Eglises d'Asie

UNE PLUS GRANDE AUTONOMIE POUR LES EGLISES LOCALES – un entretien avec le cardinal Fumio Hamao –

Publié le 18/03/2010




“Nous, de la Curie romaine, nous devrions avoir une plus grande écoute et un plus grand respect pour les Eglises locales.” C’est l’affirmation du cardinal japonais Stephen Fumio Hamao, 73 ans, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des itinérants. Il a reçu la barrette cardinalice au dernier consistoire, en octobre 2003, mais cela ne l’empêche pas de conserver sa franchise habituelle. “La Curie romaine, poursuit le cardinal, est habituée à enseigner, instruire, corriger. J’aimerais, conscients d’accomplir notre service pour le pape et l’Eglise, que nous soyons plus enclins à écouter, aider et encourager.”

Le nouveau cardinal maintient donc sa position, déjà exprimée il y a quelques années, favorable à la convocation d’un Concile Vatican III. “Je pense qu’un nouveau Concile est nécessaire, affirme-t-il, pour discuter en particulier de la nécessité d’une plus grande autonomie des Eglises locales. Les synodes ne suffisent pas, car ce sont des organes de consultation et souvent répétitifs. Les Eglises locales, qui ne sont pas composées d’enfants, devraient avoir plus d’autonomie dans les domaines de l’évangélisation et de la pastorale entre les peuples. En Asie, par exemple, les chrétiens cohabitent avec les grandes religions, comme le bouddhisme ou l’hindouisme, qui existaient bien avant l’arrivée de l’Evangile. Si, dans un tel contexte, j’annonce que Jésus-Christ est le seul Sauveur de l’humanité, je risque de me trouver face à des personnes qui font la sourde oreille. L’annonce de la Bonne Nouvelle doit être progressive. A Rome, beaucoup pensent que ce n’est pas comme cela qu’on évangélise. En Asie, nous sommes au contraire convaincus que c’est l’évangélisation la plus efficace.”

La question de la liturgie

Le cardinal Hamao prend l’exemple de la liturgie. “Je ne comprends pas pourquoi la traduction des textes liturgiques doit être approuvée par Rome. Ici [à Romepersonne ne parle le japonais, et pourtant, avant son utilisation, tout texte traduit dans cette langue doit obtenir l’aval de la Curie romaine. Des observations de ce genre ont été faites à nombreuses reprises lors des synodes, sans résultat. Je suis convaincu que les Eglises locales doivent avoir un plus grand pouvoir décisionnel, appliquant ainsi le principe de subsidiarité, à savoir : ce que peut faire le plus petit, que le plus grand ne s’en occupe pas.”

Selon le cardinal, d’autres thèmes devraient être abordés lors d’un éventuel nouveau concile, comme la bioéthique, les évolutions actuelles en matière de cohabitation des jeunes et les mutations de la famille, ou encore une nouvelle formulation de l’activité pastorale. “Depuis des siècles, observe-t-il, c’est la paroisse qui est le moteur de la pastorale. Aujourd’hui, avec la mobilité croissante des personnes, il faudrait inventer une pastorale à deux vitesses : la paroisse, évidemment, mais qui doit se renouveler, et une autre forme adaptée d’accompagnement de ceux qui n’ont plus aucun lien avec une paroisse.”

Jésus et le catéchisme

Le cardinal Fumio Hamao a été baptisé à l’âge de 16 ans. Son père était athée et sa mère, shintoïste, se convertit au catholicisme pendant la seconde guerre mondiale. “Jusqu’après la guerre, se souvient-il, la religion était considérée comme une affaire de famille, et non de personne, et le shintoïsme était la religion nationale. Avec la nouvelle Constitution, la religion a été séparée de la politique et c’est ainsi qu’a commencé à s’étendre la perte de religiosité. Ceux qui se convertissaient au christianisme, dont de grands intellectuels, étaient attirés par la figure du Christ et non pas par les formules apprises au catéchisme, qui était encore à l’époque celui du Concile de Trente.”

Ce souvenir personnel lui permet de rappeler un concept qu’il avait déjà abordé : “En Asie, et nous l’avons encore rappelé lors du synode sur ce continent en 1998, l’annonce chrétienne doit partir de Jésus, de sa personnalité, pour arriver, lorsque l’interlocuteur est prêt, à lui offrir la doctrine catholique dans son ensemble. Si nous commençons par le mystère de la Trinité ou d’autres mystères de foi, il sera difficile que les gens écoutent jusqu’au bout.”

“De même, ajoute-t-il, le dialogue avec les autres religions, qui est essentiel pour les Eglises locales en Asie, doit être plus un ‘dialogue de vie’ qu’un dialogue doctrinal. On pourrait par exemple réfléchir et même prier ensemble pour la paix, collaborer pour améliorer la société ou encore s’engager contre la pauvreté et la corruption publique. Et si les membres des autres religions ont des questions sur notre foi, alors seulement nous pouvons leur illustrer l’Evangile, mais de manière progressive.”

Le contrôle et l’accueil

Evêque pendant vingt-huit ans au Japon, c’est en 1998 que le cardinal Hamao a été appelé au Vatican pour présider l’organisme qui s’occupe des migrants. Sa vision des phénomènes migratoires est claire. “Qui quitte son pays, observe-t-il, agit en général pour fuir des persécutions politiques, religieuses, ethniques ou économiques : la pauvreté, le manque de travail. Dans le premier cas, ce sont des réfugiés qui ont le droit d’être accueillis par le pays où ils demandent asile. Dans le deuxième cas, ce sont des immigrés, envers lesquels les pays peuvent appliquer des politiques de contrôle des frontières, mais sans jamais renoncer au devoir d’accueillir celui qui appelle à l’aide. En particulier, il est important de conserver une ouverture pour réunir des familles divisées, car un immigré qui vit avec sa famille est plus responsable, même vis-à-vis de la société d’accueil, et il est donc plus difficilement tenté d’entrer dans des circuits illégaux.”

Le cardinal sait bien que nos sociétés, en réaction en particulier aux menaces terroristes, tendent à augmenter les politiques de fermeture vis-à-vis des étrangers. “Les chrétiens, affirme-t-il, comme le pape l’a répété à maintes reprises, doivent avoir une ouverture du cour pour contrecarrer toute attitude ou actes inspirés par le racisme, la xénophobie ou encore le nationalisme exacerbé.”