Eglises d'Asie

Selon l’intellectuel musulman indonésien Nurcholish Madjid, la presse occidentale contribue à la stigmatisation de l’islam en la dépeignant comme une religion violente

Publié le 18/03/2010




Du 23 au 25 février dernier, 240 intellectuels musulmans venus de 42 pays se sont réunis à Djakarta à l’invitation conjointe du gouvernement indonésien et de la Nahdlatul Ulama, la plus importante organisation musulmane de masse du pays, pour débattre de la place de l’islam dans le monde contemporain. A l’issue de la rencontre, une « Déclaration de Djakarta » a été publiée par laquelle ces intellectuels et responsables musulmans ont fermement « condamné tous les actes de terrorisme sous quelque forme et manifestation que ce soit » et rejeté l’identification du terrorisme avec « une quelconque religion en particulier ». Lors d’une intervention remarquée, l’intellectuel musulman indonésien Nurcholish Madjid a critiqué les médias occidentaux pour l’image qu’ils donnent de l’islam, associant trop souvent cette religion avec la violence. Une telle perception, dans ce qu’elle a d’erronée, a expliqué Nurcholish Madjid, aboutit à des incompréhensions et à une exacerbation des conflits entre fidèles des différentes religions à travers le monde.

« Les médias occidentaux ne comprennent pas réellement l’islam et, ces derniers temps, ont associé islam et violence au prétexte que quelques musulmans s’en sont pris à eux (à des objectifs occidentaux). C’est ce que j’appelle une généralisation non informée du fait que leur opinion est fondée sur une information incomplète a déclaré Nurcholish Madjid.

En écho à ces propos, Gregory Fealy, de l’Université nationale australienne, a montré comment, selon lui, les médias contribuent à créer des lignes de fracture entre les communautés. Par exemple, a-t-il expliqué, au sujet de l’Indonésie, les médias occidentaux distinguent entre les musulmans dits modérés, représentés par la Nahdlatul Ulama et la Muhammadiyah, et les musulmans dit radicaux, personnifiés par la Jemaah Islamiyah, comme si la distinction était nette et que les deux parties se livraient une guerre perpétuelle. Selon lui, une telle catégorisation sous-entend que les modérés doivent être les vainqueurs et encourage ainsi les tensions entre les groupes religieux en Indonésie.

Poursuivant son exposé, Gregory Fealy a ajouté que la présentation des faits sous une forme aussi tranchée est trompeuse dans la mesure où les lignes de fracture passent, bien souvent, à l’intérieur même de ces groupes musulmans. « Le Parti de la justice et de la prospérité est un bon exemple, a-t-il expliqué. Ce parti est en grande partie influencé par les Frères musulmans (mouvement radical d’origine égyptienne prônant la formation d’un Etat panislamique) mais ces partisans se présentent comme des démocrates exemplaires, formant des coalitions pluralistes et défendant des valeurs morales fortes dans la vie publique. »

Pour le chercheur australien, une telle présentation entre modérés et radicaux est influencée par les Etats-Unis dans la mesure où ces derniers veulent voir les modérés dominer le monde musulman, au détriment des radicaux qu’ils tiennent pour responsables des attentats du 11 septembre. Premier pays musulman de la planète par la taille de sa population musulmane, l’Indonésie subit les conséquences de cette stigmatisation de l’islam, a conclu Gregory Fealy.

Lors de cette rencontre, un autre sujet d’actualité a fait débat. Dans son discours d’ouverture, la présidente Megawati Sukarnoputri a critiqué la France pour la loi récemment adoptée concernant le port visible de signes religieux à l’école. S’adressant aux responsables français – et au-delà aux pays occidentaux -, elle a déclaré : « Qu’ils le réalisent ou non, ces mesures à caractère discriminatoire représentent un test du sérieux avec lequel ces grands pays mettent en ouvre les droits de l’homme qu’ils ont prêchés tout au long du XXe siècle. » A lire la presse indonésienne ou celle d’autres pays majoritairement musulmans, les rues des villes de France étaient pleines de manifestants protestant contre la politique du gouvernement et tous les musulmans de France étaient concernés par la politique discriminatoire édictée par les autorités. Présente à la rencontre de Djakarta, Andrée Feillard, membre de l’Ecole française d’Extrême-Orient et spécialiste de l’islam indonésien, a précisé au Jakarta Post : « Le fait est que 49 % des musulmanes en France sont d’accord avec la loi et que seulement 43 % d’entre elles la désapprouvent. » Egalement présent à Djakarta, le Réunionnais Aslam Timol, du Conseil français du culte musulman, a estimé que seulement environ 10 % des musulmanes de France portaient le voile.