Eglises d'Asie

Un religieux bouddhiste enlevé et incarcéré en secret depuis plus d’un an va comparaître devant un tribunal populaire

Publié le 18/03/2010




Au mois d’avril 2002, un religieux bouddhiste originaire de la province de Thua Thiên, le vénérable Thich Tri Luc, avait fui son pays pour le Cambodge afin d’échapper aux pressions exercées sur lui par les pouvoirs publics en raison de son appartenance au bouddhisme unifié. Le religieux, âgé de 49 ans, avait sans peine obtenu le statut de réfugié au Cambodge, octroyé le 28 juin 2002 par le Haut Commissariat aux Réfugiés à Phnom Penh. Or, dans la nuit du 25 juillet suivant, le nouveau réfugié disparaissait de son domicile. Cette nuit-là, selon des sources cambodgiennes, une personne en civil, non identifiée, mais que l’on soupçonne appartenir à la police secrète vietnamienne, aurait invité le religieux à le suivre. Depuis cette date, on n’a plus obtenu de nouvelles du religieux. Beaucoup d’observateurs en avaient conclu que l’intéressé avait été kidnappé par la Sûreté vietnamienne, ramené de force au Vietnam où il pourrait avoir été interné ou encore éliminé. Ces mêmes sources expliquaient aussi que la police secrète vietnamienne agirait en permanence au Cambodge aussi bien à l’encontre des Montagnards ayant fui les Hauts Plateaux du Centre Vietnam, que des dissidents vietnamiens en ce pays (1).

Il aura fallu attendre plus d’un an pour que les hypothèses exprimées à l’époque s’avèrent fondées et que la thèse de l’enlèvement par la police vietnamienne soit indirectement confirmée par les pouvoirs publics de ce pays. En effet, tout récemment, peu avant le mois d’août, la famille du religieux au Vietnam a reçu une convocation à un procès qui aurait dû avoir lieu le 1er août, durant lequel Pham Van Tuong, qui est le nom d’état civil du vénérable Thich Tri Luc, aurait dû être jugé. Par la suite, la date du procès a été reportée à plus tard et reste inconnue aujourd’hui encore. Cette convocation est la seule information qui ait été donnée concernant la situation actuelle du religieux victime du kidnapping. Son entourage proche ignore encore aujourd’hui la nature des accusations qui sont portées contre lui, ne sait pas où il est détenu et jusqu’ici n’a pas obtenu l’autorisation de lui rendre visite (2).

Le vénérable Thich Tri Luc était un disciple du vénérable Thich Dôn Hâu qui fut patriarche du bouddhisme unifié et désigna le vénérable Thich Huyên Quang comme son successeur, avant sa mort le 23 avril 1992 (3). Depuis le changement de régime de 1975, le religieux a mené une vie passablement mouvementée. Arrêté une première fois en 1992 et emprisonné dix mois durant, il subit des pressions de la part des autorités l’incitant à devenir un collaborateur secret de la police. Il refusa et envisagea même de s’immoler par le feu en signe de protestation. Plus tard, en 1994, il faisait partie d’une délégation bouddhiste, chargée de porter secours aux victimes des inondations du Mékong, qui fut empêchée par la police d’accomplir sa mission (4). Un procès eut lieu à Hô Chi Minh-Ville, le 15 août 1995, qui condamna les divers accusés à des peines allant de deux ans et demi à cinq ans de prison (5). Thich Tri Luc écopa de deux ans et demi de prison, peine pour laquelle il refusa de demander un recours (6) et qu’il purgea dans un camp de rééducation à Xuân Lôc. Cet internement fut suivi d’une assignation à résidence et de l’interdiction d’exercer toute activité religieuse publique. Ces derniers temps, la situation était devenue si insupportable pour le religieux qu’il avait pris la décision de s’enfuir au Cambodge.

Le comportement des pouvoirs publics vietnamiens à l’égard du religieux a provoqué des réactions vigoureuses à l’intérieur même du pays. Dans une lettre envoyée au président Trân Duc Luong, le 12 août dernier (7), la seconde plus haute autorité du bouddhisme unifié, le vénérable Thich Quang Dô, lui-même récemment libéré de trois années de résidence surveillée, a très sévèrement jugé l’enlève-ment et l’incarcération de son confrère : “Ceci est une grave violation de l’article 67 du Code pénal qui déclare que les responsables de l’arrestation d’une personne doivent promptement notifier les faits à sa famille, aux institutions du pouvoir d’Etat et aux organisations chez qui la personne réside ou travaille.” Thich Quang Dô, s’exprimant en tant que responsable de l’Institut de la propagation du Dharma, a souligné que Thich Tri Luc s’est contenté de vouloir pratiquer pacifiquement sa religion et de mettre en pratique les enseignements de Bouddha sur la compassion… La seule raison de ses arrestations successives est sa participation à la lutte pour le droit à l’existence du bouddhisme unifié.