Eglises d'Asie

En Papouasie occidentale et à Kalimantan, des membres des populations autochtones, déçus par leur conversion à l’islam ou au christianisme, retournent à leurs croyances premières

Publié le 18/03/2010




A l’occasion d’un colloque organisé du 13 au 17 septembre dernier à Cisarua, non loin de Djakarta, sur le thème des religions face à la mondialisation, un pasteur protestant a mis l’accent sur une évolution récente – même si son ampleur est difficile à établir – concernant les populations autochtones de la Papouasie occidentale (ex-Irian Jaya) et de Kalimantan (la partie indonésienne de l’île de Bornéo). Selon Darius Dubut, théologien protestant et membre d’une organisation ouvrant pour le dialogue interreligieux basée à Yogyakarta, certains membres des populations autochtones de ces deux provinces, après avoir choisi de se convertir à l’islam ou au christianisme, reviennent à leurs croyances premières et aux pratiques ancestrales qui y sont attachées car ils estiment que leurs “nouvelles” religions ont failli à les protéger de l’exploitation dont eux-mêmes et leurs terres font l’objet.

A Kalimantan, les peuples dayaks, autochtones, tout comme en Papouasie occidentale, les tribus papoues ont conservé jusqu’à aujourd’hui un mode de vie qui dépend étroitement de la forêt. Marginalisés sans cesse par la déforestation, l’exploitation des richesses minières et l’extension des cultures de plantation, mal représentés au sein des autorités civiles locales, les peuples autochtones sont devenus nerveux, voire violents, a estimé Darius Dubut, et certains, en leur sein, en sont venus à reconsidérer leur adhésion aux valeurs apportées par “les gens de l’extérieur”. Lui-même d’origine dayak, Darius Dubut a précisé que, “se sentant opprimés, des Dayaks en viennent à exprimer leur protestation en faisant appel aux esprits de leurs ancêtres tout en dégainant leurs ‘(machettes traditionnelles)”.

Revenant sur l’histoire récente des peuples dayaks, Darius Dubut a expliqué que la marginalisation massive des Dayaks dans la province de Kalimantan-Ouest remonte aux années 1970, “lorsque le gouvernement a distribué des concessions forestières, comprenant des territoires cultivés par les Dayaks, à des hommes d’affaires”. Les autochtones sont devenus des “intrus” sur leurs propres terres, accusés de vol dès qu’ils abattaient des arbres pour bâtir leurs maisons. A cela, se sont ajoutés les dégâts causés par les migrants, venus d’autres provinces du pays, les forêts étant pillées et les cours d’eau pollués, ne laissant aux Dayaks “rien d’autre que la pauvreté et des valeurs culturelles en ruines”. Aujourd’hui, les Dayaks, qui représentent 42 % de la population de Kalimantan-Ouest, les 58 % restant se répartissant entre Malais, Chinois et immigrants relativement récents, n’ont que très peu voix au chapitre sur le plan politique. L’actuel gouverneur adjoint, Herman Laurentius Kadir, catholique et premier Dayak à occuper un poste aussi élevé depuis 1966, est l’exception qui confirme la règle, a estimé Darius Dubut.

Du point de vue religieux, les statistiques de l’archidiocèse de Pontianak, dans la province de Kalimantan-Ouest, indiquent que 60 % des Dayaks sont catholiques, 35 % protestants et 5 % adeptes du “Kaharingan le culte animiste ancestral. Mais, selon Darius Dubut, le pourcentage très élevé de chrétiens parmi les Dayaks ne doit pas cacher que nombreux sont ceux qui ont opté pour le christianisme seulement après la mise en place, en 1967, sous le régime Suharto, du décret obligeant les Indonésiens à adhérer à une des cinq religions officiellement reconnues : bouddhisme, hindouisme, islam, catholicisme et protestantisme.

Aujourd’hui, les frustrations accumulées par les Dayaks s’expriment au grand jour. “Se sentant impuissants à empêcher la politique du gouvernement central, [les Dayaks] ont retourné leurs rancours sur les migrants venus de l’île de Madura a poursuivi Darius Dubut, en référence aux heurts sanglants qui ont périodiquement enflammés, ces dernières années, la province de Kalimantan-Ouest (1). Des Dayaks convertis au christianisme ou à l’islam ont choisi, dans ce contexte, de retourner au culte des esprits de leurs ancêtres, estimant que leur nouvelle religion ne proposait pas de réponse satisfaisante à la situation d’oppression qui est la leur. Darius Dubut a cité à ce propos un Dayak chrétien affirmant : “Jésus ne répond pas à nos prières.”

Intervenant dans ce même colloque, le pasteur Benny Giay, d’origine papoue et professeur d’université, a affirmé qu’en Papouasie occidentale, les Papous, dont 70 % sont chrétiens, principalement protestants, se trouvent dans une situation similaire. Se sentant impuissants et sans espoir, ils sont une proie facile pour des intérêts extérieurs désireux de les manipuler. De nombreux Papous disent aujourd’hui que l’essor du christianisme les a coupés de leurs racines ancestrales et de leurs croyances traditionnelles, croyances qui, selon eux, sont les seules à pouvoir les protéger des bouleversements qu’ils vivent. Certains vont jusqu’à dire que des forces hostiles utilisent les Eglises pour les détruire en tant que peuple. “Certaines forces peuvent infiltrer les Eglises en Papouasie et, à l’aide d’outils théologiques, religieux et politiques, détruire les Papous afin de préserver les intérêts des autorités et des capitalistes a affirmé le pasteur Giay. Selon lui, le retour de certains vers la religion des ancêtres s’enracine dans le fait qu’ils estiment que les Eglises chrétiennes sont impuissan-tes à faire barrage aux idées et au développement venus de l’extérieur, destructeurs du mode de vie traditionnel papou. S’ajoute à cela le sentiment que les Eglises peinent à vivre ce qu’elles prêchent (2).

Commentant ces analyses, le P. Augustinus Purnomo Sastrowijoyo, professeur de philosophie à l’université catholique Sanata Dharma à Yogyakarta, estime que ceux qui abandonnent leur nouvelle croyance sont sans doute ceux qui y ont adhéré d’une manière quasi aveugle. “La nouvelle religion à laquelle ils ont adhéré n’a pas pris racine dans leur vie. Face aux difficultés qu’ils ne peuvent résoudre, ils abandonnent cette religion et reviennent à leurs croyances antérieures. Ou bien encore ils avaient adopté une nouvelle religion, sans pour autant abandonner leurs pratiques coutumières a expliqué ce prêtre, curé de paroisse à Kalimantan durant plusieurs années avant de revenir à Java il y a quinze ans. “Je connais des Dayaks qui sont chrétiens depuis des années mais qui, à certaines étapes de leur vie, font appel à des pratiques liées à la religion traditionnelle, le Kaharingan précise-t-il.

Des approches par trop brutales de l’évangélisation peuvent aussi être la cause du retour de certains à leur religion première. Selon le P. Sastrowijoyo, des missionnaires ont pu, par le passé, ne pas montrer suffisamment de respect pour les pratiques et les valeurs religieuses de ces peuples. Soulignant l’importance de l’inculturation, le prêtre catholique dit que quiconque introduit une religion nouvelle au sein de ces peuples autochtones “doit avoir une solide connaissance de sa propre religion ainsi que de la culture, de la foi et des expressions religieuses des peuples en question”.

Pour Jull Qadr, responsable de l’Agence de recherche et de développement de la Muhammadiyah à Yogyakarta, le recours à la force n’a pas aidé en ce domaine. Selon lui, si des Papous ou des Dayaks reviennent à leurs croyances premières, c’est parce qu’“ils ont été contraints par le gouvernement d’abandonner celles-ci et d’adhérer à une ou l’autre des religions reconnues par les autorités”. Aujourd’hui, la tendance est à la rébellion. “Les gens osent affirmer leurs droits, y compris le droit à adhérer librement à une religion explique ce musulman, membre de la seconde plus importante organisation musulmane de masse du pays.

Pour Darius Dubut, si, depuis la chute du régime Suharto, les provinces ont gagné en autonomie, les exécutifs locaux ont maintenu les contrats d’exploitation forestière ou minière, sources pour eux de revenus substantiels. Cela signifie que la marginalisation des peuples autochtones se poursuit, avec pour conséquence le retour “des Dayaks à leur mode traditionnel de lutte, le ‘(chasseur de tête) comme instrument de vengeance : tête pour tête. Une tradition qui est évidemment contraire au message chrétien.” La revitalisation du Kaharingan doit être analysée en lien avec la revitalisation des valeurs traditionnelles des Dayaks. La difficulté est de transformer cette tradition de recours à la violence, a conclu Darius Dubut.