Eglises d'Asie

Le pape a accepté la démission du cardinal Sin, archevêque de Manille, âgé de 75 ans, et a nommé pour lui succéder un archevêque âgé de 71 ans

Publié le 18/03/2010




Le 29 juillet dernier, lors d’une messe d’action de grâces célébrée pour marquer le dénouement pacifique d’une mutinerie de jeunes officiers, le cardinal Sin avait, une nouvelle fois, usé de son magistère moral sur la scène publique philippine, qu’elle soit religieuse ou politique, pour appeler à des réformes (1). Devant la présidente Gloria Arroyo, de nombreux membres du gouvernement et des évêques, le cardinal, fatigué par la maladie et soutenu par deux acolytes, n’avait cependant rien dit de sa succession, à quelques semaines de la date de son soixante-quinzième anniversaire. L’attente n’a pas été longue : le 15 septembre dernier, quinze jours exactement après que le cardinal eut atteint l’âge de 75 ans, l’Eglise des Philippines a annoncé que Jean-Paul II avait accepté la démission du cardinal Jaime Sin, archevêque de Manille, démission formulée aux termes du droit canon qui stipule que les évêques présentent au pape leur démission à l’âge de 75 ans. Le pape a exprimé sa profonde gratitude au cardinal Sin pour “[son] dévouement et [son] amour inconditionnels témoignés au peuple placé sous [ses] soins” et a nommé Mgr Gaudencio Rosales, archevêque de Lipa, comme successeur du cardinal sur le siège de Manille.

Agé de 71 ans, Mgr Rosales est président de la Commission épiscopale du clergé depuis janvier 2000. En juillet dernier, lors du renouvellement des instances de la Conférence épiscopale, il a été réélu à ce poste pour un second mandat. Auparavant, il avait été responsable de la Commission en charge des séminaires. Depuis une dizaine d’années, il mène une réflexion sur la formation des futurs prêtres et, à ce titre, il a initié la réforme des programmes des séminaires, actuellement en voie de finalisation. Ordonné prêtre à Lipa, diocèse situé à 75 km. au sud de Manille, en 1958, évêque auxiliaire de Manille de 1974 à 1982, Mgr Rosales connaît bien le cardinal Sin. En 1982, il avait été nommé coadjuteur de l’évêque de Malaybalay, dans la province de Bukidnon, où il eut à connaître les tensions nées de l’engagement du diocèse contre l’abattage illégal des forêts ; un de ses prêtres y perdit la vie, assassiné (2). En 1993, il fut transféré sur le siège de l’archidiocèse de Lipa. Dans une interview accordée à l’agence Ucanews le 9 juillet dernier, Mgr Rosales déclarait que la réforme de l’Eglise passait selon lui par une réforme du clergé. La crise que traverse aujourd’hui le clergé philippin était, selon lui, l’occasion d’une purification et d’une conversion de l’Eglise.

En visite ad limina à Rome lorsque la nouvelle de sa nomination a été connue, Mgr Rosales n’a pas fait, à l’heure où nous mettons sous presse, de déclaration publique sur sa nomination. La date de son installation sur le siège de Manille n’a pas encore été fixée. Mgr Rosales dirigera un diocèse beaucoup plus modeste en taille que son prédécesseur, la partition du très peuplé diocèse de Manille en six entités distinctes venant juste d’être achevée (3). Selon les observateurs, le fait que le pape choisisse un évêque âgé de 71 ans là où les noms d’évêques âgés d’une cinquantaine d’années circulaient pourrait indiquer que Mgr Rosales a été nommé à ce poste clef de l’Eglise des Philippines comme “un évêque de transition” en attendant la nomination d’un autre prélat ou d’un coadjuteur d’ici quelques temps. On peut aussi penser que Rome a voulu nommer à ce poste-clé l’un des meilleurs connaisseurs de la crise profonde que connaît aujourd’hui l’Eglise philippine à travers son clergé.

Dans un communiqué envoyé aux médias le 15 septembre, le cardinal Sin a écrit : “Tandis que j’entre dans un nouveau chapitre de ma vie, parvenu au seuil de celle-ci, je peux dire avec gratitude que j’ai donné le meilleur de moi-même à Dieu et à mon pays.” Né en 1928 d’une mère d’origine chinoise, issu d’une famille de neuf enfants, le cardinal Sin, ordonné prêtre en 1954, archevêque de Manille dès 1974, a connu deux conclaves. Créé cardinal par Paul VI, il entretient des liens de confiance avec Jean-Paul II et a servi d’émissaire du pape en Chine populaire. Dès son accession à la tête de l’archidiocèse de Manille, il s’est posé en chef de fil de la ligne majoritaire au sein de l’Eglise des Philippines, celle de la “collaboration critique” vis-à-vis du gouvernement, Marcos à l’époque. Après l’assassinat en 1983 de Ninoy Aquino, le grand opposant des Marcos, il est passé à l’opposition ouverte qui déboucha sur le “People Power” de 1986 où le cardinal déposa “moralement” Ferdinand Marcos en le déclarant indigne de la confiance populaire.

A cette époque où certains, y compris au sein de l’Eglise, lui reprochaient son engagement en politique, le cardinal répliquait : “L’Eglise doit être impliquée en politique. La politique n’est pas sale. Ce sont les politiciens qui la rendent sale.” La stature du cardinal au sein du pays et de l’Eglise ne faisait pour autant pas de lui une personnalité systématiquement écoutée. Son hostilité déclarée au candidat Joseph Estrada n’empêcha pas l’élection de celui-ci en 1998. De même, les prises de position de l’épiscopat contre la peine de mort ou contre la politique de contrôle des naissances ne furent pas toujours suivies d’effet (4). En janvier 2001, lors des manifestations qui aboutirent au “People Power II” et à la destitution du président Estrada, l’Eglise, le cardinal Sin en tête, parut regagner l’ascendant qu’elle avait eu sur la société lors de la chute de Marcos. En mai 2001, toutefois, après que d’importantes manifestations de rue eurent ébranlé l’administration Arroyo, le cardinal Sin avait demandé pardon pour les fautes de l’Eglise catholique envers les pauvres, en particulier pour “les avoir négligés pendant trop longtemps” (5