Eglises d'Asie – Divers Horizons
A LA RECHERCHE D’UNE THEOLOGIE SUD-ASIATIQUE QUI REFLETE LA FACE ASIATIQUE DE JESUS
Publié le 18/03/2010
Quelques traits saillants de la théologie de l’Asie du Sud :
1. Une recherche d’harmonie (intégrité et sainteté)
Plongés dans des conflits et vivant au cour de contradictions, les hommes d’Asie du Sud sont à la recherche d’un bonheur et d’un bien-être qui proviennent d’une vision du monde qui soit organique, interactive et cosmique. A travers cette recherche, la théologie espère acquérir un caractère sud-asiatique distinct qui serve la vie dans le continent asiatique.
La théologie en Asie du Sud réfléchit sur le mystère du Christ qui est appelé le Seigneur de l’harmonie, la voie vers l’harmonie ultime. L’harmonie en Asie du Sud n’est pas une façon de s’échapper ou de formuler un simple souhait. Elle affronte des situations réelles de conflit et de contradictions : exploitation économique et pauvreté, formes oppressives de gouvernement, conflits religieux, culturels et communautaristes, crises économiques et environnementales, abus de la science et de la technologie, etc. La déclaration finale de la Sixième Assemblée plénière de la FABC à Manille en 1995 stipulait : “Nous avons tourné notre attention sur tout ce qui menace, affaiblit, diminue et détruit la vie des individus, des groupes ou des peuples ; tout ce qui dévalue les êtres humains, qu’ils soient conçus, nés, enfants, ou âgés ; tout facteur socio-culturel, religieux, politique, économique ou environnemental qui menace ou détruit la vie dans nos pays. Nous avons identifié quelques-unes de ces forces de mort présentes en Asie.”
En Asie, la recherche de l’harmonie est très ancienne. Dans la civilisation indienne des temps védiques, la coïncidence simultanée des opposés, dans la pensée chinoise, le jeu mutuel d’éléments apparemment antithétiques, tels que la personne humaine et la nature, le yin et le yang, la bienveillance et l’autocratie, tous ces traits ont constitué une manière caractéristique de penser et de vivre. L’harmonie, dans le sous-continent indien, signifie la réconciliation de différents points de vue, non en supprimant l’un ou l’autre mais en les transcendant dans une synthèse plus large. En Asie du Sud, ils ont contribué à une harmonieuse intégration du tout et des parties à tous les niveaux (cosmique, social, individuel), préparant, pour ainsi dire, le chemin pour le Christ, le Seigneur de l’harmonie. Le travail de Dieu restaurant l’harmonie trouve son accomplissement dans le Christ qui appelle ses disciples à participer à la mission qu’il a reçue de son Père : “Vous êtes les témoins de cela” (Lc 24,49).
2. Une christologie enrichie
La réflexion christologique est vivante en Asie du Sud dans le contexte de la théologie. Les christologies existantes sont souvent perçues comme limitées. La préoccupation est de présenter ici le message chrétien d’une façon crédible en continuité avec la riche culture locale. Les discussions christologiques précédentes étaient dominées par la question de l’exclusivisme. A leur place de nouveaux modèles plus inspirants sont suggérés.
La conviction fondamentale d’un chrétien est que la vie et le travail de Jésus-Christ sont uniques, décisifs et universellement signifiants. Mais, dans le contexte du sous-continent indien, d’autres traditions affirment aussi être uniques, décisives et universellement signifiantes. A travers l’Asie du Sud, le Christ est accepté par beaucoup, même s’ils ne sont pas baptisés, mais cependant pas de façon exclusive. Beaucoup affirment que Jésus n’est pas moins asiatique que Bouddha ou Mahomet. La théologie peut-elle défier ou clarifier la conviction chrétienne sur l’unicité du Christ ? De plus, “l’Asie du Sud n’est pas une tabula rasa, dit Félix Wilfred. Elle a son propre paysage spirituel dans lequel notre foi en Jésus-Christ peut briller et où notre proclamation peut devenir signifiante et pertinente.” Comment Jésus-Christ est-il le Sauveur universel si en même temps il y a une possibilité de salut dans et par les autres religions ? Des réponses diverses sont proposées à cette question. Tout en prenant bien soin de sauvegarder la doctrine chrétienne orthodoxe contre les dangers réels de la miner, on ne peut pas nier la riche réflexion qui existe dans l’Eglise du sous-continent indien. Les théologiens d’Asie du Sud commencent leur réflexion en affirmant sans équivoque la vérité que “c’est Dieu qui sauve non les religions. En ce qui concerne le rôle salvifique universel de Jésus, “[.] nous devons prendre en compte toute l’ampleur cosmique de son action et ne pas la limiter à son action dans sa forme incarnée nommée Jésus. Cette action universelle du Christ ne peut pas être localisée à un point du temps ou de l’histoire. Par conséquent, l’universalité du Christ inclut les manifestations de Dieu dans l’histoire dit Michael Amaladoss. Evidemment, nous devons comprendre de telles déclarations non historiquement mais eschatologiquement, c’est-à-dire que Jésus devient le Christ dans le processus de l’histoire du salut et c’est notre tâche de promouvoir ce devenir par la mission et le dialogue.
L’engagement de l’Eglise au triple dialogue avec les peuples qui professent d’autres fois, avec les cultures d’Asie et avec les pauvres, a ouvert le mystère du Christ à d’autres. A leur tour, les autres ont positivement mis les chrétiens au défi de regarder ce même Christ avec des yeux nouveaux. Sans trahir la compréhension apostolique du mystère de Jésus-Christ, la norme pour tous pour le connaître, et cela sans essayer d’inventer ou de découvrir un autre Christ que celui qui est prêché depuis toujours par l’Eglise, c’est d’être tous appelés à approfondir, enrichir et renouveler la manière de comprendre et de faire l’expérience de ce même Christ. Il faut prendre soin de ne pas aller contre le sens contenu dans les formulations historiques, même si les formulations elles-mêmes peuvent changer.
Rivalisant avec les points de vue nouveaux des Pères de l’Eglise et leur pratique originale de la théologie (les Pères formulèrent la foi dans le Christ dans un langage non biblique pour articuler tel ou tel aspect du Christ dans les conditions concrètes du temps), les chrétiens dans le sous-continent indien ont commencé leur réflexion christologique non seulement à la lumière de la “révélation donnée” (le Nouveau Testament est la source de notre connaissance de Jésus-Christ), mais aussi dans le contexte de la situation concrète dans laquelle ils se trouvaient. Sans me lancer dans une explication détaillée, je donne ici une liste de quelques-uns des thèmes christologiques traités par les théologiens en Asie du Sud : Jésus-Christ est le Pauvre, le Logos, la Marga ou la Voie, le symbole de la relation intime Père-Fils (christologie Abba), la Kénose de Dieu, la Réalité historique et transhistorique, le Verbe du Père, le Seigneur, etc.
3. Une théologie contextuelle
Dans le sous-continent indien, la théologie met l’accent sur le contexte culturel, religieux et socio-économique. Pour relier l’Evangile à la culture, elle suit une méthode inductive et met l’accent sur la primauté de l’expérience (anubhava) par rapport à la tradition donnée. En d’autres termes, en Asie du Sud, la théologie, le discours sur Dieu sont considérés en relation avec l’expérience de Dieu. Les théologiens soutiennent que faire de la théologie c’est interpréter la réalité sud-asiatique à la lumière de l’action libératrice de Dieu dans notre histoire afin d’amener une nouvelle humanité. L’agent premier de cette théologie est estimé être la communauté elle-même parce que “toutes les expressions théologiques restent stériles à moins qu’elles ne procèdent de la vie courante et de l’engagement actif de tout le peuple de Dieu dans la lutte”.
La contextualisation n’est pas là pour réaliser une efficacité pragmatique. Elle résulte du souci de “chercher continuellement des voies par lesquelles la Bonne Nouvelle peut être plus profondément vécue, célébrée et partagée”. Les théologiens soutiennent que pour eux la contextualisation est une clé qui ouvre la porte pour comprendre pourquoi la chrétienté a été enfermée dans une salle occidentale. D’après D. K. Whiteman, “la contextualisation tente de communiquer l’Evangile en parole et en acte et d’établir l’Eglise de manière qu’elle ait un sens pour les gens à l’intérieur de leur contexte culturel, présentant la chrétienté de telle manière qu’elle rencontre les besoins les plus profonds des gens et qu’elle pénètre leur représentation du monde, leur permettant ainsi de suivre Jésus-Christ tout en restant dans leur propre culture”.
Ce qui semble préoccuper le plus les théologiens dans le sous-continent est la question de savoir comment l’Eglise peut devenir une Eglise vraiment locale. Tous leurs efforts théologiques tendent à répondre à cette question. Ils sentent que l’Eglise locale en Asie du Sud doit réfléchir sa culture, doit devenir authentiquement locale en brisant les liens qui la rendent esclave de l’Occident, en participant à la lutte contre l’injustice et l’exploitation et en travaillant avec les pauvres plutôt que pour les pauvres.
4. Une compréhension relationnelle (non relativiste) de la réalité absolue
Quelques théologiens en Asie du Sud parlent du Mystère absolu dans le contexte plurireligieux du sous-continent comme relationnel plutôt que comme relativiste. Relationnel, d’après eux, ne signifie pas que l’Absolu est compris d’une manière soit exclusiviste soit inclusiviste. Dieu est le Transcendant absolu qui relativise tout. La prétention de toute tradition religieuse au sujet de l’expérience du Mystère absolu est défendue. Chaque tradition est mise au défi d’être ouverte à la vérité de l’autre, tout en sauvegardant sa propre prétention à la vérité.
Conclusion
L’effort théologique en Asie du Sud ne peut pas être pleinement perçu à moins de reconnaître la différence fondamentale entre les manières de penser différentes entre les Asiatiques et les Occidentaux. L’Occident pense les choses en distinguant, séparant et classant ; l’Asie aime généralement mettre les choses ensemble et les voir globalement.
Voilà ce qu’on peut signaler comme étant quelques attitudes caractéristiques des théologiens de l’Asie du Sud :
1. La théologie n’est pas un acte postérieur à l’expérience de Dieu. On ne connaît rien vraiment sans l’avoir soi-même expérimenté. Le but de la théologie n’est pas de connaître intellectuellement Dieu – une tâche impossible – mais de faire l’expérience de Dieu au-delà de toute connaissance intellectuelle. Comme l’a dit St Thomas d’Aquin : “A la fin de toute notre connaissance, nous connaissons Dieu comme Quelqu’un d’inconnu.”
2. Les théologiens asiatiques pensent que la théologie doit rechercher l’harmonie intérieure entre Parole et Silence. Silence signifie la Parole (ou le Verbe) inexprimée. La Parole exprimée signifie le Silence entendu. En d’autres termes, la théologie d’Asie reconnaît la suprématie de l’Esprit.
3. Dans le contexte de l’Asie du Sud, la théologie est élaborée au milieu de ses religions, de ses cultures, de ses pauvres. En d’autres termes, l’accent et le souci de la théologie en Asie du Sud n’est pas tant ad intra que ad extra : comprendre sa propre foi chrétienne dans son contexte concret et se faire comprendre par le “voisin asiatique qui est étranger à la foi chrétienne”.
4. Les chrétiens en Asie du Sud considèrent la foi, l’écoute, la contemplation comme autant de préalables pour élaborer une théologie signifiante. La foi, c’est l’abdication de la raison quant à toute prétention d’autonomie en matière de connaissance suprême, qui est toujours un pur don de Dieu ; l’écoute, c’est d’abord l’écoute des Ecritures ; Dieu doit être recherché ardemment si on veut le connaître.
5. La théologie dans le sous-continent indien voit Dieu non tant comme un “objet” extérieur que comme “Celui qui est le cour (ou l’intérieur, l’intime) du cour de quelqu’un et de tous les autres Dieu n’est pas quelqu’un que quelqu’un connaît mais Celui par lequel quelqu’un connaît. Les croyants en Asie du Sud sont alarmés devant tout langage dualiste en pensant et en parlant de Dieu ; car il n’est pas quelqu’un d’“au-dessus”, “contre” nous.
6. En dernière analyse, le rôle de la théologie d’après les gens en Asie du Sud est de préparer la voie pour le moment de l’éveil.
On dit que la théologie, dans le contexte de l’Asie du Sud, naît de la conviction fondamentale que les chrétiens sont appelés à vivre comme une réelle “Eglise locale et pas seulement comme des extensions ou des branches des missions étrangères, occidentales. La vaste majorité des Sud-Asiatiques sont pauvres mais culturellement riches et adhèrent à d’autres traditions religieuses. La théologie doit donc, en dialogue avec eux, refléter la face asiatique de Jésus-Christ, qui est l’unique Seigneur et Sauveur universel.