropriée à la situation actuelle. En cette époque de renouvellement et d’adaptation où le Parti et l’Etat ne cessent de nous rappeler qu’il faut exalter les idées de Hô Chi Minh, nous souhaitons que celles-ci soient introduites intégralement à l’intérieur de la nouvelle ordonnance sur la religion. L’ordonnance 234, bien que succincte, est concise et complète. Avec le préambule, elle ne comporte que cinq chapitres et seize articles, mais elle établit de solides fondements pour une ordonnance concernant la religion, conforme à la législation internationale (1). Il suffit de lire les lignes citées ci-dessous pour constater l’esprit d’ouverture qui animait le président Hô Chi Minh :

Article 13 : « Le pouvoir n’intervient pas dans les affaires intérieures de la religion. »

Article 3 : « Les religieux étrangers auxquels le gouvernement de la République démocratique du Vietnam a donné l’autorisation peuvent prêcher la religion tout comme les religieux vietnamiens. »

Article 9 : « Les religions sont autorisées à ouvrir des écoles privées. Celles-ci doivent conformer leur enseignement au programme du gouvernement. En dehors des heures d’enseignement selon le programme du gouvernement, on peut enseigner le catéchisme pour les élèves qui le veulent. »

2 – Selon l’article 2 du 1er chapitre de l’ordonnance 234 : « Les religieux et les croyants bénéficient également de tous les droits civiques et se doivent d’accomplir tous les devoirs civiques. » Nous désirons que cette clause soit appliquée à l’intérieur de l’ordonnance sur la religion. De plus, selon l’article 5 de cette ordonnance, « les religions sont autorisées à ouvrir des écoles de formation pour les spécialistes en activités religieuses L’Etat ne doit donc pas limiter le nombre des candidats, ne pas instituer de quota pour chaque classe, ne pas déterminer une période déterminée de temps pour accomplir le recrutement, comme c’est le cas aujourd’hui.

3 – Nous sommes de l’avis de beaucoup qui pensent que l’article 24 du projet d’ordonnance (le 20ème) fait preuve d’une volonté manifeste d’intervention dans la vie intérieure des religions lorsqu’il oblige les dignitaires religieux, en fonction de leurs charges, à obtenir des autorités centrales ou locales une approbation et une reconnaissance écrite pour pouvoir mener des activités religieuses. Une telle disposition n’est pas réaliste, rend le clergé trop dépendant du pouvoir et est susceptible de provoquer de nombreuses disputes.

4 – Pour ce qui concerne les relations avec l’étranger, à la lecture de l’ordonnance 234, on voit bien que le regard de Hô Chi Minh visait au-delà de son époque lorsqu’il écrivait : « Pour ce qui est des catholiques, les relations religieuses entre l’Eglise du Vietnam avec le Saint-siège de Rome constituent une affaire intérieure du catholicisme » (Ch. IV, art. 13). Alors que les échanges et les contacts internationaux deviennent habituels, que le réseau des autoroutes de la communication s’ouvre largement, nous proposons de corriger le chapitre IV du projet d’ordonnance sur la religion dans l’esprit du président Hô.

5 – Pour « mettre en valeur la force de la grande union, du peuple tout entier en vue de « la prospérité du peuple, de la force de la nation, de la justice sociale, de la démocratie et de la civilisation pour mettre en ouvre une politique « favorable au sacré et au profane nous proposons à l’Etat de prendre l’ordonnance 234 du président Hô comme base de l’ordonnance concernant les activités religieuses. Seul le contenu du troisième chapitre devra être changé. Dans la situation actuelle, il semble que l’Etat doit mettre en place des principes adaptés capables de régler les problèmes concernant les établissements religieux, les terrains, les constructions religieuses.

Dans un esprit d’union nationale et en guise de contribution au développement du pays, nous vous faisons part, en toute franchise, de ces quelques opinions concernant le projet d’ordonnance sur la religion. Avec tous nos voux de paix et de bonheur.

(1)Note de l’auteur de la lettre : – Loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat, 9 déc. 1905 ; – Déclaration des droits de l’homme des Nations unies, 10 déc. 1948, article 18 ; – Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, 23 mars 1976 ; – Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 nov. 1950.

ORDONNANCE N° 234-SL EN DATE DU 14 JUIN 1955

SUR LA GARANTIE DE LA LIBERTE DE CROYANCE

[NDLR – Pour une meilleure compréhension de la lettre de l’archevêque de Hô Chi Minh-Ville à l’Assemblée nationale, nous publions la traduction française de cette première ordonnance sur la religion, signée de Hô Chi Minh et Pham Van Dông, qui a paru dans la revue Etudes Vietnamiennes, n° 53, « Les catholiques et le mouvement national », publiée à Hanoi en 1978, pp. 230-234

Le Président de la République démocratique du Vietnam,

– vu la politique de la République démocratique du Vietnam en matière de religion,

– vu les principes garantissant la liberté de croyance votés par l’Assemblée nationale de 1a République démocratique du Vietnam au cours de sa 4ème session,

– vu la décision du Conseil de Gouvernement en date du 4 juin 1955, approuvée par le Bureau permanent de l’As-semblée nationale,

DECRETE :

CHAPITRE I

GARANTIES DE LA LIBERTE DE CROYANCE

Article 1 – Le Gouvernement garantit au peuple la liberté de croyance et la liberté de culte. Nul n’a le droit d’y porter atteinte. Chaque citoyen du Vietnam a le droit de pratiquer une religion ou de n’en pratiquer aucune.

Les desservants de toutes les religions ont la liberté de prêcher 1a religion dans les établissements religieux (tels que églises, pagodes, temples, séminaires, etc.). En prê-chant la religion, les desservants de toutes les religions ont le devoir d’enseigner aux fidèles l’amour de la patrie, les devoirs du citoyen, le respect du pouvoir populaire et des lois en vigueur dans la République démocratique du Vietnam

Article 2 – Les desservants de toutes les religions ainsi que les fidèles jouissent de tous les droits civiques et doivent remplir tous les devoirs de citoyen.

Article 3 – Les desservants de nationalité étrangère de toutes les religions, autorisés par le Gouvernement de la République démocratique du Vietnam, peuvent prêcher la religion comme les desservants vietnamiens. Ils doivent respecter la législation de la République démocratique du Vietnam comme tous les ressortissants étrangers.

Article 4 – Les religions peuvent éditer et distribuer les livres saints, les livres et journaux religieux, mais doivent respecter les lois de la République démocratique du Vietnam sur les éditions et publications.

Article 5 – Chaque religion a le droit d’ouvrir des écoles pour la formation de ses desservants.

Article 6 – Les églises, temples, pagodes, pagodons, sanc-tuaires et les objets de culte, les instituts religieux sont placés sous la protection de la loi.

Article 7 – La loi punit toute personne qui se met sous le couvert de la religion pour saboter la paix, l’unité et l’indépendance nationale, la démocratie, pour faire de la propagande de guerre, pour porter atteinte à l’union nationale, empêcher les fidèles d’accomplir leurs devoirs civiques, pour porter atteinte à la liberté de croyance et à la liberté d’opinion ou pour commettre des actes illicites.

CHAPITRE Il

VIS-A-VIS DES ACTIVITES ECONOMIQUES, CULTURELLES ET SOCIALES DES RELIGIONS

Article 8 – Les organisations créées par les religions et ayant un caractère économique, culturel ou social, peuvent fonctionner après autorisation de l’organe du pouvoir qui aura approuvé leurs programmes et statuts. Ces organisa-tions sont considérées comme des organisations privées et bénéficient de la protection de la loi.

Article 9 – Les religions ont le droit d’ouvrir des établissements scolaires privés. Ces établissements doivent suivre le programme d’enseignement du Gouvernement. En dehors des heures de classe données suivant le programme de l’enseignement officiel, des cours de catéchisme peuvent être dispensés aux élèves qui en font la demande.

CHAPITRE III

VIS-A-VIS DES TERRES ET RIZIERES

APPARTENANT AUX RELIGIONS

Article 10 – Dans l’application de la réforme agraire, quand le Gouvernement réquisitionne avec ou sans indemnisation les terres et les rizières des religions pour les distribuer aux paysans, il sera laissé aux églises, aux pagodes, aux sanctuaires, une quantité de terres et de rizières suffisante pour assurer le service du culte et assurer l’existence des religieux dans l’exercice de leur fonction.

Article 11 – Cette quantité sera fixée par les paysans de la région où se trouve l’église, la pagode, ou le sanctuaire, au cours d’une délibération démocratique et la décision sera sanctionnée par les autorités administratives de l’échelon de la province. Dans les campagnes, lors de la répartition des terres, les personnes qui travaillent comme salariés dans les églises ou dans les pagodes reçoivent une part égale à celle des autres paysans.

Article 12 – Dans le mouvement de mobilisation des masses pour la réduction des fermages et la réforme agraire, les évêques, curés, bonzes, pasteurs, dignitaires religieux qui ont personnellement, comme propriétaires terriens, des terres à affermer ne sont pas classés comme propriétaires terriens. Toutefois, ils doivent se conformer strictement à la politique agraire du gouvernement.

CHAPITRE IV

RAPPORTS ENTRE LE POUVOIR POPULAIRE

ET LES RELIGIONS

Article 13 – Les autorités administratives s’abstiennent de toute immixtion dans les affaires d’ordre strictement religieux. En ce qui concerne le catholicisme, les relations en matière religieuse entre l’Eglise vietnamienne et le Vatican sont du ressort du catholicisme.

Article 14 – Comme toutes les organisations populaires, les organisations religieuses doivent respecter les lois en vigueur dans la République démocratique du Vietnam.

Article 15 – La liberté de croyance et la liberté de culte sont les droits du peuple. Les autorités de la République démocratique respectent ces droits et aident le peuple à els réaliser.

CHAPITRE V

CLAUSE D’EXECUTION

Article 16 – Le Président du Gouvernement, le Comité Central de Réforme agraire et les ministères intéressés sont tenus responsables de l’exécution du présent décret.

Hanoi, le 14 juin 1953,

le président de la République démocratique du Vietnam

Signé : Hô Chi Minh

Contresigné : le Vice-Premier ministre Pham Van Dông