Eglises d'Asie

REFLEXIONS SUR LA SITUATION RELIGIEUSE DE L’EGLISE CATHOLIQUE DU VIETNAM

Publié le 18/03/2010




Un déni effronté de la vérité

Lorsque qu’il est accusé par de nombreux pays du monde de porter atteinte aux droits de l’homme, le régime vietnamien ne cesse de protester que non seulement il n’y a pas de violations de ces droits mais qu’au contraire, les droits de tous les citoyens sont toujours garantis dans ce pays. La réalité montre pourtant que les actes du régime sont tout le contraire de ce qu’il dit et qu’il n’a aucune hésitation à bafouer les droits naturels et fondamentaux du citoyen. Nous constatons qu’il ment sans vergogne, qu’il prend la communauté internationale pour une bande d’enfants, de gens crédules qu’on peut mener aisément en bateau, et en même temps, les pays qui l’accusent pour des diffamateurs. De toute façon, ses mensonges éhontés ne sont pas tout à fait inutiles : il suffit que des diplomates étrangers manifestent quelque réserve sur ces accusations pour que le bénéfice du doute soit d’une façon ou d’une autre tourné à l’avantage du régime.

Dans les faits, on constate que nombre de citoyens dans le pays, pour peu qu’ils expriment de façon modérée leur divergence politique, sont opprimés, persécutés, emprisonnés ou exécutés. Les cas du P. Nguyen Van Ly, du Dr Nguyen Dan Quê, de MM. Nguyen Hong Son, Nguyen Vu Binh… et de bien d’autres en sont la preuve plus que suffisante. Et pourtant, les autorités vietnamiennes, imperturbablement et effrontément, continuent de le nier. Elles proclament que les personnes qui ont fait l’objet de répression, d’emprisonnement ou d’exécution ont toutes porté atteinte à la loi, bien qu’aucune preuve n’en ait jamais pu être avancée de façon convaincante et indiscutable. Dans de nombreux cas, des opposants ont été condamnés en catimini pour des motifs insignifiants au cours de procès hâtifs et dépourvus des conditions nécessaires pour garantir un minimum de justice (séance publique, présence d’un avocat choisi par l’accusé, etc.).

Devant ces accusations, le régime vietnamien nie catégoriquement ses exactions, au motif que l’opinion internationale est victime d’informations mal fondées. Mais lorsque des délégations étrangères demandent à venir enquêter sérieusement sur place, pour voir de leurs propres yeux ce qu’il en est précisément, le régime leur refuse carrément l’accès aux endroits où des exactions sont réputées avoir lieu, ou la rencontre avec les personnes soupçonnées être emprisonnées pour leur divergence d’opinion politique. On argue du fait que la sécurité des délégations ne peut être garantie et que, si toutefois elles insistent, elles le font à leurs risques et périls. De telles entraves et menaces à peine voilées suffisent à faire reculer les enquêteurs.

Je suggère aux enquêteurs de ne pas être naïfs et de ne pas se laisser ainsi manipuler par le gouvernement vietnamien au point de voir échouer leurs enquêtes, voire de les laisser utiliser à son profit. S’ils veulent que leurs enquêtes aboutissent à des résultats concrets, ils doivent à tout prix exiger le droit d’aller aux endroits où ils veulent aller, de rencontrer les gens qu’ils veulent rencontrer. Si les autorités vietnamiennes refusent de satisfaire ces exigences, cela signifie tout simplement que les accusations portées contre elles par l’opinion internationale sont fondées. Car si vraiment ce régime est innocent de ces accusations, qu’a-t-il à cacher et à empêcher ! Qu’il laisse donc les enquêteurs faire leur travail et prouver son innocence !

Une subtile politique de répression anti-religieuse

Sur le plan de la liberté religieuse, le gouvernement vietnamien proclame invariablement que, dans la Constitution comme dans la réalité, la liberté de religion est toujours respectée, ignorant avec superbe les faits qui démontrent qu’au contraire, les droits et libertés des citoyens sont bafoués de façon patente et indiscutable. On peut mentionner, à titre d’exemple, les campagnes de répression contre les chrétiens appartenant aux ethnies minoritaires des Hauts Plateaux et des provinces du Nord-Ouest (Son La et Ha Giang), et plus récemment, la destruction de temples protestants à Saigon et alentours.

Dans sa politique répressive contre la religion, le pouvoir communiste se fonde sur un arsenal juridique extrêmement habile et subtil, riche en lois, décrets et ordonnances. Il opprime en associant divers articles de lois et décrets qui, chacun pris à part, n’ont en soi rien de répressif. La répression entre en jeu dès que ces différents articles sont malicieusement associés pour faire face à une situation donnée. Par exemple, un certain article stipule que les fidèles ne peuvent pratiquer leur culte qu’en des endroits autorisés (églises, pagodes, temples). Mais en même temps la réglementation régissant la construction d’immeubles décrète que tout projet de construction, pour se réaliser, doit obtenir l’autorisation préalable de l’Etat. En lisant ces articles ou décrets indépendamment et séparément l’un de l’autre, on n’y décèle a priori aucune intention anti-religieuse. Pourtant, pour interdire aux fidèles de pratiquer leur culte, il suffit pour le pouvoir de ne pas délivrer de permis de construire. Alors, faute de lieux de culte autorisés, les fidèles sont réduits à pratiquer leur culte à la maison ou en quelque autre endroit. C’est ainsi que la pratique du culte devient illégale et s’expose ipso facto aux foudres de la loi. Et le pouvoir n’a qu’à s’appuyer sur ce manquement pour frapper, arrêter et emprisonner les fidèles qui enfreignent la loi sans pour autant être taxé, lui, de porter atteinte aux libertés religieuses. Dans ces conditions, les fidèles qui désirent pratiquer leur religion même de façon légale sont pris dans un dilemme et ne savent plus quoi faire !

Autre exemple : d’une part, tel décret proclame que le citoyen est libre d’enseigner sa religion, d’autre part, tel autre décret exige, pour ce faire, d’être prêtre ou pasteur. Or pour être prêtre ou pasteur, il faut l’autorisation du gouvernement. Il ne faut pas croire que, même pour les cas les plus justifiés, l’autorisation est facilement accordée. C’est pourquoi, pour faire face à leurs besoins normaux, les Eglises doivent recourir à un certain nombre de prêtres ou pasteurs ‘clandestins’ (ces ministres du culte ordonnés sans l’autorisation ou la reconnaissance de l’Etat). De ce fait, les prêtres ou pasteurs ‘clandestins’, comme d’ailleurs de simples fidèles, qui enseignent la religion prennent le risque d’être arrêtés, roués de coups, emprisonnés, voire exécutés comme nous l’avons vu dans le passé.

Avec un tel système juridique, contradictoire et interprétable à volonté, le pouvoir peut à loisir arrêter ou emprisonner les fidèles pour infraction à la loi et non à cause de leur pratique religieuse.

En fait, l’utilisation de cet arsenal juridique pour le moins embrouillé pour opprimer la religion ne s’applique qu’aux Eglises qui refusent le contrôle de l’Etat. Celles qui acceptent d’être étroitement contrôlées par l’Etat jouissent d’une relative liberté. Ainsi, par exemple, s’agissant de la pratique du culte à la maison, les autorités locales peuvent fermer les yeux pour les fidèles relevant d’Eglises qui acceptent le contrôle de l’Etat. Par contre, si ces fidèles appartiennent aux Eglises réfractaires à tout contrôle, ils risquent d’être en butte aux tracasseries voire à une répression sans merci de la part des autorités locales. Le but ultime de l’Etat n’est-il pas de forcer toutes les Eglises à passer sous son contrôle ?

C’est ainsi que, vu de l’extérieur, on ne voit que les cas où il y a un semblant de liberté sans remarquer ceux où toute liberté est totalement absente. Pour prouver que la liberté de religion existe au Vietnam, il suffit au pouvoir d’exhiber les cas de la première catégorie et de passer sous silence ceux de la seconde catégorie.

La politique religieuse du pouvoir vis-à-vis de l’Eglise catholique

S’agissant de l’Eglise catholique en particulier, une Eglise dotée d’une stature internationale et d’une organisation structurée, le pouvoir doit montrer un certain respect tout en redoublant de subtilité dans sa stratégie répressive. En apparence, il prend toujours soin de faire accroire à la communauté internationale que cette Eglise jouit de la liberté de religion. Mais, en même temps, il profite du fait que la hiérarchie catholique élève rarement des protestations contre les mesures de restriction des libertés, de répression ou d’expropriation des biens de l’Eglise pour, en contrepartie, faire semblant de lui accorder certaines facilités. Pour payer le prix de ces facilités, l’Eglise doit, à son tour, se résigner à accepter l’ingérence du pouvoir dans ses affaires internes !

Actuellement, l’une des preuves patentes qui démontre l’ingérence directe du pouvoir dans les affaires internes de l’Eglise est le fait qu’il exige que la formation, la nomination et le déplacement du personnel à l’intérieur de l’Eglise reçoivent son approbation préalable. Ainsi, à la longue, les personnes qui travaillent dans l’Eglise et pour l’Eglise ne seront plus que des gens à la solde du pouvoir, prêts à se conformer à ses exigences, sans tenir compte des préjudices qu’ils causent ainsi à l’Eglise. Les gens de bien, les personnes compétentes, dont l’Eglise a un besoin criant pour témoigner de son authenticité, pour survivre et assurer son sain développement, sont catégoriquement écartés des rôles dirigeants au sein de l’Eglise. Cette situation conduira, à n’en pas douter, à une grave dégradation de la qualité de l’Eglise, une Eglise qui pourra continuer de survivre mais sous une forme dénaturée. Et au bout du compte, l’Eglise deviendra progressivement un outil docile dans les mains du pouvoir. Une fois atteint ce stade, le pouvoir pourra laisser une liberté totale à l’Eglise car, alors, même libre, elle n’aura plus que la capacité d’exécuter les ordres du Parti et de l’Etat.

Cette politique est vraiment subtile et pernicieuse. A moins d’en être empêchée par quelque intervention ou protestation énergique, elle aboutira forcément à la longue aux résultats escomptés. Alors l’Eglise catholique du Vietnam pourrait ne plus être une Eglise authentique comme il en existe dans d’autres pays libres, intègre dans la nature propre qui devrait être de tout temps la sienne.

A l’heure actuelle, le cursus pour la formation des prêtres dans les séminaires comprend toujours l’étude obligatoire de la philosophie marxiste-léniniste – une philosophie réservée normalement aux membres du Parti communiste qui ne représente que 2 % de la population. N’est-ce pas là une volonté manifeste du Parti et de l’Etat de former des outils à leur service dans les rangs même des futurs prêtres et séminaristes ?

L’ingérence de l’Etat dans les affaires de l’Eglise n’a pu se faire que grâce au silence persistant et incompréhensible, ou tout au plus à quelque protestation timide, de la part de la hiérarchie et du clergé devant de nombreux cas d’abus du pouvoir – abus contre lesquels, par conscience, ils auraient dû énergiquement protester. Par exemple :

– lorsque le pouvoir s’approprie abusivement les terres et les institutions appartenant à l’Eglise (comme le monastère de Thiên An à Huê, le sanctuaire de La Vang à Huê, l’institution des rédemptoristes à Huê, la maison presbytérale à Hanoi, l’université pontificale à Dalat, etc.) ;

– lorsque les autorités imposent l’étude du marxisme-léninisme dans les séminaires ;

– lorsque de dramatiques événements ont fait subir naguère de graves préjudices à notre nation et à notre peuple (telle que la cession en catimini d’une partie historique du territoire national au profit de la Chine).

Tous ces faits montrent que le caractère prophétique de la mission de l’Eglise fait gravement défaut dans la hiérarchie et dans le clergé de notre pays, conséquence de la politique d’ingérence et de manipulation de l’Etat. C’est précisément à cause de cette perte de la qualité intrinsèque de l’Eglise que les manifestations extérieures d’une liberté religieuse superficielle prennent d’autant plus de relief, afin de dissimuler les graves dommages qu’elle subit en son sein. En réalité, ce qu’on voit aujourd’hui dans le pays, ce sont les églises pleines à craquer le dimanche, les processions solennelles aux grandes fêtes de Pâques et de Noël. Ce spectacle autorise les gens à courte vue de se réjouir de la ‘liberté’ dont bénéficierait l’Eglise catholique. Par contre, ceux qui réfléchissent au fond des choses y trouvent plutôt une raison pour être pessimistes et pour s’inquiéter de l’avenir de l’Eglise. Car enfin, si l’Eglise a perdu sa nature intrinsèque, à quoi peuvent bien servir encore son existence et sa liberté ?

Ce dont je veux parler ici dans ce bref exposé, ce ne sont pas seulement des dommages et préjudices que le régime communiste causent aujourd’hui à l’Eglise catholique du Vietnam. De toutes façons, tous ces inconvénients et difficultés passeront quand ce régime passera. Ce dont je veux parler, c’est du mal que ce régime est en train de causer à mon pays aujourd’hui, d’un mal qui subsistera bien longtemps après que ce régime aura disparu : sa politique religieuse est en train de dénaturer l’Eglise catholique comme les autres Eglises de notre pays.

Ce que je crains, c’est que, une fois ce régime disparu, mon Eglise ne soit plus une Eglise authentique comme elle devrait l’être. Qu’elle ne puisse plus, la tête haute, être fière de ses sacrifices et de son courage comme elle a pu se glorifier, par le passé, du nombre de ses martyrs par centaine de milliers. Je crains qu’alors mon Eglise ne doive baisser les yeux pour contempler, en son sein, les marques indélébiles que ce régime inique aura laissées chez ses propres enfants. Car, dès aujourd’hui et même à l’avenir, mon Eglise porte déjà peu ou prou, dans ses propres rangs, des éléments qui ont été ou qui sont actuellement élevés et formés pour devenir des outils du régime.

Je crains que, après que ce régime aura disparu, les maux qu’il aura infligés au peuple vietnamien continueront de perdurer longtemps encore, dans lesquels mon Eglise – comme quelques autres Eglises – devra porter une part de responsabilité pour son silence et sa peur de dire la vérité quand il le fallait. Le silence et la peur d’agir de façon positive ne sont pas toujours innocents, ils peuvent inclure une certaine complicité.

Ce qu’il faut craindre pour mon Eglise, c’est précisément ce que ce régime est en train de faire pour la dénaturer. Une Eglise qui aurait dû faire preuve de sa capacité d’être maîtresse chez elle et de porter témoignage pour tous les chrétiens, s’est pourtant résignée à laisser le pouvoir agir à sa guise et à être toujours prête à garder le silence ! Une Eglise qui aurait dû être comme le levain dans la pâte, le sel dans l’aliment pour rendre l’homme et la société meilleurs, a laissé altérer le ferment du levain, le goût salé du sel. Un levain avarié, un sel affadi, à quoi peuvent-ils bien servir ?

C’est pourquoi, de tout mon cour, je lance cet appel pressant à la communauté du peuple de Dieu et à toutes les organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté de religion, d’agir en sorte que mon Eglise – ainsi que toutes les autres Eglises – recouvrent leur autonomie d’action, ne soient plus l’objet d’ingérence ou de manipulation d’aucune sorte de la part du régime, particulièrement dans les domaines de la formation et de la nomination du personnel religieux. Les torts causés par l’expropriation des biens de l’Eglise, les interdictions et tracasseries rencontrées dans l’exercice du culte, tout cela passera et pourra être réparé d’une façon ou d’une autre car, au fond, ce ne sont que des biens et intérêts matériels. Alors que le mal engendré par l’ingérence du pouvoir et la manipulation des affaires internes de l’Eglise sera profond et perdurera longtemps encore. L’Eglise aura beaucoup de mal à se rétablir car ces ingérences malignes ont la capacité d’altérer la nature même de l’Eglise et les valeurs morales et spirituelles qu’elle défend, ce qui fait qu’elle ne sera plus une vraie Eglise comme elle devrait être. Alors, même libre, elle ne pourra même plus accomplir sa mission !

Saigon, décembre 2004