Eglises d'Asie – Divers Horizons
Des responsables d’ONG chrétiennes dénoncent les conditions dans lesquelles le Bhoutan prépare le rapatriement d’une partie des réfugiés bhoutanais présents au Népal depuis 1990
Publié le 18/03/2010
La présence d’environ 100 000 réfugiés dans sept camps situés autour de Damak, dans le sud-ouest du Népal, remonte à 1990 lorsque les autorités de Thimphu, capitale du Bhoutan, ont imposé des normes culturelles et religieuses strictement bouddhistes à toute la population du Bhoutan (1). Plus de 100 000 Bhoutanais, pour la plupart d’origine népalaise et de religion hindoue, ont trouvé refuge au Népal. Depuis, Thimphu déclare que ces réfugiés n’ont pas la nationalité bhoutanaise et refuse de les accepter sur son territoire. Des négociations ont eu lieu périodiquement entre Thimphu et Katmandou qui ont abouti, en mars 2001, à la définition de quatre catégories de réfugiés, considérés non pas individuellement mais par foyer : les familles bhoutanaises, les familles bhoutanaises qui ont quitté le Bhoutan de leur plein gré, les familles non bhoutanaises et enfin celles qui ont un casier judiciaire. Thimphu a déclaré ne vouloir rapatrier que la première catégorie et Katmandou insiste pour que le Bhoutan reprennent les trois premières. En 2003, dans le camp de Khudunabari, des officiels bhoutanais assistés d’officiels népalais ont établi l’appartenance de 3 158 familles, soit un total de 12 183 personnes. Soixante-quatorze familles ont été déclarées bhoutanaises, 2 182 bhoutanaises ayant quitté de leur plein gré le Bhoutan, 817 non bhoutanaises et 85 comme ayant un casier judiciaire.
Selon le P. Varkey Perekkatt, directeur des opérations de JRS au Népal, seules les familles classées comme bhoutanaises ont reçu l’autorisation de retourner au Bhoutan en voyant leur citoyenneté immédiatement restaurée. La deuxième catégorie de familles – 2 182 foyers représentant 8 595 personnes, soit 71 % de la population du camp – se verra accorder le droit de retourner au Bhoutan qu’à la condition que chacune des personnes concernées prouve qu’elle sait lire, écrire et parler dzongkha, la langue nationale du Bhoutan. De plus, une période probatoire de deux ans leur sera imposée avant qu’elles ne soient autorisées à demander la citoyenneté bhoutanaise. Celles classées comme non bhoutanaises n’ont aucune chance d’être rapatriées et les personnes classées comme “criminelles” peuvent retourner au Bhoutan mais seront envoyées en prison dès la frontière franchie. Face à une telle catégorisation des réfugiés, les ONG présentes dans les camps ainsi que le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU ont demandé au Bhoutan de revoir sa décision. Thimphu a accepté et, six mois plus tard, le 22 décembre 2003, une délégation menée par le Bhoutanais Sonam Tenzing a annoncé des changements très mineurs aux conditions posées pour le rapatriement des Bhoutanais sensés avoir quitté volontairement le Bhoutan. Désormais, ces réfugiés auront seulement à démontrer qu’ils parlent dzongkha, la maîtrise de cette langue à l’écrit n’étant plus exigée. Le P. Perekkatt s’est dit “choqué” qu’aucun changement n’a été apporté à la catégorisation, qu’il qualifie de “grotesque des réfugiés. Selon les médias népalais, lorsque la délégation bhoutanaise a annoncé la position du gouvernement de Thimphu, une “échauffourée” s’est produite au cours de laquelle deux officiels bhoutanais, un policier et plusieurs réfugiés ont été blessés. Le rapatriement de la première catégorie de familles, initialement prévu ce 15 février, n’aura probablement pas lieu.
Pour Kamala Chetri, réfugiée et secrétaire adjointe du camp de Khudunabari, les concessions annoncées par Thimphu “ne sont qu’une farce”. Selon elle, dont la famille a été classée dans la seconde catégorie, les réfugiés considérés comme des Bhoutanais ayant quitté volontairement le Bhoutan se verront, au cas où ils retournent vivre dans leur pays, privés de leurs droits fondamentaux, tels que le droit à l’éducation, à la sécurité sociale, au travail ou à l’accès aux soins médicaux. Privés de leur citoyenneté durant les deux années de la période probatoire, ils ne jouiront même pas de la liberté de mouvement. Ils seront confinés, affirme-t-elle encore, dans des implantations d’où seul un membre par famille sera autorisé à sortir pour trouver à s’employer au jour le jour sur des chantiers de construction de routes. Or, ces réfugiés de la deuxième catégorie n’ont pas abandonné, en 1990, leur citoyenneté volontairement. “Nous avons fui le pays pour sauver nos vies. A la frontière, les soldats bhoutanais menaçaient de nous tuer si nous ne signions pas des feuilles en blanc rappelle-t-elle, tandis que d’autres réfugiés rapportent que l’armée confisquait les papiers d’identité.
Concernant les familles classées dans la troisième catégorie (non-Bhoutanais), Sour Anne Marie, qui travaille pour le JRS dans les camps, estime qu’il est difficile de penser que le Haut Commissariat aux réfugiés “a donné le statut de réfugiés à des personnes sans vérifier attentivement qu’elles pouvaient y prétendre”. Elle ajoute qu’il est improbable que l’agence onusienne ait fait autant d’erreurs, les famil-les classées comme “non bhoutanaises” représentant 24 % de la population du camp de Khudunabari.
Au sujet de la classification de 347 réfugiés comme “criminels Sour Anne Marie s’insurge sur les critères retenus. Parmi eux se trouvent des personnes qui ont pris part à des activités pro-démocratiques au Bhoutan, qualifiées d’“antinationales” par Thimphu. De plus, l’opprobre ainsi attaché à une personne s’étend à tout son foyer. “Tous les membres de la famille, femmes, enfants, grands-parents, sont mis ensemble, s’indigne-t-elle. Même les enfants nés dans les camps.”
Pour le P. Perekkatt, tant les critères retenus pour la catégorisation des réfugiés que la lenteur du processus posent problème. Soulignant que les enquêtes ont mis trois ans à aboutir dans un seul des sept camps, il déclare : “Nous pouvons seulement conjecturer, impuissants, sur le nombre de décennies que cela prendra pour vérifier et décider des paramètres présidant au rapatriement des 90 000 autres réfugiés.” Soulignant que plus de la moitié des réfugiés ont moins de 25 ans et que 25 000 enfants sont nés dans les camps depuis 1990 (2), il précise que le Népal ne peut pas fournir, sans aide internationale, les 15 millions de dollars nécessaires chaque année à l’entretien des réfugiés. “Nous nous tournons vers l’Inde pour trouver une solution juste à cette crise humanitaire interminable ajoute-t-il, remarquant que l’Inde est le seul pays à pouvoir faire pression sur Thimphu, New Delhi fournissant 80 % de l’aide internationale accordée au Bhoutan.