Eglises d'Asie

Les habitants, catholiques et non catholiques, de Jeju (Cheju) reconnaissent une responsabilité partagée dans le massacre perpétré dans l’île il y a un siècle

Publié le 18/03/2010




Les responsables des deux communautés, catholique et non catholique, de l’île de Jeju (Cheju) viennent de reconnaître leur responsabilité réciproque dans le bain de sang qui ravagea l’île en 1901. Au cours de ce que les historiens désignent du nom de « Soulèvement de Jeju une rébellion locale contre les méthodes féodales et coloniales des autorités de l’île qui se transforma en un conflit entre catholiques et non catholiques, 900 personnes – dont 700 catholiques – trouvèrent la mort.

Des responsables du diocèse de Cheju (qui a gardé l’ancienne transcription romanisée du nom de Jeju) et ceux de la « Fondation pour la commémoration du soulèvement de 1901 » se sont rencontrés le 7 novembre dernier afin de marquer le 102e anniversaire de l’événement. Ils ont publié une déclaration commune dans laquelle les deux parties reconnaissent chacune une part de responsabilité dans les massacres commis.

La « Déclaration de réconciliation pour les générations à venir » a été signée, d’une part, par Mgr Peter Kang Woo-il, évêque de Cheju (1), et, d’autre part, par Kim Young-hoon et Kim Chang-seon, les deux co-présidents de la Fondation. Elle souligne avant tout la confiance mutuelle qui anime les deux parties. L’Eglise demande pardon pour avoir contribué à créer un climat tel que les gens de Jeju se sont crus obligés de résister et de se dresser contre ce qu’ils considéraient être une connivence entre l’Eglise catholique et l’impérialisme européen. La Fondation de son côté a demandé pardon au nom de la population de l’île pour ce soulèvement au cours duquel de nombreux innocents, pour la plupart des catholiques, furent massacrés. « Parce que nous sommes leurs descendants, indique la déclaration, nous demandons ensemble pardon, voulant nous réconcilier et partager les souffrances et les peines du passé ».

Au moment du soulèvement, les tensions entre les deux communautés étaient très fortes et liées à la signature en 1886 d’un « Traité d’amitié » entre la France et la Corée. Ce traité garantissait l’extraterritorialité aux missionnaires catholiques français sur le sol coréen. Certains historiens disent que les catholiques coréens furent alors considérés comme des alliés et des partisans des puissances impérialistes étrangères. Ils suggèrent que c’est ce sentiment qui est à l’origine des émeutes sanglantes de cette époque, des habitants de l’île, non catholiques, protestant au départ contre l’attitude de certains catholiques. Le ressentiment fut porté à son comble quand la protection accordée aux prêtres français s’étendit aux catholiques coréens, dont le nombre s’accrut en conséquence. Pour bénéficier de ce privilège, de nombreux habitants, et parmi eux des criminels connus, se convertirent au catholicisme.

Le comportement de l’Eglise à l’égard de la culture et de la religion locales exacerba encore la situation. D’après l’Encyclopédie catholique coréenne, des catholiques de l’île détruisirent des arbres et des objets tenus pour sacrés par les shamanistes locaux mais considérés par eux comme des objets de superstition et d’idolâtrie.

Simeon Park Chan-sik, professeur d’histoire à l’université nationale de Cheju, souligne que, si on peut considérer que ce sont les catholiques ont provoqué cette tragédie, ce sont eux aussi qui eurent à déplorer le plus grand nombre de morts. Le professeur, natif de l’île et membre dirigeant de la Fondation, indique que certains catholiques parlent encore aujourd’hui de la tragédie comme celle de « l’Eglise souffrante de Jeju ». Mais, précise-t-il, dans un désir de réconciliation, l’Eglise n’emploie plus le terme de « martyr » pour les victimes catholiques. Dans le livre publié par le diocèse en 2000, intitulé Cent ans de l’histoire de l’Eglise de Cheju, le terme « victime » a remplacé celui de « martyr ».

Park Chan-sik, qui a participé à la rédaction de cet ouvrage, insiste sur le caractère historique de la déclaration du 7 novembre puisque, pour la première fois depuis cent ans, les deux parties demandent pardon. La conclusion de la déclaration, longue de deux pages, spécifie que les deux parties entendent travailler à mettre à jour la vérité historique sur la base d’une confiance mutuelle et à établir un climat de réconciliation et d’harmonie au sein de la communauté de Jeju.

Par ailleurs, le P. Pius Moon Chan-woo, président de la Commission diocésaine ‘Justice et paix’, qui a pris part à la réunion du 7 novembre, explique qu’une première rencontre, en 2001, avait eu lieu et avait consisté avant tout à préciser la position respective des deux parties face à cette tragédie, une première étape vers la reconnaissance réciproque de leurs « fautes ». « Il y a cent ans, l’Eglise voyait dans la culture traditionnelle des habitants un obstacle à sa mission. Une vision passablement éloignée de celle développée au Concile Vatican II dit-il, indiquant que, prochainement, l’érection d’un monument sur un des sites historiques des massacres, symbolisera le nouvel esprit de confiance mutuelle et de coopération de la population.

Pour le diocèse de Cheju, la demande de pardon de l’Eglise pour le rôle qu’elle a joué au cours des événements dramatiques de Jeju fait écho à la demande de pardon de Jean-Paul II lors du jubilé de l’an 2000. Le pape avait alors présenté ses excuses au nom de l’Eglise et demandé pardon pour les fautes commises par tous ses enfants au cours de l’histoire. Il avait insisté sur la nécessaire « purification de la mémoire ».