Eglises d'Asie

Au Japon, le mode d’emploi du suicide s’apprend sur certains sites Internet

Publié le 18/03/2010




En mai dernier, un homme de 24 ans et deux jeunes femmes de 20 et 23 ans qui l’accompagnaient se sont suicidés dans une voiture de location, dans les bois, asphyxiés par les gaz d’échappement dirigés vers l’intérieur du véhicule. D’après l’enquête de police et les journaux, ces trois personnes ne se connaissaient pas autrement que par le biais d’un site Internet par l’intermédiaire duquel ils avaient pris contact. Le motif de ces suicides reste obscur. Le garçon a laissé une seule lettre dans la voiture où il avait écrit que lui et ses deux compagnes ne s’étaient rencontrés que pour une seule et unique raison : “Mourir ensemble, et rien d’autre.”

Selon la police nationale, en six mois, trente-deux personnes, des hommes et des femmes âgés entre 15 et 20 ans, se sont suicidées après s’être rencontrées sur Internet. La police estime à 8 000 le nombre de sites sur Internet (1) qui, sans pour autant encourager directement le suicide, proposent différentes méthodes pour réussir, comme l’utilisation de monoxyde de carbone ou l’absorption de certains somnifères.

On sait que la notion de suicide est familière aux Japonais (2), comme le seppuku (harakiri pour les européens), un rituel propre à certains milieux nationalistes ou loyalistes qui consiste à s’ouvrir le ventre assisté d’un assistant qui, de son sabre, vous donne le coup de grâce. Un professeur du centre hospitalier de l’université de Tokai, Enosuke Hosokawa, spécialiste des pathologies suicidaires, constate : “Les suicides par l’intermédiaire d’Internet sont le fait de personnes complètement étrangères les unes aux autres mais qui veulent mourir ensemble. Une démarche inconnue de nous jusqu’à maintenant.” Pour Enosuke Hosokawa, la dépression joue un très grand rôle au Japon dans les comportements suicidaires. Au ministère de la Santé et de l’Action sociale, on s’inquiète : “Ces pactes conclus sur Internet par des gens qui ne se sont jamais rencontrés et qui veulent mourir ensemble nous ont pris de court. Nous cherchons une parade adéquate de prévention.” Depuis 1998, le nombre des suicides au Japon se situe autour de 30 000 chaque année, accusant une augmentation de 50 % en cinq ans. Le ministère a lancé une étude sur la question et semble vouloir s’orienter vers une détection précoce de la dépression en s’inspirant de méthodes suédoises ou américaines.

D’après les statistiques publiées par la police, il y a eu 31 042 suicides au Japon en 2001, soit le double du nombre des suicides aux Etats-Unis qui ont pourtant une population deux fois plus nombreuse : 275 millions contre 127 millions pour le Japon. Problèmes économiques, chômage, endettement sont les principaux motifs des hommes candidats au suicide, souvent âgés de 40 à 50 ans. L’augmentation du nombre des suicides est à l’évidence en lien avec la récession et les difficultés économiques. Ils représentent 67 % des suicides masculins enregistrés au cours de cette dernière décennie (3). Pour Tamotsu Sengotsu, psychothérapeute connu, la solitude et l’incapacité à s’ajuster à son milieu environnant favorisent chez les jeunes une fixation sur Internet et les poussent à ce genre de suicide. “La génération actuelle n’est confrontée à aucune difficultés insurmontable. Les jeunes sont riches et libres de faire ce qu’ils veulent dans la société japonaise moderne. Ils sont semblables à du bois flottant à la dérive accroché à rien et que rien ne retient, explique-t-il. Ce qui les pousse à se tourner vers de parfaits inconnus pour trouver où pouvoir s’arrimer, ne serait-ce qu’à l’idée de la mort.”

La police confirme que la plupart de ces pactes suicidaires conclus par l’intermédiaire d’un site Internet sont le fait de personnes qui fuient la société, n’ont ni travail, ni amis, ni responsabilités familiales. Les suicidés du mois de mai, par exemple, avaient certes des amis mais sans avoir pour autant de relations étroites avec quiconque. Globalement, la société japonaise doit assurer la réinsertion de plus d’un million de personnes, surtout des hommes, que les spécialistes disent vivre complètement en marge de la société. Ils habitent chez leurs parents qui les entretiennent mais n’ont aucun contact avec la société. Il s’agit là du “hikikomori” (‘le repli sur soi’), phénomène parapsychologique bien connu au Japon qui pousse à s’enfermer chez soi, sans sortir, pendant des mois, voire des années.

Yukio Sato directeur de Inochi no denwa (‘le téléphone pour la vie’), un des plus anciens groupes japonais de prévention du suicide, estime que la fermeture des sites Internet ne serait pas une solution et privilégie la création de sites attractifs, capables d’apporter quelque chose de positif aux jeunes. “Mourir du fait d’Internet est un phénomène de groupe qui les fait se retrouver ensemble et imiter ceux qui les ont précédés, explique un pasteur méthodiste, le pasteur Saito. C’est une tendance qui peut être contrée en mettant en place des sites qui leur parlent et leur fournissent un lieu où trouver l’espérance à travers une communication interpersonnelle.” Le nombre d’adolescents branchés sur le site qu’a récemment lancé le pasteur Saito dépasse toute espérance. “C’est un point de départ, explique-t-il. Pour tous ces jeunes qui se sentent isolés et incapables de parler avec leurs parents, le net joue un rôle important : il leur tend les bras.”