Eglises d'Asie

Au sud du Japon, quelques petites communautés, dites des “chrétiens cachés tentent de survi-vre dans la fidélité à leurs traditions quatre fois centenaires sans renouer avec l’Eglise catholique

Publié le 18/03/2010




Après les terribles persécutions du XVIe siècle et leur lot impressionnant de martyrs, les chrétiens japonais restèrent cachés, terrés dans le plus complet anonymat jusqu’en 1873, date à laquelle la liberté religieuse fut reconnue officiellement grâce aux changements politiques inaugurés par l’empereur Meiji (1867-1912). On pense qu’ils furent près de 20 000 chrétiens dans tout le Japon à sortir alors de leur anonymat pour se faire inscrire auprès des missionnaires qu’ils retrouvaient enfin dans la joie après plus de 270 années de silence et d’isolement. C’est de ce terreau que ressuscita l’Eglise du Japon que nous connaissons aujourd’hui.

Trois critères transmis de génération en génération avaient permis à ces persécutés de reconnaître un jour dans les nouveaux missionnaires qui arrivaient ceux dont, avant de mourir, les martyrs leur avaient promis le retour : 1) qu’ils soient des “envoyés 2) qu’ils ne soient pas mariés et 3) que Marie soit désignée par eux comme le nom de la mère de Jésus.

Parmi ces “chrétiens cachés” pendant presque trois siècles, certaines petites communautés refusèrent de reconnaître dans les missionnaires de la Société des Missions Etrangères de Paris les successeurs des prêtres dont ils attendaient le retour. Elles refusèrent de se rallier et continuèrent de cacher leurs croyances, observant, toujours et jusqu’à aujourd’hui encore, dans le secret, les coutumes et les prières héritées des anciens.

Leur refus de se rallier semble avoir été surtout d’ordre social. Certains d’entre eux avaient obtenu un petit poste de fonctionnaire, ce qui les mettait automatiquement au rang des persécuteurs. D’autres, honorablement connus, ne pouvaient révéler au grand jour qui ils étaient vraiment. D’autres encore, devant le rappel des exigences morales de la foi chrétienne par les nouveaux missionnaires, se sentirent incapables de remettre leur vie en question.

Au fils des siècles, ces petites communautés isolées, repliées sur elles-mêmes, perdirent le sens profond de leur origine. Tous leurs livres ayant été saisis et brûlés pendant les persécutions, il ne leur restait plus que la tradition orale pour nourrir leur foi. Les prières récitées par cour, émaillées de mots latins et de formules abscondes, se déformèrent. Aujourd’hui, souvent, le sens profond de ces mots n’est plus compris. Le rite du baptême des enfants est toujours observé mais la formule prononcée reste sibylline. Ces “chrétiens cachés” continuent d’observer certaines fêtes chrétiennes mais décalées dans le temps et dont, là encore, ils ont perdu la signification. Au cours des siècles, la plupart de ces communautés, sans aucun point de repère spirituel, ont fini tout simplement par rejoindre tel ou tel temple bouddhique de leur région.

De nombreuses études et enquêtes sur ces “chrétiens cachés” ont été conduites par des ethnologues japonais, comme Shigeo Nakazono, qui ont pu filmer certains rites et enregistrer leurs prières, non sans difficultés et réticences de la part des intéressés puisque, par définition, pour eux, tout doit rester secret (1). Les “chrétiens cachés” de la petite île d’Ikitsuki, à l’extrême sud-ouest du Japon, forment une des communautés les plus ouvertes. Son “Oyaji” (‘responsable’), un professeur de comptabilité de 64 ans, Yasutaka Toriyama, parle volontiers de ce qui fait leur vie de foi. Il rappelle que leurs ancêtres ont refusé de rejoindre l’Eglise catholique romaine mais sans pouvoir en dire le motif, et avoue : “Les gens d’ici disent que c’est étrange mais nous, nous croyons en même temps au christianisme et au bouddhisme, depuis des centaines d’années.”

A Ikitsuki, sur une population de quelque 8 000 habitants qui vivent de la pêche et de l’agriculture, ils sont encore 230 “chrétiens cachés” dont les plus jeunes ont plus de quarante ans. Leur nombre qui va en diminuant les inquiète. “Qui va continuer à sauvegarder l’esprit des ‘chrétiens cachés’, une religion pour laquelle, pourtant, nos ancêtres ont risqué leur vie ?”