Eglises d'Asie

ELECTIONS PRESIDENTIELLES : POLITIQUE-FICTION

Publié le 18/03/2010




Lorsque Efren Lacorte a perdu son emploi de soudeur il y a trois ans de cela, l’idée lui traversa l’esprit que le suffrage qu’il avait apporté à Joseph Estrada, son acteur favori de cinéma, devenu président de la République, n’avait pas servi à grand-chose et qu’il avait peut-être fait le mauvais choix. “J’ai alors pensé que ceux qui critiquaient Erap avaient raison, que le fait d’avoir pour président un acteur de cinéma n’était pas une bonne chose pour le pays précise-t-il, usant du surnom utilisés par nombre de Philippins pour désigner Joseph Estrada.

Après que Joseph Estrada eut été chassé du pouvoir par des manifestations de rue soutenues par l’armée en janvier 2001, Efren Lacorte a eu l’espoir que les choses s’amélio-rent. Bien qu’il refusait presque de l’admettre, il commença à penser que lui et les millions de ses concitoyens qui avaient voté pour Estrada avaient eu tort. Aujourd’hui, pourtant, Efren Lacorte, devenu encore plus cynique envers les jeux traditionnels de la scène politique nationale, se dit prêt à voter à nouveau, en mai 2004, pour un acteur de cinéma, candidat à la présidence de la République. Il s’agit cette fois-ci de Fernando Poe Jr., une star locale encore plus populaire que l’était Estrada et qui se trouve par ailleurs être un des meilleurs amis d’Estrada.

Efren Lacorte se dit prêt à parier pour un avenir plus riant en votant pour Fernando Poe Jr., l’acteur le plus populaire des Philippines, connu, comme l’était Joseph Estrada, pour ses rôles de justicier. Pour toute une génération d’adeptes des salles de cinéma, Fernando Poe est le héros jamais vaincu, au coup de poing facile et rapide comme l’éclair, adepte du calibre 45 avec plus d’efficacité qu’il n’en faut contre ses ennemis. Son personnage est devenu tellement inséparable de l’usage du revolver que bien des Philippins en sont réellement venus à croire qu’ils pouvaient armer un pistolet tout en le glissant dans leur jeans.

Des électeurs comme Efren Lacorte – principalement les pauvres et les classes moyennes modestes, souvent des habitants des bidonvilles ou des squatteurs – pèsent d’un poids considérable dans les élections aux Philippines. En 1998, Joseph Estrada rassembla sur son nom près de onze millions de suffrages, en grande partie issus de ces groupes sociaux. On estime généralement qu’un tiers des 37 millions de Philippins inscrits sur les listes électorales appartient à ces catégories sociales.

Après avoir perdu son emploi il y a trois ans, Efren Lacorte, au physique efflanqué, père d’un enfant unique, s’est résolu à fouiller les poubelles pour nourrir sa famille, installée tant bien que mal à Putol, un des bidonvilles de Manille. Il parcourt les quartiers de bureaux à la recherche de papiers, les empilant pour les revendre – en vue d’être recyclés – sept pesos le kilo (soit à peine plus de dix centimes d’euros). Aujourd’hui, plus de deux ans après que Joseph Estrada a été remplacé à la présidence de la République par Glorio Macapagal Arroyo, Efren Lacorte vit toujours dans son bidonville et pousse son chariot rempli de papiers usagés à travers les rues de la capitale des Philippines. Il est devenu encore un peu plus cynique vis-à-vis de la politique – voire même carrément détaché, car, pour lui, Gloria Arroyo, présentée comme l’alternative à Joseph Estrada, n’a pas fait mieux que son prédécesseur. Efren Lacorte est plus que jamais convaincu que, quelle que soit la personna-lité au pouvoir, le président de la République n’améliorera pas le sort de millions de Philippins qui, comme lui, tentent de survivre avec moins de deux euros par jour. “Je fais toujours les poubelles bien que Gloria a promis de faire ce qu’Erap n’avait pas réussi à faire dit-il.

Ainsi, pendant que les hommes politiques philippins fourbissent leurs armes en vue des prochaines élections présidentielles, au printemps 2004, Efren Lacorte – et pratiquement tous ceux de son voisinage qui se sont rassemblés autour de lui à l’occasion de cet entretien – ne veut plus entendre parler de nouvelles promesses. Pour lui et ses semblables, les politiciens sont tous les mêmes – et c’est précisément pour cela que l’annonce de la candidature de Fernando Poe leur paraît être une bonne nouvelle.

“Je voterai pour Fernando Poe Jr., affirme Efren Lacorte. Ils disent qu’il ne fera rien de bon. C’est peut-être vrai mais, lui au moins, je l’apprécie.” Les personnes assemblées autour de lui protestent quand il dit cela. “Non, ce n’est pas vrai, réagit un jeune, torse nu. Il agira bien et fera du bien. Il viendra ici et nous écoutera une fois qu’il aura gagné. Pas comme Arroyo qui n’a jamais mis les pieds ici !”

“C’est vrai, renchérit une femme. Dans ses films, il est toujours le bon et il gagne à chaque fois. Il fera la même chose lorsqu’il sera président.” Un autre ajoute : “Je demanderai à FPJ (Fernando Poe Jr.) de faire aux maires et aux politiciens corrompus ce qu’il fait aux méchants dans ses films.”

Dans les derniers jours de novembre dernier, lorsque Fernando Poe a annoncé sa candidature, l’appréhension n’a pas gagné seulement ses rivaux potentiels mais aussi les économistes qui prédisent que le pays souffrira s’il devient président. Contrairement à Joseph Estrada, qui avait occupé les fonctions de maire, de sénateur et de vice-président avant d’accéder à la présidence, Fernando Poe a quitté l’école secondaire sans diplôme et n’a aucune expérience en politique. Le lendemain du jour où il a annoncé sa candidature, le peso a plongé à son plus bas historique, une chute que les partisans de Fernando Poe disent avoir été manipulée par le gouvernement en place afin de donner cours au sentiment qu’une présidence Poe serait une catastrophe pour le pays. Gloria Arroyo, qui a été la vice-présidente de Joseph Estrada et qui achève le mandat de ce dernier, a déclaré qu’elle se présenterait devant les électeurs au printemps prochain.

Lorsque Fernando Poe ne s’est pas présenté lors d’un séminaire organisé par un groupe d’hommes d’affaires, séminaire au cours duquel lui et deux autres candidats devaient détailler leurs programmes économiques, ses opposants ont eu beau jeu de le critiquer en dénonçant sa supposée incompétence en matière économique.

Il a aussi été dit que Fernando Poe était utilisé par le camp des partisans de Joseph Estrada qui souhaite la victoire de Poe afin, qu’une fois élu à la présidence, celui-ci le gracie, Estrada étant toujours en prison et sous le coup d’un procès pour corruption. Des insinuations démenties par Fernando Poe.

Pour les opposants à l’équipe actuellement au pouvoir, l’ascension possible de Fernando Poe à la présidence indique simplement le fait que l’homme de la rue aux Philippines en a plus qu’assez de la scène politique et des manouvres auxquelles se livrent ses acteurs. Prédisant “une victoire presque certaine” à Fernando Poe en mai prochain, Crispin Beltran, président , un parti formé de citoyens actifs en politique à la base, estime que le résultat de ces élections “ne sera pas tant un test de sa popularité en tant qu’acteur ou du caractère simpliste de l’électorat que de l’inutilité de l’administration Arroyo ainsi que du dégoût que les Philippins ont d’Arroyo et des combinaisons politiciennes habituelles”.

Une voisine d’Efren Lacorte, Nena Herrera, âgée de 49 ans et mère d’un enfant, dit que le dégoût est exactement le sentiment qu’elle éprouve à l’égard des politiciens philippins en général. “Moi et mon mari sommes au chômage depuis plus d’un an maintenant, explique-t-elle. Nous survivons uniquement parce que je fais la lessive pour d’autres.” Se rappelant que les gens de Joseph Estrada s’étaient rendus dans son quartier, elle se plaint du fait que Gloria Arroyo ne s’est montrée pour la première fois que la semaine dernière. Pour distribuer des médicaments à bon marché et encore seulement parce que, affirme-t-elle, les élections sont dans tout juste six mois et que Gloria Arroyo a peur de la candidature de Fernando Poe.

La désillusion vis-à-vis du monde politique en général épargne cependant certains hommes politiques, en particulier Raul Roco, un ancien ministre de l’Education apprécié et un ancien sénateur qui avec constance se maintient en tête des sondages, devançant même Fernando Poe. Raul Roco a promis de mettre un terme à la corruption et à l’incompétence et s’est engagé à faire mieux que le Singapourien Lee Kuan Yew et le Malaisien Mahathir bin Mohamad. Mais il paraît cependant évident que Raul Roco et le reste du personnel politique vont devoir faire plus s’ils veulent rallier les suffrages de gens comme Nena Herrera ou Efren Lacorte.

“Ce pays est dirigé depuis des générations par les mêmes politiciens et rien ne change – tout ce qu’ils font est voler l’argent du peuple et s’enrichir, martèle Nena Herrera, passant sous silence que, si Joseph Estrada est aujourd’hui en prison, c’est précisément parce que ces travers lui sont reprochés. Nous n’avons eu qu’une seule fois un acteur comme président et ils l’ont chassé du pouvoir. Aujourd’hui, je suis prête à parier sur un autre.” Efren Lacorte, pour sa part, ne se montre pas aussi optimiste. “Peu m’importe de collecter toutes ces ordures pour gagner ma vie. Au moins pour le moment, dit-il. Ce que j’espère, c’est que le président Poe rendra les choses un peu meilleures.”