Eglises d'Asie

Pour des écoles catholiques en Asie qui témoignent authentiquement du message du Christ

Publié le 18/03/2010




Dans une tribune libre publiée par l’agence d’information catholique Ucanews (1), Hector Welgampola, journaliste sri-lankais, directeur éditorial de Ucanews de 1987 à 2001, livre une analyse de la présence de l’Eglise catholique en Asie dans le domaine de l’éducation.

Hector Welgampola commence par rappeler le poids de cette présence. Ainsi, l’Eglise catholique compte environ 20 000 paroisses à travers toute l’Asie – dont un certain nombre ne dispose pas de curé -, et le nombre des établissements d’enseignement animés par l’Eglise est supérieur à 30 000. Ce dernier chiffre cache une réalité très contrastée : l’Indonésie, à majorité musulmane, compte ainsi 5 350 établissements catholiques d’enseignement, l’Inde, à majorité hindoue, 17 000 ; la Thaïlande, à majorité bouddhiste, seulement 341 (dont, toutefois, deux universités catholiques) ; la Mongolie, avant même que la mission catholique y soit érigée en diocèse et dotée d’un évêque, disposait de six instituts catholiques d’éducation. Face à l’importance de cette présence dans le secteur éducatif, il n’est donc pas étonnant que, pour de nombreux non catholiques, l’Eglise en Asie soit connue par ses hôpitaux et ses dispensaires mais aussi par ses écoles et ses universités.

Ce constat, rappelle Hector Welgampola, ne va cependant pas de soi. D’un côté, à la suite du Concile Vatican II, une partie du clergé a estimé qu’il était temps de laisser de côté ce mode traditionnel d’apostolat pour développer de nouvelles formes, telles que l’action sociale, le développement économique, les engagements du type ‘Justice et paix’. D’un autre côté, la massification du développement et l’essor des mouvements de libération politique, qu’ils soient de type socialiste ou nationaliste, ont souvent conduit à la nationalisation des systèmes éducatifs. Les écoles catholiques survivantes ont vu leur rôle réduit et un certain nombre d’entre elles ont choisi de se concentrer sur les besoins de formation des élites. Ce choix fait scandale, écrit Hector Welgampola, qui cite à l’appui de ses dires les conclusions dégagées par les “Equipes enseignantes” catholiques d’Asie, réunies en juillet 2002 au Bangladesh. Selon ces dernières, les écoles catholiques ont abandonné ce qui faisait leur objet originel, à savoir le développement des pauvres et l’aide aux plus défavorisés par l’accès à l’éducation, pour “répondre aux besoins des élites”.

Deux mois après cette réunion au Bangladesh, des évêques d’Asie, rassemblés à Pattaya en Thaïlande, sont allés dans le même sens, déplorant la tendance des écoles catholiques à l’élitisme et la mise au second plan du service des pauvres et de l’éducation à la foi. “Nous avons perdu Jésus de vue. Nous avons oublié la signification du mot ‘catholique’ dans nos écoles catholiques avait alors déclaré l’archevêque de Ranchi, en Inde, Mgr Telespore Toppo, aujourd’hui cardinal, devant une soixantaine de délégués, évêques, responsables laïques, prêtres et religieux. Mgr Antony Selvanayagam, archevêque de Penang, en Malaisie, allait dans le même sens, affirmant que les écoles catholiques qui font payer la scolarité ne sont pas au service des pauvres.

Lors de ce symposium, à Pattaya, certaines voix ont toutefois dit qu’il ne fallait pas généraliser la faillite des écoles catholiques. Selon Mgr Anthony Sharma, préfet apostolique du Népal, “le ministère de présence” que l’Eglise accomplit à travers les écoles qu’elle anime participe de sa mission évangélisatrice et l’Eglise est d’ailleurs considérée dans ce royaume majoritairement hindou comme faisant ouvre de pionnier en matière d’éducation. Dans le même sens, le P. Peter Bae Kyun-min a dit à Pattaya que les cinq universités catholiques de Corée du Sud attiraient les étudiants aussi bien par leur excellence académique que par l’esprit d’ouverture qui les caractérise. Une semaine plus tôt, dans une interview à la presse, le Premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatra, un bouddhiste, avait évoqué ses souvenirs d’ancien élève d’une école catholique. Selon lui, “la dimension religieuse (.) contribuait à ce que les élèves se comportent selon des valeurs morales”.

Face à la diversité des situations, Hector Welgampola précise que la réponse apportée par les écoles catholiques ne peut qu’être diverse. Dans un environnement catholique, on attend d’une école catholique qu’elle éduque les élèves catholiques qui lui sont confiés en offrant une véritable catéchèse. Dans un environnement plurireligieux, l’accueil d’enfants non catholiques est une réalité incontournable et une école catholique devra veiller à former de futurs dirigeants qui soient des personnes honnêtes. “Face à l’effondrement moral constaté en Asie, l’Eglise ne peut pas se désintéresser de l’ensemble de la population en âge d’être scolarisée. Mais si l’Eglise se concentre sur ce très exigeant appel, compromettra-t-elle l’éducation à la foi chrétienne des catholiques ? s’interroge Hector Welgampola.

Comme dans les autres sphères de l’activité humaine, que ce soit la politique ou l’économie, la réponse à apporter à cette question ne peut être unique, estime l’ancien responsable éditorial de Ucanews. Hector Welgampola estime que, dans le domaine éducatif, l’Eglise en Asie fait face à des défis aussi importants que ceux auxquels elle a dû faire face dans les années 1960, lorsqu’une vague de nationalisations a touché un peu partout le secteur de l’éducation. Aujourd’hui, écrit-il, le domaine de l’éducation connaît à nouveau des réformes motivées par des critères politiques. Ainsi, en Inde, constate-t-on une tentative d'”hindouisation” du système scolaire, caractérisée, entre autres, par une réécriture des manuels d’histoire (2). En Indonésie, la loi récemment votée sur l’éducation nationale a pu être analysée comme un assaut subtilement dirigé contre les écoles chrétiennes (3). Il est cependant nécessaire de dépasser le caractère strictement politicien des manouvres en cours pour saisir la signification profonde, pour l’Eglise, de cette évolution, estime Hector Welgampola, qui s’interroge en ces termes : “Où l’Esprit Saint mène-t-il les Eglises locales ?” Ce qui se passe en Indonésie et en Inde doit-il être compris comme une simple agitation politicienne ou bien cela appelle-t-il une réponse plus profonde menant l’Eglise à une intégration plus complète dans les réalités locales pour fournir un service plus dynamique ? “Par exemple, poursuit Hector Welgampola, les tentatives apparentes d’hindouisation de l’enseignement sont-elles une opportunité pour l’Eglise indienne de soutenir les théologiens indiens qui cherchent Jésus dans et à travers l’hindouisme ? La demande adressée aux écoles catholiques en Indonésie de fournir un enseignement religieux autre que chrétien à leurs élèves est-elle une opportunité pour ouvrir les écoles catholiques à vivre concrètement le dialogue interreligieux ?”

Ces questions amènent Hector Welgampola à s’interroger sur la possibilité des Eglises locales à fournir des réponses satisfaisantes. Selon lui, les pressions sont tellement fortes dès lors que le débat s’engage dans un pays donné que toutes les énergies sont orientées vers le fait de donner une réponse immédiate. Or, estime-t-il, seul “un forum des Eglises d’Asie” pourrait, sans aliéner la liberté de chacune des Eglises locales, contribuer à apporter une réponse prophétique à ces défis. “L’Eglise asiatique doit démontrer que la réponse aux tendances fondamentalistes à l’ouvre dans le bouddhisme, l’hindouisme ou l’islam ne se situe pas dans la consolidation d’une forteresse chrétienne d’où partirait la contre-attaque mais dans la ‘crucifixion’ par un service de sacrifice en témoignage de l’Evangile d’amour ajoute Hector Welgampola qui conclue en disant que les quelque 30 000 écoles catholiques d’Asie seront le vrai reflet du Christ et de son Eglise lorsque l’éducation catholique en Asie témoignera réellement de ce que les évêques d’Asie appellent le dialogue de vie.