Eglises d'Asie

L’accession au cardinalat de l’archevêque de Hô Chi Minh-Ville irrite les autorités

Publié le 18/03/2010




Malgré la panne d’électricité romaine qui a bloqué un certain temps les services informatiques du Saint-Siège, on apprenait le 28 septembre dernier que l’archevêque de Hô Chi Minh-Ville, Mgr Jean-Baptiste Pham Minh Mân, était sur la liste des trente et un nouveaux cardinaux choisis par le pape, devant être élevés à cette dignité lors du consistoire du 21 octobre prochain. C’est la première fois qu’un titulaire de l’archevêché de Saigon reçoit ce titre, soulignant ainsi la vitalité chrétienne de la partie sud de l’Eglise du Vietnam (1). Cependant, cette nomination a été presque immédiatement contestée par les plus hautes autorités vietnamiennes. Le lendemain, une dépêche de l’agence Reuters (2) rapportait que “Hanoi refusait de reconnaître la nomination du nouveau cardinal de Hô Chi Minh-Ville”. Le caractère unilatéral de cette décision a été la raison alléguée du refus énoncé par un responsable du Bureau gouvernemental des Affaires religieuses. Le gouvernement de Hanoi n’aurait pas été consulté au préalable, a affirmé un porte-parole des Affaires religieuses, alors qu’un accord signé entre le Saint-Siège et le Vietnam prévoit une consultation préalable pour toute nomination d’un membre de la hiérarchie catholique au Vietnam, affirmation démentie par un responsable romain qui a souligné que l’accord préalable ne concernait que les nominations d’évêques.

Lors de la précédente nomination au cardinalat de Mgr Pham Dinh Tung, archevêque de Hanoi, en octobre 1994, les autorités vietnamiennes avaient également manifesté une certaine mauvaise humeur pour la même raison (3) et s’étaient référées à ces mêmes accords. Le texte de ces accords n’est pas connu mais est manifestement interprété différemment par les deux parties. Selon les autorités vietnamiennes, ces accords auraient été conclus à l’issue des négociations menées entre le Vietnam et le Saint-Siège, lors du voyage de Mgr Celli à Hanoi au début du mois de mars 1994 (4). Les communiqués publiés par Hanoi à la suite de cette rencontre ont toujours affirmé que “les deux délégations avaient convenu que le Saint-Siège informerait le gouvernement vietnamien pour toutes les questions concernant l’Eglise catholique du Vietnam et qu’il ne prendrait sa décision qu’après l’accord du gouvernement vietnamien” (5). Dans une interview à Radio Vatican le 8 avril 1994, Mgr Celli avait présenté une version assez différente de ces mêmes négociations. Il affirmait même que “c’est […] à contrecoeur que le Saint-Siège soumet le nom du candidat à la considération du gouvernement vietnamien avant la nomination par le Souverain Pontife” (6). Il faut noter que les diverses directives gouvernementales en matière religieuse, y compris l’ordonnance religieuse actuellement en préparation, prévoient : […] Pour le degré hiérarchique de ‘Hoa Thuong’ chez les bouddhistes, de cardinal, archevêque ou évêque chez les catholiques et pour les degrés correspondants dans les autres religions, l’approbation du Conseil des ministres est nécessaire” (article 19 du décret 69 HDBT) (7).

Quoi qu’il en soit des réactions gouvernementales, la communauté catholique du Sud-Vietnam se réjouit grandement de la promotion au cardinalat de cet enfant du pays, né en 1934 à l’extrémité sud de l’ancienne Cochinchine, la pointe de Ca Mau, dans la paroisse de Hoa Thanh. Après des études secondaires à Cu Lao Giêng et à Phnom Penh, il entrait en 1954 au grand Séminaire de Saigon où il acheva sa formation sacerdotale en 1965, année où il est ordonné prêtre pour le diocèse de Cân Tho. Après une courte période d’enseignement dans le petit séminaire de Cai Rang dans son diocèse, il est envoyé poursuivre ses études à l’université Loyola, aux Etats-Unis, d’où il revient avec un doctorat en sciences de l’éducation. En 1989, lorsque le grand séminaire de Can Tho, devenu interdiocésain, ouvre à nouveau ses portes, il en est le premier recteur. C’est à ce poste que le trouve sa nomination au poste d’évêque coadjuteur de My Tho, le 15 mars 1993.

Quelque cinq années plus tard, sa nomination à la tête de l’archidiocèse de Hô Chi Minh-Ville, annoncée le 9 mars 1998 par le Bureau de presse du Vatican, a été un événement pour l’Eglise du Vietnam. En effet, cette nomination mettait un terme à une très longue vacance du siège de Saigon, accompagnée de très vives tensions entre le Saint-Siège et le gouvernement vietnamien. Celles-ci avaient commencé en 1975, au moment du changement de régime, avec la nomination par Rome de Mgr Nguyên Van Thuân au poste d’archevêque coadjuteur de Saigon, nomination refusée par les autorités de l’époque qui avaient non seulement renvoyé l’archevêque nommé hors de la ville mais lui avaient infligé treize ans de prison, rééducation et résidence surveillée. Le conflit avait repris lorsqu’en août 1993, la nouvelle d’une aggravation de la maladie de Mgr Nguyên Van Binh, archevêque principal de la ville, força le Saint-Siège à nommer un administrateur apostolique pour le diocèse de Hô Chi Minh-Ville ; ce fut Mgr Huynh Van Nghi, évêque de Phan Thiêt. Celui-ci n’a jamais été accepté par le gouvernement vietnamien qui, dès le début, a dénoncé dans sa nomination une manouvre du Vatican pour imposer Mgr Nguyên Van Thuân à Hô Chi Minh-Ville. Le refus du gouvernement s’est exprimé avec beaucoup de violence et quelquefois d’injustice pour les personnes. En novembre 1994, Mgr Nguyên Van Thuân fut nommé au Conseil pontifical ‘Justice et paix’ à Rome, ce qui laissait le champ libre à la négociation. Plusieurs candidats du Saint-Siège furent refusés, y compris Mgr Mân lui-même. En fin de compte, les autorités firent savoir à Rome qu’elles étaient revenues sur leur refus.

Ces dernières années, l’archevêque de Hô Chi Minh Ville s’est signalé par une particulière liberté de ton dans ses déclarations publiques traitant des rapports de l’Eglise et de l’Etat. Dans une lettre envoyée le 25 décembre 2002 au Comité d’union du catholicisme (8), l’archevêque décrivait les multiples formes d’aliénation subies par la société vietnamienne et critiquait sévèrement le régime sous lequel était placée la société civile, un régime qu’il qualifiait de « régime demander-donner” (co chê xin cho), système fonctionnant par demande d’autorisation et octroi d’autorisation. Une autre de ses lettres, envoyée au Front patriotique de Hô Chi Minh-Ville, exposait le travail social accompli par l’Eglise et réitérait les critiques fondamentales adressées au régime. Tout récemment, au mois de juillet dernier, invité à donner son avis sur une nouvelle ordonnance concernant la religion, il proposait tout simplement de laisser tomber ce texte pour revenir à la première ordonnance sur ce sujet, signé de Hô Chi Minh et datant de 1955 (9), un texte en apparence tout à fait libéral mais n’ayant jamais été appliqué.