Eglises d'Asie

UN ENTRETIEN AVEC Mgr GAUDENCIO ROSALES, ARCHEVEQUE DE MANILLE

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Votre nomination à Manille a-t-elle constitué pour vous une surprise ?

Mgr Gaudencio Rosales : Oui et non. Des amis émettaient bien quelques pronostics mais, même en sachant qu’on est nommé à la tête d’un archidiocèse plus important, peu importe le fait qu’on y pense avant, cela secoue toujours. C’est une surprise mêlée à de la crainte, comme il est dit dans la Bible lorsqu’un grand évènement va avoir lieu. Regardez les prophètes. Dieu a dû leur dire : “N’ayez pas peur !” C’est pourquoi, au-delà de la surprise, c’est plus avec de la crainte que j’approche cette nouvelle tâche que m’a confiée l’Eglise. La crainte est normale. Premièrement, je dois être le pasteur d’une grande Eglise locale, Manille, le plus grand diocèse des Philippines et de toute l’Asie. Sa taille seule fait peur. Mais il y a aussi l’énormité de ses problèmes – pas seulement politiques, qui existent depuis toujours, mais la crainte du fait d’avoir tant de personnes pauvres économiquement parmi mes fidèles.

Quelle est la taille de l’archidiocèse de Manille ?

Avant la division de Manille en cinq diocèses (1), sa population de jour était de quinze millions d’habitants, voire plus. Cela fait du monde ! De nuit, ce chiffre descendait à douze millions. L’archidiocèse actuel compte facilement plus de trois millions de personnes. On me dit que l’archidiocèse compte plus de pauvres que de gens appartenant aux classes moyennes. Ce qui est source d’anxiété pour moi, c’est que je vais devenir le pasteur et le guide d’une population dont une bonne partie est très pauvre. Beaucoup survivent difficilement, un bon nombre vivent dans des bidonvilles et certains vivent sous les ponts et le long des canaux. C’est ce que je veux dire lorsque je parle de crainte. Il y a également une instabilité de la vie causée par la dislocation des structures économiques et l’insécurité du gouvernement civil. Les gens réclament que des solutions soient apportées aux problèmes tandis que des politiciens, dont certains se sont complètement distanciés des pauvres, ne pensent qu’à leur survie politique.

Le défi est que le message de Jésus, toujours la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, s’applique à ces personnes. Parmi eux, il y a des catholiques et, de fait, la plupart sont catholiques et certains sont pauvres. Comment appliquer le message du Royaume de Dieu, l’amour, les valeurs à cet égard – pour ne rien dire de la justice demandée dans un pays supposé avoir pour mission de répandre la Bonne Nouvelle apportée par Jésus -, ce sont des questions qui se posent à moi. Et puis il y a mes propres limites. J’ai été évêque de petits diocèses. J’ai remplacé Mgr Fransisco Claver dans la province de Bukidnon. C’était différent, comme être dans la brousse au moment le plus difficile du pâturage, im-médiatement après la rébellion de nos frères musulmans et de la rébellion communiste. Les gens étaient désorientés. Ensuite, j’ai pris la relève en tant qu’évêque de Malaybalay. A l’époque, j’éprouvais une sorte d’angoisse à l’idée de ma nomination à Mindanao parce que je succédais à Mgr Claver, que nous appelions affectueusement “le Prophète de Malaybalay En arrivant dans un nouvel endroit, on voit l’énormité du problème, et puis on voit tellement ses propres limites. On m’a dit qu’il s’agissait d’une “saine” crainte, on connaît ses limites, mais on va de l’avant en faisant du mieux que l’on peut. Le reste dépend de “Lui 

Pourquoi croyez-vous que le Saint-Père vous ait choisi ?

Je ne sais vraiment pas ! Il y a beaucoup de suggestions venant de mes frères évêques. Ils m’ont dit que je faisais partie de la petite liste, mais j’ai demandé à quel point “petite” ? Je pense que nous étions trois ou quatre, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi j’ai été choisi. Puis les journaux ont révélé des éléments se rapportant à mes positions à la tête de la Commission sur le clergé de la Conférence des évêques des Philippines (CBCP). Pendant quinze ans, j’ai siégé à la Commission pour les séminaires et j’ai été un visiteur apostolique officiel des séminaires, au moins au niveau théologique (2).

Combien y a-t-il de séminaires aux Philippines ?

A peu près 100, si on compte les facultés de philosophie et de théologie, avec environ 6 000 séminaristes. Il y a également des petits séminaires. J’ai dû tous les visiter, sauf les séminaires d’enseignement secondaire. Plus tard, ils sont venus me voir pour que je fasse quelques visites de séminaires dans le Sud-Est asiatique au nom de la Congrégation romaine pour l’éducation catholique. J’ai visité des séminaires en Indonésie et au Sri Lanka, accompagné d’autres évêques asiatiques. Depuis deux ans, la Conférence m’a chargé de la Commission pour les prêtres.

Combien y a-t-il de prêtres aux Philippines ?

Il y en a 8 000, plus ou moins – 6 200 diocésains, le reste étant des religieux. Je suis aussi responsable d’une très importante tâche qui est de faire attention aux besoins particuliers des prêtres. En ce moment, j’ai des prêtres participant à un programme de renouvellement profond qui est instamment nécessaire.

Est-ce que cela inclut de se soucier des deux évêques philippins qui ont fait la ‘Une’ l’année passée pour soi-disant mauvaise conduite ? (3)

Je ne m’occupe pas de ces deux évêques en ce moment. Certains disent que c’est du fait de toute cette actualité que le pape m’a désigné. Ils se sont interrogés parce que ces cas ont concerné Manille, mais je dis que non. Je n’ai pas envie de me livrer à des spéculations sur ce sujet.

Y a-t-il eu plus de cas à Manille qu’ailleurs ?

Il y a eu des cas qui sont apparus ici et là et sont parvenus jusqu’aux médias. Comme ceux de ces deux évêques, ils étaient de Manille. Bien que je lise les journaux et vois ce sur quoi certains s’interrogent, ce n’est pas la raison de ma nomination à Manille. Non, je le dis, je ne suis pas un gendarme. Je suis un frère. Je veux venir en aide à tout le monde, même à mes frères évêques s’ils le veulent.

La presse philippine affirme que le pape vous a nommé à Manille à cause des problèmes de ce diocèse avec ses prêtres. Est-ce là une opinion trop simpliste ?

Je pense que oui. Je vais certes me préoccuper des prêtres parce qu’ils sont les premiers collaborateurs de l’évêque. Il n’y a pas de raison pour que je ne m’occupe pas d’eux, mais ce n’est pas précisément la raison de ma nomination.

Avez-vous été nommé parce que, selon les dires de certains, le cardinal Sin était trop ‘politique’ et vous moins ?

J’ai entendu la même chose, je l’ai lue dans les journaux et cela m’a surpris. Considérant l’engagement en politique, il n’y avait pas que le cardinal Sin qui était impliqué dans le combat pour des pratiques morales et propres en politique. Il a été au premier plan parce qu’il était à Manille. L’Eglise a dénoncé le règne dictatorial de Fernando Marcos qui a prostitué la démocratie des Philippines en loi martiale appuyée par les militaires. La vérité a été défendue par Mgr Claver, Mgr Julio Labayen, d’Infanta, Mgr Felix Perez, d’Imus, Mgr Antonio Nepomuceno, de Cotabato, Mgr Jesus Varela, de Sorsogon, Mgr Miguel Purugganan, d’Ilagan, Mgr Antonio Fortich, de Bacolod, et d’autres évêques encore. Nous étions tous dans le même bateau. La seule différence, c’est que Manille, c’est les Philippines pour certains. Si vous n’êtes pas à Manille, vous ne comptez pas ! La forte dénonciation de la dictature a éclaté à Manille et heureusement le cardinal Sin était le guide de la foule à Manille sous le régime de Marcos. Mais beaucoup d’autres évêques ont été impliqués dans le combat pour la justice sociale.

En tant que gardiens de la moralité, les évêques ont le devoir de prendre la parole, que le sujet soit politique, économique, social ou culturel. Nous pouvons être sûrs que quand le cardinal archevêque de Manille a parlé au moment de la plus grande crise politique qu’ait connue la nation, il a parlé comme un professeur et comme un pasteur. Nous sommes reconnaissants d’avoir eu un cardinal Sin quand la nation avait besoin d’un leader. Quand vous entendez des personnes demander si le prochain archevêque sera moins politique, il faut s’entendre sur les termes. Certainement, si on comprend la politique partisane, je pense qu’aucun pasteur ne devrait se risquer sur ce terrain-là. Mais, quand il s’agit de faire prévaloir un point de vue moral dans la vie politique et au sujet des questions politiques, la moralité des personnes à être élues en tant que leaders et celle des électeurs qui font les leaders, vous pouvez vous attendre à ce que les évêques, moi y compris, prennent la parole ! Quant à dire si le Saint-Père m’a choisi précisément pour cela, je ne saurais le dire. Je ne suis le dépositaire d’aucun secret sur ce qui se dit au Saint-Siège.

Prendrez-vous position sur les questions éthiques en matière politique ?

Sans aucun doute ! Un évêque doit parler sur ce genre de questions. J’étais évêque à Lipa, et j’ai pris position, même si cela n’a pas fait la ‘Une’ de la presse.

Donc, quand on en vient à de telles questions comme la corruption, .

Oh, l’examen doit être minutieux. Ne me dites pas que nous allons laisser tomber ! Nous allons chercher des alternatives à cette manière de faire les choses. Certaines personnes prétendent que les choses sont irrémédiables comme si elles étaient condamnées à vivre de cette manière. Je n’y crois pas. Il y a toujours un espoir. Souvenez-vous, je ne défends pas un programme politique ou idéologique qui me serait propre, j’apporte le Christ et Il aura toujours la réponse. Parfois, la réponse est tellement simple. A d’autres moments, c’est tellement compliqué. Savoir que j’apporte le Christ me donne du courage pour mon service. Je me sens comme le prophète Isaïe : “Qui suis-je ? Je ne sais pas comment parler.” Mais vous pouvez être sûr qu’en tant que pasteurs, nous nous prononcerons, nous ne ferons que cela ! Ce n’est pas parce que je vais à Manille que je dis cela. Nous avons fait cela depuis que nous sommes pasteurs.

Qu’est-ce qui doit être entrepris pour que Manille et les Philippines connaissent la paix ?

Il n’y a pas de paix au centre et pas de paix aux Philippines parce que la politique, telle qu’elle est pratiquée par les Philippins, est le plus grand facteur de division de notre société. La politique est un exercice de division, subie chaque année, approfondissant et augmentant le gouffre entre les riches et les pauvres, ceux qui ont le pouvoir et ceux qui sont dans le besoin, et ceux qui gagnent de l’argent et ceux qui sont du mauvais côté de la barrière.

Aux Philippines, même le domaine des affaires est facteur de division. Dès l’instant que vous entrez dans les affaires, vous y entrez avec une intention immédiate : faire du profit à partir d’un produit. Je ne dis pas que ces choses sont mauvaises, mais la politique et le monde des affaires doivent être mis au service, comme c’est le dessein de Dieu, du bien-être de la personne humaine et de la communauté, ainsi que l’enseignement social de l’Eglise nous le dit. Aussi longtemps que ce sera mis au service des seuls individus, du profit, du prestige, de la position et de l’influence, je ne pense pas que l’on ira loin.

Le bien commun des Philippins est-il une valeur qui a été par trop négligée ?

Oui, je dirais cela. En fait, vous avez exprimé exactement ce que j’avais à l’esprit. Il y a toujours eu de l’égoïsme dans la politique philippine – enfin, principalement ! Rares sont les personnes engagées dans la politique qui font preuve d’altruisme et qui essaient de faire de leur mieux.

Vous observerez si les politiciens essaient de résoudre les problèmes du pays ?

En tant que pasteur, oui. La personne est le centre du développement. C’est l’enseignement de l’Eglise. Le centre du développement doit toujours être la personne humaine. Notre Seigneur lui-même s’est focalisé sur l’homme. C’est pourquoi il est devenu homme.

A quel problème politique ou social majeur allez-vous porter le plus d’attention ?

La pauvreté, c’est en haut de la liste, et l’ignorance.

Vous voulez dire manque d’éducation ?

Pas seulement cela, mais une profonde ignorance des vérités de base à propos de l’avidité des individus et même de certaines vérités sociales. Et pas seulement cela, mais aussi l’ignorance des vraies valeurs humaines et chrétiennes. On doit éduquer les personnes et je ne veux pas parler d’une éducation scolaire. On doit leur dire ce que sont leurs droits, ce qui leur est autorisé. Certains leaders politiques veulent maintenir les pauvres ignorants politiquement, (leur dire) qu’ils n’ont aucun droit sauf celui d’être achetés, soudoyés. C’est le retour à la corruption et nous continuons de chercher des alternatives. Plaise à Dieu, il doit y avoir des alternatives. Après tout, nous nous tournons vers le Christ et il nous inspirera. La pauvreté est immense. Même dans Manille, les gens dorment sous les ponts.

Donc l’Eglise va prendre très fermement position sur ce problème ?

Elle devrait. Prions pour cela.

Vu de l’extérieur, on constate une certaine instabilité politique dans le pays.

C’est le cas. Nous avons eu une mauvaise histoire politique et une mauvaise histoire militaire. Tout cela revient à l’avidité. Tout le monde veut s’asseoir sur le siège du conducteur. Cela s’est intensifié et aggravé pendant la période de Marcos. Il a cru pouvoir renouveler le pays mais a été tenté en chemin. Il a fait prisonnier tout le patrimoine moral, idéal, économique et politique du pays. Le pire est qu’il a fait du pouvoir militaire, un pouvoir puissant et des personnes intéressées en ont usé et abusé, toujours dans le but de regagner leur position et leur pouvoir.

Mais l’Eglise dialogue manifestement avec les militaires.

En fait, beaucoup d’entre eux sont supposés être catholiques. Ils devraient écouter leurs pasteurs, je présume. Nous avons des aumôniers pour les militaires et également un évêque. Mais quand il s’agit de soi-même, de l’avidité, de l’égoïsme, des intérêts personnels, il devient difficile de parler avec les personnes. Ce genre de personne pourrait même tuer. Mais il doit y avoir une alternative. Je dirais que le pouvoir du mal ne doit pas avoir la possibilité de prendre le dessus dans le pays. Vous pouvez inspirer les gens avec le message de Dieu, et il doit y avoir une issue. Je commence toujours avec une vision. Je ne veux pas guider sans une vision. Manille est la troisième Eglise locale que je servirai et j’ai toujours travaillé avec une vision.

Quelle est votre vision pour l’archidiocèse de Manille ?

Aucune pour le moment ! Je développe cette vision avec les gens, je ne crois pas aux visions apportées par quelqu’un. A Manille, je sentirai et ferai sortir des gens ce qu’ils veulent et, de cela, il devrait en ressortir une vision. Une vision se doit d’être quelque chose d’accessible, quelque chose que les gens veulent vraiment, souhaitent vraiment, ce qu’ils veulent être, où ils veulent aller. Est-elle soutenue par la vérité ? Est-elle confirmée par la parole de Dieu ? Est-elle validée par l’expérience ? Je dois l’extirper des gens.

Donc vous dialoguerez avec les gens durant les prochains mois ?

Bien sûr, naturellement, et dialoguer avec les pauvres. Puis, comme pour la rédaction d’un livre, il y a un moment où c’est clair, c’est bon. Je fais toujours cela. Même maintenant, je suis influencé par la vision des Eglises que j’ai aidées par le passé. Une vision se doit d’être courte, facile à mémoriser, pas plus longue que dix lignes. Elle résume, presque dans un condensé comme des expressions, l’histoire du salut et des aspirations de l’homme. Je l’exprime toujours sous cette forme parce que la Bible dit : “Faute de visions, le peuple vit sans règle” (Proverbes 29,18). Même notre Seigneur a sa vision. Pour moi, ce serait trahir, trahir les personnes et Dieu, que de guider sans vision.

Votre première tâche à Manille sera de définir une vision ?

Premièrement, je dois connaître les prêtres. C’est comme partir de la case départ. Je dois me familiariser avec l’archidiocèse. Je dois faire connaissance avec les prêtres, connaître leurs noms, leurs situations, où ils en sont actuellement. C’est la première chose à faire. Je n’ai pas l’intention d’entrer là et commencer à donner des ordres. Donnez-moi un an pour connaître les prêtres et les personnes, peut-être moins ! Après cela, peut-être nous connaîtrons et déchiffrerons la vision.

J’ai fait la même chose avant, et maintenant nous allons suivre le même processus à Manille. Quand la vison sera développée, j’irai au devant d’une assemblée représentative de toutes les personnes et leur demanderai : “Acceptez-vous ceci ?” Cela est vraiment important parce qu’une bonne vision nous dit ce que nous voulons être, où nous voulons être, les directions à prendre, comment, où, ce que nous voulons être. Nous pouvons évaluer cela après un an ou deux. Une fois qu’une vision est arrêtée, on ne la change jamais. Vous changez la mission mais pas la vision. Une vision doit valider tout ce que vous faites, même le combat pour les pauvres. Une vision inspire les gens à aller de l’avant.

A cet instant précis, je n’ai pas de vision articulée et complète, même si je vois beaucoup de problèmes tels que la pauvreté et l’ignorance.

La Commission pour le clergé que vous présidez prépare un protocole et des directives au sujet des abus sexuels sur mineurs commis par le clergé. Les avez-vous apportés à Rome ?

Je suis responsable des directives pastorales. Quand nous reviendrons de Rome, je m’occuperai de cette affaire. J’ai juste reçu un fax d’un évêque qui veut jeter un coup d’oil au brouillon avant de le soumettre au Bureau permanent de la CBCP. Nous ferons donc ainsi, bien que ces textes aient déjà été acceptés dans leur principe par toute la Conférence.

Il y a quatre éléments principaux dans le protocole et dans les directives. 1.) Aborder le problème des besoins des victimes. Dans toutes (ces situations), il y a des victimes. Nous devons aborder ce problème des besoins des victimes – la personne, la dignité de la personne et l’injustice faite à la personne. Tout ceci doit être fait. 2.) Aborder le tort fait à la communauté. Comme le disent les directives pastorales, dès lors qu’un abus a eu lieu dans la communauté, la communauté en tant que groupe est blessée, scandalisée. 3.) Estimer la culpabilité du présumé agresseur. 4.) Aider le présumé agresseur. Est-il capable de recevoir une aide ? Si c’est le cas, c’est dans ce sens que le projet particulier que nous avons rédigé s’applique. C’est le “AIR for Priests acronyme pour “Assisted Intense Renewal for Priests 

Ce quadruple projet a été scrupuleusement pensé. Nous n’avons pas foncé tête baissée. Nous avons consulté des médecins, des juristes, des spécialistes du droit canon, des psychiatres, des psychologues, des anthropologues, etc.

Rome donnera-t-il son opinion sur ce protocole avant que celui-ci ne soit appliqué ?

Une fois que nous l’aurons finalisé, Rome devra le voir et le commenter. Nous avons appris de l’expérience américaine. A partir du moment où Rome dit que c’est OK, nous le mettrons en ouvre. Je pense que nous pourrons le finaliser à notre rencontre de janvier et ensuite l’apporter à Rome. Je m’attends à ce qu’il soit approuvé avant l’été prochain par Rome (2004) et applicable d’ici douze mois.

Quelle est votre analyse des divers scandales concernant les abus sexuels commis sur des mineurs tels qu’ils ont éclaté récemment dans de nombreux pays ?

Dans l’histoire de l’Eglise, il n’y a rien de neuf. Je pense que c’est la sixième fois qu’une telle crise se joue autour de la question des abus commis par le clergé, au sens général. Nous l’avons vu dans les années 700, et cela a conduit aux réformes franques, fondée sur le comportement sacerdotal. Quelque chose de semblable s’est passée dans les années 800 et la réforme carolingienne a visé à renouveler la vie sacerdotale. De 900 à 1100, la population était si scandalisée par la conduite du clergé qu’elle réclamait à cor et à cri une réforme, et ceci a mené à la réforme de Cluny, fondée une nouvelle fois sur la vie et la conduite du clergé. Puis vinrent les périodes sombres de l’Eglise et, à nouveau, la population perdit confiance en son clergé. Les ordres mendiants acceptèrent de se charger de la réforme avec saint François, saint Dominique et d’autres. Puis le problème réapparut sous les papes Borgia, avec les cardinaux et le clergé. Même le pape avait sa propre famille. Il y a eu des tentatives de réforme par des gens comme Savonarole, mais il a fallu attendre le Concile de Trente pour voir aboutir une vraie réforme. Ce concile nous a laissé les séminaires.

Aujourd’hui, le vent souffle à nouveau du côté de la réforme. N’ayons pas peur d’utiliser ce mot. Le Concile Vatican II a commencé ce renouvellement, bien qu’il a refusé d’utiliser le mot “réforme Appelez-le comme vous le voulez, renouveau ou réforme, cela revient au même. Nous pensions qu’il était arrivé à terme avec Vatican II, achevé en 1965. Nous avons alors pensé que tout allait bien. Mais il semble que tout n’aille pas si bien que cela car le véritable renouvellement dans l’histoire de l’Eglise passe par le renouveau du clergé. Le problème est mondial. Nous devons nous y atteler dès maintenant. Beaucoup disent qu’il y a un problème avec le célibat, que les prêtres devraient pouvoir se marier, que nous avons besoin de prêtres mariés mais je pense que c’est une crise spirituelle. La vie spirituelle a été perdue de vue dans beaucoup de ministères sacerdotaux. Il n’y a pas assez d’engagement spirituel de la part des prêtres et nous devons nous attaquer à cela. C’est une crise spirituelle et le célibat est au service des prêtres.

Certains disent : “Laissons les prêtres se marier !” Pendant le dernier synode des évêques, j’ai discuté avec le cardinal Husar, d’Ukraine, dont une partie du clergé est mariée. Je lui ai demandé si tout allait bien avec son clergé et je lui ai dit que je supposais qu’il n’avait pas de problème de cette nature. Il m’a répondu : “Ne croyez pas cela. C’est un mythe.” Il m’a raconté que certains de ses problèmes les plus importants concernaient les prêtres mariés.

La présente crise est une crise spirituelle. Les prêtres ont perdu leur esprit d’engagement. Le fait que notre Seigneur a accepté de ne pas être marié n’est pas pour tout le monde. Certaines personnes sont mariées parce que la nature les a faites ainsi. On le retrouve dans saint Matthieu : il y a des gens qui ne sont pas mariés parce qu’ils en ont décidé ainsi et des gens non mariés dans l’intérêt du Royaume des cieux. Laissons ceux qui le peuvent l’accepter. Notre Seigneur et saint Paul ont parlé du besoin du célibat, la singularité du but, la singularité de l’engagement envers Dieu et son peuple. Voilà le cour du célibat. En d’autres termes, je ne me cherche pas moi-même mais seulement Dieu. Je ne recherche personne d’autre, à part Dieu. Par manque d’engagement spirituel, tout le monde aujourd’hui ne peut pas soutenir cela, et c’est là qu’est la difficulté.

Trois des cinq derniers papes ne sont pas passés par le séminaire. Est-ce que, par là, Dieu dit quelque chose à l’Eglise ?

Probablement. Leur expérience en tant qu’adultes abordant la formation sacerdotale peut avoir quelque chose à voir avec cela et les formateurs de prêtres, la Sacrée Congrégation, devraient se pencher sur ce point. La question est posée depuis longtemps de savoir si les séminaires doivent ou non accepter les jeunes gens au moment de leur adolescence. Le débat n’est pas clôt, même dans mon propre diocèse. Est-ce bien de les accepter très jeunes ? Je dirais que non, laissons-les vivre la vie d’un adolescent normal, sinon comment pourrait-on autrement les accepter dans une vocation qui requiert un choix et une décision longuement mûris. Nous devons aujourd’hui prendre des dispositions plus sûres. La plupart des formateurs disent que la formation spirituelle a été d’une façon ou d’une autre mise de côté, négligée. L’Eglise veut à nouveau mettre cet aspect au centre. Dans certains séminaires, spécialement ceux que j’ai ouverts en tant qu’évêque de Lipa, nous essayons de faire de la formation spirituelle la matrice spirituelle de la formation sacerdotale au séminaire, tout en préservant la formation humaine, intellectuelle et pastorale. C’est cela que j’ai voulu mettre au centre dans la formation des agents. Je voulais retrouver ce rôle central de la spiritualité dans la formation du prêtre et dans sa vie personnelle ministérielle. C’est un grand défi mais il doit être relevé.

Quel est selon vous le problème principal auquel l’Eglise fait face aujourd’hui ?

Je dirais les choses ainsi : comment notre foi en Jésus Christ nous transforme-t-elle en réels membres du Royau-me, en chrétiens qui peuvent vraiment changer le monde ? Est-ce que la foi chrétienne, catholique que les gens du Sud comme du Nord pratiquent de nos jours se traduit dans leur vie au point qu’ils transforment le monde dans lequel ils vivent en ce que le Christ veut – comme l’Evangile le dit, pour être le levain dans la pâte qui donne du pain ? C’est le défi. L’Eglise a-t-elle trouvé le Christ ? La foi qu’elle a en Lui nous a-t-elle changé en croyants ? Et, à travers nous, a changé le monde en ce qu’il devrait être ? Pour ma part, la question la plus difficile est pourquoi y a-t-il tant de pauvres qui vont se coucher en ayant faim et qui meurent ? Il y a beaucoup d’affamés dans notre monde de six milliards de personnes, mais un pays de nos jours, dit-on, pourrait produire assez de nourriture pour nourrir vingt milliards de personnes. Il y a un problème. Est-ce au niveau de la production ou de la distribution ?

Les Philippines sont le principal pays catholique d’Asie. Le témoignage donné à l’Asie est-il celui qu’il doit être ?

Oui et non. Oui, dans le fait que nous sommes chrétiens et que nous pratiquons notre foi. Oui, dans le fait que nous sommes, globalement, un peuple catholique, malgré l’absence de paix dans notre pays. Oui, dans le fait que nous sommes une population qui célébrons, glorifions Dieu dans l’amour pour Dieu et pour l’amour de notre prochain. Mais non, dans le fait que, pour bon nombre d’entre nous, nous ne sommes pas des témoins fidèles à la cause de charité que nous avons découverte en Jésus Christ.

La grande pauvreté comme la grande richesse co-existent aux Philippines. Est-ce là une mise en cause de la foi de la population ?

Oh oui ! C’est un scandale qu’il y ait autant de pauvres parmi nous, étant donné la présence de tant de chrétiens. Y aura-t-il une voie ? Il doit y en avoir et elle se trouve en Jésus Christ. Mais comment le comprenons-nous lorsqu’Il parle du royaume de son Père, de la justice, de l’amour comme étant la plus grande valeur dans le royaume ? Apprécions-nous vraiment cela ou manifestons-nous un simple intérêt poli ? Nous avons besoin d’être éduqués à la vérité et à la bonté – et de purifier nos valeurs.

Qu’attendre des laïcs ?

Notre grande grâce aux Philippines est que les laïcs ne sont pas seulement ouverts aux services de l’Eglise mais que beaucoup d’entre eux sont vraiment actifs. Ils sont notre trésor. Leur rôle est de bâtir le royaume, parfois appelé “construction de la nation” ou “construction de la population Ils doivent faire partie du mouvement, être eux-mêmes leurs propres “réformateurs Leur rôle est de bâtir le royaume. Dans beaucoup de lieux aux Philippines tels que Malaybalay, vous pouvez voir des laïcs vraiment actifs. Organisez une rencontre et ils sont là. Appelez-les à travailler pour la jeunesse et la famille et ils répondent présents. Vous pouvez être sûr que les laïcs sont là. Les laïcs sont la force de l’Eglise des Philippines. J’ai vu cela à Lipa où nous avions un programme qui pourrait être appliqué ailleurs dans le pays, y compris à Manille. Certains de nos laïcs aident le prêtre le dimanche, pour la liturgie de la Parole, dans des centaines de chapelles comme à Mindanao. Certains sont des catéchistes, d’autres s’engagent dans des programmes de développement social pour les pauvres. Ils représentent une grande ressource, pas seulement en priant mais aussi en travaillant pour des frères et sours moins fortunés. Parfois leur engagement envers les pauvres amène nos prêtres, en comparaison, à se sentir honteux.

Désirez-vous également des laïcs engagés en politique ?

Oui. Nous parlons politique, mais comment réforme-t-on la politique ? C’est un grand problème que de réformer la politique de l’intérieur, de réformer les structures mises en place en politique, dans une nation, dans un pays. Réformer cela, j’ai quelques doutes. Comme je l’ai dit plus tôt, la politique telle qu’elle est pratiquée aux Philippines est source de discorde. La seule manière de la changer est de créer un mouvement honnête dans le but de changer la personne du politicien, ses valeurs intimes. C’est comme ce qu’a fait notre Seigneur. Il n’a pas démonté une situation injuste. Il vivait dans la plus injuste des situations – toute la Palestine était sous occupation militaire des Romains. L’occupation étrangère et les impôts étaient là-bas les pires du monde. Notre Seigneur n’a pas vécu dans un monde idéal. Qu’a-t-il fait ? A-t-il changé la politique ou changé les procédures d’occupation des Romains ? Il a entrepris de changer les gens, parce que si on change les gens on change le système.

Que comptez-vous faire en tant que pasteur de Manille en ce qui concerne les élections présidentielles de l’an prochain (2004) aux Philippines ?

Je vais devoir me manifester avec un message, une lettre pastorale, quand le moment viendra. Mais, comme je l’ai dit, je suis nouveau. Les Philippines sont vraiment politisées, dans un véritable mauvais sens du terme, et la politique est un business. Celui qui entre en politique devient riche très vite. C’est pourquoi les gens se battent pour être élu. Très souvent, le jeu devient vraiment violent, et une campagne électorale dans le pays peut entraîner la perte de nombreuses vies. Dans les élections philippines, les problèmes, les questions économiques ne sont pas réglés par des principes. Les débats portent sur les personnes, chacun essayant de dire de l’autre qu’il est moins bon que lui. Dans ce système, n’importe qui peut entrer avec un pseudo programme ; les idées importent peu. J’ai remarqué que la politique aux Philippines plus souvent qu’à son tour est affaire d’ego. Une plaisanterie aux Philippines, je pense que c’est vrai, dit que personne n’avoue publiquement avoir perdu une élection mais affirme toujours que “les dés étaient pipés 

Qu’attendez-vous du futur président des Philippines ?

Un leader politique doit être une personne morale et honnête qui pense au bien de la population. La personne devrait également être morale dans sa vie personnelle. Donc, je recherche quelqu’un qui est membre du peuple de Dieu, une personne qui a une vision. J’ai dit à mes prêtres que c’est trahir que de diriger sans vision. Savoir ce que vous voulez être, savoir ce que votre peuple veut être et où il veut aller. Avec une vision, vous pouvez inspirer les gens. Pourquoi ne puis-je pas dire cela aussi pour les politiciens ? Normalement, l’évêque, le pasteur, le prêtre a une vision, une vision à plus long terme que celle des gens. C’est ce que dit le psaume 23 : “Le Seigneur est mon berger. Je ne crains rien. Il me conduit sur des prés d’herbes fraîches.” Pourquoi ? Parce que le berger a une vision pour son troupeau. Un bon leader a lui aussi une vision

Par le passé, vous avez travaillé à Manille. Vous connaissez donc l’archidiocèse ?

Oui, j’ai travaillé avec le cardinal Sin pendant huit ans mais Manille a beaucoup changé depuis. J’y étais il y a plus d’une génération. Mais j’ai vraiment apprécié et ai été façonné par Mindanao.

De quoi a-t-on besoin pour ramener la paix aux Philippines, à Mindanao en particulier ?

Nos frères musulmans vivent dans la pauvreté, et nous devons nous atteler à répondre à leurs besoins et à ceux des personnes là-bas. Nous devons vaincre la pauvreté et apporter l’éducation. Il doit y avoir de bons dirigeants des deux côtés. Cela est nécessaire pour la paix. Ce sont là des éléments-clé parce que les gens deviennent violents quand ils n’ont rien à manger. Nous savons cela et c’est pire si ils ne sont pas éduqués. Le gouvernement doit apporter les services de base – alimentation, santé, éducation. Echouer à apporter ces services ne fera qu’exacerber la situation.

Pensez-vous qu’une solution puisse être trouvée pour aider les musulmans pauvres ?

J’ai confiance en Dieu, donc je pense qu’une solution peut être trouvée, mais cela va être vraiment difficile. Nous devons faire quelque chose. Nous avons des frères évêques qui dialoguent avec eux, y compris le nouveau président de notre Conférence, Mgr Capalla, de Davao, mais c’est vraiment difficile. Trop souvent, notre relation avec eux a été violente. Comment regagner le terrain perdu ? Je ne dis pas que c’est impossible ; il doit y avoir un moyen. Le gouvernement s’est lancé dans la guerre à outrance. Les évêques de Mindanao étaient contre cela parce qu’ils discutaient et coexistaient avec eux en paix. Tout cela a été interrompu. Mindanao est un grave problème. Bien que ce soit difficile, cela peut être résolu par la justice et la charité, mais certainement pas par des moyens militaires.

Que voudriez-vous que le nouveau président des Philippines fasse ?

L’innocence entre les peuples n’est plus. Ils ont été submergés par de nouvelles formes de violence. Le terrorisme a infiltré et compliqué la situation avec un nouveau langage de violence. Le terrorisme est un phénomène nouveau dans le monde, le langage neuf de la haine et de la méfiance. Il doit y avoir une fin à la violence, mais il n’y a pas qu’une seule forme de violence. Il n’y a pas que le terrorisme. Il y a également une violence économique, un terrorisme politique, etc. La violence n’est pas la seule voie pour aller de l’avant.

Y a-t-il quelque chose que vous voulez dire à la population de Manille ?

Faites confiance à Dieu, aidez-moi à diriger, priez pour moi, c’est tout ce que je demande. Je ne suis pas un jeune homme. J’ai 71 ans, seulement quatre ans de moins que le cardinal Sin.

(1)A propos de la récente partition de l’archidiocèse de Manille, voir EDA 379, 381, 386

(2)Voir EDA 381

(3)Voir EDA 377, 378, 380, 386